Membres d’équipage tombés à l’eau après qu’une amarre eut happé un bateau de travail
Bateau de travail non immatriculé du vraquier Manitoulin
Rivière Sainte-Claire, près de Sombra (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 12 mai 2020, 3 membres d’équipage à bord du bateau de travail du navire Manitoulin sont passés au-dessus d’une amarre immergée en se dirigeant vers la rive près de Sombra (Ontario), lorsque l’amarre s’est tendue et a happé le bateau de travail. L’impact a fait tomber tous les membres d’équipage à l’eau. L’un des membres de l’équipage a nagé jusqu’à la rive et les deux autres sont remontés dans le bateau de travail. Aucune blessure n’a été signalée.
1.0 Renseignements de base
1.1 Fiches techniques des navires
Nom du navire | Manitoulin | Bateau de travail sans nom |
---|---|---|
Numéro OMI | 8810918 | s.o. |
Numéro officiel | 838002 | s.o. |
Port d’immatriculation | Port Dover (Ontario) | Aucun |
Pavillon | Canadien | Aucun |
Type | Vraquier | Bateau de travail |
Jauge brute | 19 570 | <5 |
Longueur hors tout | 202,5 m | 4,3 m |
Largeur aux extrémités | 23,8 m | 1,7 m |
Tirant d’eau au moment de l’événement | À l’avant : 6,7 m À l’arrière : 6,8 m |
s.o. |
Matériau de coque | Acier | Aluminium |
Année de construction | 1991, par Uljanik Brodogradiliste Shipyard à Pula (Croatie) | 2011, par Legend Boats à New Paris (Indiana, É.-U.) |
Propulsion | 1 moteur diesel fournissant 6050 kW avec une hélice à pas contrôlable | 1 moteur extérieur fournissant 3,7 kW (5 hp) |
Équipage | 17 | s.o. |
Propriétaire | Lower Lakes Towing Ltd. | Lower Lakes Towing Ltd. |
Société de classification / Organisation reconnue | Lloyd’s Register | s.o. |
Autorité émettrice de la certification internationale de gestion de la sécurité | American Bureau of Shipping | s.o. |
1.2 Description des navires
1.2.1 Manitoulin
Le Manitoulin (figure 1) est un vraquier autodéchargeurNote de bas de page 1 des Grands Lacs de classe River en acier. La salle des machines et les quartiers d’équipage se trouvent à l’arrière du navire. Le navire est doté d’un système d’autodéchargement avec une flèche qui se trouve en avant. De chaque côté du navire, à peu près à mi-longueur, il y a une passerelle d’embarquement qui peut être descendue jusqu’à la ligne de flottaisonNote de bas de page 2. Le navire a un bateau de sauvetage situé sur le côté tribord des quartiers d’équipage. Le navire avait également un bateau de travail qui était entreposé sur le pont principal. Au moment de l’événement, le bateau de sauvetage était en réparation et inutilisable depuis le matin de l’événement.
1.2.2 Bateau de travail
Le bateau de travail du Manitoulin est un bateau en aluminium de construction ouverte de 14 pieds (figure 2). Il est sur le Manitoulin depuis 2015 et est utilisé environ 15 à 20 fois par an pour les transferts d’équipage et les opérations d’amarrage. Au moment de l’événement, le bateau de travail était alimenté par un moteur hors-bord à essence à 2 temps de 5 hp qui pesait 26,2 kg. Le moteur a un coupe-circuit avec un cordon conçu pour être attaché au conducteur du bateau de travail.
Le bateau de travail avait un avis de conformité canadienNote de bas de page 3 affiché sur la coque qui indiquait que le bateau était de catégorie C, qui est une désignation pour « un bateau […] conçu pour naviguer dans des vents typiquement stables de force Beaufort 6 ou moins et les vagues associées d’une hauteur significative allant jusqu’à 2 mNote de bas de page 4 ». L’avis de conformité indique également que les limites de sécurité recommandées pour le bateau de travail sont les suivantes :
- un maximum de 4 personnes à bord, pesant un total de 275 kg;
- un poids total maximal de 468 kg, y compris toutes les personnes, l’équipement et le moteur;
- un moteur hors-bord d’une puissance maximale de 26 kW et d’un poids maximal de 190 kg.
Le bateau de travail est mis à l’eau et récupéré à l’aide d’un treuil électrique relié au bossoir de grue de panneau de cale du Manitoulin.
1.3 Déroulement de l’événement
Le 12 mai 2020, vers 15 hNote de bas de page 5, le Manitoulin s’approchait d’une installation riveraine près de Sombra (Ontario), pour décharger de la pierre et effectuer un transfert d’équipage (annexe A). À cette installation, il n’y a pas de quai, mais il y a des chaînes d’amarrage à terre afin de faciliter l’amarrage des naviresNote de bas de page 6. Alors que le Manitoulin s’approchait de l’installation, le bateau de travail a été mis à l’eau pour aider à transférer les amarres en acier du navire à terre. Le Manitoulin s’est donc positionné à environ 50 m de la rive, parallèlement à celle-ci, et a maintenu cette position pendant qu’on attachait les amarres.
À 15 h 30, l’ancre bâbord avait été mouillée et 4 des amarres du navire avaient été fixées à la rive (figure 3, éléments 1, 2, 3, 6 et 9). La garde montante arrière a été fixée à la rive, mais on a laissé du mou pour une utilisation d’urgence dans l’éventualité où les autres amarres se séparaient ou se détachaient de la rive. L’amarre avait environ 9 à 12 m de mou. Laisser du mou à la garde montante arrière pour une utilisation d’urgence était une pratique courante à cet endroit.
À 15 h 36, les opérations de déchargement à l’aide du système d’autodéchargement du navire (figure 3, point 5) ont commencé. Le premier officier supervisait ces opérations du côté tribord du pont principal. Le deuxième officier assistait à partir de l’une des 2 salles de commande de déchargement situées en avant.
Pendant ce temps, le bateau de travail, qui était resté dans l’eau après que les amarres eussent été attachées, a été utilisé pour effectuer un transfert d’équipage. Deux membres d’équipage de relève qui attendaient à terre ont été transférés au Manitoulin par le bateau de travail. Les membres d’équipage de relève et le conducteur du bateau de travail ont ensuite embarqué sur le Manitoulin en utilisant la passerelle d’embarquement tribordNote de bas de page 7, laissant le bateau de travail attaché à la base de la passerelle.
Une fois ces membres d’équipage à bord du Manitoulin, un transfert de responsabilité a été effectué et un nouveau conducteur est monté à bord du bateau de travail en vue du transfert de 2 autres membres d’équipage à terre. Le nouveau conducteur, portant un vêtement de flottaison individuel (VFI), s’est assis à l’arrière du bateau de travail à côté du moteur. Le conducteur a démarré le moteur sans fixer le cordon du coupe-circuit à sa personne.
Le conducteur a attendu que les 2 membres d’équipage (membre d’équipage 1 et membre d’équipage 2) montent à bord du bateau de travail avec leur équipement. Le membre d’équipage 2 portait un VFI. Le conducteur a assigné des sièges aux 2 membres d’équipage : le membre d’équipage 1 sur le siège central du bateau de travail et le membre d’équipage 2 à l’avant du bateau de travail faisant face au conducteur. Leurs effets personnels, soit un total de 3 sacs, ont été rangés de chaque côté du bateau de travail. Le poids total estimé à bord était d’environ 284 kgNote de bas de page 8.
Avant de partir, le conducteur a vérifié la position de la garde montante arrière, qui descendait en ligne droite sur le côté du Manitoulin, le reste de la garde montante immergé dans l’eau. Le conducteur a également vérifié si le Manitoulin se déplaçait dans le courant; il semblait stationnaire. Le courant était en aval à environ 2 à 3 nœuds. Le membre d’équipage 2 a relâché la bosse qui avait servi à attacher le bateau de travail à la passerelle. Le conducteur a d’abord permis au bateau de travail de flotter vers l’arrière avec le courantNote de bas de page 9. Il a ensuite tourné son regard vers la rive et a utilisé le moteur pour manœuvrer le bateau de travail en marche arrière vers le véhicule de l’équipage qui attendait sur le rivage (figure 3, point 10).
Selon la route la plus directe entre la passerelle du Manitoulin et le véhicule de l’équipage, le bateau de travail devait passer au-dessus de la garde montante arrière immergée du Manitoulin. La même route avait été empruntée plus tôt par le conducteur précédent lors du transfert de l’équipage de relève au Manitoulin. Le treuil d’amarrage de la garde montante arrière avait été laissé sans surveillance.
Le bateau de travail était à mi-chemin de la rive lorsqu’il est passé au-dessus de l’amarre immergée. À ce moment-là, le Manitoulin a changé de position et l’amarre s’est tendue. Le membre d’équipage 2 a lancé un avertissement alors que l’amarre est soudainement sortie de l’eau. Ce faisant, elle a happé le bateau de travail entre le tableau arrière et le moteur hors-bord, sortant rapidement la poupe de l’eau et submergeant la proue. Les 3 membres d’équipage ont été projetés dans l’eau. Le bateau de travail s’est rempli d’eau, mais est resté partiellement à flot en raison de sa réserve de flottabilité.
Le membre d’équipage 2 a pu s’accrocher au bateau de travail et remonter à bord. Une fois à l’intérieur du bateau de travail, le membre d’équipage 2 a pu aider le conducteur à remonter dans le bateau. À ce moment-là, le moteur du bateau de travail fonctionnait encore. À l’aide de la flottabilité de son sac à dos, le membre d’équipage 1 a commencé à nager jusqu’à la rive, à environ 20 m.
Le premier officier a observé l’incident et a utilisé son radiotéléphone portatif à très haute fréquence pour diffuser un appel au sujet de personnes tombées à l’eau sur le canal de travail du navire. Le capitaine, qui était sur le pont du navire, a commencé à coordonner une réponse. Quelques membres d’équipage sur le pont de fret ont été affectés à la surveillance des membres d’équipage dans l’eau.
Environ deux minutes après l’envahissement, le membre d’équipage 1 avait atteint la rive, et le conducteur et le membre d’équipage 2 avaient conduit le bateau inondé jusqu’à la rive. Aucun membre d’équipage n’a été blessé. Le bateau de travail a été retiré de l’eau et mis sur la rive à l’aide d’un chargeur frontal.
1.4 Dommages au bateau de travail
Le moteur du bateau, qui n’a plus redémarré après avoir été utilisé pour ramener le bateau inondé jusqu’à la rive, a été déclaré perte totale. Le bateau de travail lui-même n’a pas été endommagé.
1.5 Conditions météorologiques
Lors de l’événement, le ciel était dégagé et la visibilité était de 25 milles marins (NM). Les vents soufflaient à 14 nœuds et venaient de l’ouest. La température de l’air était de 5 °C et celle de l’eau de 7 °C. La hauteur des vagues était de 0,3 m et le courant atteignait de 2 à 3 nœuds en aval.
1.6 Certification et expérience du personnel
Le capitaine du Manitoulin détenait un brevet de capitaine, à proximité du littoral, qui a été délivré pour la première fois en 2019. Il travaillait pour Lower Lakes Towing Ltd. depuis 2011.
Le conducteur du bateau de travail dans l’événement à l’étude était titulaire d’un certificat de matelot de quart à la passerelleNote de bas de page 10 délivré en 2019 et avait assumé le rôle de matelot de pont et timonier à bord du Manitoulin pendant environ 1 an. Il était un matelot non qualifié depuis 2015. Le conducteur du bateau de travail avait terminé la formation sur l’exploitation du bateau de travail du Manitoulin en juin 2019. La formation a été donnée par le deuxième officier du navire à l’époque et consistait à se familiariser avec une procédure de l’entreprise pour les opérations liées au bateau de travail et à s’exercer à conduire un bateau de travail.
1.7 Certificats du navire
Le Manitoulin avait tous les certificats requis pour sa classe de navire et le voyage prévu. Le Manitoulin était un navire délégué et avait été inspecté pour la dernière fois par son organisme reconnu (OR) le 13 septembre 2019. Le bateau de travail du Manitoulin n’était pas tenu d’être immatriculéNote de bas de page 11 ou inspectéNote de bas de page 12. Par conséquent, il n’était pas immatriculé auprès de Transports Canada (TC) et n’avait jamais été inspecté par ce dernier.
TC est en possession d’un formulaire de déclaration de conformité pour petits bâtiments qui s’appliquait au modèle de bateau de travail sur le Manitoulin. Le formulaire est une déclaration de l’importateur selon laquelle le bateau de travail a été construit pour se conformer aux exigences de construction du Règlement sur les petits bâtiments. Le formulaire avait été soumis à TC par l’importateur en 2010.
1.8 Fonction des bateaux de travail sur les laquiers
Les laquiers sont communément munis de bateaux de travail. Ceux-ci ont tendance à être utilisés à diverses fins, y compris l’inspection et l’entretien des navires, les transferts d’équipage et de matériaux, et les urgences en matière de pollution par hydrocarbures. En plus du Manitoulin, Lower Lakes Towing Ltd. compte 8 autres laquiers, qui ont tous des bateaux de travail à bord.
1.9 Dangers liés aux amarres
Les amarres présentent divers risques, principalement en raison des charges importantes qu’elles transportent. Un type de risque est le mouvement incontrôlé des amarres lâches. Des facteurs comme le vent, le courant, les vagues et les navires de passage peuvent faire en sorte qu’un navire se déplace constamment s’il est amarré avec des câbles lâches, surtout si le navire se trouve à un endroit exposé avec peu de câbles. Lorsque le navire se déplace, les amarres lâches peuvent rapidement se tendre et se lever soudainement, créant un effet de fronde. Être happé par une amarre dans une telle situation peut entraîner des blessures ou la mortNote de bas de page 13, Note de bas de page 14,Note de bas de page 15.
L’élaboration d’un plan d’amarrage offre l’occasion d’évaluer l’aménagement d’amarrage du navire et d’empêcher le mouvement incontrôlé des amarres. Un plan d’amarrage établit généralement le nombre et la position des amarres requises pour immobiliser un navire, ainsi que d’autres précautions particulières qui peuvent être nécessaires. Lower Lakes Towing Ltd. n’a pas exigé que ses navires élaborent des plans d’amarrage, et le Manitoulin n’avait pas de plan d’amarrage pour l’amarrage à l’installation riveraine près de Sombra.
1.10 Effet des attentes sur le temps de réaction
Pour qu’une personne interrompe une tâche afin de réagir à un danger, à un stimulus ou à une condition, ceux-ci doivent être visibles ou détectables (s’offrant aux sens), perçus (on leur accorde une signification) et reconnus (comme étant suffisamment importants). Les attentes à l’égard d’une situation peuvent avoir une incidence sur la mesure dans laquelle une personne réagit adéquatement aux dangers dans l’environnement. Une personne qui reçoit de l’information qu’elle s’attend à recevoir a tendance à réagir rapidement et sans erreur. Toutefois, si elle reçoit de l’information qu’elle ne s’attendait pas à recevoir, son rendement a tendance à être lent ou inappropriéNote de bas de page 16.
Au moment de l’événement, le conducteur du bateau de travail ne s’attendait pas à ce que la garde montante arrière se tende et se lève, et il n’a pas pu prendre des mesures pour l’éviter.
1.11 Chute par-dessus bord
Au Canada, la chute par-dessus bord est l’une des principales causes de mort dans l’industrie maritime. Une personne qui tombe dans l’eau d’une température inférieure à 15 °CNote de bas de page 17 subit un choc initial dû au froid qui peut être mortel. Si elle survit au choc thermique, l’épuisement peut rapidement s’accumuler alors qu’elle tente de rester à flot. L’état d’épuisement augmente rapidement si la personne ne porte pas de VFI.
Le port d’un VFI peut réduire au minimum les conséquences négatives du fait d’être immergé dans l’eau froide et accroître les chances de survie d’une personne jusqu’à l’arrivée des secours. Ne pas porter de VFI lorsqu’il y a un risque de chute dans l’eau est un problème de sécurité qui a été cerné par le BST à la fois sur les navires commerciaux et les navires de pêcheNote de bas de page 18.
Repêcher la personne de l’eau rapidement est également essentiel pour accroître ses chances de survie et peut être facilité par la mise en place d’une procédure et d’un plan de sauvetage. En vertu du Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime (le Règlement sur la SSTMM) Note de bas de page 19, lorsqu’il existe un risque de noyade, les employeurs doivent fournir des VFI, de l’équipement d’urgence, une procédure d’intervention d’urgence écrite, une personne qualifiée prête à intervenir et un navire prêt à intervenir Note de bas de page 20. Le Manitoulin était assujetti au Règlement sur la SSTMM.
Fait établi : Autre
Au moment de l’événement, Lower Lakes Towing Ltd. n’avait pas de procédure pour les personnes tombées à l’eau, et le bateau de sauvetage du Manitoulin était hors service pour des réparations.
Il y avait des VFI dans le bateau de travail, mais seulement 2 des 3 membres d’équipage du bateau en portaient un.
TC est responsable de l’application du Règlement sur la SSTMMNote de bas de page 21. Une des façons de l’appliquer est de visiter régulièrement les lieux de travail, comme les navires.
Fait établi : Autre
Le Manitoulin n’avait pas fait l’objet d’une inspection portant sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime au cours des 5 dernières années.
1.12 Système de gestion de la sécurité
Le Code international de gestion de la sécurité (Code ISM) fournit une norme internationale pour la gestion et l’exploitation sécuritaires des navires et pour la prévention de la pollutionNote de bas de page 22. Ses objectifs sont d’assurer la sécurité en mer, de prévenir les blessures ou les pertes de vie humaine et d’éviter les dommages à l’environnement et aux biens.
Le Code ISM s’applique aux navires assujettis à la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) et exige des entreprises et des navires qu’ils élaborent et mettent en œuvre un système de gestion de la sécurité (SGS) qui établit des mesures de protection contre tous les risques cernés. Ces mesures comprennent l’établissement de procédures, de plans, d’instructions et de listes de vérification pour les opérations à bord des navires qui concernent la sécurité du personnel, du navire et de l’environnement. Le Code précise que les diverses tâches doivent être définies et assignées au personnel qualifié.
Le Code ISM oblige également les entreprises à déterminer les situations d’urgence potentielles à bord des navires et à établir des procédures pour y répondre. Par exemple, une personne qui tombe à l’eau est une situation d’urgence possible à bord de n’importe quel navire. La procédure pour répondre à cette situation doit désigner l’équipement destiné à être utilisé à des fins de récupération et les mesures à prendre par l’équipage.
Les exploitants de navires qui sont tenus d’avoir un SGS doivent passer par un processus d’audit par un tiers (un OR ou une société de classification) pour s’assurer que leur SGS satisfait aux exigences du Code ISM et que l’entreprise et le navire fonctionnent conformément au SGS. La compagnie et ses navires doivent obtenir des certificats indiquant qu’ils sont conformes (la compagnie reçoit une attestation de conformité et le navire reçoit un certificat de gestion de la sécurité).
Les exploitants pour lesquels le Code ISM ne s’applique pas peuvent choisir de l’adopter volontairement. Les entreprises qui mettent volontairement en œuvre un SGS peuvent choisir de faire vérifier leur SGS par un tiers. Une fois que le SMS volontaire satisfait aux exigences du Code ISM et que la compagnie et le navire sont conformes au SMS, le tiers émettra à la compagnie une attestation de conformité et au navire un certificat de gestion de la sécurité. Comme le Manitoulin n’était pas visé par la Convention, il n’était pas obligatoire que celui-ci se conforme au Code ISM. Cependant, Lower Lakes Towing Ltd. avait volontairement mis en œuvre un SGS pour le navire. En 2016, Lower Lakes Towing Ltd. a reçu une attestation de conformité volontaire et, en 2017, le Manitoulin avait reçu un certificat de gestion de la sécurité volontaire délivré par l’American Bureau of Shipping. Ces attestations indiquaient que la compagnie et le navire étaient conformes aux exigences du Code ISM.
Le SGS du Manitoulin contenait une évaluation des risques liés à l’exploitation des bateaux de travail de la flotte, ainsi qu’une procédure d’exploitation des bateaux de travail. L’évaluation des risques et la procédure ont été élaborées en 2015. Ces documents étaient génériques et s’appliquaient à tous les bateaux de travail de la flotte.
TC a entamé le processus de modification du Règlement sur la gestion pour la sécurité de l’exploitation des bâtiments. Lorsque les modifications proposées enteront en vigueur, les navires canadiens d’une jauge brute de 500 ou plus et les compagnies qui les exploitent devront élaborer, mettre en œuvre et tenir à jour un SGS conforme au Code ISM.
1.12.1 Gestion des risques
La gestion des risques dans le cadre d’un SGS est un cycle continu qui comprend la détermination des dangers, l’évaluation de leurs risques, la mise en œuvre de mesures d’atténuation pour les réduire ou les éliminer et l’évaluation de l’efficacité de ces mesures. Des mesures d’atténuation efficaces aident non seulement à réduire la gravité et la probabilité d’un danger, mais elles peuvent également aider à modifier la façon dont le danger est perçu (c.-à-d. qu’un danger sans mesure d’atténuation du risque en place peut être perçu comme n’étant pas une menace, par rapport à un danger avec des mesures d’atténuation du risque en place). La gestion des risques est un processus continu, et toutes les parties concernées devraient examiner régulièrement les évaluations.
Reconnaissant l’importance de la gestion des risques, le Règlement sur laSSTMMexige que les employeurs élaborent et mettent en œuvre un programme de prévention des risques en milieu de travail et le contrôlentNote de bas de page 23. Lower Lakes Towing Ltd. avait élaboré un guide du programme de prévention des risques qui a été révisé en 2019, et chaque navire de la flotte avait une copie à bord. Pour toutes les politiques, procédures et évaluations des risques, le programme de prévention des risques faisait référence au SGS volontaire de Lower Lakes Towing Ltd.
L’évaluation des risques que Lower Lakes Towing Ltd. avait effectuée pour l’exploitation des bateaux de travail a permis de relever les risques de chute par-dessus bord, de noyade, de glissade et de chute. Le risque global pour l’exploitation des bateaux de travail a été initialement évalué comme étant modéré. Les mesures d’atténuation ont été énumérées comme étant le respect de la procédure d’exploitation des bateaux de travail, de la formation de l’équipage et de l’utilisation de tout équipement de protection personnelle (EPP) approprié. Le risque résiduel a été évalué comme étant tolérableNote de bas de page 24.
L’évaluation des risques n’a pas permis de cerner les dangers particuliers associés aux bateaux de travail qui sont exploités à proximité des amarres. De plus, il n’était pas nécessaire que les capitaines élaborent des plans d’amarrage ou effectuent des évaluations des risques dans les installations riveraines où l’exploitation de bateaux de travail était nécessaire.
1.12.2 Procédure d’exploitation des bateaux de travail
La procédure d’exploitation des bateaux de travail fournissait des instructions sur la façon de préparer, de mettre à l’eau et de récupérer les bateaux de travail, ainsi que sur la façon d’embarquer et de débarquer en toute sécurité (annexe B). Il énumérait également l’EPP et l’équipement de sécurité que les personnes doivent porter dans les bateaux de travail. La formation offerte aux conducteurs de bateaux de travail était fondée sur cette procédure.
Entre autres choses, la procédure exigeait des membres d’équipage qu’ils fassent preuve d’une extrême prudence lorsqu’ils naviguent entre les extrémités avant et arrière du navire en raison des dangers que représentent les amarres et les hélices Note de bas de page 25. La procédure mentionne également que les bateaux de travail doivent être inspectés avant d’être mis à l’eau, mais aucun membre d’équipage n’a été affecté à cette tâche et aucun dossier d’entretien pour le bateau de travail du Manitoulin n’a été trouvé dans le cadre de l’enquête. Toutefois, la procédure n’incluait pas de restrictions météorologiques ni de renseignements sur la fonction et l’utilisation des coupe-circuit, et elle ne renseignait pas non plus les conducteurs sur les dangers spécifiques que peuvent présenter les amarres. Elle ne précisait pas non plus les limites de sécurité recommandées pour les bateaux de travail.
Dans l’événement à l’étude, le conducteur croyait que la capacité maximale du bateau de travail du Manitoulin était de 5 personnes, même si l’avis de conformité précisait 4 personnes.
1.12.2.1 Équipement de sécurité du bateau de travail
En tant que navire à propulsion mécanique d’une jauge brute inférieure à 15, le navire de travail du Manitoulin devait se conformer au Règlement sur les petits bâtiments et, par conséquent, devait transporter des gilets de sauvetage approuvés, une trousse de premiers soins en cas d’urgence maritime, une ligne d’attrape flottante, une lampe de poche étanche, des fusées éclairantes, des avirons, une ancre avec chaîne, corde ou câble, une pompe de cale manuelle, un dispositif ou un appareil de signalisation sonore, des feux de navigation et une boussole magnétique.
L’EPP et l’équipement de sécurité requis énumérés dans la procédure d’exploitation du bateau de travail comprenaient des casques et des VFI pour tout le monde à bord du bateau de travail, ainsi que des VFI de rechange pour les personnes qui transfèrent du bateau à la rive ou vice versa. La liste comprenait également des avirons, une bosse et un radiotéléphone portatif à très haute fréquence.
Au moment de l’événement, et ces dernières années, le bateau de travail du Manitoulin était équipé d’avirons, d’un réservoir de carburant portatif, d’une écope, de seaux, d’une bosse et d’un radiotéléphone portatif à très haute fréquence. Le bateau de travail n’avait pas l’équipement suivant qui était requis à bord : une trousse de premiers soins en cas d’urgence maritime, une lampe de poche étanche, des fusées éclairantes, une ancre avec chaîne, corde ou câble, une pompe de cale manuelle, un dispositif ou un appareil de signalisation sonore, des feux de navigation ou une boussole magnétique.
1.12.3 Directives à l’intention des propriétaires et des exploitants de petits navires commerciaux
Afin d’encourager les propriétaires de petits navires commerciaux à se conformer à la réglementation, TC a élaboré le Programme de conformité des petits bâtiments (PCPB)Note de bas de page 26 et le Guide de sécurité des petits bâtiments commerciauxNote de bas de page 27. Le PCPB et le guide comprennent des listes de vérification qui couvrent les procédures de sécurité, les opérations, la formation de l’équipage, l’équipement, la maintenance et la préparation en cas d’urgence. Entre autres, les listes de vérification incitent les exploitants à :
- s’assurer que le navire dispose d’une procédure pour l’exploitation sécuritaire du navire et pour faire face aux situations d’urgence;
- veiller à ce que les passagers assistent, avant le départ, à un exposé complet portant sur la sécurité;
- s’assurer que le navire dispose d’équipement et d’une procédure pour faire face à l’hypothermie et aux chocs dus au froid;
- tenir compte de la hauteur maximale des vagues et de la vitesse maximale du vent dans lesquelles le navire sera exploité.
Les bateaux de travail des navires exploités par Lower Lakes Towing Ltd. n’étaient pas inscrits au PCPB, et Lower Lakes Towing Ltd. n’a pas utilisé le Guide de sécurité des petits bâtiments commerciaux pour sa procédure d’exploitation des bateaux de travail. À ce titre, la compagnie n’avait incorporé dans ses activités aucune de ces considérations de TC.
Fait établi : Autre
Certaines considérations de sécurité incluses dans le guide de TC à l’intention des exploitants de petits navires commerciaux n’avaient pas été prises en compte dans le SGS de la compagnie.
1.13 Sondage du BST auprès des compagnies qui exploitent des laquiers avec des bateaux de travail
En septembre 2020, le BST a envoyé un sondage à 9 autres compagnies qui exploitent des laquiers afin de recueillir des données sur leurs bateaux de travail. Cinq compagnies ont répondu. Une compagnie avait une procédure pour l’exploitation de ses bateaux de travail. Deux compagnies ont indiqué qu’elles avaient des fiches d’évaluation des risques à bord de leurs bateaux de travail. Ces compagnies avaient cerné les dangers associés aux bateaux de travail, notamment : les risques de glisser, trébucher ou tomber, les problèmes de moteur, le mauvais fonctionnement des appareils utilisés pour mettre à l’eau et récupérer le bateau de travail, un fort courant ou une forte marée, les vagues élevées, la mauvaise visibilité, le trafic à proximité du bateau de travail, la perte de communication et les dangers liés aux amarres.
Trois compagnies ont indiqué que leurs bateaux de travail n’étaient pas enregistrés et qu’ils n’étaient pas inscrits au PCPB. Une compagnie a indiqué que l’équipement de sécurité à bord de ses bateaux de travail n’était pas conforme au Règlement sur les petits bâtiments.
1.14 Cordon de sécurité du coupe-circuit moteur
Le moteur du bateau de travail était muni d’un coupe-circuit avec un cordon de sécurité conçu pour être attaché au conducteur pendant que le moteur tournait. Si le cordon de sécurité se débranche du connecteur, le moteur s’arrête pour l’empêcher de fonctionner sans une personne aux commandes. Au moment de l’événement, le cordon était attaché au bateau de travail, sur le côté, et le conducteur ne connaissait pas son fonctionnement. Des enquêtes précédentes du BSTNote de bas de page 28 et de la Marine Accident Investigation Branch du Royaume-Uni Note de bas de page 29 ont révélé que, si ce dispositif de sécurité n’est pas utilisé, le moteur pourrait être en marche sans une personne aux commandes alors que des personnes sont dans l’eau.
1.15 Surveillance
La surveillance peut avoir une incidence importante sur de nombreux facteurs qui influencent le comportement des employés en milieu de travailNote de bas de page 30. La surveillance appuie et renforce la conformité aux procédures et aux priorités. Elle peut également aider à mobiliser et à motiver les employés, à gérer la charge de travail, à déterminer les risques en milieu de travail et à prévenir les actes dangereux.
Au moment de l’événement, les officiers de pont supérieurs du Manitoulin participaient à des opérations d’autodéchargement et ne supervisaient pas le transfert de l’équipage. Personne n’a ordonné aux membres d’équipage à bord du bateau de travail de porter des VFI, et personne n’a informé le conducteur des dangers liés à l’opération.
1.16 Liste de surveillance du BST
La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.
La gestion de la sécurité figure sur la liste de surveillance 2020. Comme l’événement à l’étude l’a démontré, même lorsque des processus officiels sont en place, ils ne sont pas toujours efficaces pour cerner tous les dangers ou gérer les risques dans tous les aspects des opérations d’un navire. De plus, lorsqu’un exploitant met volontairement en œuvre un SGS, TC n’en assure pas la surveillance pour confirmer son efficacité.
MESURES À PRENDRE La gestion de la sécurité restera sur la Liste de surveillance du secteur de transport maritime jusqu’à ce que :
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1.17 Événements antérieurs du BST mettant en cause des bateaux de travail sur des laquiers
Depuis 2002, le BST a reçu 4 signalements d’événements mettant en cause des bateaux de travail sur des laquiers :
M16C0222 – Le 22 décembre 2016, le bateau de travail appartenant au Mississagi a chaviré lors de sa mise à l’eau et 3 membres d’équipage sont tombés à l’eau à Sault Ste. Marie (Ontario). Les membres de l’équipage ont été immédiatement repêchés et ont subi des blessures mineures. Il n’y a pas eu de dommages ni de pollution. Le Mississagi appartient également à Lower Lakes Towing Ltd.
Le BST a envoyé une lettre d’information sur la sécurité maritime à Lower Lakes Towing Ltd. et à TC faisant remarquer que, dans cet événement, les directives fournies dans la procédure d’exploitation des bateaux de travail n’avaient pas été suivies. L’entreprise a émis une note de service à l’équipage du navire, mais ni la procédure ni l’évaluation des risques de 2015 sur les opérations des bateaux de travail n’ont été révisées à la suite de cet événement.
M13F0027 – Le 7 décembre 2013, le bateau de travail du CSL Tadoussac a chaviré et un membre d’équipage est tombé à l’eau dans le port d’Ashtabula (Ohio, États-Unis). Le membre d’équipage a nagé jusqu’à la rive.
M10C0060 – Le 4 août 2010, le bateau de travail du Saginaw a chaviré et 3 membres d’équipage ont été projetés dans l’eau à Sarnia (Ontario). Aucune blessure n’a été signalée.
M02C0079 – Le 25 novembre 2002, le bateau de travail de l’Algomarine a chaviré pendant que l’équipage se préparait à débarquer et 3 membres d’équipage ont été projetés dans l’eau à Windsor (Ontario). Les membres d’équipage portaient des gilets de sauvetage et ont été repêchés avec une hypothermie légère.
2.0 Analyse
Les 3 membres d’équipage du bateau de travail du Manitoulin ont été projetés dans l’eau après que le bateau de travail fut passé au-dessus d’une amarre lâche qui s’est soudainement tendue. L’enquête a permis d’analyser le risque associé au mouvement incontrôlé des amarres, au processus de la compagnie concernant l’évaluation et l’atténuation des risques liés à l’exploitation du bateau de travail, ainsi que l’efficacité de la procédure d’exploitation du bateau de travail.
2.1 Facteurs ayant mené à l’événement
Le Manitoulin a été amarré à 50 m au large d’une installation sans quai, de sorte que le bateau de travail du navire a été utilisé pour transférer des membres d’équipage à terre.
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
Pendant que le Manitoulin était amarré, la garde montante arrière était lâche, ce qui signifie qu’elle pouvait être immergée et ensuite se tendre et sortir de l’eau de façon inattendue au rythme des mouvements du navire, ce qui représentait un risque pour quiconque naviguait près ou au-dessus de l’amarre.
En raison de la façon dont les amarres du navire ont été disposées, ainsi que du fort courant bâbord, la route entre la passerelle d’embarquement et le véhicule de l’équipage à terre exigeait que le bateau de travail passe au-dessus de la garde montante arrière lâche, qui était immergée.
Les officiers supérieurs du navire se concentraient sur les opérations de déchargement et n’ont pas informé le conducteur du bateau de travail ni surveillé le transfert de l’équipage, ce qui a donné lieu à une occasion manquée de tenir compte du risque posé par le mouvement incontrôlé de la garde montante arrière.
Après que le conducteur du bateau de travail eut embarqué et effectué le transfert de responsabilité, et avant qu’il ne parte, il a vérifié les dangers potentiels liés aux gardes montantes en regardant la position de la garde montante arrière, qui semblait être lâche et immergée dans l’eau. Il a également vérifié visuellement et déterminé que le Manitoulin ne bougeait pas, ce qui rendrait les dangers liés aux gardes montantes moins probables. Ces observations concordaient avec l’attente que l’itinéraire direct entre le Manitoulin et la rive soit exempt de risques, et le conducteur a donc entrepris la traversée.
Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs
Étant donné que le Manitoulin semblait stationnaire, que la garde montante arrière était immergée et qu’on ne s’attendait pas à ce que cette dernière se tende, le conducteur a poursuivi la traversée jusqu’à la rive.
Cependant, il était très difficile de prévoir les mouvements du navire dans le fort courant avec une quelconque fiabilité, et même un léger déplacement de la position du navire peut entraîner le mouvement incontrôlé d’une amarre. De plus, du point de vue du conducteur dans le bateau de travail, et avec son attention visuelle principalement sur la rive, il aurait été difficile de détecter tout mouvement du Manitoulin ou de la garde montante arrière.
Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs
Alors que le bateau de travail passait au-dessus de la garde montante arrière, le Manitoulin s’est déplacé à cause du courant et la garde montante est sortie de l’eau, happant le bateau de travail par l’arrière, ce qui a projeté les 3 membres d’équipage dans l’eau.
La vitesse à laquelle la garde montante est sortie de l’eau et le fait que cet événement était inattendu ont fait en sorte que le conducteur du bateau de travail n’a pas été en mesure de manœuvrer le bateau de travail pour s’éloigner de la garde montante à temps dans le but d’éviter l’impact.
2.2 Mouvement incontrôlé des amarres
Le mouvement incontrôlé des amarres pose un risque de blessure ou de mort pour quiconque travaille près ou au-dessus d’elles, car elles peuvent se tendre rapidement et de manière imprévisible. Des précautions doivent être prises en tout temps pour éviter tout mouvement incontrôlé des amarres. À titre d’exemple, on peut tendre les amarres le plus possible, ou surveiller de près les amarres lâches pour réduire les conséquences de tout changement de tension imprévu. S’assurer que l’équipage qui travaille près des amarres est pleinement conscient des risques et suit les pratiques de travail sécuritaires peut également prévenir les blessures ou la mort.
Sur le Manitoulin, il était courant de laisser la garde montante arrière dans l’eau à des endroits sans installations d’amarrage officielles. À ces endroits, le système de gestion de la sécurité (SGS) n’exigeait pas que le capitaine élabore un plan d’amarrage qui tienne compte du mouvement incontrôlé des amarres, pas plus qu’il n’était nécessaire de prendre des mesures de sécurité pour les amarres. Par conséquent, la garde montante arrière était lâche et immergée, sans qu’il n’y ait de précautions pour atténuer le risque qu’elle sorte de l’eau sans avertissement. De plus, les amarres du Manitoulin étaient disposées de façon à ce qu’il n’y avait pas de route sans obstacles que le bateau de travail devait suivre pour traverser du côté tribord du navire jusqu’à la rive.
Fait établi quant aux risques
Si l’on ne prend pas de précautions pour réduire les risques associés au mouvement incontrôlé des amarres, les travailleurs peuvent se blesser ou perdre la vie s’ils se trouvent près d’une amarre qui se tend soudainement.
2.3 Gestion des risques
Une gestion efficace des risques est un processus continu auquel participent des personnes à tous les niveaux d’une organisation. Il s’agit de déterminer les dangers, d’analyser et d’évaluer les risques associés à ces dangers et de mettre en place des mesures d’atténuation. Étant donné que les risques opérationnels ne sont pas statiques, mais qu’ils peuvent se manifester et changer au fil du temps, il est essentiel que les évaluations des risques soient régulièrement évaluées et mises à jour afin de répondre aux nouveaux dangers ou de cerner les dangers existants qui auraient pu être négligés au départ. Il est également important que les mesures d’atténuation en place aient des contrôles adéquats pour s’assurer que les personnes qui exécutent les mesures d’atténuation sont surveillées et se conforment à ces mesures.
Même si une évaluation des risques liés aux activités des bateaux de travail avait été effectuée en 2015, elle n’avait pas été réexaminée depuis lors. Même après un événement survenu en 2016, où des membres d’équipage d’un autre navire appartenant à Lower Lakes Towing Ltd. sont tombés par-dessus bord d’un bateau de travail, l’évaluation des risques n’a pas été mise à jour. Il s’agissait d’une occasion manquée d’évaluer si les dangers liés à l’exploitation des bateaux de travail étaient gérés efficacement.
L’évaluation des risques de 2015 a porté sur l’exploitation des bateaux de travail en général et n’a pas tenu compte des dangers particuliers associés aux transferts d’équipage. Ainsi, un certain nombre de facteurs qui pourraient avoir une incidence sur la sécurité des opérations de transfert d’équipage n’ont pas été évalués, notamment :
- si le bateau de travail doit passer près des amarres et les dangers que cela représente;
- s’il y a un plan de sauvetage dans le cas où une personne tombe à l’eau;
- si le bateau de sauvetage est en état de service à ce moment pour assurer un transfert d’équipage;
- si le moteur hors-bord du bateau de travail est suffisamment puissant pour être manœuvré dans le courant;
- si le bateau de travail est conforme à la réglementation actuelle.
Des procédures efficaces et bien documentées pour les tâches routinières à bord d’un navire aident les membres d’équipage à effectuer ces tâches tout en étant conscients des risques et des mesures de contrôle connexes. Lorsqu’elles sont suivies, ces procédures constituent des pratiques de travail sécuritaires et uniformes à bord d’un navire. Dans l’événement à l’étude, il n’y avait pas de procédure en place pour les personnes qui tombent à l’eau, le bateau de sauvetage était inutilisable et ce n’était pas tout l’équipement de sécurité requis par la réglementation et la procédure de la compagnie qui était disponible ou utilisé sur le bateau de travail. Comme ces facteurs n’avaient pas été évalués, aucune mesure d’atténuation n’a été prise, ce qui a pu contribuer à la perception selon laquelle le transfert des membres d’équipage était une activité à faible risque. Sans mesures d’atténuation en place pour ajuster la perception du risque, l’évaluation subjective du faible risque personnel peut entraîner une augmentation du nombre d’activités à risque élevé effectuéesNote de bas de page 31.
Bien qu’il y ait eu certaines mesures d’atténuation pour gérer d’autres risques qui avaient été cernés durant l’évaluation des risques de 2015, il n’y avait aucun mécanisme de contrôle en place pour s’assurer que les membres d’équipage s’y conformaient. Par exemple, même si l’utilisation de tout l’équipement de protection personnelle (EPP) était requise, ce ne sont pas tous les membres d’équipage qui portaient le VFI, et il n’y avait pas de mécanismes de contrôle en place, comme la supervision et les inspections, pour s’assurer que cette mesure était respectée.
Par conséquent, dans cet événement, l’emplacement d’amarrage du Manitoulin n’avait pas été évalué du point de vue de la sécurité d’un transfert de membres d’équipage, et les risques de naviguer au-dessus de l’amarre qui pouvait se tendre de façon inattendue et rapide n’étaient pas pleinement reconnus.
Fait établi quant aux risques
Si les dangers liés à l’exploitation des bateaux de travail ne sont pas adéquatement gérés au moyen de mesures d’atténuation des risques et si la conformité à ces mesures n’est pas surveillée, les événements mettant en cause des bateaux de travail continueront de survenir.
2.4 Procédure d’exploitation des bateaux de travail
Des procédures documentées efficaces peuvent contribuer à des pratiques de travail normalisées et uniformes à bord d’un navire, ainsi qu’à la conformité aux règlements applicables. Il est important que les procédures fournissent des renseignements clés afin que les conducteurs soient informés de tout danger ou de toute restriction qui a une incidence sur la sécurité.
Étant donné que le Manitoulin et les autres navires de la flotte de Lower Lakes Towing Ltd. étaient fréquemment amarrés à des installations riveraines sans poste d’amarrage traditionnel et que leurs bateaux de travail étaient régulièrement utilisés pour les transferts des membres d’équipage et le transport des amarres à terre, il était important que la procédure d’exploitation des bateaux de travail fournisse des renseignements aux conducteurs sur les dangers de la navigation à proximité des amarres.
L’enquête a permis de déterminer que, bien que la procédure d’exploitation des bateaux de travail du Manitoulin mentionne que les conducteurs doivent faire preuve d’une extrême prudence en raison des dangers liés aux amarres, elle n’a pas précisé la nature de ces dangers ni fourni d’options pour atténuer leurs risques. Le conducteur du bateau de travail aurait pu profiter de l’information sur le risque que des amarres lâches se retrouvent soudainement sous tension et la vitesse relativement lente du temps de réaction humaine. Les options pour atténuer le risque de ce danger auraient pu inclure l’exigence d’un plan d’amarrage qui empêchait le mouvement incontrôlé des amarres ou l’interdiction de naviguer au-dessus des amarres lâches.
L’enquête a également permis de déterminer que la procédure d’exploitation des bateaux de travail n’incluait pas certains renseignements clés nécessaires à l’exploitation sécuritaire du bateau de travail. Par exemple, elle n’a pas incité le conducteur à fournir un exposé sur la sécurité au personnel à bord et à s’assurer qu’il portait l’EPP. Elle ne couvrait pas non plus les limites de sécurité recommandées pour le bateau de travail (poids total maximal et nombre de personnes), les limites relatives aux vagues et au vent, ni l’utilisation du cordon de sécurité du coupe-circuit. La formation des conducteurs, qui était basée sur la procédure d’exploitation des bateaux de travail, ne couvrait aucune information supplémentaire sur ces sujets. Par conséquent, le conducteur du bateau de travail ne connaissait pas les limites de sécurité du bateau de travail et ne savait pas comment fonctionnait le cordon de sécurité du coupe-circuit moteur. Le cordon n’était pas fixé au conducteur lors de cet événement; le moteur était en marche à proximité des membres d’équipage dans l’eau, ce qui pose un risque de blessure.
Enfin, l’enquête a permis de déterminer que la liste de l’équipement de sécurité dans la procédure d’exploitation des bateaux de travail ne comprenait pas tous les éléments requis par le Règlement sur les petits bâtiments. Par conséquent, même si le bateau de travail transportait l’équipement indiqué dans la procédure, il ne satisfaisait pas aux exigences du Règlement sur les petits bâtiments. Comme un bateau de travail ne fait pas partie de l’équipement de sauvetage d’un navire et n’est pas assujetti à des inspections externes, il peut être négligé par l’équipage, la compagnie et l’organisme de réglementation. Dans l’événement à l’étude, Lower Lakes Towing Ltd. n’était pas au courant des exigences relatives à l’équipement de sécurité énoncées dans le Règlement sur les petits bâtiments, et aucun des bateaux de travail de la flotte ne transportait l’équipement nécessaire à la conformité.
Fait établi quant aux risques
Si les procédures d’utilisation des bateaux de travail ne contiennent pas les renseignements clés sur la sécurité concernant les opérations, les dangers et les limites, il y a un risque que les bateaux de travail soient exploités d’une manière qui compromet involontairement la sécurité des personnes à bord.
3.0 Faits établis
3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.
- Pendant que le Manitoulin était amarré, la garde montante arrière était lâche, ce qui signifie qu’elle pouvait être immergée et ensuite se tendre et sortir de l’eau de façon inattendue au rythme des mouvements du navire, ce qui représentait un risque pour quiconque naviguait près ou au-dessus de l’amarre.
- En raison de la façon dont les amarres du navire ont été disposées, ainsi que du fort courant bâbord, la route entre la passerelle d’embarquement et le véhicule de l’équipage à terre exigeait que le bateau de travail passe au-dessus de la garde montante arrière lâche, qui était immergée.
- Les officiers supérieurs du navire se concentraient sur les opérations de déchargement et n’ont pas informé le conducteur du bateau de travail ni surveillé le transfert de l’équipage, ce qui a donné lieu à une occasion manquée de tenir compte du risque posé par le mouvement incontrôlé de la garde montante arrière.
- Étant donné que le Manitoulin semblait stationnaire, que la garde montante arrière était immergée et qu’on ne s’attendait pas à ce que cette dernière se tende, le conducteur a poursuivi la traversée jusqu’à la rive.
- Alors que le bateau de travail passait au-dessus de la garde montante arrière, le Manitoulin s’est déplacé à cause du courant et la garde montante est sortie de l’eau, happant le bateau de travail par l’arrière, ce qui a projeté les 3 membres d’équipage dans l’eau.
3.2 Faits établis quant aux risques
Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.
- Si l’on ne prend pas de précautions pour réduire les risques associés au mouvement incontrôlé des amarres, les travailleurs peuvent se blesser ou perdre la vie s’ils se trouvent près d’une amarre qui se tend soudainement.
- Si les dangers liés à l’exploitation des bateaux de travail ne sont pas adéquatement gérés au moyen de mesures d’atténuation des risques et si la conformité à ces mesures n’est pas surveillée, les événements mettant en cause des bateaux de travail continueront de survenir.
- Si les procédures d’utilisation des bateaux de travail ne contiennent pas les renseignements clés sur la sécurité concernant les opérations, les dangers et les limites, il y a un risque que les bateaux de travail soient exploités d’une manière qui compromet involontairement la sécurité des personnes à bord.
3.3 Autres faits établis
Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.
- Au moment de l’événement, Lower Lakes Towing Ltd. n’avait pas de procédure pour les personnes tombées à l’eau, et le bateau de sauvetage du Manitoulin était hors service pour des réparations.
- Le Manitoulin n’avait pas fait l’objet d’une inspection portant sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime au cours des 5 dernières années.
- Certaines considérations de sécurité incluses dans le guide de Transports Canada à l’intention des exploitants de petits navires commerciaux n’avaient pas été prises en compte dans le système de gestion de la sécurité de la compagnie.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures de sécurité prises
4.1.1 Lower Lakes Towing Ltd.
À la suite de l’événement, le capitaine et les membres d’équipage ont rempli un rapport de diligence raisonnable. Pendant qu’ils dressaient le rapport, le capitaine et l’équipage ont discuté de l’incident, et on a indiqué aux conducteurs du bateau de travail du Manitoulin de ne jamais passer au-dessus d’une amarre lâche.
Le 18 janvier 2021, Lower Lakes Towing Ltd. a émis une politique sur la prévention des chutes par-dessus bord. La politique comprend les pratiques exemplaires et les leçons apprises pour prévenir les chutes par-dessus bord. Elle comprend également des descriptions d’activités et de dangers qui peuvent mener à des chutes par-dessus bord, des activités essentielles pour divers membres d’équipage dans le but de prévenir les chutes par-dessus bord et une analyse des risques professionnels. Une note de service a été envoyée à tous les capitaines et les officiers mécaniciens et de pont pour les informer de la politique.
4.1.2 Smoker Craft Inc.
À la suite de l’événement, Smoker Craft Inc., le fabricant du bateau de travail, a effectué un essai de flottaison sur un bateau de travail du même modèle. L’essai a entraîné une modification des limites de sécurité recommandées pour la puissance et le poids des moteurs utilisés avec ce modèle de bateau de travail. La limite de puissance maximale révisée est de 22 kW (30 hp) et la limite de poids révisée est de 159 kg. Smoker Craft Inc. est en train d’informer toutes les parties concernées de ces changements.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .
Annexes
Annexe A – Graphique du lieu de l’événement, avec une image insérée montrant une carte du lieu de l’événement
Source de l’image principale : National Oceanic and Atmospheric Administration, carte 14852 : Saint Clair River, avec annotations du BST
Source de l’image insérée : Google Earth, avec annotations du BST
Annexe B – Procédure d’exploitation des bateaux de travail
Source: Lower Lakes Towing Ltd. (en anglais seulement)