Blessure grave à un membre de l’équipage
Navire à passagers Amadea
Québec (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 9 septembre 2018, un membre de l’équipage du navire à passagers Amadea a été gravement blessé alors qu’il arrimait l’embarcation de sauvetage no 4 après un exercice régulier d’embarcation de sauvetage. Lors de l’incident, l’Amadea était accosté à la section no 21 du Port de Québec, au Québec. Le membre de l’équipage blessé a été transporté à un hôpital local par ambulance.
1.0 Renseignements de base
1.1 Fiche technique du navire
Nom du navire | Amadea |
---|---|
Numéro OMI / Numéro officiel | 8913162 / 8001146 |
Port d’immatriculation | Nassau |
Pavillon | Bahamas |
Type | Navire à passagers / de croisière |
Indicatif d’appel / MMSI | C6VE9 / 308445000 |
Classification | LR 100 A1 Passenger Ship, L1, LMC, UMS |
Jauge brute | 29008 |
Longueur hors tout / Longueur réglementaire | 192,82 m / 172,93 m |
Largeur aux extrémités / Largeur hors membre | 27,80 m / 24,7 m |
Tirant d’eau chargé / Port en lourd | 6,718 m / 3 939 tonnes |
Construction | 1991 (coque no 2050), Mitsubishi Heavy Industries Nagasaki Shipyard & Machinery Works Ltd., Nagasaki, Japon. |
Propulsion | 2 moteurs diesel semi-rapides à quatre temps activant 2 hélices à pas variables (régime continu maximum total – MCR – 18 522 kW). |
Propulseur d’étrave | 1 propulseur en tunnel (1 450 kW) |
Équipage à bord au moment de l’événement | 318 |
Passagers à bord au moment de l’événement | 558 |
Propriétaire enregistré | MS Amadea Shipping Ltd., Nassau, Bahamas. |
Gestionnaire technique | Bernhard Schulte Cruise Services GmbH & Co. KG, Hambourg, Allemagne. |
1.2 Description du navire
L’Amadea (Figure 1) est un bateau de croisière hauturier construit en 1991 au Japon. Le navire peut loger un groupe de 904 personnes. Le navire est doté d’un système de sonorisation dans toutes les aires d’équipage et de passagers, avec des microphones placés sur la passerelle, à l’accueil et dans le bureau administratif. Le navire a un hôpital de bord.
L’Amadea a 6 embarcations de sauvetage à moteur partiellement ferméesNote de bas de page 1, lesquelles sont situées à 3 de chaque côté sur le pont no 7. Les embarcations de sauvetage sont mises à l’eau par des bossoirs à gravité à potence double et sont fixées par des mécanismes de largage sous tension/hors tension. Les embarcations de sauvetage no 1 et 2 sont également des embarcations de secours certifiées alors que les embarcations de sauvetage no 3, 4, 5 et 6 servent également de bateaux auxiliairesNote de bas de page 2. L’embarcation de sauvetage no 4 est située sur le côté de bâbord, en travers avec la cheminée, entre les cadres no 42 et 56; l’embarcation de sauvetage a une longueur de 11,5 m et peut transporter 132 personnes (annexe A).
1.3 Embarcation de sauvetage no 4
Les embarcations de sauvetage no 3 et 4 de l’Amadea sont identiques, avec des treuils et des bossoirs identiques. Les embarcations de sauvetage ont été fabriquées par Harding Safety A/S de la NorvègeNote de bas de page 3. Lorsqu’elles sont utilisées comme bateaux auxiliaires, chacune a une capacité maximum de 90 personnes.
1.3.1 Bossoir et treuil de l’embarcation de sauvetage no 4
Le bossoir de l’embarcation de sauvetage no 4 a été fabriqué par D-I Davit International GmbH de l’AllemagneNote de bas de page 4 et a une capacité de mise à l’eau par moteur en plus de la mise à l’eau par gravité. Le manuel d’instruction de D-I Davit International GmbH à bord de l’Amadea lorsque l’incident s’est produit mentionnait un système de treuil : la section 2.7 de ce manuel indique que [traduction] « pour la récupération de l’embarcation par manivelle manuelle, le [treuil] protège contre les contrecoupsNote de bas de page 5 ». L’Amadea était à l’origine équipé de treuils de bossoir d’embarcation de sauvetage fabriqués par D-I Davit International GmbH, toutefois, lors de l’incident, aucun des bossoirs d’embarcation de sauvetage de l’Amadea n’avait une telle configuration.
Les treuils originaux des bossoirs à bord de l’Amadea ont été remplacés en 2000 par des treuils fabriqués par Sekigahara Seisakusho Ltd du JaponNote de bas de page 6. Les treuils de bossoir pour les embarcations de sauvetage no 1, 2, 5 et 6 sont de type différent des treuils de bossoir pour les embarcations de sauvetage no 3 et 4. Ces derniers sont des treuils d’acier à 2 tamboursNote de bas de page 7 qui peuvent être activés soit par un moteur asynchrone électriqueNote de bas de page 8, soit par une manivelle amovible. Le moteur du treuil est muni d’un frein électromagnétique fermé à courant continu de 90 V, actionné par ressort et serré par défaut, qui est fixé à l’extrémité libre du moteur du treuil. Ce frein électromagnétique se desserre lorsque le moteur est sous tension. La boîte d’engrenages du treuil a un rapport de démultiplication de 239:1.
Les bossoirs no 3 et 4 sont dotés de potences doubles connectées à un seul treuil. Chaque potence de bossoir a un interrupteur de fin de course électromécanique activé par un levier ajustable qui interrompt l’alimentation du moteur du treuil une fois que chaque potence du bossoir s’approche de sa position la plus élevée, juste avant d’entrer en contact avec sa butée, au cours de l’arrimage de l’embarcation de sauvetage (figure 2 et annexe C).
En mer, des saisines permettent de s’assurer que les embarcations de sauvetage restent en positions d’arrimage. En plus des sangles, 2 goupilles peuvent être insérées dans des trous alignés sur chaque potence de bossoir et sur le support de bossoir, pour assurer les embarcations de sauvetage en position d’arrimage alors que le navire est au port ou au cours d’entretien (figure 2).
1.3.2 Manuel d’instruction du frein électromagnétique du moteur du treuil de bossoir de l’embarcation de sauvetage no 4
Le manuel d’instruction du frein électromagnétique du moteur du treuil de Sekigahara Seisakusho Ltd. décrit le frein électromagnétique du moteur du treuil des embarcations de sauvetage no 3 et 4, ainsi que son fonctionnement et la façon de l’ajuster. Le manuel inclut des avertissements et des notes sur les dangers suivants [traduction] :
Danger : Il est possible que les utilisateurs soient tués ou gravement blessés s’ils utilisent le moteur incorrectement.
Avertissement : Il est possible que les utilisateurs se blessent ou endommagent le matériel s’ils utilisent le moteur incorrectementNote de bas de page 9.
Il y a plusieurs notes sur les dangers dans le manuel concernant l’utilisation sécuritaire du treuil, y compris les suivantes [traduction] :
- « Danger : Veuillez ne jamais omettre d’utiliser au cours du largage manuelNote de bas de page 10. »
- « Danger : Veuillez ne jamais utiliser à une vitesse supérieure à la limite de révolutionsNote de bas de page 11. »
Le manuel présente également les spécifications en matière d’entretien et d’inspections pour le treuil et le frein. Le manuel comprend des procédures de base pour la mise à l’eau et la récupération de l’embarcation de sauvetage, mais n’inclut aucune instruction pour le treuillage manuel avec la manivelle du treuilNote de bas de page 12. Le manuel ne précise pas que le treuil protège contre les contrecoups.
Le frein électromagnétique est manuellement desserré au moyen d’un outil constitué d’un volant de petit rayon fixé à une tige filetée (figure 3). L’outil de desserrage du frein se visse dans le boîtier du frein à l’extrémité libre du moteur du treuil, compressant partiellement le ressort du frein électromagnétique. Le manuel d’instruction du treuil avertit que l’outil de desserrage du frein est le seul outil qui devrait être utilisé, que l’outil doit être vissé à la main seulement et qu’utiliser une [traduction] « force extrêmeNote de bas de page 13 » pourrait endommager les composants internes du frein électromagnétique.
1.3.3 Mise à l’eau, récupération et arrimage de l’embarcation de sauvetage no 4
Le treuil de bossoir pour l’embarcation de sauvetage no 4 est muni de 3 freins séparés pour contrôler le bossoir. Par défaut, le frein à main principal est serré et doit être desserré par un opérateur qui soulève et maintient levée une poignée de contrôle lestée. Le 2e frein est un frein régulateur centrifuge qui contrôle la vitesse de descente de l’embarcation de sauvetageNote de bas de page 14 et qui s’active lorsque le frein principal est desserré et que le treuil file. Le 3e frein est le frein électromagnétique du moteur, qui lui permet de descendre ou de remonter l’embarcation de sauvetage sans glissement. Le frein électromagnétique doit être desserré manuellement au moyen de l’outil de desserrage du frein au cours de l’étape du treuillage manuel pour l’arrimage.
Le treuil est utilisé pour mettre à l’eau et récupérer l’embarcation de sauvetage no 4 (figure 4). Pour récupérer l’embarcation de sauvetage, celle-ci doit d’abord être fixée au mécanisme de largage sous tension/hors tension des garants du bossoir.
L’opérateur appuie sur les boutons de contrôle du treuil pour mettre le moteur du treuil sous tension. Les tambours du treuil tournent pour tirer et enrouler les garants, soulevant l’embarcation de sauvetage (figure 5).
L’embarcation de sauvetage est soulevée jusqu’à ce qu’elle entre en contact avec les potences du bossoir. Le treuil continue à tirer à la fois l’embarcation de sauvetage et les potences du bossoir à bord, les faisant rouler le long des rails à galets de chaque potence du bossoir (figure 6).
L’extrémité fixée des garants des bossoirs d’embarcation de sauvetage de l’Amadea est équipée d’un tendeur afin qu’il soit possible de faire des ajustements et de s’assurer que les potences du bossoir demeurent alignées lorsqu’elles bougent (annexe D). Un interrupteur de fin de course électromécanique fixé à chaque potence de bossoir empêche de surcharger les garants et d’endommager les composants mécaniques du bossoir (figure 2, figure 7 et annexe C).
Les deux interrupteurs de fin de course électromécaniques sont ajustables et leurs leviers peuvent être repositionnés pour changer la distance des butées à laquelle les potences de bossoir mettront le moteur du treuil hors tension. Lors de l’événement, les interrupteurs étaient ajustés de manière à ce que le moteur du treuil se mette hors tension 20 cm avant que les potences du bossoir atteignent leurs butées.
Les opérateurs doivent ensuite arrimer l’embarcation de sauvetage en la treuillant manuellement jusqu’à sa position d’arrimage finale. Pour faciliter le treuillage manuel, le frein électromagnétique est desserré à la main en vissant l’outil de desserrage du frein au moteur du treuil (figure 8, étape 1), puis la manivelle est fixée à son couplage sur la boîte d’engrenages du treuil et actionnée à la main (figure 8, étape 2).
Après avoir treuillé l’embarcation de sauvetage jusqu’à sa position finale, les opérateurs arriment l’embarcation au moyen de saisines. Les trous dans les potences du bossoir et les supports du bossoir sont maintenant alignés et les goupilles peuvent être insérées, quand le navire est au port ou pendant les travaux d’entretien, afin de mieux fixer l’ensemble (figure 9). Dans cette situation, le frein électromagnétique est toujours desserré puisque le treuil est actionné à la main.
1.4 Déroulement de l’événement
Le 1er juillet 2018, MS Amadea Shipping Ltd a engagé Bernhard Schulte Cruise Services pour s’occuper de la gestion technique de l’Amadea à la place de V Ships Leisure S.A.M.
Le 9 septembre 2018 à 8 h 38Note de bas de page 15, l’Amadea a accosté à la section no 21 du port de Québec (Québec), avec le quai à tribord (annexe B). À 10 h 30, au moyen du système de sonorisation, le capitaine a ordonné à l’équipage de commencer son exercice hebdomadaire obligatoire d’incendie, immédiatement suivi par son exercice hebdomadaire obligatoireNote de bas de page 16 d’abandon du navire (embarcation de sauvetage).
Conformément au rôle d’appel du navireNote de bas de page 17, pendant l’exercice d’incendie, le maître d’équipage et 3 autres membres de l’équipage ont préparé les embarcations de sauvetage à tribord pour la mise à l’eau, alors qu’une équipe semblable menée par le maître d’équipage adjoint préparait les embarcations de sauvetage à bâbord; le capitaine en second était chargé de superviser les deux équipes. Pendant l’exercice, le premier officier, le maître d’équipage et le maître d’équipage adjoint communiquaient entre eux, et avec l’officier de la sécurité, au moyen de radiotéléphones portatifs à ultra haute fréquence (UHF). L’agent de sécurité transmettait ensuite tout renseignement pertinent au commandant adjoint.
À 11 h 02, une fois l’exercice d’incendie terminé, le commandant adjoint a utilisé le système de sonorisation pour ordonner à l’équipage de commencer l’exercice d’abandon du navire. À ce moment, toutes les embarcations de sauvetage étaient prêtes pour être mises à l’eau, donc le commandant adjoint a donné l’ordre d’abaisser les embarcations de sauvetage no 2, 4 et 6 au niveau d’embarquement (pont no 7)Note de bas de page 18. À 11 h 05, les membres de l’équipage ont informé le commandant adjoint que les 3 embarcations de sauvetage avaient été abaissées au niveau d’embarquement.
À 11 h 06, le commandant adjoint a utilisé le système de sonorisation pour ordonner la fin de tous les exercices et a demandé au maître d’équipage de superviser l’arrimage approprié de toutes les embarcations de sauvetage. Dans les minutes qui ont suivi, des matelots non qualifiés et qualifiés ont commencé à arrimer les embarcations de sauvetage. Certains membres de l’équipage portaient des casques de protection et d’autres non. Pendant l’arrimage des embarcations de sauvetage, le commandant adjoint, l’agent de la sécurité et tous les responsables des équipes d’urgence se sont réunis sur la passerelle pour un compte rendu après exercices.
Vers 11 h 19, le maître d’équipage, le maître d’équipage adjoint, 2 matelots non qualifiés et 1 matelot qualifié ont récupéré l’embarcation de sauvetage no 4 au moyen de son treuil de bossoir à moteur électrique. L’embarcation de sauvetage a été remontée à bord presque jusqu’à sa position d’arrimage lorsque le moteur du treuil a été désactivé par l’un des 2 interrupteurs de fin de course électromécaniques.
Deux minutes plus tard, la manivelle du treuil a été fixée à son couplage sur la boîte d’engrenages du treuil et le maître d’équipage a desserré le frein électromagnétique. Un matelot non qualifié et 1 matelot qualifié, placés face à face de chaque côté de la manivelle, ont commencé à treuiller l’embarcation de sauvetage manuellement vers sa position d’arrimage finale.
Après quelques minutes de treuillage manuel, le matelot non qualifié, épuisé, a été relevé par un autre matelot non qualifié. Le matelot non qualifié de relève ne portait pas de casque de protection. À environ 11 h 29, la potence du bossoir avant a atteint sa position d’arrimage et le maître d’équipage adjoint a inséré la goupille dans la potence du bossoir. Le matelot non qualifié de relève et le matelot qualifié ont continué de treuiller manuellement pour amener la potence du bossoir arrière jusqu’à sa position d’arrimage.
Environ 1 minute plus tard, le matelot non qualifié de relève et le matelot qualifié ont perdu prise sur la manivelle. La manivelle a donné un contrecoup et s’est mise à tourner librement dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, frappant le matelot non qualifié de relève sur la tête et lui faisant perdre connaissance. La potence arrière du bossoir s’est abaissée de manière incontrôlée et la poupe de l’embarcation de sauvetage s’est abaissée avec elle. L’ensemble a fini par s’immobiliser de lui-même (figure 10).
À 11 h 31, le maître d’équipage a signalé l’accident à l’agent de la sécurité au moyen de son radiotéléphone UHF. Peu après, le commandant adjoint a utilisé le système de sonorisation pour informer l’équipage qu’il y avait une urgence médicale et pour dépêcher l’équipe d’intervention sur les lieux. Vers 11 h 33, l’équipe médicale du navire est arrivée à la station d’embarcation de sauvetage no 4 et a administré les premiers soins au matelot non qualifié; ce dernier a ensuite été amené à l’hôpital de bord de l’Amadea.
À 11 h 33, le commandant adjoint a appelé les Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) de la Garde côtière canadienne à Québec au moyen d’un radiotéléphone à très haute fréquence (VHF) (canal VHF 12) pour demander une ambulance. Les SCTM ont dépêché les ambulanciers, qui sont arrivés au quai de l’Amadea à 11 h 53. Les ambulanciers paramédicaux ont embarqué sur le navire et, vers 12 h 20, le matelot non qualifié, qui avait subi une grave blessure à la tête, a été évacué et transporté à un hôpital local.
1.5 Avaries au navire
Par suite de l’abaissement non contrôlé de la potence du bossoir arrière de l’embarcation de sauvetage no 4, un des rails à galets de la potence a été tordu près de la rambarde sur le côté du navire (figure 11).
1.6 Blessures au personnel
Après avoir été frappé par la manivelle du treuil, le matelot non qualifié est demeuré inconscient pendant quelques secondes et a souffert d’amnésie rétrograde lorsqu’il a repris connaissance. Un traumatisme cérébral léger avec hémorragie cérébrale, une fracture de l’os temporal gauche ainsi que de petites lacérations et des hématomes épiduraux dans les régions temporales et occipitales gauches de la tête ont été diagnostiqués. Le matelot non qualifié s’est vu prescrire 14 jours de repos et a été débarqué du navire.
1.7 Conditions environnementales
Lors de l’événement, le ciel était clair et la visibilité était de 12 milles marins (NM). Le vent soufflait à 2 nœuds du nord-ouest. La température de l’air était de 16 °C et la température de l’eau était de 7 °C. Le pont aux abords de la station d’embarcation de sauvetage no 4 et l’équipement de la station étaient secs et bien éclairés.
1.8 Certification du navire
L’Amadea possédait tous les certificats requis pour un navire de sa classe et pour son voyage prévu. L’organisme reconnu (OR) de l’état du pavillon a effectué l’inspection de renouvellement de la classe du navire le 20 décembre 2015 et la dernière inspection périodique du navire (annuelle) a été menée le 27 octobre 2017.
Les embarcations de sauvetage, les bossoirs et leurs treuils du navire étaient d’un type approuvé et avaient les certifications appropriées. Leur entretien périodique a été effectué conformément à toutes les exigences réglementaires applicables par l’équipage et par des fournisseurs de service à terre. L’entreprise qui effectuait l’entretien périodique des bossoirs des embarcations de sauvetage sur l’Amadea est un fournisseur de service à terre qui est approuvé par l’OR du navire, mais qui n’était pas approuvé par le fabricant du bossoir.
1.9 Certification et expérience du personnel
Le capitaine de l’Amadea détenait un brevet d’officier de pont de première classe (capitaine au long cours)Note de bas de page 19 et s’est joint à l’équipage du navire le 25 juillet 2018.
Le commandant adjoint détenait un brevet de capitaineNote de bas de page 20 et s’est joint à l’équipage de l’Amadea le 8 août 2018.
L’officier de la sécurité détenait un certificat de capitaine de haute merNote de bas de page 21 et naviguait à titre d’agent de la sécurité sur des navires à passagers depuis 2008. Il s’est joint à l’équipage de l’Amadea le 17 juillet 2018.
Le maître d’équipage a commencé sa carrière maritime en 1985. Il était employé à titre de maître d’équipage sur l’Amadea depuis 2013. Il s’est embarqué sur le navire le 26 mai 2018.
Le maître d’équipage adjoint a commencé à travailler à bord de l’Amadea en 2010 et s’est embarqué sur le navire le 8 mars 2018.
Le matelot qualifié travaillait sur l’Amadea depuis 2016. Il s’est embarqué sur le navire le 8 mars 2018.
Le matelot non qualifié de remplacement détenait un certificat de matelot de pontNote de bas de page 22 qualifié accordé le 11 janvier 2017 en Indonésie. Il s’est joint à l’équipage de l’Amadea le 25 juillet 2018 et n’avait pas travaillé sur le navire précédemment.
1.10 Gestion de la sécurité
1.10.1 Code international de gestion de la sécurité
Le but du Code international de gestion de la sécurité (ISM)Note de bas de page 23 [traduction] « est de fournir une norme internationale pour la gestion et l’exploitation sécuritaires des navires et pour la prévention de la pollutionNote de bas de page 24 ». Le Code a pour objectifs [traduction] « [d’]assurer la sécurité en mer, de prévenir les blessures et les pertes de vies humaines et d’éviter les dommages à l’environnement, en particulier à l’environnement marin, et à la propriétéNote de bas de page 25 ».
À cet égard, le Code ISM exige que les entreprises [traduction] :
établissent des procédures, des plans et des instructions, y compris des listes de contrôle le cas échéant, pour les opérations clés à bord de navire concernant la sécurité du personnel et du navire et de la protection de l’environnement. Les diverses tâches devraient être définies et attribuées aux membres qualifiés du personnelNote de bas de page 26.
Concernant la formation des nouveaux membres de l’équipage, le Code ISM stipule que [traduction] :
[l’]entreprise devrait établir des procédures afin de s’assurer que le nouveau personnel et le personnel transféré à de nouvelles affectations concernant la sécurité et la protection de l’environnement soit convenablement familiarisé avec ses tâches. Les instructions qu’il est essentiel de fournir avant le départ en mer devraient être définies, étayées par des documents et fourniesNote de bas de page 27.
Une évaluation du risque est un moyen de cerner les dangers potentiels. Au cours de cette évaluation, on détermine quels sont les dangers qui pèsent sur l’activité et quelle est la probabilité qu’ils se matérialisent, et on évalue leurs conséquences potentielles. À partir de cette évaluation, les mesures d’atténuation appropriée peuvent être mises en place afin d’éliminer les risques ou de les atténuer autant que possible. Les mesures d’atténuation appropriées peuvent inclure des procédures que les membres de l’équipage doivent suivre lorsqu’ils effectuent des tâches et des opérations critiques à bord du navire.
En février 2018, Bernhard Schulte Cruise Services a reçu une attestation de conformité (ADC) d’un OR comme preuve de conformité au Code ISM. Le 1er juillet 2018, l’Amadea a reçu un certificat de gestion de la sécurité d’un autre OR comme preuve de conformité au Code ISM.
Au moment de l’événement à l’étude, Bernhard Schulte Cruise Services n’avait effectué aucune évaluation du risque officielle concernant la récupération et l’arrimage des embarcations de sauvetage no 3 et 4, et n’avait pas cerné les dangers potentiels pour ces opérations. Il n’y avait aucune procédure opérationnelle écrite pour la récupération des embarcations de sauvetage no 3 et 4 à bord de l’Amadea.
1.10.2 Formation de l’équipage et familiarisation
Lorsque les gens apprennent un nouveau rôle, leur compétence se développe graduellement, évoluant de novice à pas encore compétent, puis à compétent, et enfin à expert. Pendant cette progression, les apprenants passent par une série d’étapes prévisibles. Lorsqu’ils atteignent un niveau minimum de compétence, on peut dire qu’ils sont consciemment compétents, ou à un stade où ils peuvent exécuter les tâches de manière efficace. Quand ils deviennent compétents ou experts, ils exécutent ces tâches de manière de plus en plus automatiqueNote de bas de page 28. Avec l'expérience, ils sont en mesure d’anticiper les résultats des tâches avec une exactitude croissante et l’exécution des tâches devient plus préciseNote de bas de page 29.
La formation et l’entraînement de l’équipage, comme la familiarisation et les exercices, sont des facteurs qui peuvent influer sur l’efficacité des opérations à bord du navire. Dans le cadre de son système de gestion de la sécurité (SGS), l’Amadea avait mis en place un système de formation structuré pour l’équipage. Les manuels de formation de l’entreprise sur la sécurité en cas d’incendie et les engins de sauvetage, dont la prestation est obligatoire en vertu de la convention SOLAS, avaient également été mis à la disposition de l’équipage aux fins de consultation, au besoinNote de bas de page 30.
À bord de l’Amadea, les nouveaux membres de l’équipage suivaient une formation avant d’être affectés à leurs tâches. Le programme de formation pour les nouveaux membres de l’équipage était constitué de 6 modules de formation sur le terrain :
- Formation de familiarisation à la sécurité : Avant d’être affectées à des tâches à bord du navire, toutes les personnes employées ou embauchées sur un navire de haute mer, autres que les passagers, doivent suivre une formation de familiarisation approuvée ou recevoir suffisamment de renseignements et d’instructions sur les techniques de survie personnelle. La formation de familiarisation comprend également l’utilisation des portes étanches.
- Initiation 1 (dans les 3 jours suivant l’embarquement) : Il s’agit d’une révision de la formation de familiarisation à la sécurité; formation théorique, démonstration et formation pratique sur les boyaux d’incendie, les extincteurs et les couvertures anti-feu (un approfondissement de la formation sur l’intervention en cas d’incendie au moyen des boyaux, des extincteurs, des couvertures anti-feu et autres engins de lutte contre les incendies).
- Initiation 2 (dans les 5 jours suivant l’embarquement) : Il s’agit d’une formation sur les rôles désignés et les actions des membres de l’équipage en cas d’abandon du navire; sur l’hypothermie; sur la préparation, les opérations de mise à l’eau et l’équipement des embarcations de sauvetage; et sur la préparation, la mise à l’eau, l’utilisation et l’équipement des radeaux de sauvetage pneumatiques largables et sous bossoir.
- Initiation 3 (dans les 7 jours suivant l’embarquement) : Il s’agit d’une formation sur le Code ISM; sur le SGS; sur les politiques de l’entreprise; sur l’utilisation de l’équipement de protection individuelle (ÉPI), son emplacement, le signalement des défaillances et les politiques de l’entreprise; et sur le Code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (ISPS). Cette formation est suivie d’un test des connaissances et des aptitudes de l’équipage après la familiarisation.
- Initiation 4 (dans les 14 jours suivant l’embarquement) : Il s’agit d’un exercice sur le fonctionnement des embarcations de sauvetage.
- Initiation 5 (dans les 15 jours suivant l’embarquement) : Il s’agit d’une formation sur les premiers soins et la réanimation cardiopulmonaire; sur les premiers soins de survie; sur les mesures de prévention des infections transmises sexuellement; sur la santé à bord du navire; et sur le norovirus. Cette formation est suivie d’une évaluation verbale.Note de bas de page 31
L’initiation 2 portait sur la mise à l’eau de l’embarcation de sauvetage seulement dans des cas d’abandon du navire; aucune formation n’a été offerte sur la récupération des embarcations de sauvetage.
Selon les registres de formation et d’exercices de l’Amadea, tous les membres de l’équipage étaient familiarisés et formés conformément au programme de formation du navire, comme l’exigent le SGS du navire et les politiques de Bernhard Schulte Cruise Services. Cependant, selon ces registres de bord, le matelot non qualifié de relève n’avait jamais pratiqué la récupération de l’embarcation de sauvetage no 4 avant l’événement.
1.10.3 Équipement de protection individuelle
Lorsqu’ils utilisent les treuils et les bossoirs des embarcations de sauvetage, et lorsqu’ils utilisent des saisines, braguets et palans rapprocheurs, les membres de l’équipage doivent porter l’équipement de protection individuelle (ÉPI) approprié, notamment un casque de protection, des gants et des chaussures de sécurité. Porté correctement, le casque de protection protège la tête contre les objets qui tombent ou qui sont projetés. Des facteurs sociaux, comme la façon dont un groupe de travail perçoit le port de l’ÉPI, peuvent influencer la décision d’une personne d’utiliser l’équipement. La formation et la sensibilisation peuvent accroître l’acceptation par les pairs de l’utilisation de l’ÉPI, et certaines étudesNote de bas de page 32 ont démontré que des mesures incitatives directes peuvent accroître son utilisation.
Chaque membre de l’équipe de pont sur l’Amadea avait reçu son propre ÉPI, soit un casque de protection, une combinaison, des chaussures de sécurité, des gants et des lunettes protectrices, et gardait cet équipement dans sa cabine.
1.10.4 Supervision
La supervision est un contrôle administratif qui appuie ou renforce les aspects liés aux facteurs humains, notamment le respect des procédures, les priorités, la charge de travail, la fatigue, l’engagement et la motivation. Les superviseurs peuvent avoir une grande influence sur beaucoup des facteurs qui agissent sur les comportements des employés au travailNote de bas de page 33.
Les personnes qui exercent toute forme de rôle de supervision doivent être avoir la formation et la compétence nécessaires pour superviser. La compétence comprend des aptitudes techniques et non techniques comme la planification, la communication et la délégation. La compétence technique doit également inclure la compréhension des risques et des mesures d’atténuation. Les leaders les plus efficaces sont ceux qui établissement consciemment une hiérarchie de commandement qui convient aux qualifications et aux niveaux d’expérience des membres de l’équipe.
Au cours de l’événement, le matelot non qualifié de relève ne portait pas son casque de protection et ne s’est pas fait dire par les membres supérieurs de l’équipe de le porter au cours des opérations de récupération et d’arrimage de l’embarcation de sauvetage.
1.11 Examen après événement et analyse technique
Après l’événement, le BST a examiné l’ensemble du treuil du bossoir de l’embarcation de sauvetage no 4 et a réalisé des tests de fonctionnement et une inspection interne sur la boîte d’engrenages et le frein électromagnétique. Au cours de l’examen du BST, l’embarcation de sauvetage no 4 a été préparée, mise à l’eau puis récupérée plusieurs fois de la même manière que durant l’événement. Le frein à main principal, le frein régulateur centrifuge et le frein électromagnétique ont été testés et ils ont fonctionné comme prévu. Le frein manuel principal a laissé descendre l’embarcation de sauvetage et a arrêté sa descente de manière efficace; le frein régulateur centrifuge a permis de s’assurer que le taux de descente était contrôlé; le frein électromagnétique a permis au moteur du treuil de descendre et de remonter l’embarcation de sauvetage sans glissement et il s’est desserré lorsque l’outil de desserrage du frein a été utilisé. Le treuillage manuel final jusqu’à la position d’arrimage a été réalisé avec 1 seul opérateur.
Pendant les tests, 2 lacunes ont été constatées :
- Les interrupteurs de fin de course électromécaniques, installés pour arrêter le moteur du treuil avant que les potences du bossoir atteignent les butées, étaient mal ajustés, de sorte que le treuil s’arrêtait avant d’avoir passé les trous des goupilles. Cela exigeait un treuillage manuel supplémentaire avant que les potences du bossoir atteignent la position d’arrimage finale.
- Les potences du bossoir étaient légèrement mal alignées, de sorte que la potence avant atteignait sa butée avant la potence arrière. L’opérateur devait continuer à treuiller manuellement pour amener la potence arrière du bossoir jusqu’à sa butée, ce qui créait une tension dans les garants du bossoir. L’enquête n’a pas permis de déterminer depuis combien de temps les potences du bossoir étaient mal alignées ou pourquoi le mauvais alignement n’avait pas été corrigé au moyen des tendeurs des garants.
Au cours des tests, une attention particulière a été portée à la force de réactionNote de bas de page 34 de la manivelle manuelle du treuil aux diverses étapes du déploiement de l’embarcation de sauvetage. Tout au long des diverses étapes de déploiement, les opérateurs ont arrêté le mouvement contrôlé électriquement, desserré manuellement le frein électromagnétique et utilisé la manivelle manuelle. La manivelle offrait peu ou pas de réaction lorsque l’embarcation de sauvetage était aux étapes suivantes :
- à l’eau;
- avec une légère tension sur les garants;
- juste au-dessus de l’eau;
- à moitié montée;
- au point d’activation du bossoir;
- remontée avec les potences du bossoir à 45 degrés;
- remontée avec les potences du bossoir rétractées.
Si l’opérateur arrêtait de tourner la manivelle manuelle, elle demeurait immobile. Si l’opérateur poussait et relâchait la manivelle manuelle, elle revenait lentement en position. Un opérateur pouvait garder le contrôle complet de la manivelle manuelle avec peu d’efforts.
Les tests et l’analyse subséquente ont révélé que, s’il était utilisé correctement, l’ensemble du système fonctionnait comme prévu. Toutefois, si le treuillage manuel se poursuivait après que les potences du bossoir furent entrées en contact avec leurs butées, la force de réaction de la manivelle manuelle augmentait considérablement à mesure que la tension élastique dans les garants et le support augmentait. La boîte d’engrenages du treuil ayant un rapport de démultiplication de 239:1, le treuillage manuel continu créait une tension supplémentaire dans le système avec peu d’efforts supplémentaires. Les tests ont démontré que si la manivelle manuelle était fixée à son axe sur la boîte d’engrenages du treuil, cette tension excessive pouvait entraîner un contrecoup soudain de la manivelle, qui se mettait alors à tourner avec force à haute vitesse.
Au cours des essais d’arrimage de l’embarcation de sauvetage, le BST a constaté que l’équipage insérait un outil de type levierNote de bas de page 35 dans les rayons du volant de l’outil de desserrage du frein électromagnétique pour exercer un couple supplémentaire lors du desserrage du frein électromagnétique. L’utilisation de ce levier sur la roue permettait aux membres de l’équipage de desserrer le frein électromagnétique plus qu’ils ne pouvaient le faire à la main seulement, parce qu’une certaine résistance dans le frein magnétique est requise pour empêcher ou contrôler tout contrecoup dans le système. L’utilisation de l’outil de type levier était une pratique régulière et c’était également le cas lors de l’événement.
L’examen du BST et l’analyse technique ont permis de conclure que le système de treuil et de bossoir pour l’embarcation de sauvetage no 4 fonctionnait de manière sécuritaire lorsqu’il était utilisé comme prévu, mais qu’il pouvait créer une condition non sécuritaire s’il n’était pas ajusté et utilisé correctement. Les interrupteurs de fin de course électromagnétiques étant positionnés pour arrêter le moteur du treuil à 20 cm des butées des potences du bossoir et les 2 potences du bossoir étant mal alignées, un treuillage manuel considérable était nécessaire pour amener l’embarcation de sauvetage à sa position d’arrimage.
1.12 Rapports de laboratoire du BST
Le BST a produit le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :
- LP013/2019 – Functional Testing of Lifeboat No. 4 Winch [Test de fonctionnement du treuil de l’embarcation de sauvetage no 4]
2.0 Analyse
Cette section portera sur le manque de procédures opérationnelles formelles pour la récupération et l’arrimage des embarcations de sauvetage à bord de l’Amadea, sur les problèmes touchant la familiarisation de l’équipage avec les systèmes de bossoir et de treuil des embarcations de sauvetage, sur l’utilisation par l’équipage de l’équipement de protection individuelle, sur la supervision par les membres supérieurs de l’équipage et sur la conception à sécurité intégrée du treuil du bossoir de l’embarcation de sauvetage no 4.
2.1 Causes et facteurs contributifs aux blessures du membre de l’équipage
Après avoir réussi les exercices réguliers d’incendie et d’embarcation de sauvetage, les membres de l’équipage de l’Amadea étaient en train de récupérer et d’arrimer les engins de lutte contre les incendies et les embarcations de sauvetage qui avaient été déployées dans le cadre des exercices. Le maître d’équipage avait la tâche de superviser l’arrimage approprié des embarcations de sauvetage et était aidé par d’autres membres de l’équipage de pont.
Les membres de l’équipage qui récupéraient l’embarcation de sauvetage no 4 ont utilisé le treuil de bossoir électrique pour lever l’embarcation de sauvetage jusqu’à ce que les potences du bossoir atteignent leurs interrupteurs de fin de course électromécaniques, qui ont coupé l’alimentation du moteur du treuil. Les interrupteurs de fin de course électromécaniques étant fixés à 20 cm avant que les potences du bossoir atteignent leurs butées, un important treuillage manuel supplémentaire était nécessaire pour terminer l’arrimage de l’embarcation de sauvetage no 4 après l’exercice d’embarcation de sauvetage. Un matelot non qualifié et un matelot qualifié ont ensuite installé une manivelle manuelle sur le treuil et ont treuillé l’embarcation de sauvetage à la main jusqu’à sa position d’arrimage. Le maître d’équipage a desserré le frein électromagnétique au moyen de l’outil de desserrage du frein afin de permettre le treuillage manuel.
Les garants de l’embarcation de sauvetage n’étaient pas de longueur égale et, par conséquent, la potence avant du bossoir est entrée en contact avec sa butée avant la potence arrière. Les membres de l’équipage ont dû continuer à treuiller manuellement pour amener l’embarcation de sauvetage jusqu’à sa position d’arrimage, ce qui a créé une tension accrue sur le système de treuil et rendu le treuillage manuel plus difficile.
Pour faciliter le treuillage manuel, le maître d’équipage a inséré un outil de type levier dans les rayons du volant de desserrage du frein afin d’accroître l’effet de levier, ce qui s’est traduit par un desserrage accru du frein électromagnétique et a éliminé la résistance normalement présente dans le système de frein.
Alors que le matelot non qualifié et le matelot qualifié continuaient à treuiller manuellement pour amener la potence arrière à sa butée, la tension augmentait dans le système du treuil, rendant le treuillage plus difficile. Éventuellement, cet effort a épuisé le matelot non qualifié, qui a été relevé par un autre matelot non qualifié.
Le matelot non qualifié de relève et le matelot qualifié ont continué de treuiller manuellement et la tension excessive dans le système de treuil leur a fait lâcher la manivelle. Puisque le frein électromagnétique était desserré, la manivelle a soudainement donné un contrecoup et s’est mise à tourner en sens inverse, frappant le matelot non qualifié sur la tête. Le matelot non qualifié ne portait pas de casque de protection et a été gravement blessé à la tête.
2.2 Conception du treuil du bossoir d’embarcation de sauvetage
À l’origine, le frein électromagnétique est conçu pour maintenir une certaine résistance lorsqu’il est manuellement desserré, afin de prévenir ou de contrôler les contrecoups dans le système de treuil lorsque l’embarcation de sauvetage no 4 est manuellement treuillée et arrimée. Afin de maintenir cette résistance, l’outil de desserrage du frein électromagnétique est un volant de petit rayon, ce qui empêche les opérateurs de compresser complètement le ressort interne du frein électromagnétique lorsqu’ils vissent l’outil de desserrage du frein à la main. Le manuel d’instructions de Sekigahara Seisakusho Ltd avertit les opérateurs de visser l’outil de desserrage du frein à la main seulement et de ne pas trop le visser.
Les interrupteurs de fin de course électromécaniques étaient fixés à 20 cm avant que les potences du bossoir atteignent leurs butées. De plus, les potences avant et arrière du bossoir étaient mal alignées. Par conséquent, pour amener l’embarcation de sauvetage à sa position d’arrimage finale, les membres de l’équipage devaient treuiller longtemps à la main, en raison du rapport de démultiplication de 239:1 de la boîte d’engrenages du treuil.
Le niveau d’effort requis pour le treuillage manuel supplémentaire est probablement ce qui a poussé les membres de l’équipage à utiliser un outil de type levier (clé à valve ou clé en F) pour desserrer davantage le frein électromagnétique et à utiliser la manivelle du treuil à deux. Cela permettait de réduire la résistance de la manivelle du treuil et de réduire l’effort requis pour treuiller l’embarcation de sauvetage. Cependant, ces actions ont eu 2 conséquences imprévues. D’abord, desserrer davantage le frein électromagnétique a éliminé la résistance et a contourné la protection intégrée contre les contrecoups du treuil. Ensuite, le fait que les 2 membres d’équipage ont continué d’actionner la manivelle du treuil après que la potence avant du bossoir eut atteint sa butée, afin d’aligner les potences, a créé une tension excessive dans le système de treuil.
Bernhard Schulte Cruise Services n’avait pas de procédures ou d’instructions écrites pour le desserrage du frein électromagnétique et il n’y avait aucune directive officielle interdisant l’utilisation d’une clé à valve sur l’outil de desserrage du frein pour desserrer le frein électromagnétique.
L’application d’un couple excessif à l’outil de desserrage du frein électromagnétique, afin de réduire l’effort physique requis pour treuiller manuellement l’embarcation de sauvetage no 4, est devenue une pratique informelle de l’équipage. Cela permettait au train d’engrenages du treuil de tourner librement si le ou les opérateurs lâchaient la manivelle. Les membres de l’équipage n’étaient pas conscients du danger associé à l’application d’un couple excessif à l’outil de desserrage du frein.
Si la conception de l’équipement permet aux opérateurs de contourner ou de désactiver ses caractéristiques de sécurité intégrées, ces caractéristiques ne fonctionneront pas comme prévu, augmentant le risque que l’équipage soit blessé lorsqu’il utilise cet équipement.
2.3 Gestion du risque
Pour gérer efficacement la sécurité, une organisation doit mettre en place des processus et des procédures visant à cerner les dangers et à atténuer les risques. Les évaluations officielles du risque et les protocoles d’amélioration continue sont conçus pour définir avec exactitude la façon dont un processus est exécuté, cerner les lacunes potentielles dans ce processus et corriger proactivement ces lacunes. Cerner les lacunes dans un processus permet également de déceler les risques et les dangers pour la sécurité, et corriger proactivement ces lacunes inclut de prendre des mesures pour atténuer ces risques et ces dangers pour la sécurité. De plus, le Code international de gestion de la sécurité (ISM) exige que les exploitants de navire (équipage et direction) cernent les risques et établissent des procédures pour toutes les opérations critiques à bord du navire, comme la mise à l’eau et la récupération des embarcations de sauvetage.
Même si le manuel d’instructions de Sekigahara Seisakusho Ltd n’indiquait pas clairement aux opérateurs que le système de treuil du bossoir n’était pas à l’épreuve des contrecoups, il les avertissait qu’il y avait un risque de décès ou de blessures graves s’ils utilisaient le moteur incorrectement et que le serrage excessif de l’outil de desserrage du frein électromagnétique pouvait endommager l’unité.
Bernard Schulte Cruise Services ne considérait pas la récupération de l’embarcation de sauvetage (y compris l’utilisation du treuil du bossoir) comme une opération critique à bord du navire et, par conséquent, n’a pas effectué une évaluation du risque pour cette opération. En outre, l’entreprise n’a pas cerné et atténué les risques posés par l’utilisation de 3 types différents de treuils de bossoir à bord d’un même navire.
Aucun risque associé à la récupération de l’embarcation de sauvetage n’ayant été cerné, aucune procédure officielle pour cette opération n’a été élaborée et mise en place. De plus, le risque d’un contrecoup de la manivelle du treuil n’avait pas été cerné; par conséquent, aucune mesure n’a été prise pour s’assurer que les membres de l’équipage étaient conscients du danger posé par un contrecoup et du fait qu’ils devaient prendre les mesures de sécurité nécessaires.
Souvent, les bossoirs et les treuils d’embarcation de sauvetage sont fournis par le même fabricant et donc, en général, le manuel d’un fabricant offre des instructions pour les deux équipements. Dans sa configuration originale, l’Amadea était muni de bossoirs et de treuils de bossoir fabriqués par D-I Davit International GmbH. Toutefois, les treuils de bossoir ont été remplacés en 2000 par des treuils fabriqués par Sekigahara Seisakusho Ltd. Par conséquent, au moment de l’événement, il y avait à bord du navire 2 manuels différents portant sur les spécifications techniques et l’utilisation des treuils de bossoir d’embarcation de sauvetage.
Le manuel fourni par D-I Davit International GmbH comportait des instructions pour l’utilisation de ses bossoirs et de ses treuils, même si les treuils à bord de l’Amadea avaient été remplacés par ceux fabriqués par Sekigahara Seisakusho Ltd. Par conséquent, les sections du manuel de D-I Davit International GmbH concernant ses treuils, et le fait que ces treuils étaient à l’épreuve des contrecoups, ne s’appliquaient plus aux treuils à bord du navire. Il se peut que le fait de se fier à ce manuel plutôt qu’à celui fourni par le fabricant du treuil à bord du navire ait mené les officiers et l’équipage à croire qu’il n’y avait aucun risque de contrecoup de la manivelle et ait empêché l’équipage d’atténuer ce risque.
L’utilisation d’équipement de protection individuelle (ÉPI) peut aider à atténuer les dangers pour la sécurité et est considérée comme la dernière ligne de défense pour les membres de l’équipage. Il incombe à la direction du navire de déterminer si un risque est présent et si les membres de l’équipage doivent porter leur ÉPI. Modifier le comportement des membres de l’équipage par la formation, la supervision et la rétroaction peut accroître l’utilisation de l’ÉPI, et utiliser l’ÉPI en combinaison avec d’autres mesures d’atténuation des risques peut réduire davantage la probabilité de blessures.
Si les dangers pour la sécurité associés aux opérations critiques à bord du navire, comme la mise à l’eau et la récupération des embarcations de sauvetage, ne sont pas cernés et atténués, il y a un risque de blessures pour l’équipage.
2.4 Familiarisation et formation
La Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (Convention SOLAS) et le Code ISM exigent que les membres de l’équipage soient convenablement formés pour se familiariser avec l’utilisation sécuritaire de tout l’équipement à bord du navire qu’ils utiliseront. Des méthodes de travail sécuritaires, y compris des procédures opérationnelles et de la formation, doivent être élaborées et adoptées pour donner aux membres de l’équipage les directives et les compétences nécessaires pour mener en toute sécurité les opérations. Les procédures opérationnelles et la formation offrent également aux membres de l’équipage une occasion utile d’évaluer les risques et d’intégrer des mesures d’atténuation.
La direction du navire doit s’assurer que les nouveaux membres de l’équipage ou ceux qui reviennent suivent toute la formation et la familiarisation nécessaires dès que possible. Bernhard Schulte Cruise Services avait mis en place un système de gestion de la sécurité (SGS) conforme au Code ISM. Le SGS du navire comprenait la formation de tous les membres de l’équipage sur l’utilisation appropriée de l’ÉPI, comme les casques de protection. Même si le SGS comprenait la formation sur la mise à l’eau et l’utilisation des embarcations de sauvetage, il ne comprenait pas de formation sur la récupération et l’arrimage des embarcations de sauvetage ou sur l’utilisation des treuils de bossoir.
Au moment de l’événement, le matelot non qualifié de relève était à bord de l’Amadea depuis un mois et avait suivi toute la formation et la familiarisation de sécurité de base du navire. Le matelot non qualifié avait également reçu son propre casque de protection et avait été formé pour l’utiliser. Le matelot non qualifié n’avait jamais travaillé sur l’Amadea avant, avait une expérience limitée à titre de matelot et n’avait aucune expérience de l’utilisation d’un treuil de bossoir ou des procédures d’arrimage des embarcations de sauvetage.
Bernhard Schulte Cruise Services a commencé à gérer l’Amadea 2 mois avant l’événement. La plupart des membres de l’équipage à bord du navire au moment de l’événement avaient achevé plusieurs contrats avec l’entreprise de gestion précédente du navire, V Ships Leisure S.A.M. Les matelots sur le pont et les officiers connaissaient bien la procédure d’arrimage des embarcations de sauvetage, y compris le treuillage manuel au moyen de la manivelle. Les membres de l’équipage expérimentés qui supervisaient le matelot non qualifié et travaillaient avec lui n’ont pas fourni de détails sur la procédure de treuillage manuel ou sur la nécessité de porter un ÉPI approprié pour cette opération. Par conséquent, le matelot non qualifié de relève aidait le maître d’équipage dans cet événement sans avoir été formé et familiarisé avec la tâche, et sans connaître les risques et les dangers associés à cette tâche. Aucun des membres de l’équipage n’avait été formé et familiarisé avec l’utilisation appropriée du treuil du bossoir.
Si les membres de l’équipage ne sont pas formés sur l’utilisation sécuritaire de l’équipement critique à bord du navire, comme les engins de sauvetage, il y a un risque qu’ils n’utilisent pas cet équipement de manière sécuritaire.
3.0 Faits établis
3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.
- Les interrupteurs de fin de course électromécaniques étant fixés à 20 cm avant que les potences de bossoir atteignent leurs butées, un important treuillage manuel supplémentaire était nécessaire pour terminer l’arrimage de l’embarcation de sauvetage no 4 après l’exercice d’embarcations de sauvetage.
- Les garants de l’embarcation de sauvetage n’étaient pas de longueur égale et, par conséquent, la potence avant du bossoir est entrée en contact avec sa butée avant la potence arrière.
- Les membres de l’équipage ont dû continuer à treuiller manuellement pour amener l’embarcation de sauvetage jusqu’à sa position d’arrimage, ce qui a créé une tension accrue sur le système de treuil et rendu le treuillage manuel plus difficile.
- Pour faciliter le treuillage manuel, le maître d’équipage a inséré un outil de type de levier dans les rayons du volant de desserrage du frein afin d’accroître l’effet de levier, ce qui s’est traduit par un desserrage accru du frein électromagnétique et a éliminé la résistance normalement présente dans le système de frein.
- Le matelot de 3e classe de relève et le matelot de 2e classe ont continué à treuiller manuellement et la tension excessive dans le système de treuil leur a fait lâcher la manivelle. Puisque le frein électromagnétique était desserré, la manivelle a soudainement donné un contrecoup et s’est mise à tourner en sens inverse, frappant le matelot de 3e classe sur la tête.
- Le matelot de 3e classe ne portait pas de casque de protection et a été gravement blessé à la tête.
3.2 Faits établis quant aux risques
Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.
- Si la conception de l’équipement permet aux opérateurs de contourner ou de désactiver des caractéristiques de sécurité intégrées, ces caractéristiques ne fonctionneront pas comme prévu, augmentant le risque que l’équipage soit blessé lorsqu’il utilise cet équipement.
- Si les dangers pour la sécurité associés aux opérations critiques à bord du navire, comme le largage et la récupération d’embarcations de sauvetage, ne sont pas cernés et atténués, il y a un risque de blessures pour l’équipage.
- Si les membres de l’équipage ne sont pas formés sur l’utilisation sécuritaire de l’équipement critique à bord du navire, comme les engins de sauvetage, il y a un risque qu’ils n’utilisent pas cet équipement de manière sécuritaire.
3.3 Autres faits établis
Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.
- L’extrémité fixée des garants des bossoirs d’embarcation de sauvetage de l’Amadea est équipée d’un tendeur afin qu’il soit possible de faire des ajustements et de s’assurer que les potences du bossoir demeurent alignées lorsqu’elles bougent.
- Les deux interrupteurs de fin de course électromécaniques des bossoirs d’embarcations de sauvetage de l’Amadea sont ajustables et leurs leviers peuvent être repositionnés pour changer la distance des butées à laquelle les potences de bossoir mettront le moteur du treuil hors tension.
- L’entreprise qui effectuait l’entretien périodique des bossoirs des embarcations de sauvetage sur l’Amadea est un fournisseur de service à terre qui est approuvé par l’organisme reconnu du navire, mais qui n’était pas approuvé par le fabricant du bossoir.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures de sécurité prises
4.1.1 Bernhard Schulte Cruise Services GmbH & Co. KG
Après l’événement, Bernhard Schulte Cruise Services a commandé une inspection complète du bossoir et du treuil de bossoir de l’embarcation de sauvetage no 4 par un technicien provenant d’un fournisseur à terre. Cette inspection a eu lieu le 22 octobre 2018 alors que l’Amadea était en cale sèche à Hambourg, en Allemagne. Aucune défectuosité n’a été remarquée au cours de cette inspection.
Bernhard Schulte Cruise Services a mené une enquête interne sur cet événement. L’enquête interne a conclu que l’incident s’est produit en raison d’une erreur humaine, que le matelot de 3e classe a été blessé parce qu’il ne portait pas l’équipement de protection approprié requis pour le travail, et que le matelot de 3e classe n’avait pas été formé sur la récupération d’embarcations de sauvetage.
Bernhard Schulte Cruise Services a depuis mis à jour le manuel de formation de l’Amadea. Pour la récupération des embarcations de sauvetage, le manuel de formation mis à jour indique que les membres de l’équipage doivent porter un casque de protection, des gants et des chaussures de sécurité lorsqu’ils exécutent toute activité associée aux treuils, aux bossoirs et aux saisines, braguets et palans rapprocheurs des embarcations de sauvetage. Une procédure écrite détaillée nécessitant 4 membres de l’équipage a été mise en œuvre pour l’arrimage des embarcations de sauvetage.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .
Annexes
Annexe A – Emplacement des engins de sauvetage à bord de l’Amadea
Source : Bernhard Schulte Cruise Services GmbH & Co. KG, avec annotations du BST.
Annexe B – Secteur de l’événement
Source de l’image principale : Service hydrographique du Canada, carte 1316 : Port de Québec, avec annotations du BST.
Source de l’encart : Google Earth, avec annotations du BST.
Annexe C – Plan technique de l’embarcation de sauvetage no 4 montrant l’interrupteur de fin de course électromécanique
Source : D-I Davit International-Hische GmbH, avec annotations du BST.