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Rapport d'enquête ferroviaire R95V0218

Collision entre le train numéro 819-021 et
le train numéro 996-30
du Canadien Pacifique Limitée
point milliaire 119,9, subdivision Mountain
Greely (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 1er octobre 1995, vers 6 h 40, le train de marchandises no 819-021 (train 819) du Canadien Pacifique Limitée (CP) qui roulait vers l'ouest a heurté de front le train no 996-30 (train 996) du CP qui roulait vers l'est au point milliaire 119,9 de la subdivision Mountain, à Greely (Colombie-Britannique). Les locomotives de tête des deux trains ont subi des dommages considérables. Les membres des équipes des deux trains ont subi de légères blessures. Il n'y a pas eu de déraillement.

Le Bureau a déterminé que la collision frontale avec le train 996 est survenue parce que l'équipe du train 819 n'a pas pris les mesures qui s'imposaient en réaction au signal de vitesse normale à arrêt, à l'approche de Greely, et au signal d'arrêt, à Greely. La fatigue a porté atteinte au rendement de l'équipe parce que cette dernière avait veillé trop d'heures sans repos réparateur. L'épais brouillard localisé au moment de la collision a limité la visibilité du signal de Greely.

1.0 Renseignements de base

1.1 L'accident

1.1.1 Train 996

L'équipe du train 996, qui se compose d'un mécanicien et d'un chef de train, se présente au travail à 5 h 10Note de bas de page 1 au point milliaire 125,7 de la subdivision Mountain, à Revelstoke (Colombie-Britannique), pour conduire son train vers l'est jusqu'au point milliaire 0,0, à Field (Colombie-Britannique).

Au moment où l'équipe quitte Revelstoke à 6 h 20 sur la voie principale sud, le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) l'informe qu'elle doit prendre une locomotive sur la voie de garage de Greely, au point milliaire 119,9, à quelque six milles à l'est de Revelstoke.

On accède à la voie de garage de Greely par la voie principale nord. Comme le train 996 doit y prendre la locomotive, le CCF oriente les aiguillages de liaison de Greely pour que le train puisse passer de la voie principale sud à la voie principale nord.

Au signal avancé de la liaison de Greely, le signal 1216S, le train 996 reçoit le signal de passer de vitesse normale à vitesse moyenne (30 mi/h) avant de franchir le signal suivant. Comme il rencontre un épais brouillard localisé et prévoit de ramasser la locomotive sur la voie de garage, le mécanicien réduit la pression dans la conduite générale de 10 livres au pouce carré (lb/po²). La vitesse du train descend sous la vitesse maximale de 30 mi/h autorisée à la liaison pour tomber à environ 16 mi/h à l'approche du signal 1200S, à la liaison. Les membres de l'équipe entendent alors un message radio qu'aucun d'eux ne saisit clairement, mais qui ressemble au suivant : «get off your train» («Descendez du train»). Ils ont entendu auparavant l'équipe d'un train en direction ouest communiquer le panneau indicateur de gare à l'approche de Greely conformément aux règles et ils ont soupçonné que ce message leur était adressé. Le mécanicien du train 996 décide de ne pas desserrer les freins du train comme il l'aurait fait d'ordinaire et continue de ralentir. À environ 250 pieds du signal 1200S, les membres de l'équipe voient le phare avant et les phares de fossé d'un train en direction ouest émerger du brouillard et se rapprocher d'eux sur la voie sud. Les deux membres de l'équipe se sont rappelés avoir conclu que le train de sens contraire ne pourrait s'arrêter au signal situé à l'est de la liaison, le signal 1199S, et les heurterait avant qu'ils ne puissent bifurquer. Le chef de train et le mécanicien passent alors sur la passerelle par la porte située derrière le pupitre de commande et sautent à terre. Le mécanicien serre à fond le frein indépendant avant de quitter. Les deux membres de l'équipe se dirigent immédiatement vers le sud pour se mettre en lieu sûr. Le train 996 est presque arrêté lorsque le train 819 le heurte à environ 10 mi/h au point milliaire 119,9. La collision endommage les locomotives de tête des deux trains. La collision se produit vers 6 h 40.

1.1.2 Train 819

L'équipe du train 819 se compose d'un mécanicien et d'un chef de train. Elle doit conduire son train sur la subdivision Mountain, depuis le point milliaire 35,0, à Golden (Colombie-Britannique), jusqu'à Revelstoke, à l'ouest. Elle se présente au travail à Field le 30 septembre 1995, à 22 h 10, et est conduite en taxi à Golden, où elle arrive à 22 h 50. Le train 819 subit un retard de 4,5 heures à Golden à cause d'ennuis techniques liés à la voie dans le secteur du tunnel MacDonald. Il quitte Golden à 3 h 20 le 1er octobre 1995.

Le mécanicien du train 819 s'est rappelé qu'avant de quitter Golden, il se sentait fatigué et agité. Tout ce qu'il voulait, c'était d'en finir avec le voyage et de rentrer chez lui, car il commençait d'être affecté par la fatigue.

Après avoir quitté Golden, le mécanicien continue d'être agité et il s'est rappelé qu'il trouvait que les caractéristiques de manoeuvrabilité du train éprouvaient sa concentration. Il s'est senti durement touché par la traversée du tunnel MacDonald, qui a pris environ 45 minutes à quelque 12 mi/h à pleins gaz. Il a qualifié le bruit et les vibrations d'extrêmes. Il s'est rappelé qu'à l'approche de la fin du tunnel, il avait la nausée, se sentait étourdi et éprouvait une sensation qu'il a qualifié d'«extrême fatigue». Il était incapable de fixer son regard. À la sortie du tunnel, il avertit le chef de train qu'il ne pense pas y arriver. Peu après la sortie du tunnel, il ouvre sa fenêtre pour laisser entrer de l'air frais, ce qui le ranime un peu. Il décide alors de continuer, étant donné que Revelstoke se trouve à environ une heure de distance d'après ses calculs.

En approchant de Greely sur la voie principale sud, le train 819 arrive au signal 1183S, qui lui affiche le signal de vitesse normale à arrêt. Le chef de train et le mécanicien se sont rappelés avoir identifié tous deux le signal et se l'avoir communiqué l'un à l'autre. Le chef de train se souvient avoir communiqué le panneau indicateur de gare indiquant qu'il était à un mille de Greely de même que le numéro de la locomotive de tête et le sens du mouvement sur la radio de secours, conformément aux exigences des règles d'exploitation.

À environ un mille du signal suivant, le signal 1199S, le train 819 pénètre dans un banc d'épais brouillard localisé. Le mécanicien s'est rappelé qu'il est devenu désorienté et confus lorsqu'il ne pouvait voir le signal 1199S. Il a indiqué que ce signal se voyait à une distance d'environ un mille par temps clair. Il est en train de régler la vitesse de son train par un serrage minimal des freins du train et par les freins rhéostatiques des locomotives lorsque le train pénètre dans Greely en descendant la pente d'environ 1,4 p. 100. Comme le train roule à environ 36 mi/h à quelque 2 700 pieds de l'indication d'arrêt donnée par le signal 1199S, le mécanicien desserre les freins du train.

Le chef de train sait que le mécanicien a manoeuvré le robinet de mécanicien, mais il se souvient qu'il pensait que le mécanicien avait serré davantage les freins du train. Le mécanicien a déclaré qu'il a cherché à déterminer sa position en regardant par la glace latérale de la locomotive. Le chef de train rappelle au mécanicien qu'ils allaient tomber sur une indication d'arrêt au signal suivant. Le mécanicien a indiqué qu'il n'a su à nouveau où il se trouvait exactement qu'après avoir dépassé la locomotive laissée sur la voie de garage à Greely, ce qui l'a orienté par rapport au train 996. Le mécanicien serre les freins d'urgence du train et envoie un message radio à l'équipe du train 996 pour lui dire de descendre du train. À environ 900 pieds du point d'impact et juste avant de descendre, les membres de l'équipe du train 819 aperçoivent le phare avant du train 996. Ils subissent tous deux de légères blessures en descendant du côté sud de la locomotive tandis que le train roule à environ 25 mi/h. Après la collision, les membres des équipes des deux trains se trouvent et vérifient qu'ils ne sont pas en danger de mort. Ils envoient ensuite un message radio d'urgence au CCF à partir de l'une des locomotives immobiles. Ils l'informent de la collision et le prient d'appeler une ambulance et de faire intervenir des cadres de la compagnie.

1.2 Victimes

Les quatre membres d'équipes ont subi de légères blessures en sautant de leurs trains.

1.3 Renseignements sur le personnel

Les membres des équipes des deux trains répondaient aux exigences de leurs postes et satisfaisaient aux exigences réglementaires concernant la période de repos obligatoire et le temps maximal de service.

1.4 Renseignements sur le train

Le train 996 se composait de 4 locomotives, de 22 wagons chargés et de 75 wagons vides. Il pesait environ 5 535 tonnes et mesurait quelque 6 200 pieds de long.

Le train 819 se composait de 112 wagons de charbon et de 4 locomotives : 2 locomotives de tête et 2 locomotives télécommandées qui se trouvaient au milieu du train. Le train pesait environ 15 700 tonnes et mesurait quelque 7 100 pieds de long.

1.5 Renseignements consignés

1.5.1 Train 996

D'après le consignateur d'événements, à 6 h 37 min 55,8 s, le train 996 roulait à 29,3 mi/h, la manette des gaz en position no 4 et les freins desserrés. À 6 h 38 min 42,5 s, la pression dans la conduite générale est tombée de 83 lb/po² à 73 lb/po². À 6 h 39 min 39 s, la manette a été mise en position no 6, et la vitesse est tombée à 20,9 mi/h. À 6 h 39 min 59 s, la manette a été mise à «0», et la vitesse est tombée à 13,8 mi/h. La pression au cylindre de frein a alors commencé à augmenter, ce qui indique un autre serrage des freins. Elle a ensuite augmenté continuellement à mesure que la vitesse tombait. La marche avant a cessé à 6 h 40 min 24 s.

1.5.2 Train 819

INDICATEUR DU CP
DISTANCE CONSIGNÉE
À PARTIR DE FIELD (C.-B.)
VARIATION DE
VITESSE CONSIGNÉE
(mi/h)
VITESSE MAXIMALE
AUTORISÉE (mi/h)
DISTANCE À PARTIR
DE FIELD (C.-B.)
36,959 à 45,822 26,2 -- 49,4 50 34,0 à 51,8
45,822 à 51,8 49,4 -- 56,8 50
51,8 à 52,4 45,2 -- 50,5 45 51,8 à 52,4
52,4 à 53,0 41,0 -- 44,2 40 52,4 à 53,0
53,0 à 53,5 35,7 -- 42,1 35 53,0 à 53,5
53,5 à 54,0 28,4 -- 34,7 30 53,5 à 54,0
54,0 à 54,2 27,3 -- 28,4 25 54,0 à 54,2
54,2 à 55,61 27,3 -- 34,7 35 54,2 à 65,9
55,649 à 59,091 35,7 -- 41,0 35
59,2 à 60,779 30,5 -- 34,7 35
60,923 à 65,9 35,7 -- 37,8 35
65,9 à 68,049 30,5 -- 36,8 30 65,9 à 68,3
68,125 à 89,9 7,4 -- 29,5 30 68,3 à 89,9
Voie MacDonald
89,9 à 99,6 23,1 -- 28,4 20 89,9 à 99,6
99,6 à 100,899 23,1 -- 25,2 25 99,6 à 102,5
100,934 à 102,5 26,3 -- 30,5 25
102,5 à 104,994 21,0 -- 27,3 20 102,5 à 105,0
105,001 à 106,285 22,1 -- 34,7 35 105,0 à 124,1
106,324 à 119,532 37,7 -- 39,9 35
119,532 à 119,9 34,7 -- 0,0 35

D'après le consignateur d'événements, de 6 h 32 min 40 s à 6 h 32 min 50 s, tandis que le train roulait à 38,9 mi/h, la pression dans la conduite générale est tombée de 87 lb/po² à 80 lb/po², ce qui indique un serrage minimal des freins du train. Le frein rhéostatique était à la position no 8 pendant ce temps. À 6 h 39 min 5 s, la pression dans la conduite générale est passée de 80 lb/po² à 87 lb/po², ce qui indique un desserrage des freins du train. Le frein rhéostatique est demeuré à la position no 8. À 6 h 39 min 31 s, tandis que le train roulait à 34,7 mi/h, la pression dans la conduite générale est tombée à 3 lb/po², et une voie numérique désignée «A» apparaît dans les données, ce qui indique un freinage d'urgence déclenché par le mécanicien. Le train 819 a continué, et à 6 h 40 min 17 s, la vitesse est tombée de 10,4 mi/h à 6,3 mi/h en une seconde. La marche avant paraît arrêtée à 6 h 40 min 21 s. Les données tirées du consignateur d'événements du consignateur étendu indiquent qu'entre Golden et Greely, le train 819 excédait la vitesse maximale autorisée (excès qui a atteint 8,4 mi/h) à plusieurs endroits. Le tableau à la page précédente donne la variation de vitesse et la vitesse maximale autorisée entre Golden et le lieu de la collision.

1.6 Caractéristiques de manoeuvrabilité du matériel de traction - train 819

Les deux locomotives de tête étaient des locomotives SD40-2 de 3 000 horse-power (HP) de la General Motors (GM). Placées au milieu du train, les deux locomotives télécommandées étaient une locomotive SD40-2 de 3 000 HP de la GM et une locomotive à grande adhérence et à moteur de traction à courant alternatif de 4 400 HP de la General Electric (GE). Le CP avait récemment acheté cette série de locomotive de la GE, qui était intégrée dans l'exploitation des trains-blocs de charbon sur ce territoire. Avant l'achat de ces locomotives de la GE, le CP y remorquait d'ordinaire ses trains-blocs de charbon au moyen de trois locomotives SD40-2 de 3 000 HP de la GM placées en tête du train et de deux locomotives SD40-2 de 3 000 HP de la GM, télécommandées, placées au milieu du train. Le mécanicien commande ces dernières à partir de la locomotive de tête au moyen du système «Locotrol».

Le mécanicien du train 819 s'est rappelé qu'il avait trouvé que les caractéristiques de manoeuvrabilité de son train différaient de celles auxquelles il était habitué. Il a pensé que le train se manoeuvrait différemment en raison de la configuration du groupe de traction. Le mécanicien a déclaré qu'il aurait probablement considéré la conduite de ce train comme une expérience d'apprentissage et un défi s'il avait été bien reposé, mais à cause de la fatigue, elle l'avait mis en colère et dans tous ses états et avait rendu son travail plus difficile. Il reconnaissait que la compagnie ferroviaire avait récemment acheté les locomotives de la GE et qu'elle en variait le classement dans les trains pour trouver la meilleure configuration possible. C'était la première fois que le mécanicien conduisait un train-bloc de charbon dont le groupe de traction avait cette configuration.

1.7 Antécédents immédiats de travail - équipe du train 819

Le mécanicien du train 819 a effectué son premier parcours après un congé annuel de deux semaines, le 25 septembre, à partir de 20 h, de Revelstoke à Field; il était en repos vers 2 h, le 26 septembre. Il s'est inscrit en repos à Field jusqu'à 8 h et a demandé un délai de rappel d'une heure. On lui a ordonné à 8 h 45 de se présenter au travail à 9 h 45; il a ramené un train à Revelstoke et est rentré chez lui à 16 h. Il s'est couché tôt ce soir-là et s'est levé de bonne heure le lendemain matin, le 27 septembre. Ce jour-là, on l'a affecté à un service combiné de navette (SCN)Note de bas de page 2 entre Revelstoke et Field et le retour pour lequel il devait se présenter au travail à 22 h. Comme il n'avait pas beaucoup dormi avant l'appel et qu'un appel pour un SCN signifiait qu'il serait fort probablement de service plus longtemps que d'habitude, le mécanicien n'a pas accepté l'appel jusqu'à ce qu'on l'informe que le chef de train était aussi un mécanicien qualifié. Le mécanicien a été conduit en taxi jusqu'à Field, où il est arrivé à 0 h 50, le 28 septembre, et a pris immédiatement son service pour le retour à Revelstoke. Il a quitté Field vers 2 h et est arrivé à Revelstoke vers 8 h 15, ce qui lui donnait un temps total de service de 10 heures 15 minutes. Le chef de train, qui était aussi un mécanicien qualifié, avait conduit la locomotive de Golden à Ross Peak, soit sur une distance de 55 milles, pendant que le mécanicien essayait de se reposer. À l'arrivée, ce dernier s'est inscrit en repos jusqu'à 14 h, le 29 septembre.

Pendant ses deux semaines de congé, le mécanicien avait acquis un sommeil nocturne d'une structure normale. Le deuxième et le troisième parcours qu'il a effectués après son congé étaient des voyages de nuit. Il se souvient qu'il avait eu du mal à passer du sommeil nocturne au travail de nuit.

Le 30 septembre, le mécanicien du train 819 s'est réveillé vers 5 h et s'est présenté au travail à 7 h pour conduire le train 772. Il a été de service jusqu'à 14 h 47. Il est allé au centre d'hébergement, a fait des exercices au gymnase et mangé. Vers 18 h, il s'est couché pour dormir avant de retourner au travail. Il déclare qu'il s'est endormi, mais que des bruits provenant de l'extérieur de la chambre l'ont tenu réveillé de 19 h à 19 h 30. Il a donc dormi tout au plus une heure environ. Quand il s'est présenté au travail à 22 h 10, il avait été en repos quelque 7,5 heures.

Il s'est rappelé que, quand il a reçu ses ordres, il savait qu'il n'avait pas assez dormi. Cependant, comme il estimait qu'il ne faudrait pas plus de six heures environ pour faire le trajet, il a pensé qu'il pouvait y arriver.

Le 28 septembre, le chef de train a reçu l'ordre de se présenter à Revelstoke pour prendre en charge le train 996 à 5 h 15. Il avait été en repos durant 20 heures 41 minutes depuis son voyage précédent. Il s'est inscrit en repos à Field à 13 h 16 jusqu'à 17 h et a reçu l'ordre de se présenter à 18 h 50 pour prendre en charge le train 401. Il avait été en repos à Field durant 5 heures 34 minutes. Il s'est inscrit en repos à Revelstoke à 0 h 18, le 29 septembre, puis a reçu l'ordre de se présenter à Revelstoke pour prendre en charge le train 772 à 7 h, le 30 septembre. Il avait été en repos durant 30 heures 42 minutes. Il s'est inscrit en repos à Field à 14 h 33, puis a reçu l'ordre à 22 h 10 de prendre en charge le train 819. Il n'a pas fermé l'oeil durant sa période de repos, de 14 h 40 à 22 h 10.

Le chef de train du train 819 répondait aux exigences de son poste et possédait de l'expérience sur la subdivision Mountain.

Les dispositions négociées entre la compagnie ferroviaire et les syndicats permettent aux équipes de demander d'être relevées après 7 heures en service, pour entrer en vigueur après 10 heures en service. Cette disposition aurait permis à l'équipe du train 819 de demander d'être relevée vers 5 h pour entrer en vigueur à 8 h. Le chef de train du train 819 s'est rappelé qu'il avait avisé l'autorité compétente que son équipe allait demander d'être relevée conformément à cette disposition avant de partir de Golden.

1.8 Fatigue

1.8.1 Généralités

La fatigue sert souvent de mot polyvalent pour qualifier diverses expériences comme un malaise physique résultant du surmenage d'un groupe musculaire, la difficulté à se concentrer, celle à se rendre compte de signaux potentiellement importants et celle à rester en éveil.Note de bas de page 3

1.8.2 Vigilance

La vigilance est l'état d'éveil optimal du cerveau. Lorsqu'on est vigilant, on est conscient de ce qui arrive autour de soi et on est capable de penser et d'agir. Sans vigilance, il n'y a pas d'attention, et sans attention, il n'y a pas de rendement. La sélection, la formation et la motivation sont des facteurs inefficaces du rendement si l'esprit n'est pas éveillé. La vigilance est un état dynamique qui peut varier de seconde en seconde.Note de bas de page 4

1.8.3 L'effet de la fatigue sur le rendement

Des chercheurs de l'Institut militaire et civil de médecine environnementale ont mené une série d'expériences de privation de sommeil où des personnes devaient participer à un exercice de poste de commandement durant 54 heures sans dormir. Les personnes ont été préparés aux tâches, et l'on a pris des mesures de base de leur rendement. Des tests de rendement standardisés ont été menés régulièrement durant l'expérience. On a constaté une détérioration de 30 p. 100 dans l'exécution de tâches cognitives ou de tâches de résolution mentale de problèmes, de vigilance et de communication après 18 heures sans sommeil. Après 48 heures, on a observé une détérioration de 60 p. 100. La détérioration du rendement ou dégradation est progressive et empire à mesure que la période de veille s'allonge.Note de bas de page 5

La fatigue peut amener un ralentissement des réactions aux stimulus des situations normales et même urgentes. Il faut plus de temps pour percevoir les choses, les interpréter ou les comprendre et y réagir ensuite. En d'autres termes, une équipe fatiguée peut être lente à réagir à un danger de collision, à un avertissement ou à une alarme.

La fatigue réduit la capacité d'évaluer une distance, une vitesse ou un temps. Le piètre jugement, symptôme de fatigue, peut résulter d'une altération du fonctionnement de l'esprit ou d'un manque de motivation. La motivation est un facteur lorsqu'on est si fatigué qu'on ne peut consacrer l'énergie nécessaire pour évaluer avec soin tous les facteurs pertinents pour prendre une décision.Note de bas de page 6

Lorsque la fatigue s'accumule et que l'envie de dormir augmente, on a tendance à vouloir finir son travail le plus tôt possible. Le cerveau ne donne pas son rendement optimal. Soit qu'elles désirent finir le travail en main, soit qu'elles ne se rendent pas compte du risque accru, les équipes fatiguées prennent souvent des raccourcis qu'elles n'envisageraient pas si elles étaient alertes.

Les personnes sont mauvais juges de leur propre niveau de vigilance ou de fatigue. La caféine, l'activité physique ou une conversation intéressante peuvent masquer les symptômes du manque de sommeil et de la fatigue. Les personnes (surtout les personnes fatiguées) n'évaluent pas bien leur vigilance et leur rendement.Note de bas de page 7

1.8.4 Micro-sommeil

Le symptôme extrême de la fatigue est le sommeil irrépressible. La période de sommeil irrépressible peut prendre la forme d'un micro-sommeil, d'une sieste ou d'une longue phase de sommeil. Le micro-sommeil est un sommeil dont la durée, très courte, varie d'une fraction de seconde à deux ou trois secondes. On peut confirmer l'existence du micro-sommeil par électroencéphalographie (EEG), mais les personnes n'en sont généralement pas conscientes, ce qui rend ce phénomène particulièrement dangereux. Les tests ont démontré une corrélation entre le micro-sommeil et les périodes de piètre rendement, et ce phénomène se produit le plus souvent dans des conditions de fatigue. La personne endormie est «isolée sur le plan perceptif» et ne sait pas ce qui se passe autour d'elle.

1.8.5 Manque de sommeil

Le besoin de sommeil varie selon les personnes, mais plus de 90 p. 100 de la population a besoin de 7,5 à 8,5 heures de sommeil en 24 heures pour conserver sa vigilance. Si l'on ne dort pas assez, le manque de sommeil apparaît. Le degré d'altération du rendement augmente avec le manque de sommeil. Même petit, le manque de sommeil peut être grave. Dans la semaine qui suit le passage de l'heure normale à l'heure avancée, par exemple, le nombre d'accidents de la circulation augmente d'habitude de 11 p. 100. Par contraste, il diminue d'ordinaire dans la semaine suivant le passage de l'heure avancée à l'heure normale.

Le manque de sommeil s'accumule. Le fait de dormir une heure de moins qu'on en a besoin entraîne un déficit d'une heure de sommeil. Le fait de le répéter cinq nuits de suite produit à peu près les mêmes symptômes et la même dégradation du rendement que la perte de cinq heures de sommeil en une nuit.

1.8.6 Repos réparateur

Le seul repos qui soit réparateur est le sommeil. Les personnes qui ne dorment pas assez ou dont le sommeil est de piètre qualité deviennent fatiguées, et leur rendement en souffre. La diète, l'exercice, le repos sans sommeil et la variation de la charge de travail ne sont pas de bons moyens de lutter contre la fatigue à long terme. Un sommeil interrompu ou un sommeil de piètre qualité ne ramènent pas la vigilance non plus. Le seul moyen de rétablir le rendement est de dormir. En cas de grave privation de sommeil ou d'accumulation de manque de sommeil, deux nuits de sommeil normal suffisent d'ordinaire pour ramener la vigilance à un niveau normal. La somnolence est un signe biologique si puissant que, d'une manière incontrôlée et spontanée, même si un personne est très motivée, bien formée ou professionnelle, son cerveau peut s'isoler peu importe la situation. Même dans une situation qui pourrait être mortelle, son cerveau peut s'isoler pour que la personne puisse obtenir le sommeil dont elle a besoin.Note de bas de page 8

1.8.7 Horloge biologique

Au fil du temps, le cycle quotidien du jour et de la nuit s'est programmé dans nos cerveaux et a pris la forme d'une horloge biologique. Cette dernière régit divers systèmes chimiques et neurologiques. Le résultat global, c'est qu'on a un cycle quotidien qui se mesure de plusieurs façons. L'effet le plus important de ce cycle, c'est qu'on est programmé pour être réveillé le jour et endormi la nuit. On s'adapte effectivement à de nouveaux horaires, mais lentement.

L'être humain a deux périodes de somnolence maximale en 24 heures. Elles varient selon les personnes, mais la période de somnolence principale se produit en général entre 3 h et 5 h, et la période de somnolence secondaire, entre 15 h et 17 h. Chacune d'elles est précédée d'une période de vigilance maximale. Indépendamment de sa motivation et de la situation, on peut avoir du mal à rester réveillé pendant les périodes de somnolence maximale. À l'inverse, il est difficile de s'endormir pendant les périodes de vigilance maximale, et le sommeil obtenu n'est pas réparateur dans bien des cas.

1.9 Réglementation actuelle concernant la fatigue

Au Canada, les compagnies ferroviaires de compétence fédérale exercent leur activité sous le régime d'une réglementation qui fixe un temps maximal de service et prévoit une période de repos obligatoire pour les équipes des trains. L'organisme de réglementation a pris ces deux mesures pour apaiser des préoccupations au sujet de la sécurité. Il a imposé la période de repos obligatoire aux compagnies ferroviaires à la suite de la catastrophe ferroviaire survenue à Hinton en 1986. Il a imposé un temps maximal de service aux compagnies ferroviaires après avoir appris que le personnel de conduite restait trop longtemps de service.

La période de repos obligatoire ne s'applique qu'aux employés provenant d'une équipe et n'ayant pas d'affectation en service assigné et aux employés rappelés en service en commun qui étaient affectés à d'autres classes de services de trains. Les employés visés qui ont été en service plus de 10 heures ne sont pas tenus de travailler de nouveau en service en commun durant au moins 8 heures.

Les exigences en ce qui a trait au nombre maximal d'heures de service s'appliquent aux employés itinérants de toutes les classes de services de trains. Elles précisent qu'aucun employé ne doit être en service plus de 18 heures en 24 heures, que le nombre maximal d'heures de service par tour est de 12 heures, ou de 16 heures en cas de service de train de travaux ou en cas d'urgence.

1.10 Partie II du Code canadien du travail

Les compagnies ferroviaires de compétence fédérale sont assujettis à la partie II du Code canadien du travail (CCT). Le paragraphe 128.(1) y prévoit ce qui suit :

Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employé au travail peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose ou de travailler dans un lieu s'il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

  1. l'utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;
  2. il y a un danger pour lui de travailler dans le lieu.

Il y a eu plusieurs cas où les employés d'entreprises de compétence fédérale ont exercé leur droit de refuser de travailler parce qu'ils jugeaient que leur état physique constituait un danger. Cependant, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT) a toujours décidé que le danger devait être une chose tangible que l'agent de sécurité pouvait voir ou déceler physiquement pendant son enquête pour conclure à la réalité du danger dans sa médiation résultant d'un refus. L'état d'un employé ne constitue donc pas un danger au sens de la partie II du CCT.

1.11 Méthode de contrôle du mouvement des trains

Dans la subdivision Mountain, la méthode de contrôle du mouvement des trains est le système de commande centralisée de la circulation (CCC) autorisé par le Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) et surveillé par le CCF situé à Revelstoke. Le mouvement des trains est régi et autorisé par les indications des signaux. Le CCC ne s'accompagne actuellement d'aucun automatisme capable d'arrêter un train ou de faire observer les limitations de vitesse. Il n'existe pas de système d'avertissement passif associé au CCC pour indiquer aux trains qu'ils approchent de zones de restriction ou d'autre matériel roulant. Il n'y a pas de reprise en secours des signaux que le CCC donne par suite de la présence de matériel roulant ou de l'état de la voie. La subdivision Mountain est passée au CCC en 1970.

1.12 Conditions météorologiques

Au moment de la collision, le ciel était sombre et partiellement couvert, les vents étaient calmes et il y avait un épais brouillard localisé. La température atteignait trois ° C.

2.0 Analyse

2.1 Introduction

Les preuves matérielles et les données consignées confirment la suite des événements exposée par les membres des deux équipes et décrite dans la section 1. Le train 996 a été exploité conformément aux méthodes de la compagnie et aux normes de sécurité du gouvernement. Le train 819 qui roulait vers l'ouest a toutefois heurté de front le train 996 qui roulait vers l'est après avoir brûlé un signal d'arrêt. Si l'on applique les résultats reconnus de la recherche scientifique aux gestes des membres de l'équipe du train 819, on pense qu'un manque de repos réparateur a réduit leur capacité de remplir leurs fonctions. On examinera la cause de la fatigue de l'équipe du train 819 et l'effet de cette fatigue sur cette équipe, la réglementation actuelle concernant la fatigue, et la méthode de contrôle du mouvement des trains.

2.2 Examen des faits

Le mécanicien et le chef du train 819 sentaient qu'ils n'étaient pas reposés lorsqu'on les a appelés pour qu'ils prennent en charge leur train. Comme ils estimaient que le trajet prendrait environ six heures, ils ont cru qu'ils pouvaient faire le voyage sans danger. Ils n'avaient pas prévu d'être retenus 4,5 heures à Golden. Quand ils ont fini par partir, quelque 22 heures s'étaient écoulées depuis qu'ils avaient eu une période significative de sommeil réparateur.

Le mécanicien a dit qu'il avait perçu des symptômes de fatigue de plus en plus graves au cours du voyage. Lorsque le train a pénétré dans un banc de brouillard localisé à l'approche de Greely, il a perdu conscience de la situation et montré de la confusion. Il connaissait le secteur et il avait conduit des trains semblables dans des conditions de visibilité semblables, mais il ne savait pas cette fois où il était. Les repères comme le signal suivant ne sont pas apparus comme il s'y attendait. Il a desserré le frein automatique au moment où il aurait dû augmenter la pression de freinage, bien qu'il ait communiqué la signification de vitesse normale à arrêt du signal 1183S au chef de train et qu'on lui ait rappelé l'imminence d'un signal d'arrêt. Ce n'est qu'en voyant la locomotive à l'extrémité ouest de la voie de garage de Greely et qu'en reconnaissant où il se trouvait par rapport au train 996 qu'il a repris conscience de la situation et qu'il a serré les freins d'urgence.

Le chef de train a subi une désorientation semblable dans le brouillard localisé et, même s'il a rappelé l'imminence probable d'un arrêt au mécanicien, il n'a pas pris de mesures plus énergiques pour faire ralentir le train, alors que l'usage voulait qu'on ralentisse dans les circonstances. Il a aussi pris inexplicablement le desserrage du frein pour un serrage accru du frein, même si ces manoeuvres produisent une réaction du train et des sons très différents.

Le comportement du mécanicien et du chef de train du train 819 correspond à une fatigue extrême et indique peut-être qu'ils avaient des périodes de micro-sommeil. Le fait d'avoir desserré le frein au moment et à l'endroit où il a été desserré pourrait aussi être considéré comme conforme à l'exploitation du train en pensant que le dernier signal est un signal de vitesse normale. Dans les circonstances, le scénario le plus plausible et celui appuyé par les renseignements de base, c'est que les membres de l'équipe ont subi une période de micro-sommeil après qu'ils ont identifié et communiqué la signification de vitesse normale à arrêt du signal avancé. La personne ne peut prévenir le micro-sommeil, et la perte de perception qui accompagne ce dernier peut provoquer une désorientation après la phase de sommeil.

L'exploitation du train à une vitesse excédant la vitesse maximale autorisée à certains moments durant le trajet et en approchant de Greely était un signe que l'équipe prenait des raccourcis, réaction commune de personnes fatiguées. L'absence de renseignements pour appuyer un passé établi d'excès de vitesse et de toute autre non-conformité aux règles de la part du mécanicien, combinée à la forte possibilité que les deux membres de l'équipe souffraient des symptômes de fatigue extrême, rend le point de vue peu probable qu'un flagrant non-respect des pratiques d'exploitation a entraîné cet événement.

Le mécanicien et le chef de train n'ont pas eu assez de repos réparateur pour se préparer pour faire le voyage à Revelstoke. Le temps qu'on leur a accordé pour récupérer, de 14 h 40 à 22 h 10, n'est pas un bon moment pour dormir, et seul le sommeil peut maintenir ou rétablir la capacité de rendement aux niveaux de vigilance normaux. Le sommeil pendant cette période risque d'être difficile, d'être soumis à des interruptions et de contribuer peu au rétablissement de la vigilance à long terme.

S'ils avaient refusé de faire le voyage à cause de la fatigue ou essayé d'être relevés en cours de route à cause du risque que leur fatigue présentait pour la sécurité avant la fin du parcours, le mécanicien et le chef de train auraient eu à se déclarer malades. Certains membres des équipes d'exploitation savent qu'il est inacceptable dans l'industrie qu'un employé qui a commencé son service demande à être relevé en cours de route à cause de la fatigue, mises à part les dispositions négociées qui permettent aux équipes d'être relevées après 10 heures en service. Lorsqu'il accepte un appel et se présente au travail, le membre d'une équipe confirme implicitement qu'il est reposé et apte pour le service et qu'il le sera tout au long du voyage. Les compagnies ferroviaires s'attendent à ce que les employés qui ne sont pas affectés au service en commun soient aptes pour le service à la fin d'une période de repos, tout comme s'ils avaient travaillé selon un horaire régulier ou de 9 h à 17 h.

Les deux membres de l'équipe ont eu l'occasion de refuser de travailler, mais leur évaluation de leur propre degré de vigilance ne leur a probablement pas fourni de grandes raisons de le faire. Les gens sont mauvais juges de leurs propres niveaux de fatigue ou de vigilance. À 22 h 10, le mécanicien et le chef de train devaient probablement se sentir alertes et aptes pour le service, et l'activité qui a suivi leur arrivée à Golden et la préparation du départ de leur train ont dû les stimuler, ce qui leur a fait juger qu'ils étaient en bonne forme.

Comme on ne peut évaluer avec précision son degré de fatigue actuel, on doit être encore moins capable de prévoir ce que son degré de vigilance sera dans plusieurs heures. Les membres de l'équipe pensaient finir le parcours vers 5 h et devaient probablement ne pas avoir de bonnes raisons de douter de leur capacité de finir le travail. À Golden, le chef de train a demandé d'être relevé lorsqu'il aurait atteint ses 10 heures en service, conformément à la disposition négociée en matière de repos. Comme il est pratique courante dans l'industrie de relever tous les membres d'une équipe lorsqu'un membre d'équipe demande d'être relevé, il n'est pas inhabituel que le mécanicien n'ait pas individuellement demandé d'être relevé. Selon cette disposition, l'équipe n'aurait pas été relevée avant 8 h 10. Étant donné que la collision est survenue à 6 h 40 et qu'il avait été prévu que la période de relève entrerait en vigueur à 8 h 10, la disposition négociée en matière de repos n'a pas eu d'incidence sur le présent événement. La disposition n'a fait que démontrer que l'équipe de train prévoyait avoir besoin d'heures de relève après avoir évalué qu'elle était fatiguée.

L'attente de 4,5 heures au triage de Golden a changé la situation pour l'équipe de conduite. À 23 h, un voyage de cinq ou six heures semblait probablement réalisable. Le voyage n'ayant pas commencé avant 3 h 20, il devenait toutefois irréalisable. Deux membres d'équipe soumis à des conditions de fatigue devaient alors travailler pendant la période de somnolence maximale (de 3 h à 5 h) sans avoir eu de repos réparateur important au cours des 24 dernières heures.

L'équipe du train 819 respectait la période de repos obligatoire et le temps maximal de service applicables aux équipes de conduite, mais au moment de la collision, le mécanicien avait dormi environ 1 heure en 24 heures, et le chef de train n'avait pas dormi au cours de la même période. Nul doute que les exigences actuelles concernant la période de repos obligatoire et le temps maximal de service visent à garantir que les employés de chemins de fer affectés au service des trains sont reposés et aptes avant de prendre leur service et qu'ils ne demeureront pas trop longtemps en service. La période de repos n'est pas forcément un repos réparateur, et comme la personne qui a le moins de chance de faire une juste évaluation de son état, l'employé, est chargée de la faire, il se peut que des employés conduisent des trains en satisfaisant pleinement aux exigences réglementaires en vigueur et en ayant l'impression qu'ils sont aptes à remplir leurs fonctions, alors qu'ils sont dangereusement fatigués.

La réglementation en ce qui a trait aux heures de service et à la période de repos n'était qu'une mesure provisoire qu'on prenait en attendant que l'industrie propose un moyen de régler tout à fait la question. Les compagnies ferroviaires ont récemment terminé l'étude CANALERT 95 sur les effets que leurs régimes de travail avaient sur leurs employés. Ils ont éprouvé un certain nombre de mesures pour contrer la fatigue et constaté que certaines d'entre elles étaient couronnées de succès. Le CP a décidé d'étudier plus en détails l'efficacité de ces mesures avant de les mettre en oeuvre.

La partie II du CCT permet aux employés de refuser de travailler lorsqu'ils perçoivent un danger. Le CCRT a toutefois jugé que les dispositions de cette partie ne permettaient pas à un agent de sécurité d'appuyer le refus de travailler qu'un employé oppose en alléguant que son état constitue un danger.

Le CCC est la méthode de contrôle du mouvement des trains depuis 25 ans dans la subdivision Mountain. Le système ne permet pas d'intervenir pour arrêter un train ou régler la vitesse de ce dernier au besoin. Un système de contrôle du mouvement des trains capable d'intervenir pour arrêter un train ou donner un avertissement passif aux équipes avant les zones de restriction aurait pu prévenir cette collision. L'absence d'un moyen de seconde intervention qui corrigerait la situation lorsqu'une équipe ne respecte pas un signal démontre un système qui n'a pas de mécanisme de sécurité de secours incorporé, un système à point de panne unique.

3.0 Faits établis

  1. Le train 996 a été exploité conformément aux exigences de la compagnie et aux exigences réglementaires.
  2. Les membres de l'équipe du train 819 satisfaisaient aux exigences réglementaires en vigueur concernant la période de repos obligatoire et le temps maximal de service.
  3. La fatigue a porté atteinte au rendement des deux membres de l'équipe du train 819 à l'approche du signal d'arrêt de Greely et ces derniers ont heurté le train 996 après avoir brûlé ce signal.
  4. Les exigences réglementaires actuelles concernant la période de repos obligatoire et le temps maximal de service ne traitent pas bien des effets cumulatifs du manque de sommeil ni ne garantissent que les employés affectés au service des trains ont eu un repos réparateur suffisant avant de se présenter au travail.
  5. À l'heure actuelle, le CCC n'est associé ni à un mécanisme de défense secondaire capable d'arrêter ou de ralentir les trains, ni à un système d'avertissement secondaire qui préviendrait les équipes qu'elles approchent d'une zone de restriction ou d'un matériel roulant.

3.2 Causes

La collision frontale avec le train 996 est survenue parce que l'équipe du train 819 n'a pas pris les mesures qui s'imposaient en réaction au signal de vitesse normale à arrêt, à l'approche de Greely, et au signal d'arrêt, à Greely. La fatigue a porté atteinte au rendement de l'équipe parce que cette dernière avait veillé trop d'heures sans repos réparateur. L'épais brouillard localisé au moment de la collision a limité la visibilité du signal de Greely.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

En 1995, le Canadien Pacifique Limitée (CP), le Canadien National (CN), VIA Rail Canada Inc. (VIA), la Fraternité des ingénieurs de locomotives et la Circadian Technologies Inc. ont collaboré à un programme visant à élaborer, à mettre en oeuvre et à essayer un processus d'assurance de la vigilance appelé CANALERT 95 . Ce programme visait les buts suivants :

Les parcours choisis pour l'essai de CANALERT 95 se situaient entre Calgary (Alberta) et Field (Colombie-Britannique) pour le CP, entre Jasper (Alberta) et Blue River (Colombie-Britannique) pour le CN, et entre Montréal et Québec (Québec) pour VIA.

On a procédé à une analyse générale des caractéristiques de la vigilance, du sommeil et de l'effort de concentration pour résoudre les problèmes de fatigue ou de «baisse de la vigilance» dans le réseau ferroviaire canadien. On a ensuite élaboré des mesures particulières pour contrer la fatigue dans les services ferroviaires marchandises. Parmi elles, il y avait l'établissement d'horaires de travail plus réguliers et plus prévisibles, la prévision de siestes en service et pendant les périodes de repos, l'amélioration des installations de couchage, l'utilisation de casques pour la diffusion de musique, avec intercommunication, ainsi qu'un programme de formation en vue d'un meilleur mode de vie des employés des chemins de fer. D'après l'expérience acquise grâce à la mise en oeuvre de ces mesures pour contrer la fatigue et les résultats de l'analyse générale, le programme CANALERT 95 a abouti à des recommandations, au mois de mai 1996, dont les suivantes :

  1. qu'on adopte des systèmes d'aménagement des horaires qui assurent des périodes de service régulières et prévisibles aux équipes;
  2. que les équipes disposent d'une période importante pour se reposer après les sorties de nuit et avant les retours de nuit;
  3. que des stratégies soient établies pour permettre une sieste en cours de route et en gare dans le cadre d'un programme de récupération de la vigilance;
  4. que les chambres des centres d'hébergement soient modifiées pour favoriser un meilleur sommeil de jour;
  5. que des systèmes audio soient installés dans les cabines de locomotive;
  6. qu'on réalise et étende un programme de formation pour un meilleur style de vie;
  7. que des stratégies de rappel des contrôleurs de la circulation ferroviaire (CCF) et des équipes soient établies;
  8. que VIA enquête sur les horaires qui posent problème et y remédie.

Le CP a récemment établi un projet-pilote CANALERT qui fait appel à l'arrangement par service en commun pour les équipes de trains de Calgary. Le CP a reçu la ratification d'un nouveau contrat de la part des syndicats d'exploitation. Ce contrat comprend une lettre d'entente pour élaborer un calendrier de mise en oeuvre des initiatives du projet CANALERT.

4.2 Préoccupations liées à la sécurité

4.2.1 Heures de travail des équipes de trains

En 1965, le Code canadien du travail est entré en vigueur. Il établissait des règles relatives aux heures maximales de travail dans les industries sous réglementation fédérale. Un ajournement de l'application de ces règles a été accordé au personnel itinérant des chemins de fer. Cette exemption a été accordée par suite de commentaires exprimés par les compagnies ferroviaires et les syndicats à l'effet que l'application des règles à l'exploitation ferroviaire et aux employés serait préjudiciable, nuisible et incompatible avec la structure des salaires et le système actuels.

En 1986, M. Alison Smiley, expert-conseil engagé par la Commission Foisy pour analyser les heures de travail des équipes de trains, a catégoriquement appuyé la conclusion de l'étude complétée par le Canadian Institute of Guided Ground Transport qui stipulait que les heures de travail des agents de train étaient trop variables et longues. Par conséquent, la vigilance ne pouvait être que sous-optimale dans certaines conditions, surtout dans le cas du retour des trains de marchandises.

Au mois d'avril 1987Note de bas de page 9, le Comité des transports par chemin de fer a publié, comme mesure provisoire, des ordonnances servant à réglementer la période de repos obligatoire pour les employés itinérants. Les ordonnances obligeaient les employés itinérants qui avaient été en service de 8 à 10 heures de ne pas être rappelés pour au moins 6 heures, et s'ils avaient été en service pour plus de 10 heures, ils ne pouvaient être rappelés pour au moins 8 heures.

À Greely, le train 819 était exploité par des employés qui satisfaisaient aux exigences en matière de période de repos obligatoire et de temps maximal de service pour les équipes d'exploitation, même s'ils n'avaient pas eu une période de repos réparateur suffisante. Au moment de la collision, le mécanicien avait dormi environ 1 heure au cours des 24 dernières heures. Les membres de l'équipe ont accepté l'appel, supposant qu'ils étaient aptes pour le service, et ils n'ont pas demandé de période de repos plus tard puisqu'il est reconnu, par les équipes d'exploitation de trains, qu'il est inacceptable dans l'industrie de demander d'être relevé en cours de route en raison de fatigue.

En complétant le projet CANALERT, l'industrie a mis sur pied des mesures pour contrer la fatigue afin d'améliorer les niveaux de vigilance parmi les employés itinérants. Les initiatives du projet CANALERT ont été reconnues comme des étapes prometteuses pour contrer le problème de fatigue dans l'industrie ferroviaire.

Le Bureau est au courant des efforts concertés par l'industrie et l'organisme de réglementation et que Transports Canada continue d'appuyer des études sur les questions relatives à la fatigue et à la vigilance. Malgré ces initiatives, le Bureau est préoccupé par le fait que l'industrie ferroviaire fait encore face aux problèmes des heures de travail et de fatigue.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.