Publication du rapport d’enquête M22A0258 - Holiday Island

Yoan Marier, président du BST
Étienne Séguin-Bertrand, enquêteur principal/analyste de la sécurité (Maritime)

Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)
23 juillet 2025

Seul le texte prononcé fait foi.


Yoan Marier – Introduction

Bonjour à tous, et merci de vous joindre à nous.

Nous sommes ici aujourd’hui pour présenter les faits établis de notre enquête sur l’incendie et l’envahissement par les eaux subséquent survenus en 2022 à bord du traversier de passagers et de véhicules Holiday Island, près de Wood Islands, à l’Île-du-Prince-Édouard.

Notre enquête a révélé plusieurs lacunes de sécurité liées aux procédures d’urgence, à la communication et à la surveillance de la sécurité, qui relèvent toutes de la responsabilité du représentant autorisé du navire, en l’occurrence, le ministre des Transports. Par conséquent, le Bureau émet une recommandation.

Il est important de noter que ces problèmes ne sont pas uniques à l’événement à l’étude. Ils nuisent à la sécurité du transport maritime partout au pays. Cet événement est un autre exemple des risques liés aux incendies à bord de navires et des défis liés à une intervention efficace lorsque chaque seconde compte.

Je cède maintenant la parole à Étienne, qui vous relatera la séquence des événements du Holiday Island et expliquera comment les choses se sont déroulées et pourquoi elles se sont déroulées de cette façon.

Étienne Séguin-Bertrand – Faits établis de l’enquête

Le matin du 22 juillet 2022, le traversier Holiday Island a quitté Caribou, en Nouvelle-Écosse, à destination de Wood Islands avec 22 membres d’équipage et 236 passagers à bord.

Alors que le navire approchait de sa destination, un incendie s’est déclaré dans la salle des machines principale. Peu de temps après que l’incendie a été détecté, l’équipage a coupé les moteurs, a tenté de fermer les vannes d’alimentation en carburant et a fait échouer le navire sur un banc de sable à proximité. Il a déployé les deux ancres et a activé le système fixe d’extinction d’incendie au dioxyde de carbone (CO2) pour maîtriser l’incendie.

Tous les membres d’équipage non essentiels et les passagers ont été évacués en toute sécurité, puis on a entrepris une intervention d’urgence à grande échelle à laquelle ont participé plusieurs services d’incendie et d’autres intervenants. Malgré leurs efforts, l’incendie n’a pas pu être éteint et le navire a en fin de compte été abandonné.

Pendant que l’incendie continuait de brûler jusqu’en après-midi le jour suivant, la salle des machines s’est remplie d’eau de mer, ce qui a fait gîter considérablement le navire d’un côté. À son plus haut niveau, l’eau dans la salle des machines a complètement submergé les moteurs, ce qui a probablement joué un rôle clé dans l’extinction des flammes restantes.

Deux jours plus tard, le matin du 24 juillet, le Holiday Island a été remorqué jusqu’au terminal de Wood Islands où il a été déclaré perte réputée totale.

L’enquête a permis de déterminer que sur une période d’un mois, alors que le navire restait en service, une série de réparations temporaires avaient été effectuées sur le système d’injection de carburant du moteur à l’aide de matériaux et de méthodes non standards.

Le jour de l’événement, une réparation temporaire installée la veille a cédé, ce qui a entraîné la pulvérisation de carburant sur les composants chauds du moteur et a déclenché l’incendie.

Dans le processus de lutte contre l’incendie, l’équipe croyait avoir activé le système d’extinction d’incendie au CO2 à partir de la passerelle. Cependant, les instructions n’étaient pas claires, et le système n’a pas vraiment été activé.

Au début, cela est passé inaperçu, ce qui a permis à l’incendie de croître. Ce n’est que 15 minutes plus tard que l’équipage a libéré manuellement le CO2. À ce moment-là, le feu s’était intensifié.

De plus, la salle des machines n’avait pas été entièrement scellée. Par conséquent, lorsque le CO2 a finalement été libéré, il s’est probablement dispersé et a permis à l’oxygène de continuer à pénétrer dans l’espace. L’efficacité du système d’extinction s’en est trouvée réduite, et le feu a continué de brûler. Cependant, les efforts de l’équipage et des premiers intervenants ont empêché l’incendie de se propager à l’extérieur de la salle des machines. 

Il y a près d’un an, à la suite de notre enquête sur un autre événement touchant un traversier à passagers en 2022, le Bureau a émis trois recommandations liées à la formation de l’équipage, aux procédures d’évacuation des passagers et à la nécessité d’un dénombrement exact des passagers.

Bon nombre des mêmes problèmes ont été cernés une fois de plus avec le Holiday Island.

Par exemple, il y a eu des écarts importants dans le nombre de passagers déclarés. Dans l’événement à l’étude, le capitaine a d’abord signalé 182 passagers à bord, mais une fois que tout le monde a été dénombré à terre, le nombre réel était de 236, une différence de 54 personnes.

C’est un exemple, mais le message est clair : les mêmes lacunes de sécurité surviennent encore et encore.

Je vais maintenant rendre la parole à Yoan, qui parlera de la recommandation du Bureau.

Yoan Marier – Recommandation

Il s’agit d’un événement complexe dans lequel plusieurs facteurs ont rendu les choses difficiles : il y a eu à la fois un incendie et un envahissement par les eaux dans la salle des machines, et un grand nombre de premiers intervenants ont participé à l’intervention. De plus, l’équipage avait différents niveaux de formation et de familiarité avec l’équipement de sauvetage nécessaire à l’évacuation des passagers.

L’événement met en évidence deux défis importants qui ont été relevés lors d’enquêtes antérieures : premièrement, le manque de connaissance ou de compréhension des diverses exigences et responsabilités imposées au représentant autorisé du navire et, deuxièmement, la gestion des urgences maritimes à bord de grands navires.

En ce qui concerne le premier défi, l’enquête a révélé qu’il y avait de l’incertitude entourant le rôle du représentant autorisé. En vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, le représentant autorisé est légalement responsable de veiller à ce que le navire respecte toutes les exigences de sécurité et réglementaires en vigueur. En l’occurrence, le ministre des Transports du gouvernement du Canada était désigné comme le propriétaire inscrit et le représentant autorisé du Holiday Island.

Transports Canada avait conclu une entente d’affrètement avec Northumberland Ferries Limited, ou NFL, pour exploiter le navire. Bien que NFL soit censée agir comme si elle était le représentant autorisé, Transports Canada conservait la responsabilité légale de ces fonctions.

Dans le cas présent, l’enquête a révélé que de nombreux membres du personnel de Transports Canada et de NFL n’étaient pas certains de connaître les exigences du rôle ou de savoir qui était responsable de s’acquitter des responsabilités.

Le manque de clarté s’étendait à des domaines critiques comme les opérations, les réparations d’urgence et la surveillance. Les communications entre l’exploitant et Transports Canada étaient informelles, et la surveillance de l’entretien et de l’exploitation des navires était limitée.

Ce n’est pas la première fois que le BST relève des problèmes en ce qui concerne les rôles et responsabilités du représentant autorisé. Des enquêtes antérieures ont révélé des lacunes récurrentes dans la façon dont ces fonctions sont comprises et exécutées.

Des tâches particulières sont définies dans plus de 30 règlements pris en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada. Il peut être difficile de bien connaître et comprendre un champ de responsabilités aussi vaste.

Transports Canada, en tant qu’organisme de réglementation, s’attend à ce que les représentants autorisés prennent des mesures proactives pour connaître la réglementation qui s’applique à leur navire et la façon de la respecter. Cependant, comme le démontrent cette enquête et bien d’autres, le rôle n’est pas bien compris dans de nombreux secteurs de l’industrie. Si les représentants autorisés ne comprennent pas clairement leur champ de responsabilités en matière de sécurité, les navires peuvent être exploités sans les moyens de défense minimaux qui sont assurés en respectant les exigences réglementaires, et des obligations essentielles en matière de sécurité peuvent être accomplies de façon inadéquate ou, pire, négligées.

Par conséquent, le Bureau recommande que

le ministère des Transports fournisse aux représentants autorisés des lignes directrices exhaustives décrivant pleinement leur champ de responsabilités. Ces lignes directrices doivent aider les représentants autorisés à comprendre et à respecter la réglementation applicable, et ainsi réduire le risque que les navires et les équipages soient en activité sans profiter des mesures de sécurité minimales prévues par la réglementation.

Recommandation M25-01 du BST

Yoan Marier – Lancement d’une enquête sur une question de sécurité

Les faits établis de l’enquête vont au-delà de cet événement unique et mettent en lumière les risques systémiques plus vastes liés aux incendies de navires et les défis liés à une intervention efficace.

Sur les navires commerciaux, les membres d’équipage sont formés et équipés pour faire face à un grand éventail de situations d’urgence avec les ressources disponibles à bord. Mais même l’équipage le plus expérimenté peut rapidement se retrouver dans une situation qui dépasse ses capacités et qui nécessite un soutien externe.

Les incendies à bord de navires demeurent l’un des types d’urgence les plus graves en mer. Au cours de ses 35 années d’existence, le BST a émis 9 préoccupations liées à la sécurité et 10 recommandations touchant la sécurité en cas d’incendie. Au cours des dix dernières années, près de 400 incendies à bord de navires commerciaux ont été signalés au BST.

La question sous-jacente demeure : pourquoi les incendies continuent-ils d’échapper au contrôle des équipages?

Le succès de tout effort de lutte contre les incendies dépend de plusieurs facteurs critiques : l’équipement à portée de main, la formation et l’expérience des intervenants, ainsi que l’emplacement et l’accessibilité de l’incendie lui-même.

Dans le cas du Holiday Island, les conséquences auraient pu être beaucoup plus graves. L’intervention d’urgence qui a suivi a été couronnée de succès en raison de circonstances heureuses mais imprévues. Lorsque l’incendie s’est déclaré, le navire était près du terminal, il faisait jour, la météo était gérable, la mer était calme, un système d’évacuation moderne avait été installé plus tôt cette année-là, et les secours étaient à proximité. Nous l’avons déjà dit et nous le répétons : il ne faut pas confondre la chance avec l’état de préparation aux situations d’urgence.

En 2024, le Bureau a émis deux préoccupations liées à la sécurité distinctes. La première portait sur les connaissances insuffisantes qu’ont les membres d’équipage concernant l’utilisation adéquate des systèmes fixes d’extinction d’incendie au dioxyde de carbone; la deuxième portait sur les lacunes dans l’état de préparation du Canada en cas d’urgence maritime. Les deux préoccupations sont mises en évidence dans le présent rapport et illustrent le besoin de mesures supplémentaires urgentes et efficaces pour réduire les risques connexes.

C’est pourquoi aujourd’hui, en plus de sa recommandation à Transports Canada, le BST lance une enquête sur une question de sécurité à l’échelle nationale, axée spécifiquement sur les incendies à bord de navires et les interventions d’urgence au Canada.

Nous travaillerons avec les exploitants maritimes, les services de lutte contre les incendies, les ports et d’autres partenaires clés du secteur pour dresser un portrait plus clair de la façon dont les incendies de navires sont actuellement gérés et pour déterminer les points à améliorer dans l’état de préparation du Canada relativement aux urgences maritimes.

Yoan Marier - Conclusion

Ainsi, nous ne nous contentons pas aujourd’hui de conclure une enquête : nous lançons une conversation nationale sur la sécurité en cas d’incendie à bord des navires et encourageons tous les intervenants à y participer activement.

Notre objectif est clair : faire en sorte que toutes les personnes qui montent à bord d’un navire au Canada puissent le faire avec l’entière confiance que des systèmes sont en place pour les protéger.

Le Holiday Island – et d’autres avant lui – sont comme des canaris dans une mine de charbon. Ils signalent l’existence de problèmes systémiques plus profonds dans notre cadre de sécurité maritime. Ils révèlent des lacunes qui, si elles ne sont pas corrigées, pourraient donner lieu à des conséquences beaucoup plus graves.

Merci.