Enquête sur la sécurité du transport maritime M21P0297

Le BST a terminé cette enquête. Le rapport a été publié le 31 juillet 2024.

Table des matières

    Perte de conteneurs à la mer et incendie subséquent
    Porte-conteneurs ZIM Kingston
    Banc La Pérouse (Colombie-Britannique)

    L'événement

    Le 21 octobre 2021, le porte-conteneurs ZIM Kingston, avec 21 membres d’équipage à bord, a été soumis à un roulis de 36° et a perdu 109 conteneurs à la mer alors qu’il dérivait au banc La Pérouse, à environ 27 milles marins au sud d’Ucluelet (Colombie-Britannique). Un certain nombre de conteneurs sur le pont ont également été endommagés.

    L’enquête a permis de déterminer que le ZIM Kingston avait subi un roulis paramétrique. Le roulis paramétrique se produit lorsque les conditions de mer convergent avec des facteurs spécifiques au navire de manière précise, ce qui entraîne des mouvements de roulis dangereux. Les forces créées par les mouvements extrêmes du navire ont été le facteur déclencheur de la perte de conteneurs.

    Environ 36 heures plus tard, alors que le navire était ancré au large de Victoria (Colombie-Britannique), un incendie s’est déclaré dans un conteneur endommagé qui renfermait des marchandises dangereuses (de l’amylxanthate de potassium). L’incendie s’est ensuite propagé à 5 conteneurs se trouvant à proximité, dont 2 renfermaient aussi des xanthates et 3 renfermaient des pneus et d’autres biens de consommation. L’incendie a brûlé pendant 5 jours avant d’être déclaré éteint.

    L’intervention de lutte contre l’incendie à bord a suivi les lignes directrices de l’industrie et de la compagnie, et a été menée de façon efficace. Le ZIM Kingston avait un contrat avec une compagnie américaine d’intervention en cas d’urgence, de sorte que le navire avait accès à des spécialistes, qui ont fourni des conseils tout au long de l’intervention, et à une équipe de personnel spécialement formé, qui a pu monter à bord du navire pour aider à contenir le feu. Le recours à ce personnel spécialisé à terre et à des navires de passage a aidé à limiter l’ampleur de l’incendie.

    En novembre 2021, 4 des conteneurs perdus à la mer ont été retrouvés et récupérés sur les rives du nord de l’île de Vancouver, de même que divers débris provenant des conteneurs. En juillet 2023, un levé sous-marin a permis de localiser 29 conteneurs au fond de l’océan à proximité du lieu de l’événement. Les opérations continues de nettoyage de plages ont permis de retrouver des débris provenant probablement du ZIM Kingston échoués sur de grandes étendues de la ligne de côte de la Colombie-Britannique.

    Pour mieux comprendre les mouvements que le ZIM Kingston a subis dans cet événement, le BST a conclu un contrat avec le Conseil national de recherches Canada pour faire construire un modèle à l’échelle du navire. Des essais du modèle à l’échelle ont ensuite été effectués dans un bassin où les conditions de l’événement ont été simulées. Les essais ont révélé que le roulis paramétrique pouvait se développer, que le modèle soit à la dérive ou en route, et que les mouvements de roulis les plus importants étaient observés lorsque le modèle se trouvait dans des conditions de mer de l’avant et de mer de l’arrière. Les essais ont également démontré que le roulis paramétrique pouvait se produire à une hauteur significative de vaguesLa hauteur significative des vagues est une mesure moyenne des 33 % des vagues les plus grandes (source : National Oceanic and Atmospheric Administration, National Weather Service, « Significant Wave Height », à l’adresse https://www.weather.gov/mfl/waves [dernière consultation le 1er juin 2024]). d’aussi peu que 2,6 m.

    L’enquête a mis en évidence des lacunes de sécurité qui ont mené le Bureau à émettre 2 préoccupations liées à la sécurité : la première concerne la nécessité de disposer de directives complètes pour gérer le risque de roulis paramétrique; la seconde concerne l’état de préparation du Canada en cas d’urgence maritime.

    Directives complètes sur la gestion du risque de roulis paramétrique

    La gestion du risque de roulis paramétrique est complexe. Non seulement il est difficile de prédire exactement quand un événement de roulis paramétrique se produira, mais une fois que le roulis extrême commence, il peut ne pas être possible d’arrêter les mouvements dangereux avant que des conséquences négatives ne se produisent, telles que la perte de conteneurs. Voilà pourquoi il faut mettre l’accent sur la surveillance des conditions qui donnent lieu à un roulis paramétrique, de sorte que des mesures préventives puissent être prises en présence de ces conditions. Pour ce faire, les membres de l’équipe à la passerelle doivent disposer de politiques formelles, de procédures complètes et d’outils efficaces pour gérer ce risque.

    Le propriétaire du navire n’avait pas élaboré de procédures ni fourni d’outils précis pour aider l’équipe à la passerelle du ZIM Kingston à évaluer et à gérer le risque de roulis paramétrique; par conséquent, ce risque n’a pas fait l’objet d’une surveillance efficace, et aucune mesure d’atténuation n’a été mise en place alors que le navire attendait au large.

    L’Organisation maritime internationale (OMI) est généralement reconnue comme l’organisme international le mieux placé pour élaborer et diffuser des directives à l’intention de l’industrie maritime; toutefois, sa circulaire traitant du risque de roulis paramétrique n’a pas été mise à jour depuis plus de 17 ans. Par ailleurs, la circulaire ne présente que des directives opérationnelles minimes sur le roulis paramétrique, et elle n’offre aucune directive en ce qui concerne les politiques, les procédures, la formation, les outils ou les services liés à la gestion des risques associés au roulis paramétrique. Enfin, la circulaire qualifie aussi le roulis paramétrique de phénomène de gros temps, alors que les essais sur le modèle du ZIM Kingston menés dans le cadre de l’enquête ont permis de déterminer que ce phénomène pouvait se produire dans des conditions de mer modérées.

    L’OMI a publié récemment ses Directives intérimaires relatives à la deuxième génération de critères de stabilité à l’état intact, qui feront en sorte de réduire au minimum le risque de roulis paramétrique et offriront une approche cohérente pour aborder ce risque dans l’ensemble de l’industrie internationale du transport maritime. Toutefois, le calendrier d’intégration de ces directives au Recueil international de règles de stabilité à l’état intact, 2008 est incertain, et il n’est pas certain que les directives s’appliqueront aux navires existants. Les directives n’abordent pas non plus la question de la formation de l’équipage dans ce domaine.

    Le Bureau craint que l’absence de directives à jour et exhaustives de l’industrie pour la gestion du roulis paramétrique pourrait faire que les politiques, les procédures, les outils et la formation des compagnies soient incohérents, inefficaces ou totalement absents, ce qui pourrait mener à plus de pertes de conteneurs, avec leurs conséquences négatives pour la sécurité et l’environnement.

    L’état de préparation du Canada en cas d’urgence maritime

    Sur les navires commerciaux, les équipages sont formés et équipés pour gérer de nombreuses urgences maritimes avec les ressources à bord. Cependant, une urgence peut vite en devenir une où des ressources externes sont nécessaires. L’événement touchant le ZIM Kingston a mis en évidence certains des défis que pose l’intervention en cas d’urgence maritime dans les eaux canadiennes. Il a également soulevé des questions sur la disponibilité et la capacité des ressources canadiennes de mener de telles interventions.

    Après que l’incendie se fut déclaré sur le navire, c’est en grande partie grâce à des circonstances fortuites qu’une intervention rapide et efficace, avec le concours de ressources extérieures, a pu être mise en œuvre. Ces mêmes circonstances ne seront pas nécessairement présentes lors d’interventions futures, ce qui met en évidence la nécessité d’examiner attentivement l’état de préparation du Canada.

    Le Canada n’exige pas de plans convenus à l’avance pour l’intervention en cas d’incendie ou le sauvetage maritime, au contraire des États-Unis. De plus, la Garde côtière canadienne ne participe pas directement aux activités de lutte contre les incendies maritimes dans le cadre de l’intervention en cas d’incident, et elle ne dispose pas non plus de capacités de lutte contre les incendies qui lui permettraient d’intervenir directement en cas d’incendie sur un navire. Bien que cet événement se soit produit en mer, des enquêtes antérieures menées par le BST ont démontré que l’état de préparation soulève également des préoccupations lorsque des incendies à bord de navires se produisent dans les ports canadiens. À l’extérieur des ports, les options d’intervention en cas d’incendie à bord d’un navire sont encore plus limitées si l’intervention à bord ne réussit pas à éteindre l’incendie.

    L’état de préparation du Canada face à d’autres urgences maritimes, comme des événements de déversement de substances nocives et potentiellement dangereuses (SNPD), est aussi source de préoccupation. Le Canada n’a aucun plan d’intervention en cas de déversement de SNPD, bien qu’il se soit doté d’un plan pour les événements relatifs aux hydrocarbures. Reconnaissant la nécessité d’une amélioration, le gouvernement fédéral a annoncé son intention de mettre au point un système unique pour répondre à tous les incidents de pollution marine, quelle qu’en soit la source, dans le but de réagir à ces incidents dans des délais qui réduisent au minimum les répercussions sur la santé humaine et l’environnement. De plus, Transports Canada a l’intention d’élaborer des règlements destinés à renforcer les exigences en matière de préparation applicables à l’industrie, par exemple, en exigeant que les navires prennent des dispositions prévoyant des services de lutte contre les incendies et de sauvetage, et disposent d’un spécialiste de l’intervention qui pourrait travailler avec les ministères fédéraux et d’autres partenaires pour gérer tout incident.

    Le présent événement, comme de nombreux autres, a montré que si la Garde côtière canadienne a la capacité d’évacuer des membres d’équipage qui sont blessés ou en danger, il existe des lacunes systémiques dans d’autres aspects des interventions en cas d’urgences à bord de navires. Bien que Transports Canada propose les changements susmentionnés pour remédier à ces lacunes, dans la pratique, la seule mesure concrète qui ait été prise jusqu’à présent est la modification de 2023 à la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada qui donne au gouverneur en conseil la possibilité d’adopter des règlements concernant les dispositions d’urgence. En juin 2024, TC indiquait que selon les prévisions, l’élaboration de tels règlements se poursuivra encore 4 ans, sous réserve des priorités du gouvernement en matière de réglementation.

    Dans l’intervalle, le Bureau se préoccupe du fait qu’il y a des lacunes dans l’état de préparation du Canada relativement aux urgences maritimes qui dépassent la capacité d’intervention de l’équipage d’un navire, ce qui présente un risque pour les navires, pour l’environnement, ainsi que pour la santé et la sécurité du grand public.

    Informations d'enquête

    Carte de la région

    M21P0297

    Perte de conteneurs à la mer et incendie subséquent
    Porte-conteneurs ZIM Kingston
    Banc La Pérouse (Colombie-Britannique)

    Enquêteur désigné

    Image
    Photo of Zillur Rahman

    Zillur Rahman a commencé sa carrière en tant qu’élève ingénieur et est détenteur d’un certificat de mécanicien de première classe de Transports Canada. Au fil de ses 25 années d'expérience en tant qu’ingénieur, il a occupé plusieurs postes à la fois en mer et à terre, au sein d’entreprises et d’organisations telles que Neptune Orient Lines (maintenant American President Lines), Mediterranian Shipping Company, Barber Ship Management et BC Ferries. Il possède de l’expérience de travail relative aux pétroliers, aux chimiquiers, aux vraquiers, aux porte-conteneurs et aux transbordeurs rouliers de passagers.


    Photos


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    Catégorie de l’enquête

    Cette enquête est une enquête de catégorie 2. Ces enquêtes sont complexes et portent sur plusieurs problèmes de sécurité exigeant une analyse approfondie. Les enquêtes de catégorie 2, qui donnent souvent lieu à des recommandations, se concluent généralement en 600 jours. Pour de plus amples renseignements, consultez la Politique de classification des événements.

    Processus d'enquête du BST

    Une enquête du BST se déroule en 3 étapes :

    1. L'étape du travail sur le terrain : une équipe d'enquêteurs examine le lieu de l'événement et l'épave, interviewe les témoins et recueille toute l'information pertinente.
    2. L'étape d'examen et d'analyse : le BST examine toute la documentation liée au dossier, effectue des tests en laboratoire sur des composantes de l'épave, établit la chronologie des événements et identifie toute lacune en matière de sécurité. Lorsque le BST soupçonne ou constate des lacunes en matière de sécurité, il en informe sans tarder les organismes concernés sans attendre la parution du rapport final.
    3. L'étape de production du rapport : une version confidentielle du rapport est approuvée par le Bureau et envoyée aux personnes et organismes qui sont directement touchés par le rapport. Ceux-ci ont l'occasion de contester ou de corriger l'information qu'ils jugent erronée. Le Bureau tient compte de toutes les observations fournies avant d'approuver la version définitive du rapport, qui est ensuite publiée.

    Vous trouverez de plus amples détails à la page sur le Déroulement des enquêtes.

    Le BST est un organisme indépendant qui mène des enquêtes sur des événements de transport aérien, ferroviaire, maritime et pipelinier. Son seul but est de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n'est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales.