Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 13 juillet 2022, vers 16 h 18, heure avancée des Rocheuses, le train 301-222 du Chemin de fer Canadien Pacifique roulait vers l’ouest à 44 mi/h dans la subdivision de Brooks lorsque 41 wagons-trémies chargés de céréales ont déraillé au point milliaire 97,4, près de Bassano (Alberta). Trente-neuf des wagons déraillés ont subi des brèches et ont déversé des quantités variables de céréales sur le sol. Aucune marchandise dangereuse n’était en cause et aucun incendie n’a été signalé. Personne n’a été blessé.
1.0 Renseignements de base
Le 13 juillet 2022, le train 301-222 de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (Canadien Pacifique ou CP)Le 14 avril 2023, la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) et Kansas City Southern (KCS) se sont fusionnées pour former une seule et même compagnie de chemin de fer, connue sous le nom de CPKC. Étant donné que l’événement a eu lieu avant la date de transition, l’acronyme CP sera utilisé tout au long du rapport. a quitté Medicine Hat (Alberta) à destination de Vancouver (Colombie-Britannique). Le train était un train-blocUn train‑bloc est un train transportant une seule marchandise dans des wagons de type, de longueur et de poids semblables. comprenant 203 wagons-trémies chargés de céréales. Il mesurait 11 758 pieds de longueur et pesait 29 021 tonnesDans le présent rapport, « tonne » désigne une tonne courte, soit 2000 livres ou environ 907 kg.. Le train était propulsé par 5 locomotives : 2 en tête de train, 2 en milieu de train (positions 106 et 107) et 1 en queue de train (position 208). Les locomotives en milieu et en queue de train étaient commandées à partir de la locomotive de tête à l’aide de la technologie de télécommande à traction répartieLorsqu’une locomotive télécommandée reçoit un message radio de traction répartie de la locomotive menante de tête, elle répond en exécutant les commandes de conduite de train qu’elle reçoit..
1.1 L’événement
Vers 16 h 18, heure avancée des Rocheuses, alors que le train circulait vers l’ouest à 44 mi/h dans la subdivision de Brooks sur une pente ascendante moyenne de 0,34 %, un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est déclenché. Une fois le train immobilisé, l’équipe a effectué une inspection et a constaté que 41 wagons (positions 116 à 132 et 135 à 158) avaient déraillé au point milliaire 97,4, près de Bassano (Alberta) (figure 1). Aucune marchandise dangereuse n’était en cause et aucun incendie n’a été signalé. Personne n’a été blessé.
1.2 Examen des lieux
Le 1er wagon qui a déraillé (SOO 115291, soit le 9e wagon derrière les 2 locomotives télécommandées de milieu de train, à la position 116) était sur ses roues et était resté attelé à la partie avant du train. Il y avait une distance d’environ 1500 pieds jusqu’au wagon suivant (SOO 115130, à la position 117), qui était couché sur le flanc au nord de la voie et qui était séparé des autres wagons (figure 2). À proximité de ce wagon, le rail sud était resté sur son patin, mais était tordu; le rail nord était renversé vers le nord.
Les 7 wagons déraillés suivants (positions 118 à 124) avaient également déraillé vers le nord et s’étaient immobilisés sur le flanc, étalés le long de la voie. Les autres wagons déraillés se trouvaient dans 3 empilements distincts (figure 3) : le 1er empilement se composait de 8 wagons (positions 125 à 132); le suivant, de 16 wagons (positions 135 à 150); et le dernier, de 4 wagons (positions 155 à 158). Les wagons intermédiaires (positions 151 à 154) étaient restés attelés les uns aux autres, à la verticale ou penchés, et alignés le long de l’emprise du chemin de fer. Les wagons aux positions 133 et 134 n’avaient pas déraillé.
Les voies principale et d’évitement dans les environs du déraillement avaient été détruites. La voie de triage adjacente la plus proche avait aussi été endommagée. Parmi les débris, on a retrouvé des traverses en bois munies d’attaches et de vis conçues pour les sites d’aiguillage.
En outre, une ligne principale de fibre optique, qui était parallèle à la voie, avait été endommagée lors du déraillement. Le service de transmission de données fourni par cette ligne a été interrompu jusqu’à ce que le propriétaire de la ligne effectue les réparations nécessaires.
Au total, les réparations effectuées à la suite du déraillement ont porté sur 3450 pieds de voie principale, 1440 pieds de voie d’évitement et 1000 pieds de voie de triage adjacente entre les points milliaires 97,3 et 97,9 de la subdivision de Brooks.
1.2.1 État de la voie dans les environs du déraillement
Les enquêteurs du BST ont effectué un examen visuel d’environ 10 milles de voie non endommagée à l’est de la zone du déraillement. Les enquêteurs ont déterminé que l’aiguillage de voie principale du côté est à Bassano avait été remplacé en septembre 2021.Les rails, les traverses, les selles de rail, les attaches élastiques, les anticheminants et le ballast à proximité de l’aiguillage étaient en excellent état. Cependant, plus loin à l’est ainsi qu’à l’ouest entre l’aiguillage récemment installé et l’extrémité est de la section de voie détruite par le déraillement, la voie présentait des signes de détérioration (figure 4), notamment :
- du ballast en pierre concassée qui était contaminé et usé, avec des pierres arrondies et des morceaux de ballast dégradés;
- des traverses désaxées, usées et entaillées par une selle;
- des mouvements de la base du rail (cheminement des rails)Le cheminement des rails est le mouvement longitudinal progressif des rails et est induit par des variations de température (contrainte thermique), par la circulation ferroviaire (principalement une circulation unidirectionnelle de trains chargés), ou les deux. Lorsque le cheminement des rails est induit par la circulation, les rails se déplacent dans le sens de la circulation. à travers les anticheminants et les crampons;
- des crampons soulevés;
- des anticheminants manquants ou lâches.
Au moment de l’examen des lieux par le BST, le personnel du CP s’affairait à remplacer les anticheminants manquants, à repositionner les anticheminants qui auraient pu se déplacer et à poser 4 anticheminantsLa pose de 4 anticheminants par traverse, appelée box anchoring en anglais, est considérée comme l’une des façons les plus sûres d’ancrer le rail et d’empêcher son mouvement sur le plan longitudinal. à chaque traverse entre l’aiguillage est de Bassano et la voie principale qui avait été reconstruite après l’événement.
1.2.2 Examen du premier wagon ayant déraillé
Le 1er wagon déraillé, SOO 115291, a été déplacé sur une voie adjacente pour une inspection détaillée et le démontage du bogie. L’inspection a permis de déterminer que les composants du bogie étaient conformes aux spécifications d’exploitation. Il n’y avait pas d’usure typiquement associée à un galop de bogie excessifLe galop désigne l’oscillation latérale de l’essieu monté, d’un rail à l’autre, occasionnée par la réaction dynamique du bogie du wagon dans son déplacement le long de la voie ferrée. Le galop de bogie est associé à des wagons légèrement chargés ou vides et à des vitesses d’environ 50 mi/h ou plus.. Le wagon n’avait pas déclenché d’alertes ou d’alarmes récentes des détecteurs de galop des bogies en voie.
1.3 Renseignements météorologiques
Dans les jours précédant l’événement, il y a eu une augmentation soudaine de la température diurne dans la région de Bassano, de 14,9 °C le 4 juillet à 23,3 °C le lendemain. Après cette hausse et jusqu’au jour du déraillement, les températures diurnes sont restées élevées, variant entre 21,7 °C et 31,6 °C, tandis que les températures nocturnes ont chuté aussi bas que 6,7 °C (tableau 1).
1.4 Enregistrements
1.4.1 Caméra orientée vers l’avant
La locomotive menante et la locomotive menée en milieu de train étaient toutes deux dotées d’une caméra orientée vers l’avant. L’examen des enregistrements a permis de déterminer que la locomotive menante avait franchi le point milliaire 97,41, soit l’endroit où un défaut urgent d’alignement de la voie avait été enregistré le 7 juillet 2022 (environ une semaine avant le déraillement), sans mouvement latéral anormal ni désalignement de la voie observable. Cependant, lorsque les locomotives en milieu de train sont passées au même endroit, l’enregistrement vidéo a révélé une oscillation latérale perceptible.
1.4.2 Consignateur d’événements de locomotive
La locomotive menante était équipée d’un consignateur d’événements de locomotive. Un examen des données du consignateur a permis de déterminer qu’au moment de l’événement, le train circulait avec le système Optimiseur de parcours enclenchéL’Optimiseur de parcours est un système de gestion de l’énergie qui réduit la consommation de carburant en ajustant automatiquement le régime du moteur et le frein rhéostatique de la locomotive. Il se compare au régulateur de vitesse dans une voiture.. Le manipulateur des locomotives se trouvait au cran 8 depuis environ 3,5 minutes quand le freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est produit; aucune anomalie de la conduite du train n’a été relevée pendant cette période.
1.5 Renseignements sur la subdivision
La subdivision de Brooks s’étend de Medicine Hat (point milliaire 0,0), à Calgary (Alberta) (point milliaire 175,8). Dans cette subdivision, les mouvements de train sont régis par le système de commande centralisée de la circulation, comme l’autorise le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada. Leur répartition est effectuée par un contrôleur de la circulation ferroviaire du CP en poste à Calgary.
1.6 Particularités de la voie
La voie au point milliaire 97,4 de la subdivision de Brooks est désignée comme une voie de catégorie 4 en vertu du Règlement concernant la sécurité de la voie, aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie (RSV). Dans le cas des voies de catégorie 4, le RSV autorise une vitesse maximale de 60 mi/h pour les trains de marchandises. Dans le secteur où le déraillement s’est produit, la vitesse maximale opérationnelle autorisée était de 55 mi/h, comme le prévoit l’indicateur de la subdivision de Brooks. La subdivision traverse des prairies, connues pour leurs températures saisonnières extrêmes et leurs écarts de température journaliers. Dans les prairies, « des périodes de conditions supérieures ou inférieures à la moyenne sont typiques et ont tendance à revenir de façon cyclique »D. Actor et A. Bedard-Haughn, « Prairie », L’Encyclopédie canadienne, à l’adresse https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/prairie-3 (dernière consultation le 17 décembre 2024)..
Dans les environs du déraillement, la structure de la voie principale simple en alignement était constituée de longs rails soudés (LRS) de 136 livres fabriqués par Sydney Steel Corporation et installés en 1996. Les rails reposaient sur des traverses de bois dur, retenus par des selles à double épaulement de 14 pouces et fixés avec 2 ou 3 crampons par selle.
Quatre anticheminants y étaient posés toutes les 2 traverses, conformément au Livre rouge des exigences relatives à la voie et aux ouvrages du CP (le Livre rouge).Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, Livre rouge des exigences relatives à la voie et aux ouvrages (révisé le 18 mai 2022), Annexe 9 : Plans de pose d’anticheminants pour zones de rails éclissés et de LRS, p. 164 Le ballast était fait de roche concassée avec des cases pleines et des banquettes de 12 pouces; il était usé et comportait des pierres arrondies et des morceaux de ballast dégradés.
À environ 1,5 mille à l’est de la zone du déraillement, du point milliaire 96,0 au point milliaire 103,6, la voie gravissait une pente modérée variant entre 0,2 % et 0,7 % (pente moyenne de 0,34 %), avec un court segment de pente descendante de 0,4 % (un affaissement) du point milliaire 97,0 au point milliaire 97,3. Il y avait une courbe à gauche peu accentuée (de 1,46° à 1,80°) du point milliaire 96,7 au point milliaire 97,0.
1.6.1 Branchement de voie partiellement retiré
Au point milliaire 97,48, un branchement de voie (figure 5), qui reliait auparavant la subdivision de Brooks à la subdivision d’Irricana, avait été mis hors service. Après l’abandon des opérations dans la subdivision d’Irricana, une courte section de voie est restée en service et a été utilisée pour le garage de wagons et l’entreposage du matériel. En 2020, la partie restante de la voie a été déconnectée; l’appareil de manœuvre du branchement, les pointes d’aiguille, les rails intermédiaires et le cœur de croisement ont été retirés. Cependant, les longues traverses d’aiguillage ont été laissées en place, et les rails sont restés ancrés de manière rigide par 4 anticheminants à chaque traverse sur une distance de 200 pieds dans chaque direction.
Malgré que le branchement de voie à cet endroit ait été retiré, la structure de la voie principale qui avait été précédemment renforcée, conformément aux normes de conception des branchements, était toujours là et demeurait rigide et solidement fixée.
1.7 Inspections de la voie
Selon le RSV, la fréquence minimale des inspections visuelles des voies LRS de catégorie 4 dont le trafic annuel est supérieur à 15 millions de tonnes brutesEn 2022, la circulation annuelle dans la subdivision de Brooks s’est élevée à 68,9 millions de tonnes brutes. Les données historiques sur le volume et la densité de la circulation depuis 2015 sont présentées à la section 1.12. est de 2 fois par semaineRèglement concernant la sécurité de la voie (approuvé par Transports Canada le 2 février 2021, en vigueur le 1er février 2022), Partie II, section 2.4 : Inspections visuelles de la voie, pp. 34–35..
- faire l’objet d’une inspection de détection des défauts de rail au minimum 4 fois par an,Ibid., section 5 : Voie – Inspections pour la détection des défauts de rail, p. 42-44.
- faire l’objet d’une inspection électronique de la géométrie au moyen d’une voiture lourde de contrôle de l’état géométrique au minimum 3 fois par anIbid., section 4 : Voie – Contrôles électroniques de la géométrie, p. 39-41..
1.7.1 Inspections visuelles
Les inspections visuelles sont habituellement faites à partir d’un véhicule rail-route. Lorsqu’un état de voie préoccupant est relevé, l’exploitant peut descendre du véhicule pour l’examiner de plus près et, au besoin, effectuer des réparations ou mettre en place une mesure de protection de la voie jusqu’à ce que des réparations puissent être effectuées.
Entre le 13 avril et le 13 juillet 2022, des inspecteurs de la voie du CP ont effectué 33 inspections visuelles de la subdivision de Brooks entre les points milliaires 95,0 et 105,0. Soixante-dix-neuf pour cent (79 %) des inspections n’ont révélé aucun défaut. Lorsque des défauts ont été relevés et réparés :
- 75 % (30 sur 40) concernaient des boulons manquants ou desserrés;
- 5 % concernaient des éclisses rompues.
1.7.2 Inspections de détection des défauts du rail
Les inspections de détection des défauts du rail permettent de relever les défauts internes du rail grâce à l’utilisation d’une technologie ultrasonique non destructive.
Des inspections de détection des défauts du rail ont été effectuées tous les mois en 2022, l’essai le plus récent avant l’événement ayant eu lieu le 29 juin. Aucun défaut dans les environs du lieu de déraillement n’a été décelé.
1.7.3 Inspections de l’état géométrique de la voie
1.7.3.1 Technologies d’inspection de l’état géométrique de la voie
Les voitures d’évaluation de la voie sont des véhicules occupés. Elles sont parfois équipées d’un système de mesure de l’écartement des voies sous charge (GRMS), qui applique des charges latérales pour évaluer la résistance latérale de la voie. Le GRMS peut simuler une force d’écartement de 16 000 livres agissant sur le côté intérieur des rails.
Les wagons couverts équipés d’un ATGMS sont des wagons inoccupés qui utilisent un système optique au laser d’inspection de l’alignement sans contact pour évaluer la voie en condition de charge. Le système génère un rapport, puis un avis est envoyé par courriel aux superviseurs d’entretien de la voie du CP. Selon la pratique courante, le personnel sur le terrain confirme, à l’aide d’une inspection visuelle de suivi, la présence de tout défaut urgent relevé. Le Livre rouge du CP ne prévoit pas de procédures de vérification des défauts relevés à la suite d’une inspection par ATGMS.
Lorsque l’on utilise une voiture légère de contrôle de l’état géométrique, la charge verticale exercée par les roues sur la voie est limitée au poids de la voiture; par conséquent, les mesures obtenues ne tiennent pas compte des mouvements dynamiques des rails qui se produisent lorsque la voie est sous charge. Le RSV exige donc que les mesures soient corrigées en conséquence :
Lorsqu’on vérifie les caractéristiques d’une voie sans charge afin de déterminer sa conformité avec les exigences du présent règlement, l’ampleur du mouvement des rails qui se produit pendant que la voie est sous charge doit être ajoutée aux valeurs mesurées quand elle est sans chargeIbid., Partie I, section 8.1. : Contrôle de l’état d’une voie sans charge, p. 9..
1.7.3.1 Classification des défauts de l’état géométrique
Le CP classe les défauts de l’état géométrique de la voie comme intervention prioritaire, intervention quasi urgente et intervention urgenteCompagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, Livre rouge des exigences relatives à la voie et aux ouvrages (révisé le 18 mai 2022) et Track Evaluation Cars: Guidelines for Defects & Reports (2014). :
- Un défaut nécessitant une intervention prioritaire n’a pas encore atteint les limites critiques définies par le RSV, mais il tend à s’en approcher. Un tel défaut doit être corrigé le plus rapidement possible pour éviter qu’il se détériore et devienne un défaut nécessitant une intervention urgente.
- Un défaut nécessitant une intervention quasi urgente est un défaut prioritaire qui est à moins de ⅛ pouce de nécessiter une intervention urgente.
- Un défaut nécessitant une intervention urgente dépasse les limites critiques prescrites par le RSV et exige une correction immédiate et l’imposition d’une limitation de vitesse obligatoire sur la voie (à moins qu’il ne soit corrigé avant le passage du train suivant).
Le CP n’a pas de catégorie d’intervention quasi urgente ou prioritaire pour les défauts de sous-écartement. Le sous-écartement n’est signalé que comme un défaut nécessitant une intervention urgente – c.-à-d. lorsque l’écartement mesuré est inférieur ou égal à 56 pouces.
1.7.3.3 Résultats de l’inspection de l’état géométrique
Le CP a fourni les dossiers d’inspection de l’état géométrique de la voie dans la subdivision de Brooks pour la période du 24 juin 2021 au 13 juillet 2022. Un examen des données a révélé ce qui suit :
- Les inspections menées par des wagons couverts équipés d’un ATGMS au cours de cette période ont indiqué la présence de 2 désalignements AL/62AL/62 est la mesure, en pouces, de l'alignement au point médian d'une ligne de 62 pieds. Selon le Règlement concernant la sécurité de la voie, sur une voie en alignement droit de catégorie 4, la flèche maximale sur une ligne de 62 pieds est de 1 ½ pouce. [Source : Règlement concernant la sécurité de la voie (approuvé par Transports Canada le 2 février 2021, en vigueur le 1er février 2022), partie II, section C, point 3 : Tracé de la voie, p. 15]. au point milliaire 97,41, à moins de 30 pieds l’un de l’autre. Les défauts ont été classés comme étant prioritaires jusqu’à l’inspection du 7 juillet 2022, date à laquelle ils sont devenus des défauts urgents.
- Les inspections menées à l’aide de wagons couverts équipés d’un ATGMS ont également révélé un nombre élevé de défauts de sous-écartement nécessitant une intervention urgente. Par exemple, l’inspection du 7 juillet 2022, couvrant environ 139,66 milles du point milliaire 0,0 au point milliaire 144,3, a permis de trouver 59 défauts de sous-écartement nécessitant une intervention urgente, dont 2 étaient situés dans la zone où le train a déraillé (l’un au point milliaire 96,50 et l’autre au point milliaire 96,81). Les défauts de sous-écartement peuvent être un signe de fixation insuffisante de la voie et/ou d’une contrainte de compression excessive.
- En revanche, les inspections menées par les voitures d’évaluation de la voie équipées de GRMS ont révélé principalement des défauts de surécartement nécessitant une intervention urgente. Par exemple, l’inspection du 4 juillet 2022 (la dernière inspection par GRMS avant le déraillement) a relevé 22 défauts G WIDE nécessitant une intervention urgente« G WIDE » est l’abréviation de « gauge‑widening ratio channel », ou canal de rapport de surécartement, soit la mesure de la capacité de la voie à maintenir l’écartement. Un défaut G WIDE est considéré comme nécessitant une intervention urgente si l’écartement de la voie est supérieur à 57,5 pouces (1 pouce de plus que l’écartement standard) sous charge GRMS et si le mouvement de la voie sous charge est supérieur à 1 pouce.. Ces défauts ont été mesurés dans la même section de voie où des wagons couverts équipés d’un ATGMS avaient relevé principalement des défauts de sous-écartement.
- Le nombre de défauts nécessitant une intervention urgente qui sont relevés par des wagons couverts équipés d’un ATGMS varie considérablement en fonction de l’heure de la journée à laquelle l’inspection a été effectuée. Par exemple, les inspections du 18 avril et du 9 juin 2022 ont été effectuées aux heures les plus fraîches de la journée, la première à 0 h 5 et l’autre à 21 h 38; ces inspections ont relevé respectivement 6 et 14 défauts nécessitant une intervention urgente. En revanche, les inspections du 11 mai et du 7 juillet 2022 ont eu lieu aux heures les plus chaudes, la première à 11 h 50 et l’autre à 14 h 15, et ont relevé un nombre nettement plus élevé de défauts (46 et 62, respectivement).
Dans les rapports d’inspection par des wagons couverts équipés d’un ATGMS, plusieurs défauts ont été modifiés. Lorsque les défauts signalés par des wagons couverts équipés d’un ATGMS sont vérifiés par une inspection manuelle, si la mesure d’un défaut varie par rapport à la mesure signalée, le dossier est modifié pour refléter la mesure obtenue pendant l’inspection manuelle.
1.7.3.4 Directives du Canadien Pacifique sur la mesure et la correction des défauts de sous‑écartement
Le document du CP intitulé Track Evaluation Cars: Guidelines for Defects & Reports (« TEC Book ») décrit 24 défauts qui peuvent être relevés par une voiture d’évaluation de la voie, ainsi que 4 qui peuvent être relevés par le GRMS. On y trouve des directives indiquant que les mesures sont obtenues par voiture d’évaluation de la voie sur une voie sous charge et que la valeur détectée peut être supérieure aux mesures que les travailleurs de la voie obtiennent sur une voie sans chargeCanadien Pacifique, Track Evaluation Cars: Guidelines for Defects & Reports, 2 septembre 2014, p. 20..
En ce qui concerne les défauts de sous-écartement, des directives sont prévues en ce qui concerne l’ajustement des mesures sur la voie sans charge qui sont obtenues par un ruban à mesurer. La valeur de l’ajustement dépend de la question de savoir si la voie présente des symptômes d’usure (tableau 2). Parmi les symptômes énumérés, on trouve les selles de rail inclinées vers l’intérieur, les groupes de traverses en mauvais état, les traverses désaxées et les selles rompues.
Ajustement de la mesure pour une voie ne présentant aucun symptôme d’usure (en pouces) | Ajustement de la mesure pour une voie présentant des symptômes d’usure (en pouces) | |
---|---|---|
Voie principale – À l’extérieur du joint | 1/16 | 3/16 |
Voie principale – Dans le secteur du joint | ⅛ | 5/16 |
Embranchement – À l’extérieur du joint | ⅛ | ¼ |
Embranchement – Dans le secteur du joint | 3/16 | 5/16 |
Dans l’événement à l’étude, les inspections ont révélé 2 défauts de sous-écartement près de la zone où le déraillement s’est produit (sur une voie principale, à l’extérieur d’un joint). La voie dans cette zone présentait des symptômes, et il aurait donc fallu ajouter 3/16 pouce aux mesures obtenues sur une voie sans charge. Il n’existe aucun document indiquant que de tels ajustements ont été apportés aux mesures obtenues sur une voie sans charge pour tenir compte des conditions de charge.
1.7.4 Inspections réglementaires
Transports Canada (TC) est responsable d’établir des normes de sécurité pour les activités ferroviaires et de surveiller la sécurité de ces activités. Dans le cadre des activités de surveillance du ministère, des inspecteurs de la sécurité ferroviaire de TC recueillent, au moyen des dossiers soumis conformément à la réglementation et d’inspections de la voie, des renseignements qui leur permettent de déterminer si un chemin de fer gère son réseau de façon sécuritaire. Une inspection typique de la voie consiste en un examen des pratiques du chemin de fer, une inspection visuelle de la voie et des contrôles automatisés de la géométrie de la voie effectués à l’aide d’une une voiture légère de contrôle de l’état géométrique. Grâce à ces inspections, TC peut évaluer l’efficacité et l’adéquation des programmes d’inspection des chemins de fer et déterminer s’ils respectent le RSV.
TC a inspecté la voie de la subdivision de Brooks une fois en 2021 et une fois en 2022.
Le 10 août 2021, TC a inspecté la voie du point milliaire 56,30 au point milliaire 92,62 (36,32 milles). L’inspection n’a pas porté sur la section de voie en cause dans l’événement à l’étude. Après cette inspection, TC a envoyé une lettre de non-conformité le 18 août 2021. La lettre faisait état de 4 non-conformités :
- 3 pour un nombre excessif de traverses défectueuses dans un segment de voie de 39 pieds aux points milliaires 61,4, 69,1 et 72,5;
- 1 pour sous-écartement, également au point milliaire 72,5.
La lettre énumérait par ailleurs 88 préoccupations, dont 83 % concernaient des conditions de sous-écartement s’approchant de la limite minimale permise de ½ pouce. Le CP a pris des mesures de sécurité le 27 août 2021. Le 25 mars 2022, TC a émis une lettre accusant réception des mesures prises.
Le 23 mars 2022, TC a inspecté la voie du point milliaire 94,38 au point milliaire 116,21 (21,83 milles) et a émis une lettre de non-conformité. Cette lettre énumérait 2 non-conformités :
- 1 pour un écart de nivellement transversal sur une voie en alignement droit sur une distance de 43 pieds au point milliaire 96,8 (vérifié à 1 7/16 pouce);
- 1 pour un désaffleurement des joints sur le dessus ou la face intérieure du rail dépassant la limite permise (mesuré à 7/16 pouce).
La lettre faisait aussi état de 11 autres préoccupations, dont 45 % concernaient des conditions de sous-écartement. Il convient de noter en particulier 2 conditions de sous-écartement de près de ½ pouce aux environs du déraillement (1 au point milliaire 97,41 et 1 au point milliaire 97,54)Sur les voies de catégorie 4, les sous-écartements mesurant plus de ½ pouce dépassent les normes minimales du RSV concernant les voies de catégorie 3, 4 et 5. Le CP estime que tout défaut qui dépasse les normes de la voie est un défaut nécessitant une intervention urgente.. Selon les dossiers de TC, le CP a déclaré qu’il avait pris les mesures de sécurité nécessaires.
1.8 Entretien de la voie près du point milliaire 97,4 la semaine précédant l’événement
Le 8 juillet 2022, le lendemain de l’inspection par un wagon couvert équipé d’un ATGMS qui avait relevé 2 défauts AL/62 nécessitant une intervention urgente au point milliaire 97,41, un superviseur de la voie du CP a mené une inspection visuelle ciblée et a confirmé la présence de défauts nécessitant une intervention urgente. Le superviseur a instauré un ordre de limitation de vitesse temporaire de 10 mi/h, et il a été prévu d’installer 15 traverses non consécutives sur une distance de 200 pieds afin de rompre les groupes de traverses défectueuses. Les traverses ont été installées le jour même et la voie a été reniveléeLe nivellement consiste à lever les traverses et bourrer le ballast en dessous par des moyens mécaniques pour rétablir une surface appropriée des voies..
Le document TEC Book présente des directives sur la correction d’un défaut AL/62 survenant par temps chaud, en indiquant qu’il peut être nécessaire de rajuster les contraintes (voir la section 1.9.5). Dans l’événement à l’étude, les réparations n’exigeaient pas de couper le rail.
1.9 Contrainte thermique dans de longs rails soudés
L’acier se dilate sous l’effet de la chaleur et se contracte sous l’effet du froid. Les forces exercées par la dilatation et la contraction du rail créent des contraintes dans la structure de la voie. Les forces de compression excessives peuvent provoquer un flambage de la voie, tandis que les forces de traction excessives découlant de la contraction peuvent entraîner des séparations (défaillances des éclisses) et des fractures du rail.
La température ambiante est le principal facteur de contrainte thermique dans les rails, surtout dans des conditions de température extrême. Lorsque les LRS sont exposés à une augmentation de la température ambiante, la température des rails augmente en conséquence. Pendant les mois d’été, surtout sous la lumière directe du soleil, si l’exposition est maintenue pendant une longue période, la température des rails résultante peut dépasser la température ambiante. Par temps chaud et ensoleillé, la température des rails peut être estimée à la température ambiante plus 17 °C (30 °F)Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, Livre rouge des exigences relatives à la voie et aux ouvrages (révisé le 18 mai 2022), section 8 : Prévention du flambement de la voie, figure 8.1, p. 51..
Dans le cas des rails éclissés (rails joints mécaniquement par des éclisses boulonnées), les joints donnent au rail l’espace nécessaire pour se dilater et se contracter. Dans les LRS, les sections de rail sont soudées entre elles et les rails sont ancrés en place. Cette fixation garantit que le mouvement des rails est limité par les forces longitudinales exercées par le passage des trains, mais elle limite également la capacité des rails à se dilater et à se contracter en réaction aux changements de température.
1.9.1 Température des rails
Il existe 2 mesures importantes de la température du rail :
- la température à laquelle les rails sont largement exempts de contraintes thermiques attribuables à la dilatation ou à la contraction, ce que l’on appelle la température de contrainte nulle;
- la température déterminée au préalable à laquelle les rails doivent être installés pour rester relativement exempts de contraintes tout au long de l’année, compte tenu des extrêmes de température ambiante régionaux auxquels ils seront exposés; on l’appelle température idéale de pose des rails.
La longueur d’un rail peut être modifiée mécaniquement ou thermiquement de manière à le libérer de toute contrainte à n’importe quelle température ambiante. Cette pratique est nécessaire pour s’assurer qu’une fois que les LRS ont été installés et fixés, leur température de contrainte nulle correspond à la température idéale de pose des rails souhaitée.
Les chemins de fer fixent une température idéale de pose des rails optimale pour chacune de leurs subdivisions, en tenant compte des facteurs locaux susceptibles d’accroître la vulnérabilité de la voie aux contraintes de compression, en plus de tout antécédent de flambage ou de rupture d’éclissage. Pour la voie de la subdivision de Brooks, la température idéale de pose des rails est de 95 °F (35 °C)Ibid., Annexe 1 : Températures de pose recommandées (TPR), par subdivision, p. 143..
1.9.2 Support et fixation des rails
Pour limiter les effets de la contrainte thermique, il est aussi important que les rails soient correctement supportés et fixés. L’immobilisation longitudinale et latérale des rails dépend de la présence de traverses en bon état, de selles de rail appropriées, de crampons et d’anticheminants suffisants, d’un ballast de pierre concassée propre et de bons épaulements de ballast de voie. Si un ou plusieurs de ces éléments de la voie n’ont pas la capacité de résister à la contrainte exercée par les forces longitudinales, la force de la contrainte peut excéder la stabilité latérale de la voie et créer un mauvais alignement.
Les anticheminants maintiennent le rail en place et transmettent aux traverses les forces longitudinales, y compris celles générées par le passage d’un train. Les traverses, encastrées dans le ballast, absorbent les forces qui sont ensuite transmises à la plateforme. Si un ou plusieurs des composants de la voie ne contribuent pas à la résistance attendue, les risques d’irrégularités de la voie augmentent. Par exemple, si les anticheminants ne sont pas posés sur des traverses en bon état, ils ne fourniront pas la résistance attendue. De même, des pierres de ballast arrondies comportant relativement peu de faces de rupture pourraient ne pas offrir de résistance suffisante pour les traverses encastrées dans le ballast. Un ballast sain est généralement constitué de pierre concassée présentant des surfaces angulaires et rugueuses, ce qui permet aux pierres de s’imbriquer avec les traverses et entre elles de manière à former une plateforme stable.
La meilleure façon de gérer la dilatation des rails est de lui permettre de se produire sur une longue section de voie. Si la dilatation est limitée ou confinée par un emplacement rigide et solidement fixé, des forces de compression peuvent s’accumuler dans les rails.
1.9.3 Dérive de la température de contrainte nulle au fil du temps
Au cours de la vie utile d’un rail, les variations de température ambiante et les mouvements de rail induits par la circulation entraîneront une redistribution des contraintes internes du rail. Sur une colline, les rails se déplacent généralement lentement vers le bas, ce qui se traduit par une température sans contrainte trop basse au bas de la colline et une température sans contrainte trop élevée au sommet.
Les LRS peuvent également dériver en tension ou en compression à la suite d’activités d’entretien de la voie comme l’alignement, le nivellement, le nettoyage du ballast et le remplacement des traverses. Même si la voie ne fait pas l’objet de travaux, la température des rails s’éloignera de la température idéale de pose des rails dans diverses conditions, par exemple des anticheminants usés, défectueux ou insuffisants, un ballast de mauvaise qualité ou insuffisant, ou encore une plateforme molle.
Lorsque la température de contrainte nulle a dérivé bien en-deçà de la température idéale de pose des rails, les contraintes de compression dans les rails commencent à se développer à une température ambiante plus basse. L’exécution de travaux d’entretien dans ces conditions augmente le risque de flambage de la voie.
1.9.4 Surveillance des contraintes thermiques
Pour détecter les signes de contrainte thermique dans les LRS, les agents d’entretien de la voie effectuent régulièrement des inspections visuelles à l’aide de véhicules rail-route.
Les inspections visuelles reposent sur le jugement des agents d’entretien de la voie, qui doivent vérifier la structure de la voie pour y déceler tout signe physique de dégradation, comme les désalignements, le mauvais contact des anticheminants et le mouvement des rails dans les anticheminants. Cependant, les signes physiques de contrainte thermique ne sont pas toujours visibles à partir d’un véhicule rail-route en mouvement.
Il n’existe actuellement aucune méthode simple et directe pour mesurer les contraintes thermiques dans les rails. Lorsqu’une contrainte excessive est relevée, des ajustements doivent être apportés; or ce processus peut prendre beaucoup de temps.
Pour ajuster les contraintes de traction, la technique courante consiste à couper le rail à l’aide d’une scie à rails lorsque la température ambiante est inférieure à la température idéale de pose des rails. Une fois que le rail s’est contracté et a atteint un état sans contrainte à la température de contrainte nulle, il peut être rajusté à la température idéale de pose des rails souhaitée. Pour réduire les contraintes de compression, on peut découper une section du rail à l’aide d’un chalumeau et installer un rail de raccord temporaire. Après avoir refroidi jusqu’à la température de contrainte nulle ou en dessous, le rail peut alors être rajusté à la température idéale de pose des rails. À ce jour, il n’existe pas de système de mesure des forces longitudinales précis, facile à déployer et non destructif — qu’il soit porté sur un véhicule ou sur la voie —, ce qui fait de la mise au point d’une mesure des forces exercées sur les LRS un domaine de recherche grandement nécessaire à l’échelle mondialeA. Kish et G. Samavedam, Track Buckling Prevention: Theory, Safety Concepts, and Applications, U.S. Department of Transport, Federal Railroad Administration, rapport DOT/FRA/ORD – 13/16, 2013..
Si, à l’aide d’inspections visuelles ou de méthodes destructives, il est déterminé que la voie est soumise à des contraintes de compression, les contraintes présentes dans le rail devront être rajustées.
1.9.5 Ajustement de la température de contrainte nulle des rails
On trouve dans le Livre rouge plusieurs sections qui s’appliquent au réglage :
- La section 7.7.3(a)(v) mentionne le réglage en tant qu’option de réparation permanente des flambages de la voieChemin de fer Canadien Pacifique, Livre rouge des exigences relatives à la voie et aux ouvrages (révisé le 18 mai 2022), section 8, sous-section 7.7.3 : Réparation permanente, p. 41..
- La section 8 donne beaucoup de détails sur les inspections par temps chaud et les signes et symptômes de risque de flambage de la voieIbid., sous-sections 8.1.0 : Généralités, 8.2.0 : Inspection de la voie par temps chaud, 8.3.0 : Limitations de vitesse temporaires par temps chaud, et 8.4.0 : Mise en place d’une limitation de vitesse temporaire, p. 47 à 49.. Elle prescrit un ordre immédiat de limitation de vitesse de 10 mi/h ou l’arrêt de la circulation dans les endroits où l’état de la voie indique qu’un flambage de la voie est imminentIbid., sous-section 8.2.1 : Exigences relatives à l’inspection, p. 48..
- L’annexe 4 donne beaucoup de détails sur le réglage des LRS dans tous les environnements.
- La section 8.5 fournit des instructions pour l’inspection et le réglage de la voie avant l’installation des traverses prévues dans le cadre du programme, ainsi que dans les cas où les LRS ont été posés à une température du rail inférieure de plus de 20 °F (environ 6,7 °C) à la température idéale de pose des rails : par exemple, au cours des réparations hivernales du rail, lorsque les réchauffeurs de rails ne sont pas disponibles. Cette section indique, en partie :
i. Réaliser cette inspection lorsque la température ambiante est comprise entre (TPR – 10 °F) à (TPR + 15 °F) afin que les problèmes de réglage soient évidents.
b. Avant un programme d’installation de traverses, il faut couper et régler les rails, conformément à l’Annexe 4 du Livre rouge, à tous les endroits requis, c’est-à-dire établis par l’inspection sur le réglage des LRS dans la zone visée par les travaux prévusIbid., sous-section 8.5.1 : Planification et réglage préalables à un programme de travaux, p. 50..
Selon le Livre rouge, un rail doit être réglé lorsque sa température de contrainte nulle a diminué au fil du temps de 20 °F (environ 6,7 °C) ou plus par rapport à la température idéale de pose des railsIbid., Annexe 14 : Température neutre du rail estimée, p. 169 à 171..
1.9.6 Activités d’entretien de la voie ayant une incidence sur la température de contrainte nulle près du point milliaire 97,4
Le CP a fourni des dossiers sur les activités d’entretien de la voie qu’il a menées entre 2004 et 2022 dans les environs du point milliaire 97,4. Les données ont été examinées plus en détail pour se concentrer sur les activités qui avaient perturbé la voie (et qui ont donc probablement eu une incidence sur la température de contrainte nulle) entre l’aiguillage est de Bassano et le point fixe du point milliaire 97,48 dans la subdivision de Brooks (tableau 3).
Date | Activité | Commentaire |
---|---|---|
2013 (du 10 au 13 juin) | Important programme localisé de remplacement des traverses | Ces travaux ont consisté à installer 1256 traverses du point milliaire 96,0 au point milliaire 98,0 et 231 traverses supplémentaires du point milliaire 97,0 au point milliaire 98,5. Les documents fournis ne contenaient pas de renseignements sur la température de contrainte nulle atteinte au moment de l’achèvement de ces travaux. |
2013, 2014, 2018, 2019 et 2021 | Nivelage et alignement de la voie | Le nivelage de la voie est effectué pour corriger les conditions de surface et d’alignement. |
2015, 2018 et 2019 | Entretien des LRS | En 2015 et 2019, des travaux d’entretien des LRS ont été effectués au point milliaire 97,4 et ont nécessité un ajustement de la température de contrainte nulle. En 2018, des travaux ont été effectués sur les LRS au point milliaire 97,48. |
2021 (septembre) | Répartition du ballast et nettoyage des épaulements | Les travaux ont été réalisés du point milliaire 95,7 au point milliaire 100,0; la proportion de ces travaux qui a été réalisée près du point milliaire 97,4 n’a pas été consignée. |
2022 (16 juin) | Nivellement et alignement de la voie | Environ 1800 pieds de voie ont fait l’objet d’un nivelage du point milliaire 97,2 au point milliaire 97,7. Les travaux ont été effectués après que les contrôles automatiques de la géométrie ont été achevés le 9 juin. |
2022 (9 juillet) | Nivellement et alignement de la voie | Environ 900 pieds de voie ont fait l’objet d’un nivellement du point milliaire 97,0 au point milliaire 97,1. |
2022 (10 juillet) | Remplacement ponctuel des traverses | Des travaux ont été effectués sur 200 pieds de voie près du point milliaire 97,5. |
1.10 Flambage de la voie
Un flambage de la voie (figure 6) est un grand désalignement latéral des railsA. Kish et W. Mui, Track Buckling Research, John A. Volpe National Transportation Systems Center, Federal Railroad Administration, Office of Research and Development (États-Unis) (9 juillet 2003), à l'adresse https://rosap.ntl.bts.gov/view/dot/11985 (dernière consultation le 17 décembre 2024). qui se produit lorsque les contraintes de compression longitudinales auxquelles la voie est assujettie s’accumulent et deviennent supérieures à la résistance latérale de la structure de la voie.
Le flambage de la voie commence habituellement au niveau de petits écarts d’alignement. Les désalignements latéraux des rails réduisent la résistance au flambage de la voie.
Les longueurs de flambage de la voie peuvent varier de 40 à 60 pieds et peuvent entraîner des mouvements latéraux de la voie pouvant aller jusqu’à 30 pouces. Ces désalignements peuvent provoquer des déraillements, car les trains circulant aux vitesses de fonctionnement typiques ne peuvent pas négocier une voie qui s’est déplacée latéralement. Les voies en courbe aussi bien que celles en alignement droit sont sujettes au flambage. Les voies en alignement droit ont tendance à se déformer de manière explosive et à présenter une déviation importante, tandis que les voies en courbe peuvent se déformer progressivement et présenter des déplacements latéraux comparativement plus faiblesA. Kish et G. Samavedam, Track Buckling Prevention: Theory, Safety Concepts, and Applications, Office of Research and Development, Federal Railroad Administration (mars 2013), à l'adresse https://railroads.dot.gov/elibrary/track-buckling-prevention-theory-safety-concepts-and-applications (dernière consultation le 17 décembre 2024).. Le flambage est principalement latéral, mais peut parfois être vertical.
Des charges thermiques excessives peuvent entraîner un flambage, ce qu’on appelle un flambage statique. Cependant, le flambage est généralement causé par une combinaison des facteurs suivants :
- un affaiblissement de l’état des voies;
- des forces de compression des rails élevées;
- des forces dynamiques exercées par les trains.
Les forces exercées par les véhicules ferroviaires en raison du frottement de roulement, du freinage, de l’accélération et du passage du boudin des roues dans les courbes ou dans les zones de sous-écartement peuvent contribuer au flambage de la voie en exerçant des forces longitudinales supplémentaires sur la structure de la voie. Dans les sections de voie en courbe, le matériel roulant peut contribuer au flambage en augmentant les forces latérales exercées par les roues.
De plus, pendant le contact de roulement entre la roue et le rail, de la chaleur est générée à la surface de contact en raison du frottement. La quantité de chaleur générée augmente en proportion du nombre d’essieux d’un train, du chargement des roues et de la vitesse du train, et elle est plus prononcée lorsque la surface du rail est sèche et propre. Bien que l’augmentation globale de la température du rail attribuable au contact de roulement ne soit pas importante par rapport aux effets des températures ambiantes élevées, en particulier lorsque le rail est exposé à la lumière directe du soleil, la chaleur générée crée néanmoins des contraintes de compression supplémentaires dans le rail.
Le flambage attribuable à la combinaison des forces thermiques et des forces exercées par les véhicules est appelé flambage dynamique ou encore flambage induit par les véhicules. La dynamique des trains tend également à accroître les écarts d’alignement, ce qui peut déclencher le processus de flambage. La plupart des déraillements attribuables au flambage ont tendance à se produire après que la moitié ou les deux tiers de la longueur d’un train ont traversé une zone sujette au flambageG. Wolf, The Complete Field Guide to Modern Derailment Investigation (Wolf Railway Consulting, 8 mars 2021), p. 289..
1.10.1 Endroits sujets au flambage de la voie
On sait que certaines zones sont plus vulnérables aux contraintes de compression, et donc sont davantage sujettes au flambage de la voie. Le Livre rouge du CP indique notamment ce qui suit :
8.1.3. Endroits sujets au flambement de la voie
a. Accorder une attention particulière aux endroits ci-après, où les risques de flambement de la voie sont plus élevés :
v. Bas d’une pente forte ou d’un creux
viii. Zones reconnues pour leur instabilité latérale
ix. Voie récemment déconsolidée (remplacement de traverses, travaux de nivellement, etc.)
xiv. Endroits fixes comme les branchements, les passages à niveau et les ponts. Il faut en particulier prêter attention aux endroits où on a constaté que les anticheminants ne retiennent pas le rail et que celui-ci se déplace vers les endroits fixes.Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, Livre rouge des exigences relatives à la voie et aux ouvrages (révisé le 18 mai 2022), section 8 : Prévention du flambement de la voie, sous-section 8.1.3 : Endroits sujets au flambement de la voie, p. 47 à 48.
Les conditions décrites ci-dessus étaient présentes dans les environs du point milliaire 97,4.
1.10.2 Indicateurs de flambage de la voie potentiel
Le Livre rouge dresse une liste d’indicateurs courants de flambage de la voie potentiel Ces indicateurs comprennent les suivants :
- ondulation du rail;
- nouveaux écarts de tracé (courtes sections droites dans les courbes ou sinuosités dans les alignements droits);
- lacunes ou vides dans le ballast aux extrémités des traverses;
- patin de rail mal assis sur les selles;
- rails libres de cheminer […];
- remuement du ballast causé par le déplacement des traverses, faussant l’écartement de la voie et provoquant la formation de sinuosités;
- déplacement longitudinal d’une aiguille par rapport à son contre-aiguille, entraînant le déréglage de l’aiguillageIbid., sous-section 8.1.2 : Indicateurs de flambement possible de la voie, p. 47..
Plusieurs des facteurs énumérés ci-dessus ont été relevés dans les environs du point milliaire 97,4 (voir la section 1.2.1, État de la voie dans les environs du déraillement).
1.10.3 Déraillements antérieurs dus à un flambage de la voie sur une voie ferrée relevant de la compétence fédérale
- 80 % (36 événements) étaient des déraillements en voie principale.
- 24 % (11 événements) concernaient plus de 10 wagons.
- 91 % (41 événements) concernaient des chemins de fer de marchandises de catégorie 1.
- 31 % (14 événements) concernaient des trains du CP.
- 87 % (39 événements) se sont produits au cours des mois de mai, de juin et de juillet.
- 29 % (13 événements) se sont produits en Alberta.
- La moyenne était de 4,5 événements par année, mais le nombre d’événements variait de 2 à 8 par année.
Le BST a produit des rapports d’enquête pour 3 de ces 45 déraillements (événements R21M0027, R14W0137 et R14E0081 du BST). On trouvera à l’annexe A un court résumé de ces événements ainsi que les faits applicables établis à la suite des enquêtes.
1.11 Augmentation de la taille des trains-blocs céréaliers
La taille des trains-blocs céréaliers a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie.
Il y a 10 ans, un train de céréales typique tirait environ 100 à 112 wagons, mesurait environ 7000 pieds et pesait moins de 15 000 tonnes.
En juin 2018, le CP a annoncé son intention d’investir dans de nouveaux wagons-trémies de céréales à grande capacité, capables de transporter un volume supérieur de 15 % et un poids de charge supérieur de 10 % à celui des anciens wagons du gouvernement canadien qu’ils remplaceraient, tout en étant dotés d’un châssis plus court qui permettrait de transporter plus de wagons dans un train de même longueurDedicated to Grain, lettre de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique au ministre des Transports, 31 juillet 2018.. Le CP a fait remarquer que la sécurité était une considération essentielle dans le cadre de la mise en service des nouveaux wagons à grande capacité.
En décembre 2018, CP a dévoilé son nouveau modèle de train à haute efficacité (high-efficiency product – HEP) d’une longueur de 8500 piedsCompagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, « CP showcases new high capacity hopper cars, High Efficiency Product train » (4 décembre 2018), à l’adresse https://www.cpkcr.com/en/media/CP-showcases-new-high-capacity-hopper-cars-High-Efficiency-Product-train (dernière consultation le 17 décembre 2024).. Avec 147 wagons-trémies de grande capacité chargés, le train à haute efficacité pèserait environ 21 000 tonnes.
Dans la subdivision de Brooks, le CP a exploité son premier grand train-bloc composé de wagons-trémies de grande capacité en avril 2020. De janvier 2021 au 13 juillet 2022, 21 de ces trains ont traversé Bassano en direction ouest, y compris le train à l’étude. Ces trains comptaient plus de 200 wagons-trémies chargés, mesuraient au moins 10 500 pieds et pesaient plus de 25 000 tonnes.
1.12 Volume de la circulation ferroviaire dans la subdivision de Brooks
Les dossiers historiques du CP montrent qu’en 2015, le volume total de la circulation dans la subdivision de Brooks s’élevait à environ 53,5 millions de tonnes-milles brutes par mille (MTMB/M). En 2018, le tonnage brut annuel avait augmenté d’environ 27 % (14,4 MTMB/M). Les volumes annuels enregistrés de 2018 à 2022 se sont maintenus à un taux accru, avec une valeur moyenne de 69,4 MTMB/M. La circulation vers l’ouest, qui se compose principalement de trains-blocs chargés, représente environ 60 % du volume total de la circulation (tableau 4).
1.12.1 Augmentation des volumes de trains chargés en direction ouest
Les données historiques du CP montrent également que le nombre de trains-blocs (céréales et potasse) en direction ouest a augmenté constamment entre 2017 et 2020, jusqu’à un sommet de 1328 trains. Entre 2018 et 2021, le tonnage par train a également augmenté. En 2021, le tonnage par train a continué à augmenter, même si le nombre de trains en 2022 était inférieur de près de 40 % à celui de 2020 (figure 7).
En plus de l’augmentation de la circulation de trains-blocs de céréales et de potasse, il y a également eu une augmentation considérable du nombre et du tonnage d’autresDans ce cas, on entend par « autres » les trains-blocs de marchandises chargés de types de produits particuliers. Les renseignements sont inclus en guise d’indication de l'augmentation du tonnage dans la subdivision. trains-blocs en direction ouest en 2018 (tableau 5); toutefois, cette tendance s’est stabilisée à un niveau plus élevé qu’en 2017.
1.13 Dynamique voie-train
La dynamique voie-train concerne l’interaction entre la voie et un train en mouvement. Elle englobe toutes les forces dynamiques découlant de cette interaction et les facteurs qui contribuent à ces forces, y compris la taille du train (longueur et poids), la composition du train (comme la répartition du poids), la vitesse du train, la conduite du train (comme l’accélération et la décélération), les caractéristiques des wagons, l’alignement de la voie (comme les pentes et les courbes), la rigidité de la voie, l’état de la voie (comme l’usure ondulatoire et les variations de la géométrie) et les conditions climatiques dominantes.
Un aspect important de la dynamique voie-train est la forte charge par essieu et les charges imposées sur la voie au passage du matériel roulant. Cette situation crée une contrainte momentanée sur la structure de la voie, qui conduit à une détérioration progressive (usure, fatigue et tassement) de cette infrastructure.
Plus précisément, la forte charge par essieu crée un point de contrainte vertical à l’interface roue-rail qui fait momentanément dévier verticalement le rail et la structure de la voie sous le poids chargé des roues des wagons qui passent. Les points de contrainte sont concentrés sous les bogies des wagons. Sur un train en mouvement, la déflexion crée une onde longitudinale mobile le long de la structure de la voie : la voie est poussée vers le bas sous les bogies avant, puis est soulevée vers le haut (ce soulèvement est appelé onde centrale) lorsque le centre du wagon passe, et elle est à nouveau poussée vers le bas sous les bogies arrière. L’amplitude de l’onde sous chaque voiture dépend des charges par essieu, de l’espacement entre les essieux, de l’espacement centre à centre entre les bogies et de la rigidité de la structure de la voie. Cette ondulation se répète au passage de chaque wagon et n’offre à la voie qu’une possibilité faible, voire inexistante, de reprise élastique complèteLa reprise élastique est l’aptitude de la voie à retrouver sa forme d’origine après le passage d’un train..
Les forces verticales exercées par le véhicule sur la structure de la voie ont aussi un effet dynamique sur la résistance latérale de la voie. Plus précisément, la structure des traverses et du ballast située directement sous le poids des roues du véhicule est soumise à une charge verticale accrue, ce qui a pour effet d’augmenter la résistance latérale de la voie sur ce segment de voie. Cependant, dans la zone de l’onde centrale, la structure des traverses et du ballast entre les bogies est momentanément déchargée en raison de l’onde de soulèvement dynamique; il en découle une réduction de la résistance latérale le long de ce segment de voie. Ainsi, la résistance latérale de la voie varie en fonction des creux et des crêtes de l’onde : elle est plus élevée directement sous les roues et plus faible entre les bogiesA. Kish et G. Samavedam, Track Buckling Prevention: Theory, Safety Concepts, and Applications, Office of Research and Development, Federal Railroad Administration (mars 2013), à l'adresse https://railroads.dot.gov/elibrary/track-buckling-prevention-theory-safety-concepts-and-applications (dernière consultation le 17 décembre 2024). La figure 8 illustre cette dynamique.
- Les trains composés d’un plus grand nombre de wagons soumettent les rails à un plus grand nombre de cycles de charge (qu’on appelle généralement charge cyclique).
- Les wagons plus lourds imposent une charge plus importante aux rails.
Les trains plus longs et plus lourds ont donc un effet de détérioration plus important et plus aggravant sur l’infrastructure des voies en général. Cela se manifeste d’abord par la présence de crampons soulevés, d’ancrages lâches, de cheminement des rails, de ballast usé, et de traverses désaxées et entaillées par une selle, entre autres. Au fur et à mesure que la voie se dégrade, des défauts de la voie finissent par se développer et s’aggraver au passage de chaque train supplémentaire, à moins que l’entretien régulier de la voie se fasse plus souvent.
Les trains-blocs chargés, en particulier, ont un effet de charge cyclique plus prononcé et peuvent accélérer la déformation permanente de la voie. Dans un train-bloc chargé, les wagons ont généralement des longueurs et des poids très similaires, et ils sont de conception similaire (caisses de wagons, bogies et systèmes de suspension); ils interagissent donc avec la voie de la même manière. Par conséquent, chaque wagon d’un train-bloc réagit aux irrégularités de la voie de la même manière que le wagon précédent, créant ainsi un effet de martèlement répétitif, ce qui concentre les impacts cumulatifs sur les irrégularités rencontrées dans la structure de la voie.
- l’ampleur de la contrainte cyclique appliquée (espacement des essieux et des bogies, poids du train et des wagons individuels);
- la durée de la charge (le nombre total d’essieux);
- la fréquence de la charge (le nombre de trains par année);
- l’état de la structure de la voie, du ballast et du sous-ballast;
- la rigidité de la voie.
1.13.1 Rapport d’enquête sur des problèmes de sécurité SII R05-01 du BST
En réponse à une série de déraillements survenus sur des voies principales de deuxième catégorie où il y avait eu des ruptures de rail au cours de l’hiver 2003-2004, le BST a mené une enquête sur des problèmes de sécuritéRapport d’enquête sur des problèmes de sécurité SII R05-01 du BST, Analyse de déraillements survenus sur des voies principales de deuxième catégorie et des relations entre ces déraillements et le trafic de vrac (2005).. L’enquête a permis d’établir une relation étroite entre les défauts de rail et le volume de trafic de trains-blocs, et de constater que l’effet de l’augmentation du trafic de trains-blocs n’avait pas été atténué par un entretien régulier. Ces mêmes circonstances peuvent s’appliquer aux voies principales. L’enquête a également permis de constater ce qui suit :
- Les compagnies de chemin de fer se sont rendu compte que la dégradation de la voie s’est accélérée avec l’augmentation du tonnage de trains-blocs vraquiers. Toutefois, un point d’équilibre n’était pas toujours atteint entre l’augmentation de la dégradation de la voie et les opérations d’entretien ou de renouvellement opportuns de l’infrastructure.
- Pour assurer la sécurité, il n’est pas suffisant de se conformer au RSV puisque ce dernier n’offre pas de moyen de prévoir des conditions changeantes telles que l’accroissement du trafic à long terme.
- Il faut établir des processus de systèmes de gestion de la sécurité (SGS) plus préventifs pour anticiper les conditions opérationnelles pouvant réduire les marges de sécurité.
1.13.2 Enquêtes du BST sur les déraillements mettant en cause une dégradation de la voie due à une charge cyclique
Entre 2004 et 2021, le BST a enquêté sur 6 événements survenus sur des chemins de fer relevant de la compétence fédérale où le chargement cyclique, ou des facteurs qui augmentent le chargement cyclique comme l’augmentation de la taille et du nombre des trains, ont été associés à une cause ou à un facteur contributif (annexe B).
1.14 Formation des inspecteurs de la voie et des superviseurs
1.14.1 Exigences réglementaires
1.14.1.1 Exigences du Règlement concernant la sécurité de la voie
En vertu du RSV, les compagnies ferroviaires doivent s’assurer que les inspecteurs de la voie et les superviseurs de la voie sont qualifiés et certifiés pour exercer leurs fonctionsRèglement concernant la sécurité de la voie (approuvé par Transports Canada le 2 février 2021, en vigueur le 1er février 2022), partie I, article 7 : Connaissances, qualifications et accréditation, p. 8 à 9.. Pour ce faire, il faut entre autres s’assurer que les employés occupant ces postes connaissent et comprennent les exigences du RSV, ainsi que les exigences de la compagnie, notamment les procédures et les normes relatives à l’inspection et à l’entretien de la voie. L’intervalle de recertification des inspecteurs de la voie et des superviseurs de la voie ne doit pas dépasser 3 ansIbid., article 7.4, p. 9..
1.14.1.2 Exigences du Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire
L’article 25 stipule notamment :
25 (1) La compagnie de chemin de fer établit une liste prévoyant :
a) les fonctions essentielles à la sécurité ferroviaire;
c) les compétences et les qualifications requises pour exercer chacune de ces fonctions en toute sécuritéTransports Canada, DORS/2015-26, Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, paragraphe 25(1)..
En vertu de l’article 27, le SGS de la compagnie de chemin de fer doit comprendre :
d) une méthode pour vérifier que la personne visée à l’article 26 possède les connaissances visées à cet articleIbid., article 27..
1.14.2 Formation du Canadien Pacifique à l’intention des inspecteurs et des superviseurs de la voie
Le cours sur les LRS fait souvent référence au contenu du Livre rouge. Les sujets abordés comprennent l’effet de la température sur les rails; les limites de contrainte thermique sur une voie correctement entretenue; le flambage de la voie; la température idéale de pose des rails; la température de contrainte nulle; le réglage; de même que les résultats probables à prévoir si les défauts ne sont pas corrigés. Le cours et les exercices sont censés prendre une (1) journée. Un examen approfondi du contenu du cours portant sur les désalignements de la voie, le flambage de la voie et le réglage a révélé les points suivants :
- Il traite de la nécessité de procéder à un réglage lorsque des réparations de rails sont effectuées à des températures inférieures à la fourchette de températures idéales de pose des rails ou lorsque des travaux prévus dans le cadre du programme sont exécutés; il indique également que le fait de ne pas régler le rail dans ces circonstances peut avoir pour conséquence le flambage de la voie.
- Il ne mentionne pas expressément la nécessité d’envisager un réglage lorsqu’il y a des signes manifestes de contrainte du rail.
- Il ne mentionne pas expressément que des réparations permanentes de flambages de la voie pourraient exiger un découpage et un réglage du rail.
Ni la formation du Livre rouge ni celle sur les LRS n’aborde la différence entre les mesures de l’état géométrique de la voie sous charge et de la voie sans charge. Le matériel de formation n’aborde pas expressément le fait que le RSV exige d’ajuster toutes les mesures prises pour une voie sans charge afin de tenir compte des mouvements de la voie sous charge. Rien dans les dossiers n’indique que les inspecteurs ou les superviseurs de la voie ont reçu une formation particulière sur le document TEC Book, bien qu’il eût été mis à la disposition des inspecteurs et des superviseurs de la voie en tant que document de référence.
1.14.3 Formation, connaissances et supervision des inspecteurs et des superviseurs dans le contexte de cet événement
Selon les dossiers d’inspection des voies fournis par le CP, 5 inspecteurs/superviseurs de la voie ont effectué des inspections ainsi que des travaux d’entretien et de réparation à proximité du lieu du déraillement entre avril et juillet 2022Les inspections visuelles et l’entretien général des voies sont généralement effectués par des inspecteurs et des superviseurs qui travaillent seuls.. Ces employés comptaient de 3 à 20 années d’expérience en inspection et en entretien de la voie et connaissaient bien leur territoire.
L’examen par le BST des dossiers de formation de ces employés a révélé ce qui suit :
- Les 5 employés avaient reçu une formation sur le RSV au cours des 3 années précédentes.
- Trois des 5 employés avaient reçu une formation sur le Livre rouge du CP en 2014; aucun n’avait reçu de formation sur les normes d’ingénierie en vigueur au moment du déraillement (le Livre rouge a fait l’objet d’une révision en octobre 2019, puis en mai 2022).
- Trois des 5 employés avaient suivi le cours sur les LRS au cours des 3 années précédentes.
- 3 des 5 employés avaient fait l’objet d’un contrôle;
- 29 des 32 contrôles (91 %) avaient été effectués sur un seul employé;
- aucun des employés n’avait fait l’objet d’un contrôle portant expressément sur l’entretien des LRS.
La direction de l’Ingénierie doit assurer un rôle de supervision pour veiller à ce que les employés soient formés et qualifiés, et doit rendre des comptes à cet égard.
1.15 Systèmes de gestion de la sécurité
Un SGS est un cadre reconnu à l’échelle internationale qui permet aux entreprises de cerner les dangers, de gérer les risques et d’améliorer la sécurité de leurs activités. Un SGS améliore la sécurité en s’appuyant sur les processus existants, en démontrant la diligence raisonnable de la compagnie et en développant la culture générale de sécurité.
La gestion de la sécurité représente une approche systémique de la sécurité qui comprend, sans toutefois s’y limiter, un processus d’amélioration continue de la sécurité (figure 9). Un SGS efficace intègre les 4 piliers de la gestion de la sécurité : la politique et les objectifs de sécurité, la gestion des risques de sécurité, l’assurance de la sécurité et la promotion de la sécurité.
Le cadre du SGS n’est pas une nouveauté pour les chemins de fer canadiens. La réglementation sur le SGS a été introduite en 2001. En 2013, l’enquête sur un déraillement mortel survenu à Lac-Mégantic (Québec)Rapport d’enquête ferroviaire R13D0054 du BST. a mis en évidence des lacunes dans la réglementation qui ont conduit à des révisions de la réglementation en 2015. En vertu du Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement sur le SGS), les compagnies ferroviaires doivent élaborer un SGS qui comprend des processus permettant de déterminer les préoccupations en matière de sécuritéLe Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire ne définit pas « préoccupation en matière de sécurité », mais il cite comme exemples des tendances, des nouvelles tendances et des situations répétitives., d’effectuer des évaluations des risques et de mettre en œuvre et d’évaluer des mesures (de sécurité) correctivesTransports Canada, DORS/2015-26, Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, article 5, p. 3.,Dans le contexte des systèmes de gestion de la sécurité, les expressions « mesure corrective » et « mesure de sécurité » sont généralement considérées comme des synonymes, et toutes deux décrivent les mesures prises pour améliorer la sécurité. Le Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire emploie l’expression « mesure corrective », alors que, dans le présent rapport, l’expression « mesure de sécurité » est employée..
Les mesures de sécurité prises ne constituent qu’une étape du processus du SGS. Par conséquent, toute mesure de sécurité prise à la suite d’un événement devrait s’inscrire dans un processus d’amélioration continue de la sécurité, où la portée du changement est définie, les dangers sont cernés, les risques sont évalués, les mesures de sécurité sont mises en œuvre et évaluées, et l’ensemble du processus est documenté. Ainsi, l’efficacité d’une mesure de sécurité pour réduire la probabilité ou la gravité d’un événement indésirable peut être mesurée objectivement.
1.15.1 Système de gestion de la sécurité du Canadien Pacifique
Conformément au Règlement sur le SGS, le CP a élaboré et mis en œuvre un SGS qui comprend une politique et une procédure d’évaluation des risques. La procédure d’évaluation des risques énumère les conditions dans lesquelles une évaluation des risques doit être réalisée. Elle énonce, notamment [traduction] :
Une évaluation confidentielle des risques doit être effectuée [...] quand :
- une « préoccupation en matière de sécurité » (c.-à-d. un danger ou une condition susceptible de présenter un risque direct pour la sécurité des employés ou de compromettre la sécurité ferroviaire) est cernée par l’analyse des données sur la sécurité;
- une modification proposée aux activités du CP pourrait :
- créer sur le lieu de travail un nouveau danger entraînant des conséquences néfastes,
- nuire ou contrevenir à toute politique, procédure, règle ou pratique de travail existante utilisée pour assurer la conformité à la réglementation ou respecter toute exigence ou norme du CP,
- créer ou aggraver un risque direct pour la sécurité des employés, des biens de la compagnie de chemin de fer, des biens transportés par la compagnie de chemin de fer, du public ou des biens adjacents au chemin de fer,
- exiger l’autorisation d’un organisme de réglementation pour pouvoir être mise en œuvre.
Une évaluation des risques doit être menée dès que possible après avoir cerné une préoccupation liée à la sécurité et doit avoir lieu avant le début des travaux concernés ou la mise en œuvre des changements proposés. […]Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, Risk Assessment Procedure, version 2.0 (dernière révision le 30 juin 2017), section 2.1.1, p. 2.
Lorsque les trains de céréales à haute capacité ont été mis en service en 2018, le CP a jugé que ni la nouvelle conception des wagons ni les effets de la charge cyclique de ces trains sur l’infrastructure de la voie ne constituaient un changement opérationnel nécessitant l’analyse des données de sécurité conduisant à une estimation de préoccupation en matière de sécuritéAvant d’exploiter les trains à haute capacité, le CP a effectué une simulation mettant l’accent sur les instructions de la compagnie concernant les trains à traction répartie. La simulation présumait que l’état de la structure de la voie était conforme aux exigences réglementaires et aux normes de la voie du CP, et elle a été effectuée pour des trains-blocs de céréales chargés comptant jusqu’à 168 wagons sur la route vers l’ouest de Bowden (Alberta) à Vancouver (Colombie-Britannique)..
De même, en 2020 lorsque le CP a commencé à exploiter des trains-blocs de céréales beaucoup plus longs et lourds de Winnipeg (Manitoba) à Thunder Bay (Ontario), une route qui traverse des tourbières (un type de terrain dont on sait que la force portante est intrinsèquement faible), le processus de SGS de la compagnie n’a pas été enclenché avant que l’un de ces trains ne déraille près d’Ignace (Ontario). À la suite de l’événement, le chemin de fer a effectué des simulations et a exigé que les trains de céréales à traction répartie composés de 224 wagons ou plus soient toujours équipés d’une locomotive télécommandée en queue de train. Les effets possibles d’une forte charge cyclique par essieu sur l’infrastructure de la voie n’ont pas été pris en compte, et la compagnie a continué à exploiter ces trains longs et lourds sur cette routeRapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R20W0102 du BST..
Les données sur la circulation ferroviaire dans la subdivision de Brooks entre 2018 et 2022 indiquent une augmentation importante du nombre et du tonnage d’autres trains-blocs. Dans le cadre de son enquête sur le présent événement, le BST a demandé au CP de lui fournir des dossiers sur son processus de SGS, et plus précisément tout dossier concernant la mise en service de trains-blocs de céréales composés de wagons-trémies à grande capacité, ainsi que l’augmentation importante de la fréquence d’autres trains-blocs dans la subdivision de Brooks. Le BST a aussi demandé des dossiers sur le processus que le CP avait suivi pour gérer les connaissances, particulièrement en ce qui concerne les connaissances des agents d’entretien de la voie sur l’entretien des LRS. Le CP a indiqué qu’aucun processus de gestion des risques de sécurité particulier n’avait été réalisé relativement à la mise en service ou à l’augmentation de la fréquence des trains-blocs dans la subdivision de Brooks, ou encore à la gestion des connaissances des agents d’entretien de la voie.
Depuis la dernière modification du Règlement sur le SGS, en 2015, le BST a mené des enquêtes sur 7 autres événements où le CP n’avait pas enclenché son processus de gestion des risques pour la sécurité afin de juger si des changements opérationnels exigeaient une évaluation des risquesRapports d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R20W0102, R19C0015, R19C0002, R18H0039, R17D0123, R16W0074 et R16C0065 du BST..
1.15.2 Recommandation antérieure relative au système de gestion de la sécurité du Canadien Pacifique
À la suite de son enquête sur un événement survenu le 4 février 2019, au cours duquel un train de marchandises du CP a déraillé dans une pente abrupte descendante près de Field (Colombie-Britannique), et où les 3 membres d’équipage ont subi des blessures mortelles,Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R19C0015 du BST. le Bureau a constaté que, lorsque les dangers ne sont pas identifiés, que ce soit par les signalements, les analyses des tendances des données ou les évaluations de l’incidence des changements opérationnels, et lorsque les risques qu’ils posent ne sont pas rigoureusement évalués, des lacunes dans les moyens de défense peuvent ne pas être atténuées, ce qui augmente le risque d’accident.
Le Bureau a également déterminé que, tant que la culture de sécurité générale et le cadre du SGS du CP n’incluront pas des moyens de cerner les dangers de façon exhaustive, notamment par l’examen des rapports de sécurité et l’analyse des tendances des données, et d’évaluer les risques avant d’apporter des changements opérationnels, le SGS du CP ne sera pas pleinement efficace. Par conséquent, le BST a recommandé que
Dans son évaluation de février 2024 de la réponse de TC, le Bureau indique être encouragé par le fait que TC a mené des vérifications ciblées du SGS du CP, et il attend avec intérêt de recevoir les résultats de l’examen et de l’évaluation par TC des processus modifiés du CP concernant le SGS. Le Bureau a estimé que la réponse de TC à la recommandation R22-03 dénotait une intention satisfaisanteRecommandation R22-03 du BST : Gestion du risque par l’identification des dangers, l’analyse des tendances des données et l’évaluation des risques, à l'adresse https://www.tsb.gc.ca/fra/recommandations-recommendations/rail/2022/rec-r2203.html (dernière consultation le 17 décembre 2024)..
1.16 Liste de surveillance du BST
La gestion de la sécurité figure sur la Liste de surveillance 2022.
Les compagnies de chemin de fer de compétence fédérale doivent avoir un SGS depuis 2001. De plus, les exigences réglementaires ont été considérablement améliorées en 2015. Toutefois, le secteur n’a pas encore montré les changements en matière de culture de sécurité et d’amélioration de la sécurité attendus à la suite de la mise en œuvre des SGS. Depuis la Liste de surveillance 2020, les enquêtes du BST continuent de relever des dangers dont l’existence n’est pas toujours connue et dont les risques ne sont pas toujours évalués par les exploitants en vue de pouvoir prendre des mesures d’atténuation des risques efficaces. En conséquence, le BST a déterminé que les SGS des compagnies de chemin de fer ne permettent pas encore de cerner efficacement les dangers et d’atténuer les risques dans le secteur du transport ferroviaire.
2.0 Analyse
Le train 301-222 était exploité conformément aux exigences de la compagnie et de la réglementation. L’examen des renseignements à propos de la mécanique et l’exploitation des trains n’a pas révélé de défauts de matériel ni de problèmes de conduite des trains. Par conséquent, l’analyse se concentrera sur une combinaison de causes et de facteurs contributifs liés aux déraillements attribuables au flambage de la voie, sur les pratiques de la compagnie en matière de gestion et d’entretien proactifs de la voie et sur la mise en application de son système de gestion de la sécurité.
2.1 L’événement
La vidéo de la locomotive de tête ne montre aucun signe évident d’une anomalie préexistante de la voie. Toutefois, lorsque la locomotive en milieu de train a franchi le point milliaire 97,4, l’image enregistrée a présenté une oscillation latérale perceptible, signe de la présence d’une anomalie de la voie à cet endroit.
2.2 État de la voie
Des signes de détérioration étaient également visibles dans les dossiers d’inspection de la voie depuis plus d’un an. Les dossiers des inspections de l’état géométrique de la voie effectués à l’aide de voitures lourdes de contrôle de l’état géométrique — des voitures d’évaluation de la voie et des wagons couverts équipés d’un système de vérification autonome de l’état géométrique de la voie (ATGMS) — indiquaient de fréquentes conditions de sous-écartement nécessitant une intervention urgente. Les conditions de sous-écartement peuvent être révélatrices d’une immobilisation insuffisante de la voie et de forces de compression élevées. Les rapports des inspections de voie menées par Transports Canada (TC) dans la subdivision de Brooks en 2021 et 2022, ainsi que les lettres de non-conformité émises à la suite de ces inspections, faisaient écho aux résultats des contrôles de l’état géométriques effectués par le CP lui-même.
Selon les dossiers d’entretien du CP, le rail à l’endroit du déraillement était en service depuis 26 ans. Un programme de remplacement des traverses avait été exécuté pour la dernière fois en 2013, et des dossiers mentionnent des travaux d’élimination de soudures et de joints, de nivelage, d’installation de nouveaux rails et de ballastage. Les travaux de nivelage effectués à la suite de l’inspection réalisée en juin 2022 par un wagon couvert équipé d’un ATGMS indiquent que le CP était conscient de l’état de la surface de la voie et qu’il tentait d’y remédier.
2.3 Contraintes de compression dans le rail
Dans les environs du déraillement, plusieurs facteurs connus pour rendre le rail plus vulnérable aux contraintes de compression étaient présents, ce qui augmentait le risque de flambage de la voie. Ce tronçon de voie se trouvait au bas d’un affaissement qui avait été perturbé récemment par des remplacements ponctuels de traverses visant à corriger un désalignement de la voie nécessitant une intervention urgente. De plus, ce tronçon était limité par 2 endroits fixes : la zone où l’aiguillage avait été installé à l’extrémité est de la voie d’évitement de Bassano l’année précédente, et la zone où une fixation solide des rails — l’installation d’attaches élastiques et la pose d’anticheminants à chaque traverse — était restée en place après l’enlèvement du branchement qui avait relié l’ancienne subdivision d’Irricana à la subdivision de Brooks.
Les voies vulnérables aux contraintes de compression doivent être surveillées de près. Dans cet événement, les inspections effectuées à l’aide de voitures lourdes de contrôle de l’état géométrique ont révélé des désalignements récurrents qui ne nécessitaient pas une intervention urgente (c.-à-d. des exceptions prioritaires AL/62) et un nombre élevé de défauts d’écartement, tous deux caractéristiques d’une voie soumise à des contraintes de compression.
Il est également possible de relever des signes de contraintes de compression au moyen d’inspections visuelles. Ces signes comprennent des désalignements du rail, des vides dans le ballast tout le long et à l’extrémité des traverses, ainsi que des rails qui cheminent dans les ancrages. La voie à proximité du lieu du déraillement présentait ces signes. Les dossiers du CP donnent toutefois à penser que les inspections visuelles mettaient l’accent sur les joints de rail, puisque 80 % des résultats d’inspection consignés étaient liés à l’état des joints de rail.
Les contraintes de compression élevées peuvent être détectées en surveillant la différence entre la température idéale de pose des rails — la température de pose ciblée, déterminée par la compagnie ferroviaire pour une zone d’exploitation donnée — et la température de contrainte nulle du rail — la température à laquelle le rail est libre de toute contrainte attribuable à la dilatation ou à la compression du rail. Si on constate que la température de contrainte nulle est sensiblement inférieure à la température idéale de pose des rails, le rail concerné doit être réglé. Cependant, il n’existe actuellement aucune méthode simple et directe pour mesurer les contraintes thermiques dans les rails. Lorsqu’une contrainte excessive est constatée, des ajustements doivent être apportés; or ce processus peut prendre beaucoup de temps.
2.3.1 Contrainte thermique et dérive de la température de contrainte nulle du rail
Une contrainte thermique du rail se produit lorsque le rail en acier est soumis à des températures élevées soutenues ou à des variations de température importantes. Sous l’effet de la chaleur, l’acier du rail se dilate et, si cette dilatation ne peut être absorbée, il en découle des forces de compression.
La température ambiante et l’exposition directe à la lumière du soleil sont les principaux facteurs qui contribuent à l’élévation de la température du rail. Lorsque la température des LRS dépasse la température de contrainte nulle, le rail se dilate et génère une force de compression thermique proportionnelle à l’augmentation de température. Les données du BST démontrent que 90 % des déraillements attribuables au flambage de la voie déclarés se produisent de mai à juillet, et que le mois de juillet est celui présentant le plus grand nombre d’événements.
La température maximale diurne dans la région de Bassano est rapidement passée de 14,9 °C le 4 juillet à 31,6 °C le 12 juillet, ce qui constitue une augmentation de 16,7 °C. Au cours de la semaine précédant le déraillement, les températures nocturnes sont descendues jusqu’à 6,9 °C le 12 juillet, tandis que la température diurne maximale restait élevée (de 24,8 °C à 31,6 °C), ce qui a soumis le rail à des cycles de contraintes de compression thermique. La publication Track Evaluation Cars: Guidelines for Defects & Reports (TEC Book) du CP indique que la correction des désalignements par temps chaud peut nécessiter de couper des rails, mais cette ligne directrice est absente de la section sur la prévention du flambage de la voie dans le Livre rouge des exigences relatives à la voie et aux ouvrages (Livre rouge) du CP. Rien n’indique que les employés de la voie reçoivent une formation structurée sur le TEC Book.
Les procédures de pose des LRS visent à garantir que la structure de la voie résistera aux contraintes thermiques dues à la température ambiante dans des conditions normales, y compris à des températures ambiantes élevées et soutenues, ou à des variations importantes des températures ambiantes. Cependant, la vulnérabilité d’une voie aux forces de compression thermique augmente si la température de contrainte nulle a diminué sensiblement par rapport à la température idéale de pose des rails initiale. La température de contrainte nulle change naturellement avec le temps. Au cours de la vie utile d’un rail, les variations de température ambiante, les mouvements des rails induits par la circulation et les activités d’entretien de la voie peuvent entraîner une redistribution des contraintes internes dans le rail, ce qui peut abaisser la température de contrainte nulle.
Étant donné que la voie principale de Bassano avait été en service depuis 2019 sans être soumise à un réglage, que les volumes de circulation avaient augmenté considérablement et que la voie dans la zone du déraillement présentait un certain nombre de facteurs dont on sait qu’ils augmentent les risques de flambage de la voie et la dérive de la température de contrainte nulle, il est probable que sa température de contrainte nulle avait dérivé au fil des années. Dans les semaines qui ont précédé l’événement, il y a eu des signes que la voie était vulnérable à la contrainte thermique. Au point milliaire 97,41, des conditions persistantes de désalignement de la voie qui ne nécessitaient pas une intervention urgente (exceptions prioritaires AL/62), présentes depuis au moins un an, se sont soudainement transformées en défauts nécessitant une intervention urgente. Ce changement a coïncidé avec une augmentation rapide de 11 °C de la température ambiante maximale, qui a atteint 25,8 °C, ce qui est élevé, mais non extrême, pour la région. L’ampleur du changement de température n’aurait pas dû être suffisante pour que le défaut de la voie passe d’une intervention prioritaire à une intervention urgente. Le fait qu’elle l’a été indique que la voie était particulièrement vulnérable à la contrainte thermique et que la température de contrainte nulle avait probablement dérivé bien en-deçà de la température idéale de pose des rails.
Pourtant, lorsque les désalignements nécessitant une intervention urgente ont été réparés le lendemain, la portée des travaux de réparation ne prévoyait pas de mesure de la température de contrainte nulle. Le Livre rouge du CP n’exigeait pas que de telles mesures soient prises pendant les réparations ponctuelles des défauts de la voie. Il n’existe actuellement aucune méthode simple et directe pour mesurer les contraintes thermiques dans les rails. Lorsqu’une contrainte excessive est relevée, des ajustements doivent être apportés; or ce processus peut prendre beaucoup de temps.
Les défauts nécessitant une intervention urgente ont été réparés conformément aux instructions de la compagnie. Néanmoins, quelques jours après l’achèvement des réparations, la voie s’est à nouveau désalignée, provoquant un déraillement attribuable au flambage de la voie.
2.4 Inspections de l’état géométrique de la voie
2.4.1 Analyse des données d’inspection
Les défauts de la voie relevés au cours des inspections sont habituellement corrigés par des réparations ponctuelles. Cependant, le fait de réparer de manière indépendante des défauts individuels peut ne pas résoudre une condition sous-jacente plus systémique. Pour découvrir les problèmes systémiques, il faut analyser les données de manière à dégager les tendances.
- Les inspections effectuées à l’aide d’un système de mesure de l’écartement des voies sous charge ont révélé une prédominance de défauts de surécartement, alors que les inspections effectuées dans la même zone de voie à l’aide d’un wagon couvert équipé d’un ATGMS ont révélé une prédominance de défauts de sous-écartement. Ces différences ont été constatées lors d’inspections effectuées à quelques jours d’intervalle, par exemple l’inspection avec un système de mesure de l’écartement des voies sous charge le 4 juillet 2022 et les inspections à l’aide d’un wagon couvert équipé d’un ATGMS le 7 juillet 2022. Dans au moins 1 cas, les mesures effectuées au même endroit différaient de plus de 1,5 pouce, ce qui indique une stabilité latérale réduite.
- Les inspections effectuées par des wagons couverts équipés d’un ATGMS dans les périodes les plus chaudes de la journée ont révélé beaucoup plus de défauts nécessitant une intervention urgente que ce qu’ont révélé les inspections effectuées pendant les heures plus fraîches. Ces incohérences donnent à penser que le rail était fortement affecté par les variations de la température ambiante, ce qui peut être un symptôme de contraintes thermiques dans le rail, cohérentes avec une température de contrainte nulle incontrôlée.
Ces tendances indiquent que la voie était vulnérable aux forces de compression. Toutefois, rien n’indique que le CP analysait systématiquement les données d’inspection automatisée pour y déceler des signes de contraintes de compression élevées ou de dérive de la température de contrainte nulle.
2.4.2 Modifications des mesures de l’état géométrique de la voie effectuées sous charge
Le CP prenait les mesures de l’état géométrique de la voie conformément aux exigences du Règlement concernant la sécurité de la voie, aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie (RSV). Les mesures étaient prises sous charge par une combinaison d’inspections par des voitures d’évaluation de la voie occupées et par des wagons couverts équipés d’un ATGMS.
L’état géométrique de la voie peut également être inspecté à l’aide de voitures légères de contrôle de l’état géométrique, habituellement des véhicules rail-route. Cependant, le RSV exige que les mesures de la voie sans charge obtenues par des voitures légères de contrôle de l’état géométrique ou prises manuellement par un agent d’entretien de la voie soient ajustées pour tenir compte des conditions de charge dynamique; l’ampleur du mouvement du rail qui se produirait lorsque la voie est sous charge doit être ajoutée aux mesures de la voie sans charge.
Le Livre rouge ne mentionne pas cette exigence du RSV, et rien n’indique que les agents d’entretien de la voie dans la subdivision de Brooks tenaient compte de cette exigence. Cependant, le document TEC Book du CP (dont la dernière mise à jour remonte à 2014) fait remarquer que les mesures prises sur des voies sans charge peuvent différer des valeurs obtenues sur des voies sous charge. Il présente un tableau permettant de corriger les valeurs sur voie sans charge en valeurs sur voie sous charge et indique que, par temps chaud, les réparations des désalignements peuvent nécessiter le découpage des rails.
Les données de contrôle de l’état géométrique de la voie du CP pour la subdivision de Brooks indiquent que les rapports d’inspection par des wagons couverts équipés d’un ATGMS ont été modifiés. Dans de nombreux cas, les rapports modifiés comprenaient des notes sur l’écartement vérifié de la voie. L’enquête a permis de déterminer que les mesures urgentes signalées par l’ATGMS faisaient l’objet d’un contrôle manuel. Lorsque les résultats du contrôle manuel étaient différents des mesures de l’ATGMS, celles-ci étaient modifiées sans correction pour tenir compte des conditions de charge. Cette pratique a pour effet d’accorder plus de poids aux résultats obtenus lorsque la voie n’est pas sous charge. Par conséquent, les défauts nécessitant une intervention urgente ont parfois été rétrogradés à un niveau de priorité inférieur plutôt que d’être réparés.
2.5 Dynamique voie-train
Les déraillements attribuables au flambage de la voie en territoire de LRS découlent d’une combinaison de voie dégradée, de forces de compression élevées et de forces dynamiques voie-train. Ces forces découlent de l’interaction entre la voie et un train en mouvement en raison de la taille du train (longueur et poids), de la composition du train (comme la répartition du poids), de la vitesse du train, la conduite du train (comme l’accélération et la décélération), des caractéristiques des wagons, de l’alignement de la voie (les pentes et les courbes), de la rigidité de la voie, de l’état de la voie (comme l’usure ondulatoire et les variations de la géométrie) et des conditions climatiques dominantes.
- La partie avant du train (25 % de la longueur du train) descendait une pente moyenne de 0,4 %, tandis que le reste du train montait une pente moyenne de 0,34 %. Par conséquent, le jeu des attelages était minime, voire nulle.
- Le train était contrôlé par le système Optimiseur de parcours; le manipulateur avait été déplacé progressivement jusqu’au cran 8 environ 3,5 minutes avant le freinage d’urgence provenant de la conduite générale.
- Les forces liées à l’effort de traction étaient réparties entre les 3 groupes de traction, à la tête, au milieu et à l’arrière du train.
Un examen de la vidéo de la caméra orientée vers l’avant de la locomotive de tête n’a permis de relever aucun signe d’un défaut de la voie lorsque la locomotive est passée au point milliaire 97,4. Toutefois, on pouvait voir dans la vidéo enregistrée une oscillation latérale perceptible au moment où les locomotives en milieu de train passaient au même endroit, indiquant qu’un désalignement était apparu progressivement sous le train. Le désalignement a continué à croître au passage de chaque wagon supplémentaire, jusqu’à ce qu’il soit trop important pour que le 116e wagon puisse le négocier. Ce flambage progressif est cohérent avec une charge cyclique et une forte charge par essieu, un phénomène de dynamique voie-train qui crée un soulèvement dynamique entre les bogies des wagons et contribue ainsi à une perte momentanée de la retenue latérale. Ces effets sont particulièrement prononcés pendant le passage de trains-blocs.
Le train à l’étude était un train-bloc transportant 203 wagons-trémies à grande capacité, le premier train de cette conception à circuler à Bassano depuis la réparation, quelques jours plus tôt, des désalignements nécessitant une intervention urgente. Son effet de charge global sur la structure de la voie dépassait sans doute celui des trains précédents qui avaient récemment traversé la zone. De plus, le train à l’étude traversait la zone à un moment où la température diurne, et donc la contrainte de compression thermique due à la température ambiante, était à son maximum. Les forces de compression thermique — combinées à la résistance latérale réduite due à l’effet de soulèvement dynamique sous le train en mouvement et au déchargement de la structure des traverses et du ballast entre les bogies des wagons — ont créé un état qui a rendu la voie vulnérable au flambage.
2.6 Formation sur l’entretien de la voie
En ce qui concerne le contenu de la formation sur les LRS, le matériel didactique ne mentionne pas les désalignements nécessitant une intervention urgente ni la nécessité d’évaluer et de gérer la température de contrainte nulle au moment de les réparer. Les procédures d’intervention en cas de flambage de la voie sont décrites, mais le matériel n’aborde pas leur prévention par le réglage, sauf dans le contexte de la réparation des rails froids. L’alinéa 7.7.3(a)(v) du Livre rouge inclut le réglage parmi les options de réparation permanente, mais la formation sur les LRS n’en fait pas mention. Ni la formation sur le Livre rouge ni celle sur les LRS n’aborde en profondeur la différence entre les mesures de l’état géométrique sur une voie sous charge et sur une voie sans charge, bien que le document TEC Book traite de cette question.
L’inspection et la réparation des voies, telles qu’elles étaient pratiquées dans la subdivision de Brooks, démontrent que la compagnie ne détectait, ne surveillait et ne gérait pas de manière fiable les forces de compression, ce qui comprend la surveillance de la température de contrainte nulle et le réglage. De plus, puisque les employés n’étaient pas soumis à des vérifications de rendement régulières portant sur les normes en vigueur, les lacunes dans les connaissances n’étaient pas décelées, évaluées ou corrigées.
2.7 Augmentation de la taille et fréquence des trains-blocs dans la subdivision
Dans son Rapport d’enquête sur des problèmes de sécurité (SII) R05-01, le BST a étudié une série d’événements et a constaté un déséquilibre entre l’entretien de l’infrastructure et l’augmentation du trafic de trains-blocs sur les voies principales de deuxième catégorie. Le SII a relevé que, même si les compagnies ferroviaires savaient que la voie se dégrade plus rapidement lorsque le trafic de trains-blocs augmente, elles n’ont pas toujours maintenu un équilibre approprié entre la dégradation accélérée de la voie et l’entretien ou le renouvellement de l’infrastructure. Les évaluations des corridors doivent prendre en compte la solidité de l’infrastructure et les contraintes provoquées par le passage des trains. L’enquête a souligné que le respect du RSV, qui établit les exigences minimales, ne suffit pas en soi à assurer la sécurité, et on a mis l’accent sur la nécessité de mettre en œuvre des processus proactifs du système de gestion de la sécurité (SGS) pour anticiper des changements et conditions opérationnelles pouvant réduire les marges de sécurité.
Depuis la publication du SII R05-01 en 2006, la longueur et le poids moyens des trains-blocs, un type de train dont on sait qu’il accélère la dégradation des voies, ont considérablement augmenté. Les trains-blocs céréaliers à haute efficacité, mis en service dans les opérations ferroviaires normales en 2018, ont en moyenne un poids de plus de 25 000 tonnes et une longueur de plus de 8500 pieds. La mise en service de trains plus lourds et plus longs réduit le nombre de mouvements de trains nécessaires pour transporter des volumes croissants de trafic de vrac.
Dans la subdivision de Brooks, la circulation vers l’ouest d’autres trains-blocs a considérablement augmenté en 2018 et est restée élevée par la suite. Le tonnage brut annuel a bondi d’environ 24 % (13,0 millions de tonnes-milles brutes par mille), et les volumes annuels de 2018 à 2022 étaient en moyenne de 69,4 millions de tonnes-milles brutes par mille. Même si le nombre absolu de trains a culminé en 2020, le tonnage par train a continué d’augmenter; entre 2018 et 2022, plus de tonnage a été transporté, même si le nombre de trains en 2022 était de près de 40 % inférieur à celui de 2020. Le train à l’étude tirait 203 wagons chargés, pesait 27 962 tonnes et avait une longueur de 11 758 pieds.
Même si la fréquence d’inspection de la voie fixée par le CP dépasse les exigences minimales du RSV, la voie aux environs du lieu du déraillement était dans un état dégradé et présentait des facteurs de risque associés à des contraintes de compression susceptibles d’entraîner un déraillement attribuable au flambage de la voie. Le CP n’a pas évalué les risques liés à l’augmentation de la circulation ferroviaire et de la taille des trains-blocs. Par conséquent, le chemin de fer n’a pas anticipé la nécessité d’un entretien accru des voies; les pratiques d’entretien étaient réactives et s’appuyaient sur des indicateurs tardifs, tels que les rapports sur les défauts des voies.
2.8 Systèmes de gestion de la sécurité
Une gestion efficace des risques n’élimine pas complètement les risques. Elle permet plutôt de gérer les risques au niveau le plus bas qu’il soit raisonnablement possible d’atteindre. Par conséquent, lorsque le BST cerne un danger qui a probablement contribué à un événement ou à un risque d’événement, il doit se demander si le SGS de la compagnie a été appliqué, et, dans l’affirmative, s’il a été appliqué efficacement.
Dans l’événement à l’étude, il y a eu des possibilités de cerner les dangers et les préoccupations liées à la sécurité découlant de la mise en service de trains-blocs longs et lourds dans la subdivision de Brooks. Ces trains avaient déjà été associés à une détérioration rapide de la structure de la voie et avaient été considérés dans d’autres rapports d’enquête du BST comme un facteur contribuant aux déraillements. Les rapports d’inspection de l’état géométrique de la voie donnaient des indications claires que la voie était vulnérable aux forces de compression, mais ces rapports n’ont pas fait l’objet d’analyses pour y déceler des tendances ou des préoccupations liées à la sécurité. Il n’existe aucun document prouvant que le processus du CP en matière de SGS a été appliqué.
3.0 Faits établis
3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.
- La voie a flambé au passage du train 301-222 de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, entraînant le déraillement de 41 wagons au point milliaire 97,4 de la subdivision de Brooks, près de Bassano (Alberta).
- La structure de la voie à proximité du déraillement était détériorée, ce qui réduisait la stabilité latérale et rendait la voie plus susceptible de flamber.
- Le lieu du déraillement présentait des facteurs de risque dont on sait qu’ils augmentent la probabilité d’un flambage de la voie, et malgré qu’un réglage périodique avait eu lieu pendant jusqu’à 3 ans avant l’événement, des forces de compression persistantes s’étaient accumulées dans le rail depuis lors.
- Les forces de compression élevées exercées sur les rails d’une voie dégradée, ainsi qu’une dynamique voie-train qui réduisait la résistance latérale de la voie sous le train en mouvement, ont entraîné un désalignement et un flambage de la voie.
3.2 Faits établis quant aux risques
Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.
- Si les pratiques d’entretien des voies de la compagnie n’exigent pas la surveillance et l’ajustement proactif de la température de contrainte nulle aux endroits et aux périodes de l’année où les rails sont particulièrement vulnérables aux forces de compression, il y a un risque que des forces de compression excessives entraînent des déraillements attribuables au flambage de la voie.
- Sans une analyse des tendances des données d’inspection de la voie, il y a un risque qu’un état sous-jacent, comme des contraintes de compression élevées dans les rails, ne soit pas détecté et corrigé de manière proactive, ce qui peut entraîner des défaillances de la voie et des déraillements.
- Lorsque les instructions et les pratiques de la compagnie permettent que les mesures obtenues lorsque la voie n’est pas sous charge supplantent les mesures de l’état géométrique de la voie prises par voiture lourde de contrôle de l’état géométrique de haute précision, il se peut que les défauts de la voie nécessitant une intervention urgente ne soient pas détectés et réparés de manière proactive, ce qui augmente la probabilité de déraillements évitables liés à la voie.
- Sans une gestion adéquate des connaissances des travailleurs de la voie, les lacunes dans la formation des employés et les vérifications du rendement pourraient ne pas être décelées, ce qui accroît le risque que les employés ne possèdent pas les compétences nécessaires pour s’acquitter de leurs tâches d’une manière qui assure la sécurité des opérations ferroviaires.
- Sans une évaluation proactive de l’infrastructure de la voie et des risques liés à l’augmentation du tonnage et à l’exploitation de trains-blocs plus lourds et plus longs, il pourrait être impossible de cerner et de corriger les pratiques inadéquates d’entretien des voies, ce qui augmenterait le risque de défaillance de l’infrastructure des voies.
- Sans une gestion proactive des risques liés aux opérations ferroviaires, y compris des évaluations des risques, les pratiques du système de gestion de la sécurité de la compagnie resteront inefficaces pour réduire le nombre de déraillements de trains en voie principale.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures de sécurité prises
4.1.1 Canadien Pacifique
- Elle a entrepris des travaux dans le cadre d’un programme de renouvellement de la voie, y compris des travaux relatifs aux traverses, aux anticheminants et au ballast d’épaulement, ainsi que des travaux de réglage des soudures et de sous-cavage ponctuel.
- Elle a modifié les responsabilités des directeurs de l’Ingénierie au chapitre de la sécurité afin d’y inclure un trajet en train (à bord d’une voiture d’évaluation de la voie, d’un train de travaux ou d’un train commercial) une fois par mois, à partir du 10 août 2022 et pour le reste de l’année, en guise de moyen supplémentaire d’évaluer l’état de la voie.
- Elle a mis à jour les formulaires d’entretien des longs rails soudés dans son système Digital Track Notebook (DTN) afin de tenir compte des endroits où un réglage est nécessaire en attendant la réparation finale.
- Elle a apporté des modifications à la formation des superviseurs de l’inspection de la voie. Ces changements comprennent une formation supplémentaire sur les défauts de l’état géométrique et sur l’importance des mesures effectuées lorsque la voie est sous charge ou lorsqu’elle ne l’est pas (et comment ajuster les mesures prises lorsque la voie n’est pas sous charge). Des scénarios ont été ajoutés concernant les rails rompus, les repères et le réglage des LRS. Ces scénarios enseignent, entre autres, l’importance d’entretenir correctement les LRS, ainsi que la manière de s’assurer que les rails sont correctement réglés à la température idéale de pose des rails, de valider les repères et de consigner les renseignements dans le DTN.
- Le 24 mars 2023, elle a publié le bulletin de sécurité technique ESBT061, CWR Maintenance Records Expectations, accompagné d’une fiche d’instruction technique, DTN Job Aid for CWR Maintenance Task, afin de renforcer et de clarifier les exigences de consignation des activités d’entretien des LRS.
- Le12 juillet 2023, elle a publié le bulletin de sécurité technique ESBT140, Red Book Change: Section 8.7.5 Speed Restriction Requirements, qui fournit des instructions plus claires à suivre lorsqu’on prévoit que la température maximale du rail sera supérieure à la température idéale de pose des rails, moins 15 °F, au cours des 24 prochaines heures.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 14 novembre 2024. Le rapport a été officiellement publié le 22 janvier 2025.
Annexes
Annexe A – Enquêtes du BST sur des déraillements liés au flambage des voies
R21M0027
Le 21 août 2021, le train B73041-15 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) circulait vers l’est à 39 mi/h dans la subdivision de Napadogan lorsque 30 de ses wagons-trémies chargés de potasse ont déraillé aux environs du point milliaire 18,9, près de la gare de Pangburn (Nouveau-Brunswick). Aucune marchandise dangereuse ne s’est échappée et il n’y a eu aucun incendie. Personne n’a été blesséRapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R21M0027 du BST..
Il s’agissait d’un train-bloc de potasse à traction répartie, composé de 133 wagons pesant près de 20 000 tonnes. Le jour de l’événement, les températures maximales ambiantes de jour se situaient entre 25 °C et 31 °C. Au point du déraillement, il y avait des signes de déplacement du rail sur les anticheminants et les traverses. Des travaux de voie avaient été effectués au point de déraillement 2 jours plus tôt.
Le rapport d’enquête présentait entre autres les faits établis suivants :
- Le déraillement s’est produit lorsqu’il y a eu flambage de la voie sous le train alors que celui-ci décélérait dans une pente descendante près de la gare de Pangburn.
- Les températures ambiantes élevées et l’exposition à la lumière directe du soleil le jour de l’événement ont contribué à l’accumulation de contraintes thermiques de compression dans le rail.
- La température de contrainte nulle du rail avait diminué au cours de sa vie utile, créant une instabilité à des températures ambiantes plus basses et réduisant la capacité du rail à résister au flambage lorsqu’il était soumis à des contraintes de compression.
- L’état dégradé de l’ancrage des tronçons de voie non libérés a fait en sorte de réduire la rigidité de la voie et sa résistance aux mouvements.
R14W0137
Le 23 mai 2014, le train de marchandises M34641-23 du CN circulait vers l’est dans la subdivision de Fort Frances quand 35 wagons ont déraillé au point milliaire 93,38, près de Fort Frances (Ontario). Parmi les wagons qui ont déraillé, 2 étaient chargés de soufre fondu (UN2448), et l’un d’eux a été perforé et a déversé du produit. Le produit a allumé un petit feu de broussaille qui s’est éteint de lui-même. Il n’y a pas eu de blessésRapport d’enquête ferroviaire R14W0137 du BST..
Le rapport d’enquête présentait entre autres les faits établis suivants :
- L’accident s’est produit lorsqu’un désalignement de la voie au point milliaire 93,38 a fortement flambé sous le train, ce qui a causé le déraillement des wagons 31 à 65.
- Dans les environs du lieu du déraillement, la structure de la voie était en mauvais état et comportait des traverses endommagées, du ballast pollué et des anticheminants inadéquats.
- La température ambiante la plus élevée depuis le début de l’année a été enregistrée le jour de l’accident, avec un changement de température important qui a fait en sorte d’augmenter encore plus les contraintes de compression dans le rail.
- En dépit d’une augmentation du trafic ferroviaire et du tonnage, on avait retardé les programmes d’entretien de la voie, et ce, même si la voie montrait déjà des signes de détérioration, et on n’avait pas mis en œuvre de stratégie d’atténuation des risques, comme une réduction de vitesse.
- En dépit de l’entretien effectué par le CN et des inspections réglementaires effectuées par Transports Canada (TC) avant l’événement à l’étude, la structure affaiblie de la voie n’était ni convenablement réparée, ni protégée par des limitations de vitesse.
Après le déraillement, TC a émis un avis assorti d’un ordre restreignant l’exploitation des trains du CN. L’avis et l’ordre comportaient la réduction de la vitesse des trains au maximum admissible pour une voie de catégorie 2 (20 mi/h pour les trains de marchandises) entre les points milliaires 90,1 et 142,8.
Le CN a effectué une inspection à pied avec 8 ingénieurs professionnels et a mobilisé 2 équipes de remplacement de traverses pour remplacer les traverses entre les points milliaires 87,0 et 143,6 de la subdivision de Fort Frances. TC a examiné les mesures de sécurité prises et les a jugées satisfaisantes pour remédier aux conditions dangereuses.
R14E0081
Le 11 juin 2014, les 20 derniers wagons du train de marchandises A41851-11 du CN circulant vers l’est ont déraillé au point milliaire 202,3 de la subdivision de Slave Lake à Faust (Alberta). Les 17 derniers wagons du train étaient des wagons-citernes contenant des résidus de carburant diésel (UN1202). Il n’y a eu aucun déversement de produits ni aucune blessure. Un tronçon d’environ 1200 pieds de voie a été endommagé.
- Le déraillement s’est produit lorsque la voie s’est déplacée latéralement au passage du train.
- La voie a flambé en raison de l’installation irrégulière des anticheminants, de l’accumulation des contraintes de compression dans les rails et de la plateforme en tourbière relativement instable, qui n’a pas résisté aux forces longitudinales produites par le train descendant la pente.
- Au lieu du déraillement, des contraintes élevées de compression s’étaient probablement accumulées dans la structure de la voie en raison de l’exposition répétée aux forces longitudinales causées par l’utilisation du frein rhéostatique par les trains précédents.
- En raison de son état, la voie ne pouvait pas soutenir le trafic en forte hausse sur ce tronçon depuis 2013, avant même que les améliorations recommandées n’aient été apportées à l’infrastructure.
On y trouvait aussi le fait établi suivant quant aux risques :
Annexe B – Enquêtes du BST où la charge cyclique ou la taille et la fréquence accrues des trains ont été considérées comme une cause ou un facteur contributif
R20W0102 : Le 25 mai 2020, 53 wagons du train-bloc 320-227 de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) ont déraillé près d’Ignace (Ontario). Le train tirait 222 wagons-trémies chargés de céréales. Il mesurait 12 896 pieds de longueur et pesait 30 307 tonnes. L’enquête du BST sur cet événement a permis d’établir que la capacité portante de la plateforme en tourbe molle et saturée a probablement été dépassée, entraînant un affaissement soudain de la plateforme qui a provoqué le déraillement. Le rapport d’enquête indique que « [l]’exploitation de trains-blocs constitués de wagons à grande capacité chargés a créé des périodes de charge cyclique plus longues, laissant peu de possibilités de reprise élastique de cette voie présentant des anomalies de géométrie, ce qui a accéléré la détérioration de la plateforme de la voie qui était intrinsèquement instable ».
R20V0005 : Le 7 janvier 2020, 34 wagons du train U79351-06 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), qui étaient chargés de granules de bois, ont déraillé près de Kitwanga (Colombie-Britannique). Le rapport d’enquête du BST sur cet événement a conclu que, compte tenu du tonnage annuel de la subdivision de Bulkley et de la fréquence des passages de trains-blocs chargés, il est probable que la circulation des trains-blocs a accéléré le développement et la détérioration des conditions de surécartement prioritaire dans la courbe vers la gauche de 6° où le déraillement s’est produit.
R19W0320 : Le 9 décembre 2019, 34 wagons du train 516-398 du CP, un train-bloc transportant du pétrole brut, ont déraillé près de Guernsey (Saskatchewan). L’enquête du BST sur cet événement a permis d’établir que le déraillement s’est produit au moment où le train traversait une brèche dans le rail sud; l’enquête a également permis d’établir que, malgré les inspections visuelles régulières de la voie et les contrôles de détection des défauts de rail, qui dépassaient les exigences réglementaires, la rupture du rail sud en territoire régi par la régulation de l’occupation de la voie n’a pas été détectée avant l’arrivée du train. Le rapport d’enquête a indiqué qu’entre 2015 et 2019, le tonnage de la circulation ferroviaire dans la subdivision de Sutherland a augmenté de 60 %, et le transport de pétrole brut a augmenté de plus de 66 000 chargements. Dans les faits établis quant aux risques, le rapport souligne le besoin pour des évaluations des risques des compagnies qui tiennent suffisamment compte de l’augmentation du tonnage de la circulation, de l’utilisation de wagons plus lourds et de la possibilité d’une dégradation plus rapide de la structure de la voie.
R14W0137 : Le 23 mai 2014, 35 wagons du train de marchandises M34641-23 du CN ont déraillé à Fort Frances (Ontario). L’enquête du BST sur cet événement a permis d’établir que le déraillement s’est produit lorsqu’un désalignement de la voie au point milliaire 93,38 a fortement flambé sous le train. Le rapport d’enquête a indiqué qu’« [e]n dépit d’une augmentation du trafic ferroviaire et du tonnage, on a retardé les programmes d’entretien de la voie, et ce, même si la voie montrait déjà des signes de détérioration, et l’on n’a pas mis en œuvre de stratégie d’atténuation des risques, comme une limitation de vitesse. »
R14E0081 : Le 11 juin 2014, les 20 derniers wagons du train de marchandises mixtes A41851-11 du CN ont déraillé à Faust (Alberta). L’enquête du BST sur cet événement a permis d’établir que le déraillement s’est produit lorsque la voie s’est déplacée latéralement au passage du train. Le rapport d’enquête indique qu’ « [e]n raison de son état, la voie ne pouvait pas soutenir le trafic en forte hausse sur ce tronçon depuis 2013, avant même que les améliorations recommandées n’aient été apportées à l’infrastructure ».
R04Q0040 : Le 17 août 2004, 18 wagons-citernes du train U-781-21-17, un train-bloc de produits pétroliers de CN, ont déraillé dans la zone marécageuse de la Grande Plée Bleue, près de Saint-Henri-de-Lévis (Québec). Le rapport d’enquête du BST sur cet événement indique que « [l]es tassements de la plateforme de la voie se sont accumulés sous l’effet des chargements répétitifs et ont créé progressivement une distorsion et un réalignement des fibres de la tourbe, ce qui a vraisemblablement engendré une rupture soudaine par poinçonnement. »