Rapport d’enquête sur une question de sécurité du transport (SII)
Événements survenus au Québec et au Nunavut sur des pistes en travaux réduites en largeur
L'événement
La présente enquête sur une question de sécurité examine une série de 18 événements survenus à certains aéroports en travaux du Québec et du Nunavut entre 2013 et 2018.
À la suite de l’enquête sur un incident survenu en juin 2018 durant des travaux de réfection de piste à l’aéroport de Baie-Comeau, au Québec, il est ressorti que 14 autres événements similaires étaient survenus dans d’autres aéroports du Québec et à un aéroport du Nunavut depuis 2013. Une revue sommaire de ces événements a permis de constater une particularité dans la méthode utilisée pour les travaux, soit la réduction de la largeur de la piste plutôt que de la longueur. Dans tous les cas sauf 2, les aéronefs avaient manœuvré sur la partie inutilisable de la piste lors du décollage ou de l’atterrissage.
Jugeant cette situation inquiétante, le BST a publié l’Avis de sécurité aérienne A18Q0094-D1-A1 à l’intention de l’Aviation civile de Transports Canada (TCAC) le 12 juillet 2018. Cependant, 2 autres événements similaires étant survenus peu de temps après la publication de cet avis, le BST a décidé d’entreprendre la présente enquête pour mettre en évidence, le cas échéant, les causes ou facteurs contributifs sous-jacents de nature systémique, et évaluer le risque qu’ils présentent. Des éléments obtenus durant cette enquête ont permis de déterminer qu’un événement supplémentaire était survenu au Québec, à l’aéroport de Schefferville en août 2015, mais qu’il n’avait pas été rapporté.
La méthode couramment utilisée pour la réfection des pistes au Canada comme ailleurs dans le monde consiste à réduire la longueur plutôt que la largeur des pistes en question. Une revue des normes et pratiques recommandées internationales et du cadre réglementaire canadien entourant les travaux a fait ressortir l’absence d’information sur la méthode à utiliser pour la réfection des pistes, en plus de l’absence de normes canadiennes sur les travaux aux aéroports. Ainsi, ni les documents de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), ni le Règlement de l’aviation canadien (RAC) et normes connexes pertinentes n’autorisent ni n’interdisent l’une ou l’autre méthode. La décision revient donc entièrement à l’exploitant d’aéroport.
La réduction de la largeur de la piste n’exigeant pas la fermeture complète de la piste, cette méthode présente un avantage décisif pour les exploitants de certains aéroports qui ont des impératifs opérationnels ou font l’objet de pressions économiques précises, ce qui était le cas des 4 aéroports visés par la présente enquête. Cette méthode peu courante exige cependant que les précautions nécessaires soient prises pour assurer la sécurité des opérations aériennes.
Cette méthode de travaux sur les pistes exige notamment une nouvelle configuration des marques de pistes. Sans normes spécifiques aux travaux à leur disposition, les exploitants d’aéroport ont suivi la réglementation relative aux aéroports. Il est ressorti de l’examen de cette réglementation une complexité évidente des différentes exigences et situations et un manque de précision de certains concepts. Si le texte des normes et règlements relatifs aux aéroports est complexe et donne lieu à plusieurs interprétations, ces normes et règlements pourraient mener à différentes mesures et solutions, toutes semblant être conformes aux exigences, mais pouvant en réalité ne pas correspondre à l’intention de l’organisme de réglementation en matière de sécurité.
Par ailleurs, l’absence de normes sur la sécurité des opérations durant les travaux à un aéroport, y compris sur les aides visuelles requises, a fait en sorte que les aides visuelles utilisées sur les pistes partiellement fermées en largeur examinées lors de cette enquête étaient insuffisantes pour que les pilotes réussissent à distinguer clairement les parties fermées. Les marques de piste utilisées lors des travaux aux aéroports à l’étude n’étaient pas claires, convaincantes et cohérentes; par conséquent, les pilotes n’ont pas réussi à distinguer la partie utilisable de chaque piste et ont manœuvré l’aéronef sur la partie fermée, ce qui a, dans certains cas, entraîné des dommages à l’aéronef.
Tout exploitant d’aéroport prévoyant effectuer des travaux à son aéroport est tenu de communiquer l’information nécessaire aux pilotes. Pour cela, l’exploitant doit faire publier un NOTAM par l’intermédiaire de NAV CANADA. L’information relative aux travaux aux aéroports, qui est de nature temporaire et possiblement complexe, peut néanmoins être difficile à communiquer clairement et efficacement dans un NOTAM. En effet, au fils des ans, le style de présentation de ces avis et la façon selon laquelle ils sont fournis aux équipages de conduite ont été non seulement remis en question à plusieurs reprises, mais aussi considérés comme facteurs contributifs dans un certain nombre d’événements aéronautiques.
Les différentes enquêtes connexes ont fait ressortir certaines lacunes qui font que ces avis sont inadaptés et peuvent entraver la communication de l’information. En plus d’être écrits entièrement en majuscules et de se composer principalement d’abréviations et de sigles, ces avis sont publiés sous forme textuelle uniquement, ce qui limite une visualisation claire des zones fermées en raison de travaux. À l’heure actuelle au Canada, les NOTAM ne peuvent inclure de graphiques et sont publiés sous forme de texte, dont le format et le style de présentation peuvent entraver la communication efficace de l’information. Ainsi, même si les pilotes des événements étudiés avaient tous lu les NOTAM disponibles relatifs aux fermetures partielles des pistes, leur modèle mental était erroné et ils n’ont pas réussi à repérer où se trouvaient les parties fermées.
Par conséquent, le BST recommande que
NAV CANADA rende disponibles, en temps opportun, des représentations graphiques illustrant les fermetures et autres importantes modifications relatives à l’exploitation des aérodromes ou des pistes pour accompagner les NOTAM connexes, afin que l’information communiquée sur ces dangers soit plus facile à comprendre.
Recommandation A21-01 du BST
Tout exploitant d’aéroport prévoyant effectuer des travaux à son aéroport sans interrompre l’exploitation est également tenu de préparer un plan d’exploitation pendant les travaux (PEC) et de le faire approuver par TCAC. Ce plan a pour objectif de démontrer que l’aéroport respectera les normes d’exploitation établies pendant la durée des travaux. L’enquête a démontré que cet exercice de préparation du PEC était un exercice difficile du fait de l’absence de normes, de pratiques recommandées, de lignes directrices et de tout autre type d’information sur le sujet. Cette absence de norme relative à la préparation des PEC vient s’ajouter à l’absence de normes générales sur les travaux aux aéroports et à la complexité de la réglementation relative aux marques de pistes à utiliser.
L’évaluation d’un PEC par le personnel de TCAC est primordiale à la sécurité des opérations à un aéroport pendant des travaux. Toutefois, les inspecteurs de TCAC n’ont aucune norme ni pratique recommandée à leur disposition pour effectuer cette tâche. Par conséquent, en l’absence de normes, de lignes directrices ou de pratiques recommandées, les PEC ont été approuvés selon des procédures informelles, sans évaluer le risque que les pilotes ne soient pas en mesure de reconnaître ou de distinguer les parties de pistes qui étaient fermées, et ne prévoyaient pas de mesures de contrôle pour atténuer ce risque.
La mise en place de normes, de pratiques recommandées et de lignes directrices sur la sécurité des opérations pendant les travaux à un aéroport pourrait améliorer la qualité des PEC, et ainsi la gestion des risques liés à ces conditions temporaires et la sécurité des opérations aériennes dans ces conditions. Le BST a par conséquent décidé de publier l’Avis de sécurité aérienne A18Q0140-D1-A1 à l’intention de TCAC pour alerter cet organisme de l’absence de telles normes, pratiques recommandées et lignes directrices encadrant la sécurité des opérations aux aéroports en travaux et pour encourager la mise en œuvre de mesures correctives dans les plus brefs délais.
Les mesures de sécurité faisant partie intégrante de l’exploitation des aéroports et des opérations aériennes n’ont pas permis d’éviter les événements étudiés. Pourtant, ces mesures s’inscrivent dans un cadre réglementaire qui préconise une culture systémique de la sécurité et de la gestion des risques pour les exploitants d’aéroports, comme pour TCAC. L’introduction des systèmes de gestion de la sécurité (SGS) a changé la façon dont la sécurité est gérée en imposant un cadre de gestion des risques systémique qui comprend une composante de surveillance de la sécurité qui devrait permettre de gérer les risques de façon proactive et réactive. Les 4 aéroports étudiés s’étaient dotés de SGS, mais ces SGS n’étaient pas conformes aux exigences réglementaires et n’ont pas été efficaces puisqu’ils n’ont pas permis d’empêcher les événements de se produire en premier lieu ni d’empêcher la répétition d’événements similaires. Les SGS en question n’avaient pas été évalués par TCAC au moment de leur mise en place, et les exploitants d’aéroport concernés n’avaient pas bénéficié de la rétroaction et du suivi de TCAC.
TCAC s’est dotée de son propre SGS interne, soit le Système de gestion intégrée (SGI), pour mettre en œuvre et gérer le Programme de sécurité aérienne de Transports Canada (TC). Dans le cas des événements étudiés, TCAC devait intervenir, entre autres, dans l’évaluation et l’approbation des PEC pour les travaux prévus. Or, l’enquête a permis de découvrir que les inspecteurs de TCAC n’avaient pas suivi les processus du SGI dans leurs interventions et n’avaient notamment pas effectué d’évaluations des risques.
La gestion de la sécurité et la surveillance réglementaire figurent sur la Liste de surveillance 2020 du BST. Le BST a maintes fois souligné les avantages d’un SGS permettant de gérer efficacement les risques et de rendre les activités plus sécuritaires. L'adoption de SGS efficaces ne constitue qu'une partie de l'enjeu néanmoins. Une surveillance réglementaire adéquate est également nécessaire.
Cependant, TC ne parvient pas toujours à cerner les processus inefficaces des exploitants et à intervenir à temps. C’est pour cela que la gestion de la sécurité restera sur la Liste de surveillance du BST jusqu’à ce que les exploitants du transport aérien qui ont un SGS démontrent à TC qu’il fonctionne bien et qu’il permet donc de cerner les dangers et de mettre en œuvre des mesures efficaces pour atténuer les risques.
De même, la surveillance réglementaire restera, elle aussi, sur la Liste de surveillance du BST jusqu’à ce que TC démontre, au moyen d’évaluations des activités de surveillance dans le secteur du transport aérien, que les nouvelles procédures de surveillance permettent de déceler et de corriger les non-conformités et que TC s’assure qu’un exploitant se conforme à nouveau à la réglementation en temps opportun et qu’il est en mesure de gérer la sécurité de ses activités.
La présente enquête a mis en évidence ces lacunes dans le domaine de la surveillance des aéroports. Bien que les événements étudiés soient survenus principalement au Québec et au Nunavut, il est ressorti, néanmoins, que ces lacunes découlaient toutes de causes et de facteurs contributifs sous-jacents de nature systémique qu’un programme de sécurité national aurait dû déceler. Inévitablement, la question se pose de savoir si la situation est la même dans les autres Régions de TCAC. Devant cette situation, le Bureau craint que si TCAC n’effectue pas une surveillance adéquate des aéroports au Canada, les risques d’accidents liés aux opérations aériennes aux aéroports augmentent, en particulier lorsque ces aéroports font l’objet de travaux.
Communications en matière de sécurité
Avis de sécurité
Avis de sécurité aérienne A18Q0140-D1-A1
Absence de normes, pratiques recommandées et lignes directrices encadrant la sécurité des opérations aux aéroports en travaux
Ressources pour les médias
Communiqué de presse
Le BST préoccupé par des lacunes dans la surveillance réglementaire liées à la sécurité des opérations aériennes à des aéroports durant des travaux de construction
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Document d'information
Informations d'enquête
Enquêteur désigné
Mario Boulet cumule plus de 30 années d'expérience en aviation civile. Il s'est joint au BST en 2015 et occupe maintenant le poste d'enquêteur principal régional à Dorval (Québec).
Avant de se joindre au BST, M. Boulet a travaillé pendant 8 ans pour Transports Canada à titre d'inspecteur de la sécurité de l'aviation civile, après avoir fait carrière au sein de différents organismes de maintenance agréés, de constructeurs aéronautiques et de lignes aériennes, où il a occupé divers postes, tels que ceux de technicien en entretien d'aéronefs, de personne responsable de la maintenance (PRM) et de représentant du Ministre pour un grand manufacturier aéronautique.
Depuis 2006, M. Boulet a également acquis une expertise dans la fabrication et l'exploitation de systèmes aériens sans pilotes (UAS).
M. Boulet est titulaire d'une licence de technicien d'entretien aéronautique de Transports Canada, ainsi que d'une licence de pilote privé.
Voir des images en haute résolution sur la page Flickr du BST.
Catégorie de l’enquête
Cette enquête est une enquête de catégorie 1. Également appelées enquêtes sur une question de sécurité, les enquêtes de catégorie 1 sont des études d’une série d’événements ayant des caractéristiques communes et qui, avec le temps, ont établi un fil conducteur. Ces enquêtes, qui peuvent donner lieu à des recommandations, se concluent généralement en 730 jours. Pour de plus amples renseignements, consultez la Politique de classification des événements.Processus d'enquête du BST
Une enquête du BST se déroule en 3 étapes :
- L'étape du travail sur le terrain : une équipe d'enquêteurs examine le lieu de l'événement et l'épave, interviewe les témoins et recueille toute l'information pertinente.
- L'étape d'examen et d'analyse : le BST examine toute la documentation liée au dossier, effectue des tests en laboratoire sur des composantes de l'épave, établit la chronologie des événements et identifie toute lacune en matière de sécurité. Lorsque le BST soupçonne ou constate des lacunes en matière de sécurité, il en informe sans tarder les organismes concernés sans attendre la parution du rapport final.
- L'étape de production du rapport : une version confidentielle du rapport est approuvée par le Bureau et envoyée aux personnes et organismes qui sont directement touchés par le rapport. Ceux-ci ont l'occasion de contester ou de corriger l'information qu'ils jugent erronée. Le Bureau tient compte de toutes les observations fournies avant d'approuver la version définitive du rapport, qui est ensuite publiée.
Vous trouverez de plus amples détails à la page sur le Déroulement des enquêtes.
Le BST est un organisme indépendant qui mène des enquêtes sur des événements de transport aérien, ferroviaire, maritime et pipelinier. Son seul but est de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n'est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales.