Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M19C0387

Contact avec le fond
Vraquier Kaministiqua
Kahnawake (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Description des navires

    Le Kaministiqua (no 8119285 de l’Organisation maritime internationale, figure 1) est un vraquier d’une longueur de 222,54 m et d’une largeur de 23,17 m, immatriculé au Canada et appartenant à Lower Lakes Towing Ltd. Il a été construit en 1983 et il est muni d’une hélice simple à pas variable installée dans une tuyère Kort orientable et d’un propulseur d’étrave.

    Figure 1. Le vraquier Kaministiqua le jour de l’événement, amarré en bordure de la paroi nord de l’écluse no 4 à Beauharnois, au Québec (Source : BST)
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    Le vraquier Kaministiqua le jour de l’événement, amarré en bordure de la paroi nord de l’écluse no 4 à Beauharnois, au Québec (Source : BST)

    L’Algoma Discovery (no 8505848 de l’Organisation maritime internationale, figure 2) est un vraquier d’une longueur de 222,4 m et d’une largeur de 23,14 m, immatriculé au Canada et appartenant à l’Algoma Central Corporation. Le navire a été construit en 1987 et il est muni d’une hélice à pas variable et d’un propulseur d’étrave.

    Figure 2. Le vraquier Algoma Discovery, amarré en bordure du terminal céréalier Cargill à Baie-Comeau, au Québec (Source : BST)
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    Le vraquier Algoma Discovery, amarré en bordure du terminal céréalier Cargill à Baie-Comeau, au Québec (Source : BST)

    Déroulement du voyage

    Kaministiqua

    Le 26 novembre 2019, à 22 h 05Note de bas de page 1, le Kaministiqua a quitté Sorel (Québec) sur lest en direction de Thunder Bay (Ontario), sous la conduite d’un pilote. Le tirant d’eau était de 5,18 m à l’avant du navire et de 7,01 m à l’arrière.

    Le 27 novembre 2019, à 3 h 19, le Kaministiqua est arrivé à l’écluse de Saint-Lambert, soit la première écluse située à l’entrée du canal de la Rive Sud de la Voie maritime du Saint-Laurent. Le pilote de l’Administration de pilotage des Laurentides a remis la conduite du navire au capitaine, puis il est descendu du navire. À 3 h 39, le navire a quitté l’écluse.

    Algoma Discovery

    Le 26 novembre 2019, à 1 h 44, l’Algoma Discovery, chargé de 25 200 tonnes de fèves de soya en vrac, a quitté Johnstown (Ontario) en direction de Baie-Comeau (Québec). Le tirant d’eau était de 8,1 m à l’avant du navire et de 8,14 m à l’arrière.

    Le 27 novembre 2019, le navire se dirigeait en aval sur la Voie maritime du Saint-Laurent sous la conduite du capitaine. À 5 h 14, le navire a quitté l’écluse inférieure de Beauharnois (Québec). L’équipe à la passerelle était composée du capitaine, d’un timonier et du troisième officier agissant à titre d’officier de quart (OQ).

    Déroulement de la rencontre et contact avec   le fond

    À 5 h 40, le Kaministiqua a quitté l’écluse Côte-Sainte-Catherine. L’équipe à la passerelle était composée du capitaine, d’un timonier et du premier officier de pont agissant à titre d’OQ. À la sortie de l’écluse, le capitaine du Kaministiqua a communiqué avec le capitaine de l’Algoma Discovery, qui a proposé que les navires se rencontrent et se croisent quelque part dans la section droite du canal de la Rive Sud, en amont des ponts 7A et 7B de la Voie maritime, soit le pont du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) à Kahnawake (Québec) (figure 3). Le capitaine du Kaministiqua a accepté la proposition. Peu de temps après, le capitaine du Kaministiqua a appelé le contrôleur de la circulation de la Voie maritime sur radiotéléphone VHF et a pris les disposition nécessaires pour passer sous les ponts 7A et 7B de la Voie maritime, entre 6 h 11 et 6 h 54Note de bas de page 2.

    Figure 3. Image représentant le lieu de l’événement. (Source : Service hydrographique du Canada, carte no 1409, avec annotations du BST)
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    Image représentant le lieu de l’événement. (Source : Service hydrographique du Canada, carte no 1409, avec annotations du BST)

    Vers 6 h 06, le Kaministiqua a franchi le quai Côte-Sainte-Catherine à une vitesse réduite de 3,5 nœuds. Le contrôleur de la circulation de la Voie maritime avait demandé de réduire la vitesse pour respecter 3 navires amarrés au quai.

    À 6 h 10, le capitaine de l’Algoma Discovery a appelé le capitaine du Kaministiqua par radiotéléphone VHF pour confirmer que la rencontre aurait lieu en amont des ponts 7A et 7B dans la section droite à l’ouest de la courbeNote de bas de page 3.

    Vers 6 h 14, le capitaine de l’Algoma Discovery a lancé un autre appel VHF au capitaine du Kaministiqua, et il a suggéré que le Kaministiqua augmente sa vitesse. La vitesse de l’Algoma Discovery au moment de l’appel était de 6,9 nœuds. Cependant, le Kaministiqua a maintenu sa vitesse à 5,9 nœuds.

    Vers 6 h 17, l’Algoma Discovery a lancé un appel VHF au contrôleur de la circulation de la Voie maritime pour lui signaler qu’il venait de franchir son point d’appel près de l’île Saint-Nicolas. Le capitaine a alors pris des dispositions avec le contrôleur de la circulation de la Voie maritime pour que le navire passe sous les ponts 7A et 7B entre 6 h 54 et 7 h.

    À 6 h 29, l’Algoma Discovery est entré dans le canal de la Rive Sud et a diffusé un appel de sécurité aux navires à proximité sur les ondes VHF, annonçant que l’Algoma Discovery entrait dans le canal de la Rive Sud, en direction est. La vitesse du navire était de 4,9 nœuds.

    Pendant ce temps, le Kaministiqua s’approchait des ponts 7A et 7B de la Voie maritime à une vitesse de 5,9 nœuds, puis il est passé sous les ponts à 6 h 34. Peu avant 6 h 44, alors qu’il sortait de la courbe, le navire s’est approché de la rive nord et a ensuite dévié vers le centre du canal. Pour corriger l’écart, le Kaministiqua a modifié sa trajectoire à tribord à 6 h 46 min 18 s.

    À 6 h 46 m 23 s, alors que le Kaministiqua modifiait sa trajectoire pour s’éloigner du centre du canal, l’Algoma Discovery approchait de la courbe à une vitesse de 4,9 nœuds. L’Algoma Discovery se trouvait près de l’axe longitudinal du canal et les navires se trouvaient à environ 0,4 NM l’un de l’autre (figure 4). Le capitaine de l’Algoma Discovery a lancé un appel VHF au Kaministiqua, lui demandant de laisser plus d’espace à l’Algoma Discovery. Le Kaministiqua n’a pas accusé réception de l’appel de l’Algoma Discovery.

    Figure 4. Image de la carte électronique montrant la position des navires avant leur rencontre. Les navires ne sont pas à l’échelle. (Source : Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, avec annotations du BST)
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    Image de la carte électronique montrant la position des navires avant leur rencontre. Les navires ne sont pas à l’échelle. (Source : Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, avec annotations du BST)

    À 6 h 47 min 45 s, le Kaministiqua a modifié sa trajectoire à bâbord afin d’entrer dans la section droite du canal. Peu de temps après, le capitaine a ordonné au premier officier de pont de surveiller la distance entre le navire et la rive nord du canal.

    À 6 h 48 min 50 s, les deux navires étaient par le travers l’un de l’autre (figure 5). Le Kaministiqua changeait lentement de cap à bâbord, vers le centre du canal. L’Algoma Discovery se trouvait toujours près de l’axe longitudinal du canal, juste avant la courbe, et maintenait son cap. Pendant les manœuvres, la hanche tribord du Kaministiqua s’est trouvée à environ 7 m de la rive nord du canalNote de bas de page 4 et le bateau est entré en contact avec le fond. Quelques secondes plus tard, les navires se sont croisés et ont poursuivi leur trajectoire prévue respective.

    Figure 5. Image de la carte électronique montrant la position des navires pendant leur rencontre. Les navires ne sont pas à l’échelle. (Source : Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, avec annotations du BST)
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    Image de la carte électronique montrant la position des navires pendant leur rencontre. Les navires ne sont pas à l’échelle. (Source : Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, avec annotations du BST)

    Événements après l’incident et dommages causés au <em>Kaministiqua</em>

    L’équipe à la passerelle du Kaministiqua n’a pas eu d’indication immédiate que le navire avait touché le fond. Vers 7 h, le Kaministiqua a pris de la gîte à bâbord en raison de la perte d’eau du ballast tribord; on soupçonnait des dommages à la citerne de ballast tribord no 6.

    Vers 7 h 10, le capitaine du Kaministiqua a communiqué avec le centre de contrôle de la circulation de la Voie maritime par téléphone cellulaire pour signaler l’incident. Le capitaine a indiqué que son navire avait manqué d’espace pour rencontrer puis croiser l’Algoma Discovery, et que l’effet de succion de la berge avait contribué au contact avec le fond et aux dommages soupçonnés. Le contrôleur de la circulation de la Voie maritime a autorisé le Kaministiqua à se rendre aux écluses de Beauharnois (Québec) pour être examiné.

    À 10 h, le Kaministiqua a été amarré à la paroi nord de l’écluse no 4 à Beauharnois (Québec). Les autorités ont inspecté le navire plus tard ce jour-là.

    Le lendemain, soit le 28 novembre 2019, la société de classification du navire a signalé que le Kaministiqua avait subi des dommages à sa citerne de lest latérale inférieure et de double fond tribord no 6. Des réparations temporaires ont été effectuées avant que le navire ne reprenne ses activités normales.

    Conditions environnementales

    Le 27 novembre, au moment de l’événement, le ciel était couvert et la visibilité était d’environ 10 NM. Le vent venait du nord-est à une vitesse de 5 à 10 nœuds et le courant portait en direction est à une vitesse de 1 à 1,5 nœudNote de bas de page 5. La température de l’air était d’environ 1 °C.

    Certification et expérience du personnel

    Le capitaine du Kaministiqua s’était joint à Lower Lakes Towing Ltd. en 2007. Il détenait un certificat de compétence de capitaine à proximité du littoral et était capitaine du Kaministiqua depuis 2016. Il possédait également un certificat restreint d’opérateur radio – commercial maritime (CRO-CM) et un certificat de pilotage en règleNote de bas de page 6, et possédait 10 ans d’expérience dans le pilotage à titre de premier officier de pont, puis de capitaine dans la Voie maritime du Saint-Laurent.

    Le capitaine de l’Algoma Discovery détenait un brevet de capitaine au long cours. Il a commencé à naviguer pour l’Algoma Central Corporation en 1989 et est devenu capitaine en 2003. Il possédait un RTR – certificat restreint de radiotéléphoniste (ancien) de même qu'un certificat de pilotage en règle et exerçait le pilotage à titre de capitaine dans la Voie maritime du Saint-Laurent depuis 2003.

    Règlements applicables aux navires qui transitent par la Voie maritime du Saint-Laurent

    Règlement international pour prévenir les abordages en mer, modifications canadiennes

    Le Règlement international pour prévenir les abordages en mer (COLREG) est une convention internationale qui établit, notamment, les règles que les navires doivent suivre en mer dans les situations qui présentent un risque d’abordage. La règle 9a) du COLREG stipule que le navire qui emprunte un chenal étroit doit se tenir près de la limite extérieure du chenal du côté tribordNote de bas de page 7. Cela signifie que les navires se croisent par bâbord.

    Les modifications canadiennes au COLREG exigent que, dans un chenal étroit où il y a un courant et où 2 navires se rencontrent en directions opposées, « le navire descendant le courant est le navire privilégié et il doit indiquer le lieu de passage et le côté sur lequel il entend passer […]Note de bas de page 8 ». Les modifications canadiennes précisent en outre qu’un navire peut utiliser un radiotéléphone entre passerelles plutôt que les signaux au sifflet prescrits pour parvenir à un accord au moment d’une rencontreNote de bas de page 9.

    Alors que l’Algoma Discovery se dirigeait en aval en tant que navire privilégié (c’est-à-dire qui suit le courant) le long du canal de la Rive Sud, il était tenu de proposer au Kaministiqua des dispositions de rencontre et de croisement. Même si les capitaines des deux navires avaient convenu d’un lieu de passage, ils n’ont pas révisé ou mis à jour le plan quand il est devenu évident qu’ils n’allaient pas se rencontrer à l’endroit convenu.

    Exigences de la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent

    Le Manuel de la voie maritime de la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent prescrit les vitesses maximales autorisées dans les différentes sections de la Voie maritime. D’après le manuel, la vitesse maximale dans tous les canaux, y compris le canal de la Rive Sud, est de 6 nœudsNote de bas de page 10. Les navires peuvent se déplacer à une vitesse plus élevée, selon leurs caractéristiques et les conditions météorologiques, pendant de courtes périodes afin d’assurer la sécurité de la navigation.

    Dans l’événement à l’étude, tant le Kaministiqua que l’Algoma Discovery ont maintenu des vitesses de moins de 6 nœuds lorsqu’ils traversaient le canal de la Rive Sud. Même si l’Algoma Discovery avait demandé au Kaministiqua d’augmenter sa vitesse, le Kaministiqua a maintenu sa vitesse dans les limites acceptables.

    Les navires peuvent également se croiser dans la Voie maritime, sauf dans les endroits désignés comme zones de rencontre interdite, ou sur instruction contraire du contrôleur de la circulation de la Voie maritimeNote de bas de page 11. Les capitaines et les pilotes peuvent organiser des rencontres de navires, et le contrôleur de la circulation de la Voie maritime peut les aider sur demande. Deux navires peuvent se rencontrer dans la courbe du canal de la Rive Sud, comme l’ont fait le Kaministiqua et l’Algoma Discovery lors de l’événement à l’étude. Cependant, il est courant que les capitaines et les pilotes se rencontrent dans les 2 sections droites du canal, soit en amont ou en aval des ponts 7A et 7B de la Voie maritime.

    Navigation en chenaux étroits

    Lorsqu’un navire navigue en eaux restreintes, il est soumis aux effets suivants :

    • Dans les chenaux étroits, un navire tend à regagner le centre du chenal. Un navire qui s’approche d’une berge du chenal tend à être repoussé par l’accumulation d’eau de ce côté, un effet couramment appelé « coussin de berge ».
    • Un autre effet est la succion de la berge. Elle est due au débit asymétrique d’eau autour d’un navire naviguant à proximité de l’une des berges, qui peut l’attirer vers la berge.
    • Les navires subissent une interaction hydrodynamique lorsqu’ils se croisent ou se dépassent de près. Les forces d’interaction peuvent causer un brusque changement de directionNote de bas de page 12,Note de bas de page 13.

    Ces effets hydrodynamiques peuvent causer des problèmes de manœuvre, qui à leur tour peuvent entraîner une collision ou faire échouer un navire. Le Kaministiqua et l’Algoma Discovery ont subi ces effets lors du passage dans la Voie maritime, et les effets ont possiblement été amplifiés lorsque les 2 navires ont manœuvré pour se rencontrer et se croiser dans le canal de la Rive Sud.

    Communications radiotéléphoniques VHF entre les navires

    Quelques brefs échanges par radiotéléphone VHF ont eu lieu entre le capitaine du Kaministiqua et l’Algoma Discovery alors qu’ils prenaient des dispositions pour se rencontrer et se croiser. Les échanges n’ont pas suivi les procédures normalisées de communication radiotéléphonique VHF entre passerelles ni la phraséologie prescrite par Industrie Canada dans le cadre du Programme menant à l’obtention du certificat restreint d’opérateur radio - commercial maritime (CRO-CM)Note de bas de page 14.

    Dans l’événement à l’étude, il n’y a pas eu de communication entre les capitaines quant à leur capacité de se rencontrer au point de passage prévu, compte tenu de la vitesse et des contraintes opérationnelles respectives des navires. Une fois qu’il est devenu évident qu’ils ne pourraient pas se rencontrer dans la section droite du canal, il n’y a eu aucune communication pour mettre à jour le plan. Le manque de communication et de coordination explicite entre les navires a pu empêcher les capitaines d’avoir une compréhension de la situation.

    Messages de sécurité

    Les équipes à la passerelle doivent conclure et mettre en œuvre des ententes exhaustives de rencontre et de croisement, et communiquer efficacement afin d’assurer une compréhension commune si les circonstances changent.

    De plus, il est important que les équipes à la passerelle tiennent compte des effets hydrodynamiques auxquels leurs navires sont assujettis lorsqu’ils naviguent et manœuvrent dans des eaux resserrées, comme la Voie maritime du Saint-Laurent.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .