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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R21M0027

Déraillement en voie principale
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Train B73041-15
Point milliaire 18,9, subdivision de Napadogan
Gare de Pangburn (Nouveau-Brunswick)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 21 août 2021, vers 13 h, heure normale de l’Atlantique, le train B73041-15 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada circulait vers l’est à 39 mi/h dans la subdivision de Napadogan lorsque 30 de ses wagons-trémies chargés de potasse ont déraillé aux environs du point milliaire 18,9, près de la gare de Pangburn (Nouveau-Brunswick). À la suite du déraillement, 27 des 30 wagons ont subi des brèches, causant un déversement de la majeure partie de leur produit. Aucune marchandise dangereuse ne s’est échappée et il n’y a eu aucun incendie. Personne n’a été blessé.

1.0 Renseignements de base

Le 21 août 2021, le train B73041-15 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Canadien National ou CN), un train de marchandises chargé de potasse, est parti d’EdmundstonNote de bas de page 1 à destination de Moncton, circulant vers l’est dans la subdivision de Napadogan du CN.

Le train était un train-blocNote de bas de page 2 qui fonctionnait selon une configuration à traction répartie. Il se composait de 2 locomotives de tête (CN 3888 et CN 2908), de 133 wagons-trémies chargés de potasse et de 2 locomotives télécommandées situées en queue (CN 3824 et CN 2849). Il pesait 19 852 tonnes et mesurait 6552 pieds.

Chaque wagon-trémie mesurait environ 47 pieds, et son poids en charge était de 286 000 livres.

L’équipe était formée d’un mécanicien de locomotive (ML) et d’un chef de train; tous deux répondaient aux exigences établies en matière de repos et d’aptitude au travail et étaient qualifiés pour leur poste respectif.

1.1 L’événement

Le train circulait à la vitesse autorisée de 50 mi/h dans une pente descendante lorsqu’il s’est approché d’une zone visée par une limitation permanente de vitesse au point milliaire 19,8, laquelle limitait la vitesse du train à 40 mi/h. Il y avait un panneau indicateur avancé de limitation de vitesse près du point milliaire 21,5. Environ 1700 pieds avant d’entrer dans la zone de limitation permanente de vitesse, le ML a actionné le frein dynamique (DB) en combinaison avec les freins à air du train. Le train s’est mis à décélérer et est entré à 47 mi/h dans la zone de limitation permanente de vitesse. Environ 2 minutes plus tard, à 12 h 49Note de bas de page 3, la vitesse du train avait été réduite à 39 mi/h lorsqu’un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est déclenché. Une fois le train arrêté, à 12 h 50, on a constaté que 30 wagons avaient déraillé et que 27 d’entre eux avaient subi des brèches, causant un déversement de produit. Aucune marchandise dangereuse n’était en cause dans le déraillement et il n’y a eu aucun incendie. Personne n’a été blessé.

Le déraillement s’est produit dans un endroit éloigné, au point milliaire 18,9, près de la gare de Pangburn, à environ 32 km à l’ouest de Moncton (Figure 1).

Figure 1. Carte montrant la subdivision de Napadogan et le lieu de l’événement (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Carte montrant la subdivision de Napadogan et le lieu de l’événement (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

1.2 Examen des lieux

La tête du train s’était arrêtée aux environs du point milliaire 17,80. Les 2 locomotives de tête et les 69 premiers wagons étaient restés sur la voie. Derrière eux, 30 wagons (positions 70 à 99) avaient déraillé (Figure 2). Les wagons situés en queue de train (positions 100 à 133) suivis des 2 locomotives télécommandées n’avaient pas déraillé.

Figure 2. Wagons déraillés, vue vers l’ouest (Source : BST)
Wagons déraillés, vue vers l’ouest (Source : BST)

Les wagons déraillés se trouvaient dans une zone couvrant environ 560 pieds allant du point milliaire 18,84 au point milliaire 18,94 (Figure 3). Ils s’étaient immobilisés en diverses positions le long de l’emprise :

Figure 3. Schéma du lieu du déraillement (Source : BST)
Schéma du lieu du déraillement (Source : BST)

Les ensembles de traction des wagons déraillés aux positions 71, 75, 76 et 77 présentaient des composants pliés ou rompusNote de bas de page 4. Toutes les ruptures des composants de l’ensemble de traction semblaient être nettes, sans défauts préexistants visibles, ce qui indique que les composants se sont brisés à la suite de l’accident.

Un morceau qui s’était détaché de l’attelage du 2e wagon déraillé (position 71) a été retrouvé au point milliaire 18,88, à environ 500 pieds de la position finale du wagon au point milliaire 18,84. La structure de la voie sous les wagons déraillés était complètement détruite. Certains morceaux de rail trouvés dans les débris portaient des marques de craie, ce qui indique que des travaux de voie avaient été effectués récemment dans le secteur. Sur un morceau récupéré du rail nord, la marque indiquait « Aug. 19 2021 mile 18.85. » [19 août 2021, point milliaire 18,85.] Sur un morceau récupéré du rail sud, la marque indiquait « 1800 Aug. 19 2021 mile 18.88 destress 90 °F » [18 h le 19 août 2021, point milliaire 18,88, température de libération de 90 °F] (Figure 4).

Figure 4. Marque de craie sur le rail sud indiquant que des travaux avaient été effectués récemment sur la voie (Source : BST)
Marque de craie sur le rail sud indiquant que des travaux avaient été effectués récemment sur la voie (Source : BST)

À l’ouest du lieu du déraillement, les anticheminants s’étaient écartés des traverses, et il y avait des signes de déplacement du rail sur les anticheminants et les traverses (Figure 5). Au sol, il y avait de nouveaux anticheminants qui n’avaient pas encore été installés. À l’est, du point milliaire 18,2 au point milliaire 18,88, les anticheminants installés semblaient neufs, ce qui est cohérent avec l’exécution récente de travaux sur la voie.

Figure 5. Voie à l’ouest du déraillement montrant les anticheminants qui se sont écartés des traverses (encerclés) et les nouveaux anticheminants au sol (encadrés), avec en médaillon un gros plan des anticheminants déplacés (Source : BST)
Voie à l’ouest du déraillement montrant les anticheminants qui se sont écartés des traverses (encerclés) et les nouveaux anticheminants au sol (encadrés), avec en médaillon un gros plan des anticheminants déplacés (Source : BST)

1.3 Renseignements météorologiques

Au moment de l’événement, la visibilité était bonne et le ciel était partiellement nuageux. La température était d’environ 25 °C.

Au cours de la semaine précédant l’événement, les températures élevées de jour avaient varié entre 25 °C et 31 °C, et les températures minimales de nuit, entre 11 °C et 18 °C (Tableau 1).

Tableau 1. Plage de température au cours de la semaine précédant l’événement
Date Température maximale de jour (°C) Température minimale de nuit (°C) Conditions atmosphériques
2021-08-14 31,2 18,0 Dégagé
2021-08-15 26,5 13,1 Dégagé
2021-08-16 25,0 11,0 Dégagé
2021-08-17 29,2 12,6 Dégagé
2021-08-18 28,1 14,9 Partiellement dégagé
2021-08-19 29,4 18,4 Dégagé
2021-08-20 30,1 17,2 Partiellement dégagé
2021-08-21 25,2 15,2 Partiellement dégagé

1.4 Enregistrements

1.4.1 Caméra orientée vers l’avant

La locomotive de tête était dotée d’une caméra vidéo orientée vers l’avant. D’après un examen de l’enregistrement, il n’y avait aucune anomalie sur la voie au moment où la tête du train a franchi le lieu de l’événement.

1.4.2 Consignateur d’événements de locomotive

Chaque locomotive était équipée d’un consignateur d’événements de locomotive (CEL). Le tableau 2 énumère les événements de conduite du train importants, d’après les données téléchargées des locomotives de tête et de queue, du moment où le train a commencé à décélérer au point milliaire 20,58 au moment où il s’est arrêté au point milliaire 17,80.

Tableau 2. Événements de conduite du train importants survenus avant l’événement
Heure Point milliaire Événement Effort de traction de la locomotive de tête (kips) Effort de traction de la locomotive de queue (kips) Vitesse du train (mi/h)
12:46:27 20,58 Le ML commence à diminuer le manipulateur du cran 5 au ralenti. 0 0 50
12:46:34 20,48 Le ML règle le manipulateur au ralenti. 0 0 50
12:46:39 20,41 Le ML effectue un serrage minimal des freins à air (7 psi). 0 0 50
12:47:00 20,12 Le ML actionne le DB; la traction répartie fonctionne toujours en mode synchronisé. 0 0 50
12:47:17 19,89 Le ML commence à augmenter le DB du cran 1 au cran 8 (le cran maximal); l’opération dure 9 secondes. 9 5 49
12:47:33 19,80 La tête du train entre dans la zone de limitation permanente de vitesse. La vitesse est d’environ 47 mi/h. 39 39 47
12:48:00 19,71 Le ML desserre les freins à air. 42 42 44
12:48:07 19,24 Le ML diminue le DB au cran 4. 30 43 44
12:48:15 19,14 Le ML augmente le DB au cran 5. 25 23 43
12:48:17 19,12 Le ML diminue le DB au cran 4. 22 24 43
12:48:31 18,95 Le ML augmente le DB au cran 5. 26 25 42
12:48:36 18,89 Le ML augmente le DB au cran 6. 32 29 42
12:49:04 18,57 Le ML diminue le DB au cran 3. 19 37 41
12:49:13 18,47 Le ML augmente le DB au cran 4. 21 19 41
12:49:26 18,46 La vitesse du train diminue à 17 mi/h. 27 28 39
12:49:31 18,27 Le ML diminue le DB au cran 2. 18 28 39
12:49:34 18,24 Le ML diminue le DB au cran 1. 11 16 39
12:49:40 18,17 Le ML règle le DB à la position d’arrêt. 0 2 39
12:49:42 18,15 Un serrage d’urgence des freins provenant de la conduite générale est déclenché alors que le train circule à 39 mi/h. 0 0 39
12:50:32 17,80 Le train s’immobilise. 0 0 0

1.5 Renseignements sur la subdivision

La subdivision de Napadogan est constituée d’une voie principale simple qui s’étend d’est en ouest de Pacific Junction, près de Moncton (point milliaire 0,00), jusqu’à Edmundston (point milliaire 219,4). Les mouvements des trains sont contrôlés par le système de commande centralisée de la circulation, conformément au Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, et supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire situé à Edmonton (Alberta).

En 2020, la circulation dans la subdivision était de 17,7 millions de tonnes-milles brutes par mille.

1.6 Renseignements sur la voie

La voie de la subdivision de Napadogan est une voie de catégorie 4 selon le Règlement concernant la sécurité de la voie approuvé par Transports Canada, également appelé Règlement sur la sécurité de la voie (RSV).

Dans le secteur du déraillement, la voie est située sur une pente de 0,4 % et traverse l’aire naturelle protégée des tourbières de Canaan; le substrat est meuble en raison des tourbières.

La vitesse des trains de marchandises sur cette voie est limitée à 55 mi/h du point milliaire 34,8 au point milliaire 19,8, à l’exception de tout ordre de marche au ralenti. Du point milliaire 19,8 au point milliaire 18,2, la vitesse des trains est limitée à 40 mi/h par une limitation permanente de vitesseNote de bas de page 5. Des panneaux avancés de limitation de vitesse sont placés à environ 1,7 mille de chaque extrémité de la zone de limitation permanente de vitesse. Ces panneaux étaient en place au moment du déraillement et étaient visibles.

La structure de la voie dans le secteur du déraillement était constituée de longs rails soudés (LRS); certains rails étaient des rails de 132 livres, d’autres des rails de 136 livresNote de bas de page 6. Les rails reposaient sur des traverses en bois dur de 8 pieds, sauf entre le point milliaire 19,5 et le point milliaire 18,8 environ, où des traverses de 12 pieds étaient utilisées dans le cadre des mesures d’atténuation mises en œuvre pour faire face aux conditions de tourbière. L’état général des traverses respectait les normes énoncées dans le RSVNote de bas de page 7. Le rail était fixé aux traverses en bois dur par des selles de rail à double épaulement, certaines de 12 pouces, d’autres de 14 pouces, avec un motif de crampons mixte. Le ballast était un ballast de voie principale de 3 pouces. Il était propre et le drainage était adéquat.

1.6.1 Inspections des voies

En ce qui concerne les voies sous réglementation fédérale, les exigences réglementaires relatives à l’entretien et aux inspections de la voie sont énoncées dans le RSV et représentent les exigences minimales en matière de sécuritéNote de bas de page 8. Selon le RSV, les voies de catégorie 4 formées de LRS qui présentent une circulation annuelle se situant entre 15 et 35 millions de tonnes brutes annuelles doivent :

Les inspections de la subdivision de Napadogan étaient effectuées conformément aux exigences réglementaires. Les dernières inspections étaient les suivantes :

Aucun défaut n’a été signalé.

1.7 Contrainte thermique dans de longs rails soudés

L’acier se dilate sous l’effet de la chaleur et se contracte sous l’effet du froid, soumettant le rail à des forces thermiques. Les forces exercées par la dilatation et la contraction du rail créent des contraintes dans le matériau et la structure de la voie. Les LRS étant fixes sur leur longueur, leur liberté de dilatation et de contraction longitudinale est limitée, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux contraintes thermiques.

Les forces de compression exercées lorsque la température d’un rail augmente peuvent provoquer un flambage de la voie (déformation latérale de la voie), tandis que les forces de traction qui se produisent lorsqu’un rail refroidit et se rétracte peuvent entraîner une augmentation des irrégularités d’alignement de la voie, des ruptures de la voie au niveau des joints ou des fractures du rail.

La température du rail est influencée par la température ambiante et par l’accumulation de chaleur due à l’exposition directe au soleil. Selon les Normes de la voie – Ingénierie du CN, « [p]ar une journée ensoleillée, la température du rail peut être d’environ 30 °F (17 °C) supérieure à la température ambiante. Un ciel nuageux, le vent et les précipitations peuvent réduire cette différence de températureNote de bas de page 13. »

La température du rail est également influencée par le passage des trains, notamment pendant le freinage, qui génère de la chaleur de friction en raison du contact des roues avec le rail.

1.7.1 Température de contrainte nulle du rail

La température de contrainte nulle d’un rail est la température à laquelle celui-ci est exempt de toute contrainte de traction ou de compression. Les LRS sont installés à une température (température idéale de pose des rails) déterminée pour chaque secteur d’exploitationNote de bas de page 14. Au cours de la vie utile d’un rail, les variations de température ambiante, l’entretien de la voie et les mouvements induits par la circulation peuvent entraîner une redistribution des contraintes internes du rail, ce qui abaisse la température de contrainte nulle au fil du temps. Lorsque la température de contrainte nulle d’un rail est abaissée, les contraintes de compression dans le rail commencent à se développer à une température ambiante plus basse. Ce scénario crée une instabilité dans la voie et réduit la résistance de celle-ci aux contraintes de compression thermique.

1.7.2 Atténuation des contraintes sur le rail

Pour empêcher l’accumulation de contraintes excessives dans les LRS, les chemins de fer effectuent des travaux de libération du rail, qui consistent à couper le rail et à retirer les anticheminants pour libérer toute contrainte accumulée et ramener le rail à sa température de contrainte nulle. Pendant ce processus, le rail doit être maintenu aussi près que possible de la température idéale de pose des rails. Une fois la contrainte relâchée, tout excès de rail est retiré ou un nouveau rail est ajouté au besoin. Les rails sont ensuite soudés ensemble, puis les anticheminants sont remis en place.

1.8 Travaux de libération du rail dans le secteur de l’événement

Aux environs du déraillement, la voie avait déjà montré des signes de déplacement des traverses et des anticheminants; en 2020, le CN avait déterminé qu’il fallait y réaliser un entretien préventif. Il était prévu d’effectuer des travaux de libération du rail et de remplacement des anticheminants du point milliaire 18,2 au point milliaire 19,9.

Les travaux de libération du rail ont commencé le 17 août 2021, d’est en ouest. Au cours de ces travaux, les rails réinstallés ont été encadrés d’anticheminants, ce qui signifie que les rails ont été fixés au moyen de 4 anticheminants par traverse (Figure 6). L’ancrage par encadrement crée un point fixe dans la voie, ce qui est considéré comme l’un des moyens les plus sûrs d’ancrer une voie et d’empêcher tout mouvement. En revanche, le tronçon de voie qui n’a pas fait l’objet de travaux de libération du rail comportait des anticheminants intermittents (1 ou 2 par traverse), et certains s’étaient écartés de la traverse, offrant ainsi une moins bonne fixation.

Figure 6. Diagramme d’un rail ancré à une traverse par encadrement (Source : BST)
Diagramme d’un rail ancré à une traverse par encadrement (Source : BST)

Le 19 août 2021, les travaux étaient terminés jusqu’au point milliaire 18,88 sur le rail sud et jusqu’au point milliaire 18,85 sur le rail nord, et il était prévu de les reprendre la semaine suivante. L’endroit où les travaux de libération du rail s’étaient arrêtés était indiqué par des marques de craie sur les rails.

1.9 Inspections par temps chaud

Afin de détecter les signes de contrainte thermique dans les rails et de repérer les zones de voie susceptibles de flambage, les cheminots effectuent régulièrement des inspections visuelles à l’aide de véhicules rail-route, recherchant des signes de contrainte thermique de compression dans les rails.

La norme d’inspection par temps chaud du CN pour les LRS indique que, lorsque la température ambiante atteint ou doit atteindre 30 °C ou plus, des inspections par temps chaud doivent être effectuées et, si cela est justifié, des limites de vitesse doivent être imposées dans les zones touchéesNote de bas de page 15.

Les méthodes d’inspection actuelles reposent sur le jugement des travailleurs d’entretien de la voie, qui doivent vérifier la structure de la voie à la recherche de signes physiques de dégradation, tels que :

Les inspections visuelles présentent certaines limites. Étant donné que de vastes zones géographiques sont touchées par les conditions de chaleur élevée, les employés doivent inspecter physiquement un vaste territoire. Les inspections doivent être effectuées pendant les fortes chaleurs de la journée, ce qui se limite souvent à quelques heures. Les signes physiques de contrainte thermique ne sont pas toujours visibles à partir d’un véhicule rail-route en mouvement. Afin de mieux faire face à ces limites, les employés ont accès à des appareils de mesure de la température pour déterminer la température du rail. Il existe également des dispositifs de mesure de la contrainte exercée sur les rails, comme l’outil VERSE (équipement de mesure de la contrainte verticale sur les rails), qui peuvent être utilisés pour vérifier ponctuellement les niveaux de contrainte exercée sur les rails dans les zones problématiques. Toutefois, cette technologie exige que les fixations de la voie soient retirées pendant les essais.

Bien que des recherches soient en cours sur des technologies d’essai non destructives pour la surveillance de la température et des contraintes thermiques des rails, il n’existe actuellement aucune méthode largement utilisée ou acceptée en dehors des inspections visuelles et des outils de vérification ponctuelle.

Au cours de la semaine précédant l’événement, des inspections par temps chaud avaient été effectuées chaque jour où la température avait atteint les 30 °C. La dernière inspection par temps chaud avait été effectuée le 20 août 2021; aucun signe d’instabilité du rail ou de vulnérabilité de la voie au flambage n’avait été signalé dans le secteur de l’événement.

1.10 Flambage de la voie

Un flambage de la voie est un déplacement latéral de la voie qui se produit lorsque les contraintes de compression longitudinales s’exerçant sur le rail l’emportent sur la résistance latérale de la structure de la voie (Figure 7). Un flambage peut se produire lorsque les contraintes de compression longitudinales augmentent ou lorsque la résistance latérale de la structure de la voie diminue. Le flambage de la voie est plus susceptible de se produire en présence d’une contrainte de compression.

Figure 7. Flambage de la voie (Source : Rapport d’enquête ferroviaire R05H0013 du BST)
Flambage de la voie (Source : Rapport d’enquête ferroviaire R05H0013 du BST)

Les zones de rail en compression sont des zones où des contraintes de compression sont présentes. Ces zones peuvent se développer aux endroits où les trains exercent des forces longitudinales élevées, comme dans les pentes et les courbes; les forces longitudinales sont plus élevées pendant l’accélération et le freinage. Ces zones peuvent également se développer aux endroits où la plateforme est meuble, comme dans les tourbières, où la voie se déplace de manière excessive en raison de la circulation ferroviaire, ce qui entraîne le désalignement et le rapprochement des traverses. La formation de ces zones est plus probable dans les zones à circulation élevée ou là où la structure de la voie n’est pas bien entretenue.

Pour prévenir la création de zones de LRS en compression, la voie doit être convenablement soutenue et fixée. L‘immobilisation longitudinale et latérale des rails exige des traverses en bon état, un nombre suffisant de crampons et d’anticheminants, et du ballast de pierre concassée exempt de toute contamination. Si l’un ou plusieurs de ces composants de la voie ne contribuent pas à la résistance prévue à ces forces longitudinales, la contrainte de compression peut l’emporter sur la stabilité latérale de la voie, créant ainsi des conditions favorables à un flambage de la voie.

1.11 Circulation ferroviaire dans la zone du déraillement

Le tableau 3 indique les volumes de circulation dans la zone du déraillement entre l’arrêt des travaux de libération du rail, le 19 août 2021, et le déraillement, d’après les données d’un détecteur en voie situé au point milliaire 27. La circulation vers l’est avait eu lieu en début de matinée, à l’exception du train à l’étude, qui a traversé le secteur en début d’après-midi le 21 août 2021. En incluant le train à l’étude, il y avait 39 % de plus de tonnage circulant vers l’est (descendant la pente) que vers l’ouest.

Tableau 3. Trains qui sont passés au point milliaire 18,9 après l’arrêt des travaux de libération du rail le 19 août 2021, d’après les données d’un détecteur en voie situé au point milliaire 27.
Date Heure Direction Nombre d’essieux Nombre de wagons Longueur du train Tonnage du train
2021-08-20 1:13 Est 392 105 7140 7285
2021-08-20 3:39 Est 626 208 13 870 13 258
2021-08-20 5:55 Ouest 622 207 13 554 12 583
2021-08-20 6:25 Ouest 626 155 8917 7383
2021-08-20 12:01 Ouest 586 145 9954 10 465
2021-08-21 3:43 Est 650 161 10 713 14 986
2021-08-21 4:37 Est 610 214 13 705 14 041
2021-08-21 7:16 Ouest 522 187 11 489 8287
2021-08-21 8:32 Ouest 542 187 12 044 11 208
2021-08-21 12:38* Est 556 137 6552 19 852

* Le train à l’étude.

1.12 Dynamique voie-train

La dynamique voie-train est l’interaction entre un train en mouvement et la géométrie de la voie; elle englobe les forces dynamiques qui peuvent se produire entre les roues du matériel roulant et le rail.

Un train circulant sur une voie en alignement droit génère en régime stable des forces de traction et de compression longitudinales le long du train, principalement en raison de la modulation de la manette des gaz ou du DB de même que des serrages et desserrages des freins à air. Dans les pentes ascendantes, le train est étiré et génère des forces de traction; l’ampleur de ces forces dépend du tonnage remorqué par le train, de la raideur de la pente et de la résistance au roulement du train. Dans les pentes descendantes, le train est comprimé et génère des forces dynamiques de compression; l’ampleur de ces forces dépend du tonnage remorqué, de la raideur de la pente et du ralentissement au moyen du DB et des freins à air de la locomotive. Les forces générées par les trains exploités sur des pentes sont atténuées par l’utilisation de locomotives à traction répartie dans la composition du train.

Les forces longitudinales sont transmises à la voie par les interactions entre les rails et les roues du matériel roulant en mouvement. Ces forces sont généralement plus élevées au groupe de traction en raison des efforts de traction et de ralentissement. L’oscillation des roues due au mouvement du matériel roulant génère également des forces latérales, lesquelles poussent sur le rail et ajoutent des forces dynamiques supplémentaires entre le train et la voie. Ces forces peuvent être atténuées par la conception des roues et des bogies du matériel roulant. L’ampleur des forces latérales est déterminée par plusieurs facteurs, y compris les forces longitudinales du train, la pente de la voie, le degré de courbure de la voie et la présence de composants mécaniques usés. Les pentes prononcées de la voie et les virages serrés sont associés à la production de forces latérales plus élevées que celles générées sur une voie en alignement droit. Au moment du déraillement, le train circulait sur une voie en alignement droit et les forces latérales étaient modestes.

1.12.1 Charge cyclique

La charge cyclique est l’application continue et répétée d’une charge, comme le passage des trains sur la voie ferrée.

Les trains-blocs ont un effet particulièrement important sur la charge cyclique des voies. Cela s’explique par le fait que la composition des trains-blocs est généralement uniforme, c’est-à-dire que tous les wagons ont la même conception et la même charge, et les bogies et les châssis de wagon réagissent plus ou moins comme une seule unité. Par conséquent, chaque wagon du train réagit aux irrégularités de la voie de la même manière que le wagon précédent. Il y a ainsi une concentration d’impacts cumulatifs sur les irrégularités rencontrées dans la structure de la voie. Les trains composés de nombreux wagons de même conception et qui présentent une capacité de charge élevée offrent à la voie peu ou pas de possibilités de reprise élastique au cours de leur passage.

1.13 Conduite des trains

On entend par la « conduite d’un train » la gestion des caractéristiques d’exploitation d’un train dans un territoire donné. Ces caractéristiques incluent la longueur, le tonnage et la répartition du poids du train ainsi que le jeu des attelages en fonction de l’ondulation, des pentes et des courbures du territoire dans lequel le train circule.

Les conducteurs de train doivent anticiper la réaction de compression et de traction et doivent adapter la conduite du train (au moyen d’une combinaison de la modulation du manipulateur, du DB et des freins à air du train) de manière à tenir compte des changements de terrain.

La planification et la conscience de la situation sont les facteurs clés d’une bonne conduite des trains, surtout les trains lourds. Avec un rapport de 142,9 tonnes par frein fonctionnel, le train à l’étude était considéré comme court et lourd.

Selon le Guide du mécanicien de locomotive, il est important que les ML fassent preuve d’un bon jugement lorsqu’ils contrôlent la vitesse d’un train ou qu’ils ralentissent ou arrêtent celui-ci. Le guide énonce notamment ce qui suit :

L’objectif est de réduire au minimum les efforts transmis à la voie et les efforts qui s’exercent également dans les trains, en observant les principes suivants :

– planifier suffisamment à l’avance;

– avoir recours au manipulateur pour régler la vitesse;

– déplacer graduellement et en douceur le manipulateur, le levier du frein rhéostatique [DB] et la poignée du robinet de mécanicien;

– utiliser de manière judicieuse le FR et le frein automatiqueNote de bas de page 16.

Lors de cet événement, la façon dont le DB et le frein à air du train ont été utilisés n’a pas ralenti suffisamment le train pour respecter la limite de vitesse indiquée dans la limitation permanente de vitesse. En conséquence, le train est entré dans la zone de limitation permanente de vitesse à une vitesse de 47 mi/h, soit 7 mi/h au-dessus de la limite.

Fait établi : Autre

Même si, lors de cet événement, la conduite du train n’était pas entièrement conforme aux procédures d’exploitation du CN, l’enquête n’a pas permis de déterminer si une meilleure conduite du train aurait réduit suffisamment les contraintes pour éviter l’accident.

1.13.1 Serrage du frein dynamique

Le système de DB est un système de freinage supplémentaire disponible uniquement sur les locomotives. Il utilise les champs magnétiques des moteurs de traction sous tension pour créer une résistance qui aide à ralentir le train. Le système de DB est privilégié dans l’exploitation des trains pour contrôler la vitesse du train, car il ne consomme pas d’air du groupe de traction, qu’il peut être desserré graduellement et qu’il favorise l’économie de carburant. Le DB exerce une force retardatrice importante lorsqu’il est utilisé. Le système de frein à air offre un effort de freinage supplémentaire au besoin.

Le DB a tendance à générer des forces de compression plus élevées dans tout le train que les freins à air automatiques. Le serrage du DB concentre l’effort de freinage aux locomotives, ce qui a habituellement pour effet de rapprocher les wagons du train les uns des autres à mesure que le jeu des attelages se comprime. Pour cette raison, le DB doit être serré de façon graduelle et progressive pour éviter des forces excessives.

1.14 Évaluation par le laboratoire du BST de la conduite du train et des forces exercées le long du train

Le laboratoire du BST a examiné les données du CEL et a effectué une simulation de la dynamique du train à l’aide du logiciel Train Energy and Dynamics Simulator (TEDS) pour évaluer la conduite du train et les forces exercées le long du train lors de cet événement.

D’après les données du CEL, il a été déterminé que, peu avant que le train entre dans la zone de limitation permanente de vitesse de 40 mi/h, le frein dynamique a été fortement serré (l’effort de freinage dynamique a été augmenté au maximum – du cran 1 au cran 8 – en 9 secondes). Le train est entré dans la zone de limitation permanente de vitesse à une vitesse approximative de 47 mi/h et avait décéléré à environ 39 mi/h lorsque le freinage d’urgence provenant de la conduite générale du train s’est déclenché.

Les résultats des simulations de la dynamique du train ont indiqué que, avant le freinage d’urgence provenant de la conduite générale du train, les forces de traction maximales simulées étaient d’environ 60 à 85 kipsNote de bas de page 17, et les forces de compression maximales simulées étaient d’environ 70 à 90 kips. Ces forces, qui tiennent compte du fort serrage du DB et de la vitesse du train au moment du freinage d’urgence provenant de la conduite générale du train, n’auraient pas été suffisantes pour briser des attelages sans défaut préexistant ni pour causer le renversement d’un rail en bon état.

Le laboratoire du BST a tiré les conclusions suivantes concernant les facteurs qui ont pu contribuer à la rupture de la voie lors de cet événement :

1.15 Événements antérieurs mettant en cause un flambage de la voie

Au cours des 5 années qui ont précédé cet événement, 15 déraillements mettant en cause un flambage de la voie ont été signalés au BST, dont un (R19C0088) a fait l’objet d’un rapport d’enquête Note de bas de page 18.

1.16 Rapports de laboratoire du BST

Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

2.0 Analyse

Même si des composants d’ensemble de traction rompus ont été trouvés sur place, on estime que ces composants ont été endommagés à la suite de la séquence de déraillement et n’ont pas contribué à l’accident. Par conséquent, l’analyse se concentrera sur la gestion, la détection et l’atténuation des contraintes thermiques dans les longs rails soudés (LRS), ainsi que sur la dynamique voie-train.

2.1 L’événement

Le 21 août 2021 vers 13 h, le train B73041-15 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Canadien National ou CN), un train-bloc de marchandises chargé de potasse, circulait vers l’est à 39 mi/h dans la subdivision de Napadogan du CN lorsqu’un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est produit près de la gare de Pangburn (point milliaire 18,9), entraînant le déraillement de 30 wagons. Au moment de l’événement, le train décélérait sur une pente descendante dans une zone de limitation permanente de vitesse. Ce train-bloc lourd était également le seul train circulant vers l’est à avoir traversé le secteur pendant l’après-midi, alors que la température ambiante aurait été au plus haut, depuis que les travaux de libération du rail avaient pris fin le 19 août 2021.

La plupart des wagons déraillés étaient en portefeuille, ce qui indique une possible défaillance soudaine de la voie. Un morceau d’attelage rompu qui s’était détaché du 2e wagon déraillé (position 71) a été retrouvé à environ 500 pieds de la position finale du wagon, ce qui donne à penser que le wagon a quitté la voie et a parcouru environ 500 pieds avant de s’immobiliser. Cela est cohérent avec un flambage de la voie sous le train.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Le déraillement s’est produit lorsqu’il y a eu flambage de la voie sous le train alors que celui-ci décélérait dans une pente descendante près de la gare de Pangburn.

2.2 Contrainte thermique dans le long rail soudé

Il y a contrainte thermique dans le rail lorsque le rail en acier est soumis à des variations de température. Sous l’effet de la chaleur, l’acier se dilate, créant des forces de compression; sous l’effet du froid, il se contracte, créant des forces de traction. Les LRS sont particulièrement vulnérables aux contraintes thermiques, car ils sont fixes sur leur longueur, ce qui limite leur liberté de dilatation et de contraction. Les forces de compression exercées sur les rails peuvent provoquer un flambage de la voie, tandis que les forces de traction peuvent entraîner des séparations et des fractures du rail.

Les températures ambiantes élevées et l’exposition à la lumière directe du soleil augmentent la température d’un rail, le soumettant à des contraintes thermiques de compression. Le jour de l’accident, la température ambiante était d’environ 25 °C et il y avait des périodes d’ensoleillement direct. Cela peut avoir fait augmenter la température du rail de jusqu’à 17 °C supplémentaires, ce qui aurait pu porter la température du rail à plus de 40 °C, créant ainsi les conditions d’une contrainte thermique de compression dans le rail.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Les températures ambiantes élevées et l’exposition à la lumière directe du soleil le jour de l’événement ont contribué à l’accumulation de contraintes thermiques de compression dans le rail.

2.2.1 Température de contrainte nulle du rail

Pour réduire les risques liés aux contraintes thermiques, les LRS sont installés à une température aussi près que possible de la température de contrainte nulle du rail (température à laquelle il est exempt de toute contrainte de traction ou de compression).

Au cours de la vie utile d’un tronçon de rail, la température de contrainte nulle du rail peut diminuer en raison de facteurs externes comme les fluctuations saisonnières de la température ambiante, les activités d’entretien de la voie et les mouvements des rails causés par la circulation. Lorsque la température de contrainte nulle d’un rail diminue, sa résistance aux contraintes de compression est réduite.

Pour empêcher l’accumulation de contraintes internes excessives dans les LRS, les chemins de fer procèdent à des activités de libération du rail, libèrent les contraintes accumulées et ramènent le rail plus près de sa température de contrainte nulle.

Il a été déterminé que les voies situées à proximité du déraillement nécessitaient des travaux de libération du rail et de remplacement des anticheminants. Des travaux de libération du rail étaient effectués dans certaines sections de la subdivision afin de ramener le rail à la température de contrainte nulle de 32 °C (90 °F) privilégiée par le CN pour la pose des rails. Les tronçons de voie qui n’avaient pas encore subi de travaux de libération des contraintes avaient probablement une température de contrainte nulle inférieure à 32 °C. Par conséquent, leur résistance aux forces de compression était moindre, et ces forces auraient également commencé à se développer à une température ambiante plus basse.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

La température de contrainte nulle du rail avait diminué au cours de sa vie utile, créant une instabilité à des températures ambiantes plus basses et réduisant la capacité du rail à résister au flambage lorsqu’il était soumis à des contraintes de compression.

2.2.2 Inspections par temps chaud

Pour repérer les rails soumis à des contraintes thermiques excessives, les employés d’entretien de la voie procèdent généralement à des inspections visuelles à bord de véhicules rail-route et recherchent des indications de contraintes longitudinales accumulées, comme le soulèvement des crampons et un déplacement ou une instabilité du rail.

Les inspections visuelles ne peuvent détecter que les signes physiques de dégradation de la voie à un endroit particulier d’un tronçon de rail. Elles ne permettent pas de déterminer à l’avance un niveau dangereux de contraintes de compression résiduelles dans un rail ou une structure de voie non perturbés. Par conséquent, les voies dont les rails sont soumis à des contraintes de compression excessives peuvent ne pas être détectées.

Des dispositifs de mesure des contraintes, comme l’outil VERSE (équipement de mesure de la contrainte verticale sur les rails), peuvent aussi être utilisés pour contribuer à déterminer le niveau de contrainte dans le rail. Cet outil mesure la contrainte exercée sur le rail à un endroit précis; toutefois, cette technologie est d’une application pratique limitée, puisqu’il faut retirer les arrimages de la voie pendant l’essai.

Lors de cet événement, une inspection par temps chaud effectuée la veille de l’événement n’a permis de déceler aucun signe d’instabilité du rail ou de vulnérabilité de la voie au flambage sous l’effet d’une contrainte thermique de compression excessive.

Fait établi quant aux risques

Si les instabilités du rail dues à des contraintes thermiques excessives ne sont pas efficacement décelées et si des mesures de précaution ne sont pas mises en œuvre, les voies ferrées pourraient subir un flambage en cours de fonctionnement, augmentant ainsi le risque de déraillement.

2.3 Dynamique voie-train

Les trains en mouvement exercent des forces longitudinales sur le matériel roulant, principalement en raison des modulations du manipulateur ou du frein dynamique (DB), ainsi que des serrages et desserrages des freins. Ces forces longitudinales sont transmises à la voie par les interactions entre les rails et les roues des locomotives et du matériel roulant en mouvement, et elles contribuent aux contraintes imposées aux rails. Les variations et les mouvements du matériel roulant qui génèrent également des forces latérales peuvent pousser sur le rail, ajoutant des forces dynamiques supplémentaires entre le train et la voie. Même si la conception des profils de roue et des châssis de bogie aide à atténuer le contact des boudins de roue avec les rails et son impact sur les forces latérales, à mesure que ces composants s’usent, l’incidence de ces mesures d’atténuation peut diminuer.

Dans l’événement à l’étude, alors que le train roulait sur une pente descendante, il y a eu un serrage du DB, ce qui a généré des forces de compression longitudinales peu avant le déraillement. Selon les calculs du laboratoire du BST, les forces induites dans le rail par le freinage dynamique étaient d’environ 80 kips, ce qui est considéré comme respectant les paramètres d’exploitation normale des trains. Le passage des trains crée de la chaleur de friction en raison du contact des roues avec les rails. Ces forces se sont ajoutées à la contrainte de compression qui était déjà présente dans le rail en raison de la température ambiante élevée.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Les forces longitudinales appliquées à la voie pendant la décélération du train ont contribué à l’augmentation des contraintes de compression dans le rail.

2.4 État de la voie

Pour résister aux forces causées par les trains, les voies ferrées doivent être convenablement soutenues et fixées. L’immobilisation longitudinale et latérale des rails exige des traverses en bon état, un nombre suffisant de crampons et d’anticheminants, et du ballast de pierre concassée exempt de toute contamination. Si l’un ou plusieurs de ces composants de la voie ne contribuent pas à la résistance prévue aux forces longitudinales exercées par les trains qui passent, les contraintes de compression peuvent l’emporter sur la stabilité latérale de la voie, créant ainsi des conditions favorables à un flambage de la voie.

La voie dans la zone de déraillement était intrinsèquement plus susceptible de se déplacer en raison des conditions de tourbière et de la pente. Pour réduire les risques de mouvement du rail associés à ces conditions, une limitation permanente de vitesse était en vigueur.

Dans le secteur, on avait fixé la voie de manière appropriée aux conditions de tourbière et on avait utilisé des traverses plus longues en guise de mesure d’atténuation. Toutefois, certains signes, comme le déplacement des traverses et des anticheminants, indiquaient que l’ancrage des rails s’était dégradé avec le temps.

En 2020, le CN avait déterminé que la voie qui se trouvait dans le secteur où a eu lieu le déraillement nécessitait un entretien préventif, et au moment de l’événement, elle faisait l’objet de travaux de libération du rail. Les travaux avaient commencé le 17 août 2021, d’est en ouest. Au moment de l’événement, les travaux de libération du rail étaient partiellement terminés jusqu’au point milliaire 18,88 sur le rail sud et jusqu’au point milliaire 18,85 sur le rail nord, et il était prévu de les reprendre la semaine suivante.

Dans le tronçon de voie où les travaux de libération du rail avaient été effectués, le rail était encadré d’anticheminants. L’ancrage par encadrement crée un point fixe dans la voie et est considéré comme le moyen le plus sûr d’ancrer une voie et d’empêcher tout mouvement. En revanche, le tronçon de voie qui n’avait pas encore été libéré était moins bien fixé en raison de la dégradation de son ancrage et permettait au rail de bouger davantage.

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

L’état dégradé de l’ancrage des tronçons de voie non libérés a fait en sorte de réduire la rigidité de la voie et sa résistance aux mouvements.

La combinaison des contraintes thermiques de compression et des forces longitudinales découlant du freinage du train sur une voie dont la température de contrainte nulle était plus basse et dont l’ancrage était dégradé a probablement provoqué le flambage de la voie.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

  1. Le déraillement s’est produit lorsqu’il y a eu flambage de la voie sous le train alors que celui-ci décélérait dans une pente descendante près de la gare de Pangburn.
  2. Les températures ambiantes élevées et l’exposition à la lumière directe du soleil lors de l’événement ont contribué à une accumulation de contraintes thermiques de compression dans le rail.
  3. La température de contrainte nulle du rail avait diminué au cours de sa vie utile, créant une instabilité à des températures ambiantes plus basses et réduisant la capacité du rail à résister au flambage lorsqu’il était soumis à des contraintes de compression.
  4. Les forces longitudinales appliquées à la voie pendant la décélération du train ont contribué à l’augmentation des contraintes de compression dans le rail.
  5. L’état dégradé de l’ancrage des tronçons de voie non libérés a fait en sorte de réduire la rigidité de la voie et sa résistance aux mouvements.
  6. La combinaison des contraintes thermiques de compression et des forces longitudinales découlant du freinage du train sur une voie dont la température de contrainte nulle était plus basse et dont l’ancrage était dégradé a probablement provoqué le flambage de la voie.

3.2 Faits établis quant aux risques

Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

  1. Si les instabilités du rail dues à des contraintes thermiques excessives ne sont pas efficacement décelées et si des mesures de précaution ne sont pas mises en œuvre, les voies ferrées pourraient subir un flambage en cours de fonctionnement, augmentant ainsi le risque de déraillement.

3.3 Autres faits établis

Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

  1. Même si, lors de cet événement, la conduite du train n’était pas entièrement conforme aux procédures d’exploitation du CN, l’enquête n’a pas permis de déterminer si une meilleure conduite du train aurait réduit suffisamment les contraintes pour éviter l’accident.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

À la suite du déraillement, le Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada a émis le bulletin d’exploitation no 618. Dans ce bulletin il était demandé aux équipes de train d’éviter les freinages excessifs et de limiter les freins dynamiques au cran 5 du point milliaire 17,0 au point milliaire 21,2 dans la subdivision de Napadogan.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .