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Rapport d'enquête sur la sécurité du transport maritime M17P0244

Contact avec le fond
Remorqueur Ocean Monarch
Chenal Princess Royal (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 9 juillet 2017, à 4 h 36, heure avancée du Pacifique, le remorqueur Ocean Monarch, avec 3 membres d’équipage à bord, remorquait le chaland Evco No. 15 chargé de ciment dans le chenal Princess Royal (Colombie-Britannique) lorsqu’il a heurté le fond. La coque ainsi que la tuyère de tribord du remorqueur ont été endommagées. Aucune pollution n’a été signalée. Il n’y a eu aucun blessé. Le remorqueur a poursuivi son voyage jusqu’à Kitimat (Colombie-Britannique), propulsé par son moteur bâbord. Le navire s’est ensuite dirigé vers le fleuve Fraser et s’est rendu à un chantier naval à Vancouver pour des réparations.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiches techniques des navires

Tableau 1. Fiches techniques des navires
Nom du navire Ocean Monarch Evco No. 15
Numéro officiel 815106 329605
Port d'immatriculation Vancouver (Colombie-Britannique) New Westminster (Colombie-Britannique)
Pavillon Canadien Canadien
Type Remorqueur Chaland
Jauge brute 9,81* 1538,98
Longueur 14,39 m 57,91 m
Largeur 5,94 m 14,02 m
Profondeur 2,47 m 4,72 m
Construction 1991 1969
Propulsion 2 moteurs diesel (600 kW chacun) entraînant 2 hélices à pas fixe Non propulsé
Cargaison Sans objet 1800 tonnes de ciment
Équipage 3 Aucun
Propriétaires enregistrés Mercury Launch & Tug Ltd. Lehigh Hanson Materials Ltd.

* Selon l'inscription dans le Registre canadien d'immatriculation des bâtiments de Transports Canada.

1.2 Description de l'Ocean Monarch

L'Ocean Monarch est un remorqueur pontéNote de bas de page 1 à 2 hélices et à coque en acier (figure 1). Il est doté d'une étrave droiteNote de bas de page 2 et d'un tableau arrière arrondiNote de bas de page 3. La coque sous le pont principal est divisée par 4 cloisons transversales étanches qui forment 5 compartiments (à partir de l'avant) : un espace mort, le logement de l'équipage, la salle des machines, la soute à combustibles et la cambuse (annexe A).

La timonerie et une cuisine sont situées dans la partie avant du remorqueur. La timonerie est légèrement surélevée par rapport au pont principal, donnant une vue dégagée vers l'avant et vers l'arrière. On y accède par des portes sur tribord et sur bâbord ainsi que par un escalier à partir de la cuisine.

Figure 1. L'Ocean Monarch au chantier naval après l'événement
L'Ocean Monarch au chantier naval après l'événement

La timonerie abrite un compas magnétique, les commandes de moteur, un pilote automatique, un radar, un appareil GPS (système mondial de positionnement pour navigation satellite), un dispositif de système d'identification automatique (AIS)Note de bas de page 4, un radiotéléphone très haute fréquence avec système d'appel sélectif numérique (VHF/DSC), un traceur de cartes et une table à cartes à abattants avec des cartes marines. Un second traceur de cartes installé sur un ordinateur portatif appartenant à l'officier de pont était en interface avec le système GPS du remorqueur. Le capitaine de même que l'officier de pont se servaient de ce traceur pour naviguer durant le voyage à l'étude. Les 2 traceurs de cartes ont une fonction d'alarme de navigation qu'il est possible de paramétrer de manière à avertir l'équipage de la présence de dangers à proximité de la route du navire ou d'un changement de cap prévu non effectué.

Un second poste de conduite se trouve au-dessus de la timonerie. Y est rangé de l'équipement de sauvetage, dont une radiobalise de localisation des sinistres et un radeau de sauvetage pour 4 personnes. Ce poste de conduite est accessible par une échelle fixe à l'arrière de la cuisine.

La cuisine est au niveau du pont principal, d'où on y accède par une porte donnant vers l'arrière. Dans la cuisine, il y a une écoutille étanche et une échelle pour descendre dans le logement de l'équipage et l'aire de rangement principale de l'équipement de sauvetage. Deux soutes à combustibles sont situées à l'avant, sous le logement de l'équipage, et 2 autres sont situées à l'arrière, entre la salle des machines et la cambuse.

L'accès à la salle des machines se fait depuis le pont principal par une écoutille protégée par une hiloire, située à l'arrière et à tribord de la cuisine. Deux moteurs diesel sont installés sur bâbord et tribord dans la salle des machines.

Depuis la mise en service du remorqueur en 1992, les moteurs ont été remplacés 2 fois, en 2003, puis en 2017. De plus, la configuration de la soute à combustibles a été modifiée à un moment donné après l'installation d'origine; plus précisément, l'aire de rangement des cordes entre les 2 soutes à combustibles arrière a été divisée et fusionnée avec les 2 soutes à combustibles existantsNote de bas de page 5. L'écoutille d'accès à l'aire de rangement des cordes a été déplacée dans la cambuse, du côté bâbord.

Le remorqueur est équipé d'un treuil de remorquage (à un seul tambour) et d'un guide-câble hydrauliques.

1.3 Déroulement du voyage

Le 3 juillet 2017, à 11 h 30Note de bas de page 6, un équipage de 3 personnes (1 capitaine, 1 officier de pont et 1 matelot de pont) est monté à bord de l'Ocean Monarch pour une période de travail de 2 semaines. Du 3 juillet jusqu'au petit matin du 7 juillet, l'équipage a travaillé 24 heures sur 24 sur le fleuve Fraser dans la région du Grand Vancouver. Le capitaine a effectué ou supervisé la majeure partie de la navigation et des quarts à la passerelle. Durant cette période, l'exploitation du remorqueur a été interrompue à 2 reprises (pendant 7 heures et 15 minutes le matin du 4 juillet, et pendant 7 heures et 45 minutes le matin du 6 juillet); l'équipage n'était pas en service durant ces périodes.

Le 7 juillet, à 2 h, l'Ocean Monarch a quitté le terminal de Lehigh Construction Materials, sur le fleuve Fraser, pour remorquer le chaland Evco No. 15 jusqu'à Kitimat par le Passage de l'Intérieur (annexe B). Le temps prévu pour effectuer le voyage jusqu'à Kitimat avec le remorqueur en exploitation continue était d'environ 2,5 jours. Le remorqueur et sa remorque ont navigué sans interruption pendant les 2 jours suivants, le capitaine et l'officier de pont assurant à tour de rôle le quart à la passerelle. Le matelot de pont s'occupait du chaland, de l'entretien et des repas, et il assurait la vigie dans la timonerie, suivant les directives du capitaine. Lorsqu'ils arrivaient à des points d'appel obligatoires, le capitaine et l'officier de pont signalaient leur position par radiotéléphone VHF/DSC aux Services de communications et de trafic maritimes (SCTM).

Entre 3 h 36 et 4 h 36 le 9 juillet, le remorqueur naviguait sur le chenal Princess Royal (annexe B), et l'officier de pont, qui était de quart et assis seul dans la timonerie, s'est endormi. Le capitaine et le matelot de pont dormaient dans le logement de l'équipage. À ce moment, le pilote automatique contrôlait le cap du remorqueur, et les alarmes de navigation étaient désactivées. Il n'y avait aucun trafic en sens inverse sur le chenal, et l'éclairage de l'équipement de navigation était faible. Le remorqueur a maintenu une trajectoire droiteNote de bas de page 7 dans le chenal qui courbe légèrement vers la gauche. À 4 h 36, l'étrave du remorqueur et le côté tribord de la coque ont heurté le fond de la rive tribord du chenal. L'impact a réveillé l'officier de pont de même que le capitaine et le matelot de pont. Au moment où le capitaine et le matelot de pont se dirigeaient vers la timonerie, l'officier de pont a inversé les moteurs pour faire marche arrière et s'éloigner du rivage. Il a constaté que le moteur tribord ne fonctionnait pas.

Pendant ce temps, l'Evco No. 15 poursuivait sa course, jusqu'à arriver à la hauteur du remorqueur, en parallèle. Le câble de remorquage s'est ainsi trouvé par le travers, sur le pont du remorqueur, quand le chaland a fini par s'immobiliser. Le matelot de pont a halé le câble, et le capitaine a engagé le moteur bâbord pour éloigner le remorqueur du rivage et reprendre le contrôle du chaland.

Après qu'il eut repris le contrôle du chaland, le capitaine a donné instruction au matelot de pont et à l'officier de pont d'inspecter le navire pour vérifier s'il y avait des dommages. Il a également appelé la compagnie pour informer le propriétaire de la situation. L'officier de pont et le matelot de pont ont tenté de voir s'il y avait des dommages externes sous le remorqueur au moyen d'une caméra, mais la visibilité était trop mauvaise pour discerner quoi que ce soit. Dans la salle des machines, ils ont constaté que du carburant dégouttait dans la cloison entre la soute à combustibles avant de tribord et la salle des machines. Au cours des 6 heures suivantes, l'officier de pont et le matelot de pont ont siphonné le carburant de la soute de tribord dans des seaux pour le transvider dans les soutes arrière.

Après avoir évalué les dommages, le capitaine a repris le voyage vers Kitimat à 4 h 53, se rapportant aux SCTM aux points d'appel subséquents. Le remorqueur et le chaland sont arrivés à Kitimat le 9 juillet, à 15 h 58.

Le même jour, à 16 h 24, l'Ocean Monarch a entrepris le voyage de retour, propulsé par 1 moteur principal, vers le fleuve Fraser en remorquant un chaland vide. En route, il a pris en remorque un second chaland vide. Il a atteint le fleuve Fraser le 13 juillet. Le 14 juillet, l'Ocean Monarch est arrivé à un chantier naval à Vancouver pour y être réparé. Aucune pollution n'a été signalée. Il n'y a eu aucun blessé.

1.4 Avaries au navire

Le 11 août, des enquêteurs du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) ont été dépêchés au chantier navalNote de bas de page 8. L'enquête a permis de déterminer que l'étrave et le côté tribord de la coque en acier du remorqueur présentaient de nombreuses éraflures, ruptures, déformations et renfoncements sous la ligne de flottaison. L'hélice et la tuyère rotative de tribord étaient lourdement endommagées et devaient être remplacées. La cloison à carburant avant de tribord avait une fissure interne.

1.5 Conditions environnementales

Tôt le matin du 9 juillet, le ciel était couvert; il tombait une faible pluie et la mer était calme. Le lever du soleil était à 5 h 24; l'événement s'est produit à 4 h 36, donc au crépuscule du matin.

Le chenal Princess Royal est un passage étroit d'une largeur inférieure à 1 mille marin (nm). À l'endroit où le remorqueur a heurté le fond, le chenal est de 0,7 nm de large et de plus de 100 m de profondeur maximale. Au moment de l'événement, un courant jusant suivait le chenal. Le courant de marée peut atteindre des vitesses de 2,5 nœudsNote de bas de page 9 dans le chenal Princess Royal.

1.6 Certification et expérience du personnel

Le capitaine était titulaire d'un brevet de capitaine avec restrictions, bâtiment de jauge brute de moins de 60 exploité sur la côte Ouest de la Colombie-Britannique. Il était également titulaire d'un certificat restreint d'opérateur radio – commercial maritime (CRO-CM), d'un certificat de secourisme élémentaire en mer et des certificats A1, B1, B2, C et D de fonctions d'urgence en mer (FUM). Le capitaine était au service de la compagnie qui exploite l'Ocean Monarch comme officier de pont à partir de septembre 2002, et comme capitaine depuis septembre 2003. Auparavant, le capitaine avait travaillé comme matelot de pont et comme capitaine à bord de divers remorqueurs sur la côte Ouest depuis 1980.

L'officier de pont était titulaire d'un certificat de premier officier de pont, jauge brute de 150, navigation intérieure, voyages limités en eaux contiguës. L'officier de pont était également titulaire des certificats CRO-CM, secourisme avancé en mer, FUM A1, A2, A3 et D, et sécurité de base de la Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (Convention STCW). Il avait achevé un cours sur les systèmes électroniques de visualisation des cartes marines ainsi qu'un cours de navigation électronique simulée (limitée). Il était au service de la compagnie qui exploite l'Ocean Monarch comme matelot de pont à partir de 2015, et comme officier de pont depuis mai 2017. Le voyage à l'étude était son deuxième voyage durant lequel il était responsable du quart de navigation sur le Passage de l'Intérieur. Avant de travailler pour la compagnie, l'officier de pont avait été matelot de pont à bord de divers remorqueurs sur la côte Ouest depuis 2008.

Le matelot de pont est entré au service de la compagnie qui exploite l'Ocean Monarch en 2012.Il était titulaire des certificats de secourisme élémentaire en mer et de FUM A1.

1.7 Certification et inspection du navire

L'Ocean Monarch avait un certificat d'immatriculation qui avait été délivré le 17 mars 1992. Immatriculé en tant que remorqueur d'au plus 15 tonneaux de jauge brute (tjb)Note de bas de page 10, l'Ocean Monarch n'avait pas à être inspectéNote de bas de page 11.

1.8 Surveillance réglementaire

Il incombe à Transports Canada (TC) de surveiller les navires battant pavillon canadien pour s'assurer qu'ils sont exploités conformément à la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada (LMMC 2001). En vertu de cette loi, le représentant autorisé (RA) est une personne responsable chargée d'agir à l'égard de toute question relative au bâtiment dont aucune autre personne n'est responsable. Dans le cas de l'Ocean Monarch, le RA est le propriétaire du navire.

En vertu de la LMMC 2001Note de bas de page 12, le RA d'un navire :

Pour la surveillance réglementaire des remorqueurs, TC utilise le jaugeage pour faire une distinction, au chapitre des exigences d'inspection, de certification et d'approbation, entre les remorqueurs de plus de 15 tjb et ceux d'au plus 15 tjb. TC a élaboré 2 documents d'orientation pour contribuer à l'exploitation sécuritaire des remorqueurs : Les Lignes directrices concernant la construction, l'inspection, la certification et l'exploitation de remorqueurs de moins de 24 mètres de longueur comprennent de l'information sur les exigences relatives aux remorqueursNote de bas de page 13. Le Guide de sécurité des petits bâtiments commerciaux comprend de l'information sur les responsabilités du RA et les exigences de sécurité qui s'appliquent aux navires de travail, y compris les remorqueurs d'au plus 15 tjbNote de bas de page 14.

Les 2 paragraphes suivants résument les différences au chapitre des exigences d'inspection de navire pour les 2 catégories de remorqueurs.

1.8.1 Remorqueurs d'une jauge brute de plus de 15 tonneaux

TC inspecte les remorqueurs dont la jauge brute est comprise entre 15 et 150 tonneaux dès leur construction ou immatriculation initiale, et tous les 4 ans par la suite. Durant l'inspection quadriennale, un inspecteur de la sécurité maritime de TC examine l'intérieur et l'extérieur du navire et en vérifie les structures et l'équipement (ordinaire et d'urgence), ainsi que les registres de bord et les certificats, entre autresNote de bas de page 15. L'inspecteur doit également déterminer s'il y a eu des changements ou des modifications au navire, ou des changements dans son utilisation depuis la dernière inspection. Une fois que toute lacune cernée a été corrigée à la satisfaction de TC, le ministère délivre un certificat d'inspection pour le navire qui indique l'effectif de sécurité et les limites quant aux voyages, aux conditions météorologiques ou aux types d'activité (p. ex., remorquage) s'appliquant au navire.

1.8.2 Remorqueurs d'une jauge brute d'au plus 15 tonneaux

Les remorqueurs d'au plus 15 tjb ne sont pas certifiés en vertu du Règlement sur la construction de coques en vigueur ni ne sont-ils inspectés par TC en vertu du Règlement sur l'inspection des coques. En vertu de la LMMC 2001, il incombe au RA de s'assurer que le navire est conforme à toute la réglementation applicable et qu'il est adéquat pour l'exploitation et l'utilisation prévues. Le RA doit également tenir des dossiers appropriés (p. ex., journal de bord, temps de travail et de repos) et les présenter sur demande à toute personne ou tout organisme autorisés en vertu de la LMMC 2001 à faire des inspectionsNote de bas de page 16. TC est autorisé à faire des inspections aléatoires de surveillance dans le but de vérifier la conformité. Aucun dossier n'indique la tenue d'inspections aléatoires de surveillance; toutefois, de janvier à mars 2017, TC a effectué une campagne d'inspection ciblée qui portait sur des problèmes de sécurité précis à bord de navires canadiens. Dans le cadre de cette campagne, TC a inspecté 30 remorqueurs d'au plus 15 tjb et 30 remorqueurs de plus de 15 tjb. À la suite d'une analyse des résultats de cette campagne, TC a conclu que les cas de non-conformité réglementaire étaient beaucoup plus fréquents parmi les remorqueurs d'au plus 15 tjb que parmi ceux de plus de 15 tjbNote de bas de page 17.

1.9 Jaugeage des remorqueurs

Tous les navires doivent faire l'objet d'un jaugeage au moment de leur immatriculation. Pour un navire de la taille et du type de l'Ocean Monarch, un jaugeur autorisé détermine la jauge brute conformément aux dispositions de la LMMC 2001Note de bas de page 18 et l'inscrit dans le Registre canadien d'immatriculation des bâtiments de TC. D'après le Registre, la jauge brute de l'Ocean Monarch était de 9,81, soit la valeur initiale consignée lors de son immatriculation le 17 mars 1992.

Après l'événement, le BST a retenu les services d'un jaugeur indépendant pour qu'il jauge l'Ocean Monarch conformément à la norme en vigueur de TC établie dans le document Norme de jaugeage des bâtimentsNote de bas de page 19. Cet exercice a permis d'établir que la longueur de jaugeageNote de bas de page 20 de l'Ocean Monarch était de 15,35 m, et que par conséquent sa jauge brute s'élevait à 63,6 tonneaux.

L'importante différence entre les jauges brutes réelle et enregistrée de l'Ocean Monarch découle d'une question qui remonte à plusieurs décennies, lorsque le plancher de la salle des machines de certains remorqueurs était artificiellement surélevé afin de réduire le creux mesuré servant au jaugeage initial. On parvenait ainsi à réduire le jaugeage d'un navire à moins de 15 tonneauxNote de bas de page 21. Dans certains cas, les planchers n'étaient que des cloisons et ne contribuaient en rien à l'intégrité structurale du navire; leur installation servait uniquement au jaugeage, après quoi on les démontait. Un remorqueur d'une jauge brute d'au plus 15 tonneaux peut être exploité sans inspection, sans document sur l'effectif minimal de sécuritéNote de bas de page 22 et sans être assujetti à des limites de voyage ou à des limites de type d'activité qu'il peut effectuer.

En 1991, des propriétaires de remorqueurs au jaugeage consigné exact, la Guilde de la Marine Marchande du CanadaNote de bas de page 23, ainsi que des employés de remorqueurs au jaugeage consigné inexact ont soumis cette question à TC (dont relevait la Garde côtière canadienne à l'époque). Comme mesure corrective immédiate pour mettre fin à l'utilisation de planchers artificiellement surélevés, TC a informé les jaugeurs, le 30 décembre 1991, qu'à compter du 1er janvier 1992, le ministère limiterait la hauteur des cadres-varangues. Afin de mieux comprendre l'ampleur de ce problème, TC a fait un examen qui a permis de repérer au moins 25 remorqueurs immatriculés comme étant de moins de 15 tjb, mais que l'on soupçonnait d'être de plus de 15 tjb. Au terme de discussions avec le secteur, TC a exempté ces remorqueurs de toute mesure corrective, au titre de droits acquis. La construction de l'Ocean Monarch remonte à l'époque de l'entrée en vigueur de cette décision. TC n'avait pas exempté l'Ocean Monarch de ces mesures. Cependant, à la suite d'un différend entre TC et le propriétaire, le ministère a permis l'inscription de 9,81 tjb pour ce navire, quoiqu'on ait établi sa jauge brute réelle à 31,18.

En 2003, à l'occasion du remplacement des moteurs de l'Ocean Monarch, on a retiré les planchers surélevés du remorqueur, ce qui a changé le creux mesurable de la salle des machines servant au calcul de la jauge brute. Par conséquent, TC a demandé au propriétaire de jauger à nouveau son remorqueur. Le propriétaire a fait appel à un architecte naval. Toutefois, après une consultation avec TC, il a été convenu que le remorqueur demeurerait inscrit en fonction de sa jauge brute enregistrée à l'origine.

Après l'événement à l'étude, le BST a obtenu un échantillon de données de jaugeage pour des remorqueurs actuellement en service en Colombie-Britannique mesurant de 12 à 15 m de long et immatriculés comme étant d'au plus 15 tjb. À partir de ces données, le BST a effectué une analyse des mesures de creux de 51 remorqueurs pour déterminer si elles étaient réalistes par rapport à la jauge brute totale enregistrée de chaque navire. Le BST a déterminé que le jaugeage consigné de 17 remorqueurs était inexact en raison de dimensions de creux irréalistes (annexe C). Au moment de l'événement, la jauge brute de l'Ocean Monarch était estimée à 63,6Note de bas de page 24.

1.10 Effectif minimal de sécurité

Selon la LMMC 2001, un capitaine ne peut exploiter un navire que si l'équipage est suffisant et compétent en ce qui a trait à la sécurité de l'exploitation du navire durant le voyage prévu et tout au long du voyageNote de bas de page 25.

Dans le cas des remorqueurs de plus de 15 tjb, TC fournit un document qui contient de l'information sur l'effectif minimal de sécurité pour le navire. Ce document est préparé en fonction de l'évaluation que fait TC des exigences sur le navire durant l'exploitation normale et dans des situations d'urgence. Il indique l'effectif requis pour exploiter le navire en toute sécurité, les niveaux de certification nécessaires, les zones où le navire peut mener ses activités et les voyages qu'il peut effectuer. Ce document demeure valide pendant 5 ans. Le RA doit communiquer avec TC pour le renouveler avant sa date d'expiration. Un inspecteur de TC visite alors le navire, vérifie que ses conditions d'exploitation n'ont pas changé, et renouvelle le certificat.

En tant que remorqueur immatriculé comme étant d'au plus 15 tjb, l'Ocean Monarch n'était pas tenu d'avoir de document sur l'effectif minimal de sécurité. Néanmoins, il devait compter un effectif suffisant pour être conforme aux exigences du Règlement sur le personnel maritime (RPM). Le RPM exige au moins 2 membres d'équipage pour assurer les fonctions de quart à la passerelle. Un d'eux doit être titulaire d'un certificat de compétence pour exécuter ces tâches.

Le RPM comprend une disposition selon laquelle, durant les heures de clarté et par bonne visibilité, le remorqueur peut naviguer avec 1 seul membre d'équipage affecté aux fonctions de quart à la passerelle, mais uniquement si l'on a évalué tous les facteurs de navigation pertinents (p. ex., conditions météorologiques, eaux restreintes, autre trafic maritime, dangers pour la navigationNote de bas de page 26). Toutefois, durant les heures de noirceur, le RPM stipule que 2 membres d'équipage seront affectés aux fonctions de quart à la passerelle.

De plus, d'après le Code de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (le Code STCW), « Le capitaine de tout navire est tenu de faire en sorte que l'organisation de la tenue du quart permette d'assurer le quart à la passerelle [...] en toute sécuritéNote de bas de page 27 ». Le Code stipule aussi que « une veille satisfaisante doit être maintenue en permanence [...] et doit consister à évaluer pleinement la situation et les risques d'abordage, d'échouement et les autres dangers pour la navigation »Note de bas de page 28. De plus, le Code stipule que « l'homme de veille doit pouvoir consacrer toute son attention au maintien d'une veille satisfaisante et ne doit ni entreprendre ni se voir confier de tâche susceptible de gêner le maintien de cette veille »Note de bas de page 29 et que « [l]es tâches assignées à l'homme de veille et au timonier sont distinctes »Note de bas de page 30.

En outre, le Code STCW stipule que, lorsqu'il évalue la composition de l'équipe de quart à la passerelle, le capitaine doit tenir compte, entre autres, des facteurs suivants :

L'Ocean Monarch satisfaisait aux exigences de certification de veille énoncées dans le RPM, puisque le capitaine et l'officier de quart détenaient tous deux les certificats nécessaires. Toutefois, au cours des heures précédant l'événement, 1 seule personne de quart assumait les fonctions de vigie, de timonier et de quart lors de la navigation de nuit. Par conséquent, l'équipage de quart à la passerelle n'était pas conforme aux exigences du RPM ni à celles du Code STCW.

1.11 Fatigue

La fatigue est omniprésente dans notre société, et cela a des conséquences importantes pour l'industrie des transports où la sécurité est si importante. Les perturbations du sommeil ou des habitudes de sommeil chez les personnes occupant des postes essentiels pour la sécurité peuvent réduire le rendement au point d'augmenter le risque d'incidents et d'accidents. Il est établi que la fatigue augmente le temps de réaction, augmente la prise de risques et réduit la capacité d'une personne à résoudre des problèmes complexes. Plus généralement, la fatigue perturbe l'attention, la vigilance et les fonctions cognitives en général. La fatigue peut également induire le sommeil chez le personnel de transport durant des opérations essentielles pour la sécurité.

Pour que le sommeil soit réparateur, il est préférable de dormir la nuit, et de 7 à 9 heures d'affiléeNote de bas de page 32,Note de bas de page 33 de façon à ce que tous les stadesNote de bas de page 34 du sommeil aient lieu. Une personne qui dort normalement la nuit tombe dans le sommeil profond au début de la période de sommeil. Le stade du sommeil paradoxal (accompagné de mouvements oculaires rapides) survient dans la seconde moitié de la périodeNote de bas de page 35. Le sommeil profond jouerait un rôle réparateur au plan physiologiqueNote de bas de page 36,Note de bas de page 37, tandis que le sommeil paradoxal rétablirait plutôt les processus cognitifs.

La fatigue peut résulter d'un ou de plusieurs des 6 facteurs de risque suivants : perturbations aiguës du sommeil; perturbations chroniques du sommeil; état de veille continu; perturbations des rythmes circadiens; troubles du sommeil ou autres troubles médicaux et psychologiques; ou bien maladies ou prise de médicaments nuisant au sommeil ou induisant de la somnolence. D'autres facteurs peuvent avoir des répercussions sur la capacité d'une personne d'obtenir un sommeil réparateur : les facteurs individuels (p. ex., matinalité/vespéralité et capacité à faire des siestes); la nature du travail (p. ex., monotone); et le type d'horaire de travail (p. ex., quarts fractionnés).

1.11.1 Perturbations aiguës du sommeil

Les perturbations aiguës du sommeil sont des réductions de la qualité ou de la quantité de sommeil se produisant pendant 3 jours consécutifs. On considère normalement que les réductions du sommeil d'au moins 30 minutes (quantité) et les interruptions du sommeil profond ou du sommeil paradoxal (qualité) sont significatives.

1.11.2 Perturbations chroniques du sommeil

Toute perturbation de la quantité de sommeil se prolongeant sur des périodes supérieures à 3 jours consécutifs est considérée comme une perturbation chronique du sommeil. En comparant la quantité de sommeil acquise à la quantité de sommeil requise pour une période d'éveil donnée, il est possible d'estimer la « dette de sommeil » d'une personne. Une dette de sommeil de plus de 2 heures sur une période de 7 jours peut indiquer une fatigue chronique.

Des perturbations chroniques du sommeil même mineures peuvent modifier la structure du sommeil d'une personne. Par exemple, la quantité de sommeil profond ou de sommeil paradoxal peut être diminuée sans réduction du temps de sommeil total, et provoquer de la fatigue et ses perturbations connexes, comme l'augmentation du temps de réaction.

1.11.3 État de veille continu

Un état de veille continu durant plus de 22 heures est généralement considéré comme la période après laquelle la fatigue entraîne un déclin de presque tous les aspects de la performance humaine. Après une période de veille aussi longue, il commence à se produire, chez la plupart des personnes, de brefs épisodes incontrôlables de sommeil de 3 ou 4 secondes, communément appelés « micro-sommeils », et une instabilité d'état (parce que l'état de veille ne peut pas être maintenuNote de bas de page 38).

1.11.4 Rythme circadien

La vigilance et le rendement d'une personne varient sensiblement selon le moment de la journée, en raison de changements physiologiques synchronisés avec le rythme circadien (quotidien). D'un point de vue physiologique, le corps est prêt à dormir la nuit, pendant laquelle la qualité et la durée du sommeil sont optimalesNote de bas de page 39. Le rythme circadien fait également en sorte que les fonctions cognitives et le rendement général sont à leur plus bas pendant la nuit entre 3 h et 5 h (creux circadien). Ce phénomène peut se produire même en l'absence de fatigueNote de bas de page 40; le rendement général d'une personne peut diminuer pendant un creux circadien même si elle n'est pas fatiguée.

Les personnes dont l'horaire de travail les oblige à répartir leur sommeil sur des périodes non consécutives peuvent avoir de la difficulté à obtenir un sommeil réparateur en quantité et qualité suffisantes. De plus, si une période de repos survient durant la période active diurne normale d'une personne (en dehors des périodes normales de creux circadien), tout sommeil durant cette période sera moins réparateur que durant les heures de noirceur ou la dépression circadienne qui survient l'après-midi, alors que la physiologie humaine est naturellement favorable au sommeilNote de bas de page 41,Note de bas de page 42,Note de bas de page 43,Note de bas de page 44. De façon plus générale, quelqu'un qui ne peut dormir que durant de multiples périodes de repos plus courtes risque de ne pas obtenir la quantité de sommeil qu'il lui faut durant le temps dont il dispose (à cause des repas, des tâches personnelles, des changements de quart des équipages, des interruptions imprévues).

Des recherches récentes ont démontré qu'en général, les marins se conforment peu aux exigences réglementaires sur le temps de travail et de reposNote de bas de page 45,Note de bas de page 46. De plus, lorsque l'horaire des quarts change de façon intermittente (p. ex., lorsqu'un navire est au port au lieu d'être en mer), il y a une période d'acclimatation pendant laquelle les personnes risquent davantage d'éprouver de la fatigue, jusqu'à ce qu'elles s'adaptent à leur nouvel horaire.

1.11.5 Troubles, affections et médicaments

Certains troubles, affections ou médicaments peuvent également nuire au sommeil ou à la qualité du sommeil (p. ex., troubles du sommeil, blessures physiques qui empêchent de dormir, médicaments qui créent la somnolence ou la vigilance).

1.11.6 Monotonie de la tâche

La privation partielle de sommeil peut être moins préjudiciable chez quelqu'un qui exécute des tâches à charge cognitive plus élevée (p. ex., raisonnement logique, résolution de problèmes, prise de décisions) que chez une personne qui effectue des tâches monotonesNote de bas de page 47. Cela pourrait être en partie attribuable aux efforts compensatoires que l'on fait pour exécuter normalement des tâches complexes, intéressantes, variables ou brèves. Autrement dit, il est probable que l'on s'investisse davantage dans des tâches à charge cognitive plus élevée que dans des tâches monotones, et que l'on fasse plus d'efforts pour les exécuter normalement. Cela augmenterait les niveaux de stimulation physiologique et contrerait temporairement les baisses de performance liées à la fatigue. À l'opposé, la monotonie des tâches diminue la vigilance et augmente la somnolence, ce qui peut entraîner une baisse de performance causée par la fatigueNote de bas de page 48.

1.12 Réglementation concernant la fatigue

Certains des règlements internationaux, nationaux et municipaux en place pour assurer l'exploitation sécuritaire de navires comprennent des mesures pour réduire la probabilité de la fatigue ou en atténuer les effets.

En tant que navire canadien exploité en eaux internationales et intérieures, l'Ocean Monarch était assujetti à différentes exigences sur le temps de travail et de repos, selon la zone du voyage. Durant le voyage à l'étude, l'Ocean Monarch était assujetti à la réglementation sur le temps de travail et de repos en eaux canadiennes.

1.12.1 Temps de travail et de repos – eaux canadiennes

L’article 320 du RPM stipule les heures de repos pour les capitaines et les membres d’équipage des navires canadiens qui effectuent des voyages à proximité du littoral, classe 2 en eaux canadiennes :

  1. que chaque membre d’équipage et [le capitaine] disposent :
    1. d’une part, d’au moins 6 heures de repos consécutives pour chaque période de 24 heures,
    2. d’autre part, d’au moins 16 heures de repos pour chaque période de 48 heures;
  2. au plus 18 heures mais au moins 6 heures entre la fin d’une période de repos et le début de la prochaine période de reposNote de bas de page 49.

De plus, le RPM exige que le capitaine d'un navire conserve un registre des heures quotidiennes de travail et de repos pour chaque membre d'équipageNote de bas de page 50.

Pour ce qui est des heures de travail, lorsqu'il était exploité comme navire intérieur effectuant des voyages à proximité du littoral, classe 2 en eaux canadiennes, l'Ocean Monarch était également assujetti au Règlement sur la durée du travail des employés du transport maritime de la côte Ouest. Cette réglementation permet qu'un employé travaille au plus 84 heures par semaine, plus 18 heures supplémentaires, sur une période de 7 jours consécutifsNote de bas de page 51.

La loi habilitante du Règlement sur la durée du travail des employés du transport maritime de la côte Ouest est le Code canadien du travail, partie IIINote de bas de page 52. L'équipage de l'Ocean Monarch était également assujetti au paragraphe 172(2) du Code canadien du travail, partie III, sur le nombre maximal d'heures de travail. D'après ce paragraphe, un employeur peut fixer, modifier ou annuler un horaire de travail dont la durée est supérieure à la durée maximale du travail prévue dans le Règlement sur la durée du travail des employés du transport maritime de la côte Ouest si la moyenne hebdomadaire, calculée sur 2 semaines ou plus, n'excède pas 48 heuresNote de bas de page 53.

En cas de plainte ou dans le cadre d'une inspection, Emploi et Développement social Canada (EDSC) est autorisé à inspecter, à examiner et à extraire des passages des dossiers d'un employé relatifs aux heures de travail ou aux conditions d'emploi ainsi qu'à la rémunération, entre autres. EDSC n'avait jamais vérifié la conformité de l'Ocean Monarch à la partie III du Code canadien du travail.

La partie III du Code canadien du travail stipule que l'employeur doit tenir des registres sur les heures de travail de ses employés, entre autresNote de bas de page 54, pour une période de 36 mois, pour examen éventuel par un inspecteurNote de bas de page 55.

1.12.2 Temps de travail et de repos – eaux étrangères

Les stipulations suivantes au chapitre des heures de travail et de repos s’appliquaient, lorsque l’Ocean Monarch effectuait des voyages à proximité du littoral, classe 2 en eaux étrangères :

321 (1) Le capitaine […] veille à ce que chaque membre d’équipage et lui respectent l’une ou l’autre des exigences suivantes :

  1. ils travaillent au plus 14 heures par période de 24 heures, et au plus 72 heures par période de 7 jours;
  2. ils disposent d’au moins 10 heures de repos par période de 24 heures et d’au moins 77 heures par période de 7 jours.

(2) Le capitaine veille à ce que :

  1. les heures de repos ne [sont] pas scindées en plus de deux périodes, dont l’une est d’une durée d’au moins 6 heures;
  2. l’intervalle entre deux périodes de repos consécutives ne dépasse pas 14 heuresNote de bas de page 56.

1.13 Stratégies d'atténuation des risques de fatigue

La gestion des risques de fatigue nécessite une approche proactive, qui comprend non seulement la conformité à la réglementation (qui peut seulement imposer des heures de repos, et non des heures de sommeil), mais aussi l'éducation et la sensibilisation des marins. Seuls les marins peuvent contrôler la durée de leur sommeil. Avec de la formation et de la sensibilisation, tant les compagnies que les marins peuvent reconnaître les signes de fatigue et prendre des mesures préventives qui surpassent la réglementation.

La prévention de la fatigue en milieu de travail incombe autant à une compagnie qu'à ses employés. Une compagnie peut contribuer à la prévention de la fatigue en :

Les capitaines peuvent prévenir la fatigue par divers moyens, y compris en :

Les membres d'équipage peuvent prévenir la fatigue en prenant diverses mesures, par exemple en :

En 2003, en réponse aux recommandations M96-17, M96-18, M99-03 et M99-04 du BST, TC a élaboré un programme de formation en gestion de la fatigue et de sensibilisation à la fatigue pour les pilotes maritimes, qui a été intégré aux programmes généraux de formation des apprentis pilotes du Canada. Ce programme est accompagné d'un guide de gestion de la fatigueNote de bas de page 57 comportant de l'information sur les notions de base du sommeil, les problèmes liés à l'horloge biologique (rythme circadien) et les effets des quarts de travail irréguliers sur le sommeil, ainsi que différentes stratégies de lutte contre la fatigue que les pilotes peuvent utiliser pour réduire les risques de fatigue au travail. Ce guide présente également des situations auxquelles les pilotes maritimes peuvent faire face dans l'exercice de leurs tâches quotidiennes, et définit les signes qui leur permettent de constater qu'ils sont fatigués (p. ex., oublier de communiquer avec l'équipage, oublier de vérifier régulièrement la position du navire ou manquer un point de référence).

Le guide présente d'autres facteurs pouvant exacerber la fatigue, dont les conditions environnementales (p. ex., l'obscurité, le bruit constant et la chaleur). On peut y lire que des tâches routinières et une charge de travail légère sont des facteurs qui diminuent la résistance à la somnolence, surtout chez une personne en manque de sommeil. Ce guide comporte aussi des stratégies de lutte contre la fatigue qui peuvent temporairement réduire les effets de la fatigue, une fois que celle-ci se manifeste, dont :

TC a fourni au secteur ferroviaire un document intitulé Programmes de gestion de la fatigue : Exigences et guide d'évaluation pour aider les compagnies de chemin de fer à élaborer des programmes de gestion de la fatigue (PGF). Les compagnies de chemin de fer doivent déposer leur PGF auprès de TC pour être conformes aux Règles relatives au temps de travail et de repos du personnel d'exploitation ferroviaireNote de bas de page 59,Note de bas de page 60. En 2015, le Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire est entré en vigueur. Il exigeait que les systèmes de gestion de la sécurité comprennent un « processus à l'égard de l'établissement des horaires » pour le travail de certains employésNote de bas de page 61 et que ce processus applique les principes de la science de la fatigue.

Le régime de réglementation canadien actuel pour le secteur de l'aviation ne tient pas compte des principes et des connaissances scientifiques sur la fatigue, que ce soit au sujet du travail à différents moments de la journée, de l'hygiène et de la qualité du sommeil, ou de l'atténuation des effets d'une fatigue accumulée. Conscient de cette lacune, en décembre 2018, TC Aviation civile a modifié les règles en matière de temps de travail et de repos des équipages de conduite et propose que les services de transport aériens qui ont un système approuvé de gestion des risques liés à la fatigue soient exemptés de tout règlement normatifNote de bas de page 62.

À l'heure actuelle, rien n'oblige les compagnies maritimes canadiennes à élaborer ou à mettre en œuvre des PGF ou à fournir de la formation en sensibilisation à la fatigue. Toutefois, l'Organisation maritime internationale (OMI) a établi les grandes lignes d'un PGF efficace, lequel comprend les éléments suivants :

TC a un représentant au groupe de travail du Sous-comité de l'élément humainNote de bas de page 64 de l'OMI; ce groupe de travail prépare actuellement des recommandations pour la révision de la circulaire de l'OMI Conseils sur l'atténuation et la gestion de la fatigue. Le groupe de travail s'est réuni en février 2017 et devait se réunir de nouveau en 2018. TC considère que les problèmes liés à l'élément humain sont importants et continue de participer en vue de :

La compagnie qui est propriétaire de l'Ocean Monarch n'avait pas de PGF au moment de l'événement, et la réglementation en vigueur ne l'exigeait pas. Le capitaine, l'officier de pont et le matelot de pont n'avaient suivi aucune formation de sensibilisation à la fatigue, sur la gestion de la fatigue ou sur les stratégies de maintien de la vigilance, et la réglementation ne l'exigeait pas.

1.14 Gestion de la fatigue par la compagnie

La compagnie s'attendait à ce que le capitaine de l'Ocean Monarch gère le temps de travail et de repos lors d'opérations fluviales et côtières 24 heures sur 24 menées avec un équipage de 3 personnes. De plus, le remorqueur effectuait des voyages en eaux étrangères, où différents temps de travail et de repos sont permis; il incombait au capitaine d'ajuster l'horaire de travail de l'équipage en conséquence. On supposait que les membres d'équipage le diraient s'ils étaient fatigués. La compagnie ne contrôlait pas les horaires établis par le capitaine, mais seulement le nombre total d'heures de travail de l'équipage pour calculer la paye.

1.14.1 Temps de travail et de repos

L'enquête n'a relevé aucune indication que les membres de l'équipage avaient des problèmes médicaux ou des troubles du sommeil qui auraient pu influer sur la fatigue.

La rotation des quarts de l'équipage était ad hoc, et les heures de travail pouvaient changer en fonction des besoins opérationnels. L'horaire des quarts de l'équipage n'était pas consigné, mais le nombre total d'heures de travail l'était, pour calculer la paye. Il a donc été impossible d'établir le détail du temps de travail et de repos durant les jours précédant l'événement. Cependant, il a été possible de déterminer quand les membres de l'équipage ont eu la possibilité de se reposer en se basant sur tâches effectuées.

Les 3 membres d'équipage avaient travaillé les 2 premières semaines de juin, après quoi avaient eu 2 semaines de repos (18 juin au 3 juillet).

Entre le 3 et le 6 juillet, l'équipage est rentré de sa période de repos et a effectué des opérations fluviales de 24 heures au cours des 2,5 jours suivants, sauf pendant 2 périodes où il était en congé. Exception faite de ces 2 périodes, le travail était de tout instant : l'équipage devait s'assurer de l'absence de billots de bois dans l'eau sur la route du remorqueur et resserrer le câble de remorque au besoin; le capitaine a effectué la majorité des tâches de navigation et des quarts à la passerelle. Durant cette période, les membres d'équipage n'ont pas dormi dans les lits du logement de l'équipage; ils ont plutôt fait de brèves siestes sur le sofa dans la cuisine durant les déplacements entre différents points sur le fleuve. Les échappements des moteurs sont à côté de la cuisine, ce qui rend cette pièce bruyante.

Le 7 juillet, l'équipage a fait la transition d'opérations fluviales à côtières, quittant Kitimat à 2 h. Les dossiers de signalement de position et de changement de cap des SCTM indiquent les périodes au cours desquelles soit le capitaine, soit l'officier de pont était actif (tableau 2). On n'a pas pu déterminer les heures de travail du matelot de pont durant les opérations côtières, quoique celui-ci travaillait principalement le jour et se reposait la nuit.

Tableau 1. Activités du capitaine et de l'officier de pont avant l'événement (7 au 9 juillet 2017)
Date Membre d'équipage 0 h
à
3 h
3 h
à
6 h
6 h
à
9 h
9 h
à
12 h
12 h
à
15 h
15 h
à
18 h
18 h
à
21 h
21 h
à
0 h
7 juillet Capitaine 2 h (départ) 3 h 29 (appel) Aucune activité notée Aucune activité notée Aucune activité notée 16 h 28 (début des appels) En service 22 h 16 (fin des appels)
7 juillet Officier de pont 2 h (départ) En service 8 h 08 (appel) Probablement en service 12 h 59 (appel) Aucune activité notée Aucune activité notée Aucune activité notée
8 juillet Capitaine Aucune activité notée Aucune activité notée Aucune activité notée 11 h 40 (appel) En service 16 h 49 (appel) 18 h 53 (appel) 21 h (sommeil)
8 juillet Officier de pont 1 h 08 (début des appels) En service En service 9 h 14 (fin des appels) Aucune activité notée Aucune activité notée 20 h 37
(début des appels)
En service
9 juillet Capitaine Sommeil Échouement du navire à 4 h 36 - - - - - -
9 juillet Officier de pont En service, dernier appel à 1 h 49 3 h 36 (changement de cap)
4 h 36 (échouement)
- - - - - -

Ces dossiers donnent à croire que l'officier de pont et le capitaine ont assuré à tour de rôle les fonctions de navigation et de quart à la passerelle, et que l'officier de pont avait le quart de nuit. Il semblerait que l'officier de pont travaillait de 1 h à 13 h environ, sauf la veille de l'événement, lorsque ses appels ont commencé plus tôt, à 20 h 37.

Au moment de l'échouement, l'officier de pont était en service depuis au moins 8 heures.

1.15 Contexte sectoriel

Dans le secteur du remorquage sur la côte Ouest du Canada, les remorqueurs participent aux opérations d'accostage et d'appareillage de grands navires, au remorquage côtier, au flottage de billes et aux opérations de remorquage fluvial et de débusquage de billes. Chacune de ces opérations est unique en soi et comporte ses propres risques. La nature de ces risques varie selon l'endroit et le type d'opération.

Le type de travaux qu'un remorqueur peut entreprendre est déterminé en grande partie par sa taille, la puissance de ses moteurs et ses caractéristiques de manœuvre. Les contrats de remorquage sont normalement octroyés à court ou à long terme par un processus d'appel d'offres. Le secteur est concurrentiel et dynamique, et les affectations de dernière minute ou les changements aux affectations sont monnaie courante. Outre le carburant, l'équipage est un des principaux coûts d'exploitation d'un remorqueur. Si les coûts et la consommation de carburant échappent en grande partie au contrôle des exploitants, ceux-ci peuvent toutefois maîtriser les coûts de l'équipage, les heures de travail et la rotation des quarts.

Il est difficile d'obtenir des données fiables sur le nombre de remorqueurs en service sur la côte Ouest du Canada, parce que le Registre canadien d'immatriculation des bâtiments de TC contient des renseignements désuetsNote de bas de page 65. Au 14 mars 2018, ce registre indiquait qu'il y avait 1260 remorqueurs en service en Colombie-Britannique, dont quelque 1034 étaient d'au plus 15 tjbNote de bas de page 66.

1.16 Activités de la compagnie

La compagnie qui est propriétaire et exploitante de l'Ocean Monarch compte 6 remorqueurs immatriculés comme étant d'au plus 15 tjb, et 1 navire de travail de 17 tjb. Elle exploite également 15 chalands qui varient de 200 à 3000 tjb. La compagnie exploite ses remorqueurs et chalands dans des eaux où le pilotage est obligatoireNote de bas de page 67 au large de la côte Ouest du Canada et des États du nord-ouest des États-Unis. La compagnie a son bureau à Vancouver (Colombie-Britannique), où travaillent le propriétaire/RA et 3 employés de bureau. Le propriétaire coordonne les affectations de travail et régule les remorqueurs et chalands par téléphone. La compagnie est une entreprise familiale; le propriétaire participe activement à tous les aspects des activités de la compagnie, a des antécédents dans les activités maritimes, et a de l'expérience dans l'exploitation de remorqueurs.

Les remorqueurs mènent des activités avec les chalands de la compagnie de même qu'avec des chalands de marchandises, des chalands de vrac, des chalands rouliers et des barges à plan incliné appartenant à d'autres compagnies. Les activités comprennent le remorquage de chalands sur de courtes et longues distances sur le fleuve Fraser, l'aide aux chalands ou aux estacades flottantes au passage sous des ponts ferroviaires, la navette de chalands entre des ducs-d'Albe et des quais, et le remorquage en eaux libres, à proximité du littoral, classe 2 de la Colombie-BritanniqueNote de bas de page 68.

Les remorqueurs sont habituellement en service 24 heures par jour, 7 jours par semaine, et dotés d'un équipage de 3 personnes qui travaille plus ou moins 2 semaines à la fois. Cette méthode de dotation d'équipage réduit au minimum le besoin de changer d'équipage et permet aux remorqueurs d'être continuellement en service. La compagnie utilise les mêmes remorqueurs pour les tâches de remorquage côtier et fluvial; elle peut ainsi accepter diverses affectations aussi bien de clients que de concurrents.

La compagnie rémunère ses capitaines pour un maximum de 17 heures de travail par jour, et les membres d'équipage, pour un maximum de 16 heures de travail par jour.

Chaque capitaine est responsable de la gestion de la sécurité et des opérations à bord des remorqueurs; le RA ne leur fournissait pas de procédures d'exploitation sécuritaire, comme l'exige la LMMC 2001Note de bas de page 69, et l'équipage de l'Ocean Monarch n'effectuait pas d'exercices d'incendie et d'embarcationNote de bas de page 70.

1.17 Culture de sécurité

Par « culture de sécurité », on entend la façon de percevoir la sécurité, de lui attacher de l'importance, de lui accorder la priorité et de la gérer à tous les niveaux d'une compagnie. Elle englobe les valeurs communes d'une compagnie (ce qui est important) et ses convictions (la façon dont les choses fonctionnent) ainsi que la façon dont elles interagissent avec ses structures et ses systèmes de contrôle pour déterminer des normes comportementales (« notre façon de faire »)Note de bas de page 71.

Le degré d'engagement qu'affiche la direction d'une compagnie envers la sécurité est un des principaux facteurs qui conditionnent la culture de sécurité. Il est essentiel que la haute direction ou le propriétaire/exploitant manifeste son engagement en faisant preuve de leadership et en fournissant les ressources nécessaires pour gérer la sécurité. Dans les compagnies plus petites à la structure de gestion plus légère, comme celle qui exploitait l'Ocean Monarch, la direction tend à influencer lourdement la culture de sécurité et établit la norme à laquelle se plient les employés.

Pour établir une forte culture de sécurité, la direction devrait :

Une organisation qui a une solide culture de sécurité promeut une philosophie d'amélioration continue et communique cette philosophe à ses employés et autres parties prenantes de façon explicite, par des énoncés de mission et de valeur, par exemple, et de façon implicite, dans ses gestes quotidiens. Cette philosophe est officialisée par des politiques qui communiquent clairement l'importance de la sécurité et qui reconnaissent la contribution de chaque membre de l'organisation à l'amélioration de la sécurité. Les politiques et procédures d'exploitation sont conformes à la philosophie de sécurité de l'organisationNote de bas de page 73.

Un système de gestion de la sécurité (SGS) est une des méthodes par lesquelles une compagnie peut renforcer sa culture de sécurité.

1.17.1 Gestion de la sécurité

Un SGS à bord d'un navire vise avant tout à assurer la sécurité en mer, à prévenir les blessures ou les décès, et à éviter les dommages aux biens et à l'environnement. La gestion efficace de la sécurité nécessite la participation de chaque personne à tous les niveaux de l'organisation et exige un effort systématique pour cerner et atténuer les risques opérationnels.

Voici certains éléments d'un système de gestion de la sécurité efficace :

Au moment de l'événement, la compagnie n'avait aucune procédure documentée pour ses activités maritimes, comme le remorquage et le halage de chalands, pour gérer le temps de travail et de repos, pour embaucher et former les employés, pour exploiter les navires de façon sécuritaire ou pour gérer les urgences.

En 2010, la Guilde de la Marine Marchande du Canada, le Council of Marine CarriersNote de bas de page 74 et TC ont entrepris des consultations officielles sur un projet de règlement concernant l'adoption de règles de gestion de la sécurité pour les navires canadiens ne ressortissant pas à la convention, y compris les remorqueurs d'au plus 15 tjb. Toutefois, l'industrie a soulevé certaines préoccupations, principalement à l'égard des coûts et de la faisabilité, jugeant que la mise en œuvre des nouveaux règlements serait trop difficile pour les petites entreprises exploitant de petits navires. En réponse aux préoccupations des intervenants, TC a modifié son projet de règlement en 2012 pour qu'il ne concerne que les navires de plus de 24 mètres de longueur ou qui transportent plus de 50 passagers.

À la réunion de novembre 2014 du Conseil consultatif maritime canadien, TC a fait le point avec le secteur sur le projet de règlement sur la gestion de la sécurité.

Les changements proposés ne s'appliqueraient pas à des remorqueurs de la taille de l'Ocean Monarch.

1.18 Dispenses de pilotage côtier

L'Administration de pilotage du Pacifique (APP) est une société d'État qui a été établie en 1972 en vertu de la Loi sur le pilotage. L'APP a pour mandat d'établir, d'exploiter, de gérer et d'administrer des services de pilotage sécuritaires et efficaces, et de mener ses activités de façon autonome sur le plan financierNote de bas de page 75. Entre autres, l'APP est autorisée à :

L'APP a mis en place un processus par lequel certains navires, principalement des remorqueurs et des chalandsNote de bas de page 77, peuvent obtenir des dispenses de pilotage pour les exempter du pilotage obligatoire dans les zones de pilotage désignées (annexe D), sous réserve de certaines conditions.

En l'occurrence, toutes les personnes responsables d'un quart à la passerelle doivent satisfaire aux conditions suivantes :

  1. elles sont titulaires d'un brevet exigé à la partie 2 du Règlement sur le personnel maritime de la classe et de la catégorie de voyage appropriées pour le navire;
  2. elles ont, à titre de personne responsable du quart à la passerelle à bord d'un ou de plusieurs navires effectuant des voyages dans la région ou servant au cabotage, effectué en mer 150 jours de service au cours des 18 mois précédents ou 365 jours de service au cours des 60 mois précédents, dont 60 jours de service doivent avoir été effectués au cours des 24 mois précédents;
  3. elles ont servi à titre de personne responsable du quart à la passerelle dans la zone de pilotage obligatoire pour laquelle la dispense est demandée à une ou plusieurs occasions au cours des 24 mois précédentsNote de bas de page 78.

Avant d'accorder une dispense, l'APP demande que la RA fournisse une déclaration de conformité signée concernant le service en mer de chaque personne de quart. L'APP ne vérifie pas les renseignements que lui fournissent les RA.

Un événement survenu le 13 octobre 2016 impliquant le remorqueur Nathan E. StewartNote de bas de page 79 a incité l'APP à prendre immédiatement un certain nombre de mesures relatives au système de dispenses. D'abord, elle a entrepris de surveiller le trafic maritime qui entre dans la zone de pilotage, à l'aide d'un système d'identification automatique (AIS); elle a ainsi dénombré 17 compagnies menant leurs activités dans des eaux où le pilotage est obligatoire, mais sans pilote ni dispense de pilotage accordée par l'APP.

L'APP a également modifié son système de dispenses de manière à exiger que tous les navires dispensés aient en tout temps 2 membres d'équipage sur la passerelle lorsqu'ils naviguent en eaux restreintes, et que 1 de ces personnes soit le titulaire de la dispense. Ces modifications indiquaient en outre que les navires transportant une cargaison de produits pétroliers non destinée aux communautés locales ne peuvent pas naviguer dans les zones interdites prédéfiniesNote de bas de page 80. Les compagnies détentrices d'une dispense de pilotage ont reçu une lettre qui expliquait ces modifications.

L'APP a mis en œuvre ces mesures intérimaires pendant qu'elle menait une évaluation des risques pour déterminer l'impact qu'auraient ces mesures sur la sécurité, cerner toute lacune de sécurité inhérente, et recommander d'autres améliorations pour la sécurité des navires qui ont une dispense de pilotage sur la côte de la Colombie-BritanniqueNote de bas de page 81.

Le 23 mai 2017, l'APP a publié les résultats de son évaluation des risques. Le 15 septembre 2017, elle a publié la version définitive des directives pour la mise en œuvre des « normes de prudence », selon lesquelles : [traduction]

Une dispense sera accordée pourvu qu'il y ait une certaine assurance que la compagnie, le navire et l'équipage ainsi dispensés maintiennent des normes de prudence acceptables, de sorte que le risque pour la vie, les biens et l'environnement ne soit pas considérablement plus élevé que celui qui serait prévu si le navire était commandé par un pilote.

Les « normes de prudence » énumèrent les conditions auxquelles l'APP accordera à l'avenir des dispenses à des navires répondant aux critères (ou à des compagnies qui exploitent plusieurs navires). Ces conditions ont été ajoutées aux exigences courantes de l'APP et comprennent, entre autres, l'exigence que tous les navires qui naviguent avec une dispense doivent :

Le 20 juin 2018, le BST a fait un suivi auprès de l'APP pour obtenir des nouvelles de son système de dispense de pilotage. L'APP a indiqué qu'elle surveillait tous les navires américains munis d'un AIS qui entrent dans les eaux assujetties au pilotage et qu'elle vérifie ces navires par rapport à sa base de données de dispenses. Elle a également dressé une liste de compagnies canadiennes qui offrent des services de remorquage et surveille les navires de ces compagnies qui utilisent un AIS. Au 20 juin 2018, l'APP surveillait 91 compagnies américaines et canadiennes. À l'heure actuelle, lorsque l'APP repère des navires qui n'ont pas de dispense et qui entrent dans une zone de pilotage, elle communique avec les RA pour les informer que soit les membres d'équipage doivent détenir une dispense de pilotage, soit le navire doit avoir un pilote à bord. L'APP effectue également des vérifications aléatoires de la documentation sur l'équipage présentée dans le cadre du processus de demande de dispense pour vérifier la conformité aux exigences d'une dispense.

L'APP a publié récemment un article dans une revue spécialisée pour sensibiliser les RA et les capitaines au système de dispense de pilotage et à ses exigences. Outre la surveillance du trafic maritime dans les zones de pilotage par AIS, l'APP indique qu'elle dispose de ressources limitées pour renforcer les mesures d'application des conditions des dispenses de pilotage (p. ex., vérifications ponctuelles de navires). De plus, tous les navires qui naviguent dans des zones de pilotage ne sont pas munis d'un AIS, ce qui limite la capacité de l'APP de les surveiller par cette méthode.

La compagnie qui exploite l'Ocean Monarch avait demandé et obtenu une dispense de pilotage de l'APP en mars 2017, comme par les années passées. La dispense visait les 6 remorqueurs de la compagnie, de même que ses 8 chalands et ses 23 employés. La demande de dispense de pilotage avait été traitée par un employé de bureau, qui avait transmis à l'APP une liste de tous les employés de la compagnie qui pourraient être affectés au service de quart à bord d'un remorqueur. Ni la compagnie ni l'APP n'a vérifié si les personnes de quart qui figuraient sur la liste avaient l'expérience stipulée par le Règlement sur le pilotage dans la région du PacifiqueNote de bas de page 84. L'officier de pont avait été embauché en mai 2017, et par conséquent son nom ne figurait pas sur la liste qui avait été transmise à l'APP quelque 2 mois plus tôt. Toutefois, le capitaine à bord de l'Ocean Monarch bénéficiait de la dispense.

Les personnes de quart qui figuraient sur la demande de dispense de pilotage n'étaient pas au courant des règlements de l'APP, de la dispense de pilotage qui avait été demandée en leur nom, ou encore des conditions de la dispense.

1.19 Déclaration obligatoire des événements

Le Règlement sur les rapports de sinistres maritimes, le Règlement sur les zones de services de trafic maritime, le Règlement sur le Bureau de la sécurité des transports et le Règlement sur le pilotage dans la région du Pacifique comprennent tous des exigences selon lesquelles tout navire impliqué dans un événement maritime en eaux canadiennes doit promptement signaler cet événement.

Selon le Règlement sur les rapports de sinistres maritimes, pris en vertu de la LMMC 2001 :

le capitaine, un officier breveté, l'exploitant, un membre de l'équipage, le pilote ou toute personne responsable du navire ou du bâtiment remorqué doit en faire rapport sans délai […] par radio à une station de radiocommunications maritime canadienne [...]Note de bas de page 85.

Le rapport doit notamment comprendre :

l'identité du navire d'où émane le rapport; la nature de l'incident; [...] la date, l'heure et le lieu de l'incident; et [...] si l'incident a causé ou risque de causer [...] la pollution des eauxNote de bas de page 86.

Le Règlement sur les zones de services de trafic maritime prévoit qu'un rapport doit être fait aux SCTM dès que le navire est impliqué dans une collision, un échouement ou un coup de talon ou si ses principaux systèmes de propulsion subissent une avarie.

Le Règlement sur le Bureau de la sécurité des transports exige le signalement d'événements maritime soit directement au BST ou à une station de radiocommunications maritime (p. ex. une station de radiocommunications de la Garde côtière canadienne ou un centre SCTM). La Garde côtière canadienne insiste sur la nécessité de signaler promptement tout événement aux SCTM afin d'alerter le plus tôt possible les services de recherche et sauvetage.

Dans le cas d'un navire qui détient une dispense de pilotage accordée par l'APP et qui est impliqué dans un événement dans une zone de pilotage obligatoire, le Règlement sur le pilotage dans la région du Pacifique stipule que le capitaine et la personne qui conduisait le navire au moment de l'événement doivent présenter un compte rendu complet à l'APP dans un délai de 72 heuresNote de bas de page 87.

Dans l'événement à l'étude, l'Ocean Monarch a heurté le fond et a subi une défaillance de son système de propulsion de tribord. Le capitaine a informé la compagnie de la situation; toutefois, quoique le remorqueur ait continué de signaler sa position à tous les points d'appel avant son arrivée à Kitimat, il n'a pas signalé l'événement aux SCTM, ce qui est contraire au règlement. L'Ocean Monarch a de plus entrepris le voyage de retour vers le fleuve Fraser propulsé par 1 moteur principal en remorquant 2 chalands vides, sans avoir signalé l'événement aux SCTM. De plus, on a omis de signaler l'événement en temps opportun à l'APP et au BST.

1.20 Préoccupation liée à la sécurité précédemment communiquée par le Bureau

À la suite d'un événement survenu le 18 mars 2015 impliquant le Syringa, un remorqueur de moins de 15 tjb, qui a embarqué de l'eau et sombré dans le détroit de Georgia (Colombie-Britannique), le Bureau avait communiqué une préoccupation liée à la sécurité en ce qui concerne la surveillance réglementaire de remorqueurs d'au plus 15 tjb :

Le Bureau est préoccupé par le fait qu'à défaut d'une surveillance appropriée par le ministère des Transports, les lacunes de gestion de la sécurité et d'exploitation des remorqueurs de moins de 15 tonneaux de jauge brute pourraient n'être pas traitées. Le Bureau continuera de surveiller cette situation en vue d'évaluer la nécessité de mesures de sécurité supplémentaires relatives à cet enjeu.

1.21 Recommandations actives du BST

À la suite d'un événement survenu le 13 octobre 2016 impliquant le remorqueur Nathan E. Stewart, un ensemble remorqueur-chaland articulé immatriculé aux États-Unis qui s'est échoué après que le second officier se fut endormi pendant qu'il était seul de quart la nuit, le Bureau a formulé les 2 recommandations suivantes :

[L]e ministère des Transports exige que les officiers de quart dont les périodes de travail et de repos sont régies par le Règlement sur le personnel maritime participent à un cours pratique sur la fatigue et une formation en sensibilisation pour les aider à reconnaître et à atténuer les risques de fatigue.
Recommandation M18-01 du BST

[L]e ministère des Transports oblige les exploitants de navires qui emploient des officiers de quart dont les périodes de travail et de repos sont régies par le Règlement sur le personnel maritime à mettre en œuvre un programme de gestion de la fatigue complet et adapté à leurs activités, et ce, pour réduire les risques de fatigue.
Recommandation M18-02 du BST

Le rapport a été publié le 31 mai 2018.

Dans sa réponse à ces recommandations, en août 2018, TC a déclaré qu'il continuerait de collaborer avec ses partenaires internationaux du Sous-comité de l'élément humain, de la formation et de la veille de l'OMI pour aborder la question de la fatigue en milieu de travail, en actualisant les normes et la documentation d'orientation applicables. TC a également indiqué qu'il devait mener plus de recherches et de consultations auprès de l'industrie.

Le ministère a indiqué qu'il avait commencé à modifier le RPM pour mettre en œuvre la Convention STCW actualisée en incluant une formation obligatoire sur la gestion de la fatigue pour les capitaines et les officiers travaillant à bord de navires de 500 tjb ou plus qui souhaitent obtenir un nouveau brevet ou un brevet de niveau supérieur.

Cependant, sans indication des modifications qui seront apportées une fois que TC aura révisé les normes et documents d'orientation mis à jour, il est impossible de déterminer comment ou même si les mesures ci-dessus permettront d'atteindre l'objectif des recommandations. La réponse de TC ne contient pas suffisamment d'information pour permettre au Bureau de déterminer clairement si la lacune de sécurité sera atténuée.

Par conséquent, les réponses aux recommandations M18-01 et M18-02 sont désignées comme étant impossibles à évaluer.

1.22 Événements antérieurs

En 2011, le BST a enquêté sur un événement lié à la fatigue impliquant un remorqueur qui appartenait à la même compagnie qui exploite l'Ocean Monarch. Le 28 juin 2011 à 4 h 10, heure avancée du Pacifique, pendant qu'il était tiré par le remorqueur F.W. Wright, le chaland Empire 40, chargé de gravier, a heurté le pont ferroviaire Queensborough sur le fleuve Fraser (Colombie-Britannique)Note de bas de page 88. La travée pivotante et la pile de protection au centre du pont ont été lourdement endommagées. Le pont n'a pas pu être utilisé pendant 2 mois à la suite de cette collision, ce qui a provoqué des perturbations majeures à la circulation ferroviaire et fluviale.

Dans cet événement, l'enquête du BST a permis de déterminer qu'un troisième membre d'équipage (un officier de pont) s'était joint aux 2 membres d'équipage avant un remorquage. Toutefois, le capitaine n'en a pas profité pour se reposer et dormir. Par conséquent, le capitaine était demeuré éveillé pendant environ 22 heures. Il ressentait probablement de la fatigue lorsqu'il a cédé les commandes à l'officier de pont, et s'est endormi à une étape critique du passage. L'officier de pont n'avait qu'une expérience limitée de la circulation sous le pont ferroviaire Queensborough; après qu'il eut confirmé son approche du pont, il a tenté d'effectuer le passage sans demander l'aide du capitaine, et le chaland a percuté le pont. L'enquête a également permis de déterminer que les opérations de la compagnie étaient informelles et non documentées, et qu'il incombait aux capitaines et aux membres d'équipage de veiller à obtenir suffisamment de repos, au moment voulu. Le BST ignore si la compagnie a pris des mesures de sécurité pour corriger les problèmes liés à la fatigue relevés par l'enquête sur l'accident du F.W. Wright.

Des événements précédents signalés au BST ont aussi révélé des problèmes similaires à ceux en cause dans l'événement de l'Ocean Monarch, en ce qui concerne la fatigue (annexe E) et l'affectation d'une seule personne au quart à la passerelle à bord d'ensembles remorqueur-chaland (annexe F).

1.23 Liste de surveillance du BST

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu'il faut s'employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

La gestion de la sécurité et la surveillance restera sur la Liste de surveillance du BST jusqu'à ce que :

  • TC mette en œuvre des règlements obligeant tous les exploitants commerciaux des secteurs aérien et maritime à adopter des processus formels pour la gestion de la sécurité, et en supervise l'application de façon efficace;
  • les transporteurs qui ont un SGS démontrent qu'il fonctionne bien et donc permet de déceler les risques et de mettre en œuvre des mesures efficaces pour les atténuer;
  • TC exerce ses responsabilités lorsque des exploitants ne peuvent pas assurer une gestion efficace de la sécurité de façon à ce qu'ils corrigent les pratiques d'exploitation non sécuritaires.

La gestion de la sécurité et la surveillance figurent sur la Liste de surveillance 2018.

Comme l'événement à l'étude l'a démontré, certains transporteurs ne gèrent pas efficacement leurs risques en matière de sécurité, et de nombreuses compagnies ne sont toujours pas tenues de mettre en œuvre des processus formels pour la gestion de la sécurité. La surveillance et les interventions de Transports Canada (TC) ne permettent pas toujours d'amener les compagnies à changer leurs pratiques d'exploitation non sécuritaires.

Pour résoudre ce problème, tous les exploitants du secteur maritime devront adopter des processus structurés de gestion de la sécurité, et Transports Canada devra en assurer une surveillance. Lorsque les entreprises ne peuvent pas gérer efficacement la sécurité, Transports Canada doit non seulement intervenir, mais le faire de façon à changer les pratiques d'exploitation non sécuritaires.

La gestion de la fatigue dans le transport maritime restera sur la Liste de surveillance du BST jusqu'à ce que :

  • TC exige que les officiers de quart dont les périodes de travail et de repos sont régies par le Règlement sur le personnel maritime reçoivent un cours pratique sur la fatigue et une formation de sensibilisation pour les aider à reconnaître et à atténuer les risques de fatigue.
  • les propriétaires de navires soient tenus de mettre en œuvre des programmes de gestion de la fatigue, y compris une formation sur les effets néfastes de la fatigue et un soutien aux marins pour le signalement, la gestion et l'atténuation des signes de fatigue.
  • TC revoie les dispositions du Règlement sur le personnel maritime concernant le temps de travail et de repos à bord des navires exploités au pays à la lumière des données actuelles de la science de la fatigue et, à tout le moins, en assure la conformité avec la Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille.

La gestion de la fatigue dans le transport maritime figure sur la Liste de surveillance 2018.

Comme l'événement à l'étude l'a démontré, certains transporteurs ne gèrent pas efficacement leurs risques en matière de fatigue, et bon nombre d'entre elles ne sont pas tenues d'avoir des PGF en place. La surveillance par TC et les interventions du ministère n'ont pas toujours fourni efficacement la formation, l'éducation et le soutien nécessaires pour atténuer les risques liés à la fatigue parmi les marins. La solution exigera que TC prenne des mesures pour s'assurer que les propriétaires de navires sont tenus d'avoir un PGF, que les marins reçoivent de la formation sur la fatigue, et que la réglementation nationale sur la fatigue soit à tout le moins conforme aux normes internationales.

1.24 Rapports de laboratoire du BST

Le BST a produit le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :

2.0 Analyse

L'enquête a permis de déterminer que la personne de quart, qui était seule dans la timonerie la nuit, s'est endormie pendant que le remorqueur et le chaland circulaient dans un passage étroit du Passage de l'Intérieur. Le remorqueur était en mode de pilotage automatique jusqu'au moment où il a heurté le fond. L'enquête s'est penchée sur l'incidence de la fatigue, la culture de sécurité de la compagnie et la surveillance réglementaire de l'Ocean Monarch et de remorqueurs similaires.

2.1 Facteurs qui ont conduit au contact avec le fond

Lors du contact du remorqueur avec le fond, l'officier de pont était en service depuis au moins 8 heures et était seul de quart en eaux restreintes. Le capitaine et le matelot de pont dormaient sous le pont, donc l'officier de pont n'avait aucune interaction humaine pour l'aider à demeurer éveillé. Le remorqueur était en mode de pilotage automatique, toutes les alarmes sonores étaient désactivées, et il n'y avait aucune stratégie en place pour atténuer les risques liés à la fatigue de l'équipage.

Sans registre des heures réelles de travail et de repos de l'équipage, il a été impossible d'évaluer le niveau de fatigue de la personne de quart. Toutefois, au cours des jours précédant l'événement, la personne de quart a été assujettie à plusieurs facteurs de risque de fatigue, y compris fatigue aiguë, perturbations chroniques du sommeil, désynchronisation des rythmes circadiens et quarts de nuit. La nuit de l'événement, la personne de quart devait également composer avec une charge de travail faible et monotone dans la timonerie.

La compagnie n'avait aucun programme de gestion de la fatigue (PGF), et la réglementation ne l'exigeait pas. La capitaine n'avait reçu aucune directive sur la gestion de la fatigue, et l'équipage n'avait reçu aucune formation sur les facteurs qui contribuent à la fatigue. Le voyage à l'étude était un voyage ininterrompu de plusieurs jours avec un équipage de seulement 3 membres; il était donc difficile, et parfois impossible, d'avoir 2 personnes de quart la nuit tout en veillant à ce que l'équipage obtienne suffisamment de repos.

Le remorqueur était immatriculé comme étant de moins de 15 tonneaux de jauge brute (tjb) en 1992, et Transports Canada (TC) avait permis son exploitation comme remorqueur de cette jauge, malgré une jauge brute estimée à plus de 15. Par conséquent, ce remorqueur n'était assujetti à aucune inspection réglementaire, à aucune directive concernant l'effectif de sécurité, ni à aucune limite quant au type de voyage ou d'activité qu'il pouvait effectuer. La compagnie et le capitaine déterminaient eux-mêmes l'effectif de sécurité ainsi que les capacités du remorqueur pour les voyages qu'il effectuait. Le remorqueur a amorcé son voyage avec un équipage insuffisant pour à la fois gérer les exigences opérationnelles et demeurer suffisamment reposé pour exploiter le navire de façon sécuritaire durant un voyage continu de plusieurs jours.

2.2 Présence de fatigue

L'enquête n'a pas permis de déterminer avec certitude les heures de travail de l'équipage au cours des jours précédant l'événement, puisque ces renseignements n'étaient pas consignés. Il a donc été impossible de faire une analyse quantitative de ces données. Toutefois, on a pu faire une analyse qualitative pour établir la présence de fatigue. Il est probable que la fatigue aiguë, des perturbations chroniques du sommeil et la désynchronisation des rythmes circadiens aient été des facteurs de risque de fatigue chez tous les membres d'équipage. En plus de ces facteurs, l'officier de pont était exposé à des facteurs de risque additionnels – travailler durant un creux circadien et monotonie des tâches – au cours des heures précédant l'événement.

2.2.1 Fatigue aiguë

Durant des opérations fluviales, du 3 au 6 juillet, les membres d'équipage ont travaillé selon les besoins durant chaque période de 24 heures, sauf durant 2 interruptions des travaux. Exception faite de ces 2 périodes, le travail était principalement continu, et l'équipage ne s'est pas reposé dans le logement de l'équipage, choisissant plutôt de faire des siestes sur le sofa. Faire des siestes sur le sofa dans la cuisine aurait nui à la capacité de l'équipage d'obtenir un sommeil réparateur. De plus, il n'y avait aucune rotation régulière des quarts ni compensation pour les périodes de repos interrompues. Ce type d'exploitation aurait réduit la quantité et la qualité du sommeil de l'équipage. Comme cette période est survenue au cours des 3 jours précédant l'événement, le 9 juillet, la fatigue aiguë était un facteur de risque pour chacun des membres d'équipage dans l'événement à l'étude.

2.2.2 Désynchronisation des rythmes circadiens

L'équipage avait été en congé pendant 2 semaines avant leur plus récente période de travail. Durant ce congé, chacun a probablement obtenu un repos nocturne normal. Toutefois, lorsqu'il est retourné au travail pour effectuer des opérations fluviales au cours des jours précédant l'événement, l'équipage a travaillé durant toute la période de 24 heures, sur l'ensemble des creux et pics des rythmes circadiens. Au début des opérations côtières, le matelot de pont a retrouvé un horaire diurne plus régulier, et il semble que le capitaine ait travaillé la plupart des quarts de jour/soirée. L'officier de pont, cependant, a continué de travailler durant la période normale de sommeil nocturne, et son horaire de sommeil a continué de varier.

Comme les heures irrégulières ont commencé durant les jours précédant l'événement, l'équipage n'a pas eu suffisamment de temps ou des rotations normales des quarts pour s'adapter à un nouvel horaire des quarts. Par conséquent, la désynchronisation des rythmes circadiens était un facteur de risque de fatigue pour chaque membre d'équipage – facteur qui aurait aggravé les effets de la fatigue aiguë.

2.2.3 Perturbations chroniques du sommeil

Toute perturbation de la quantité de sommeil se prolongeant sur des périodes supérieures à 3 jours consécutifs est considérée comme une perturbation chronique. Il est peu probable que l'équipage était fatigué avant d'arriver sur le navire, puisqu'il venait d'avoir 2 semaines de congé. L'équipage aurait commencé à ressentir de la fatigue durant les opérations fluviales qu'il a entreprises le 3 juillet. Toutefois, avec la transition aux opérations côtières 2 ou 3 jours plus tard, l'équipage a repris un horaire de travail plus régulier. Il est impossible de déterminer exactement quand chaque membre d'équipage a dormi, mais il semble que chacun ait disposé d'environ 12 heures pour se reposer (donc aurait eu davantage la possibilité de trouver le sommeil).

Il est donc improbable que l'équipage ait continué d'être privé de sommeil après le début des opérations côtières. Toutefois, il est probable que le sommeil de l'équipage ait été perturbé à cause de la récente fatigue aiguë et désynchronisation des rythmes circadiens, et du changement récent dans la qualité des installations de couchage (logement de l'équipage du remorqueur plutôt que chez soi).

2.2.4 Navigation de nuit

La nuit de l'événement, il faisait noir, l'éclairage de l'équipement de navigation était faible, les moteurs produisaient un vrombissement sourd et continu, l'officier de pont était assis, l'état de la mer était calme, il n'y avait aucun trafic en sens inverse, et les alarmes de navigation avaient été désactivées. La performance et le fonctionnement cognitif sont généralement au plus bas durant une période principale de somnolence, de 3 h à 5 h (creux circadien). Tout ce qui induit de la fatigue aggrave cette vulnérabilité. Comme l'officier de pont ressentait probablement déjà les effets de la fatigue aiguë et de la désynchronisation des rythmes circadiens, il aurait été vulnérable à la somnolence durant la navigation de nuit.

2.2.5 Monotonie de la tâche

Tôt le matin, jusqu'au moment de l'événement, l'activité était minimale dans la timonerie, et le remorqueur était en mode de pilotage automatique. L'officier de pont était plus vulnérable à la somnolence à cause des conditions ambiantes dans la timonerie et de la monotonie de la charge de travail.

2.3 Gestion de la fatigue

Un manque de sommeil et des heures de sommeil variables sont les principaux facteurs de risque qui contribuent à la fatigue des marinsNote de bas de page 89. D'après le Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail, « [l]es employeurs et les superviseurs devraient s'intéresser à l'impact de la fatigue sur le milieu de travail, car elle peut être considérée comme une forme d'incapacité et, du même coup, comme un facteur de risqueNote de bas de page 90 ». La réglementation constitue la première ligne de défense pour protéger les équipages et les exploitants contre le risque de baisse de rendement causée par la fatigue.

L'Ocean Monarch devait respecter les périodes de repos minimales stipulées par le Règlement sur le personnel maritime (RPM) ainsi que les heures de travail maximales stipulées par le Règlement sur la durée du travail des employés du transport maritime de la côte Ouest et le Code canadien du travail, partie III. Ces dispositions exigent que le capitaine veille à ce que les membres d'équipage ne soient pas exposés au risque de fatigue.

Toutefois, la gestion de la fatigue doit également faire partie d'une gestion de la sécurité exhaustive et équilibrée. Une compagnie peut gérer efficacement le risque général de fatigue opérationnelle de plusieurs façons : la conformité à la réglementation sur le temps de travail et de repos; la mise en place d'un PGF ou de procédures visant la fatigue, avec une formation connexe; la vérification des périodes de travail et de repos; et le signalement de la fatigue. On doit également mettre en place une supervision externe pour s'assurer que ce processus fonctionne correctement.

2.3.1 Programmes de gestion de la fatigue

Un PGF est un outil efficace dont les compagnies peuvent se servir pour s'assurer d'atténuer les effets de la fatigue durant les opérations. Cependant, à l'heure actuelle, rien n'oblige les compagnies maritimes canadiennes à élaborer ou à mettre en œuvre des PGF. Dans l'événement à l'étude, un PGF aurait pu aider la compagnie à éviter certaines des lacunes suivantes :

La compagnie n'avait donc aucun système en place pour gérer la fatigue, pour vérifier la conformité à la réglementation sur le temps de travail et de repos, ou pour faire une surveillance et un suivi du niveau de fatigue réel de l'équipage.

Si une compagnie maritime n'a pas de PGF et si aucune exigence réglementaire ne l'oblige à en avoir, il y a un risque que les équipages exploitent un navire quand ils sont fatigués, ce qui augmente la probabilité d'erreur qui pourrait précipiter un événement.

2.4 Gestion de la sécurité

La gestion efficace de la sécurité exige que les compagnies participent activement à la reconnaissance et à la gestion des risques dans leurs activités. Quoique toutes les compagnies ne soient pas tenues d'avoir un système de gestion de la sécurité (SGS) en bonne et due forme, il est néanmoins important qu'elles s'emploient à implanter une solide culture de sécuritéNote de bas de page 91.

Les compagnies qui ont une solide culture de sécurité cherchent à faire de la sécurité une priorité dans toutes leurs activités. Elles encouragent les employés à cerner et à signaler les problèmes de sécurité, et elles fournissent le soutien nécessaire pour les gérer. En outre, une solide culture de sécurité guide les compagnies vers la conformité réglementaire et les aide à établir un équilibre acceptable entre la gestion de la sécurité et les pressions commerciales pour offrir des services efficaces et rentables.

Les compagnies qui n'ont pas une solide culture de sécurité pourraient, sous l'effet de pressions commerciales, adopter par inadvertance des pratiques non sécuritaires. Elles pourraient tendre vers le niveau minimal de sécurité requis par la réglementation pour mener leurs activités ou ne pas chercher du tout à se conformer à la réglementation. Au fil du temps, les pratiques non sécuritaires peuvent devenir normalisées dans les opérations, à un point tel qu'on ne les considère plus comme des risques. Les capitaines sont aussi dans une situation difficile s'ils reçoivent peu d'appui pour prendre des décisions opérationnelles qui accordent la priorité à la sécurité. Dans ces cas, il peut être difficile pour les membres d'équipage d'être les uniques promoteurs de la sécurité.

Certains des problèmes de sécurité et certaines des violations de la réglementation relevés dans l'événement à l'étude indiquent des lacunes dans la culture de sécurité de la compagnie :

Faute d'une solide culture de sécurité, d'un SGS ou de procédures opérationnelles documentées, la direction de la compagnie n'a pas réglé les lacunes en matière d'effectif à bord de l'Ocean Monarch, et la compagnie n'a pas agi pour cerner les lacunes de sécurité et aider ses capitaines à les corriger.

Si les compagnies n'établissent pas une solide culture de sécurité, il y a risque que des pressions commerciales et des considérations d'ordre opérationnel dégradent la sécurité, ce qui pourrait mener à un environnement d'exploitation dangereux pour les équipages.

2.5 Conformité aux conditions d'une dispense de pilotage

L’Administration de pilotage du Pacifique (APP) a pour mandat de fournir des services de pilotage maritime et services connexes sécuritaires, fiables et efficaces dans les eaux côtières de la Colombie-Britannique et dans le fleuve Fraser. Les navires exploités dans les eaux où le pilotage est obligatoire doivent avoir un pilote à leur bord, mais certains peuvent être exemptés de cette obligation en vertu d’un système de dispense. Ces navires dispensés doivent toutefois être exploités de manière à garantir un niveau de sécurité équivalent, de sorte que le risque pour la vie, les biens et l’environnement ne soit pas sensiblement plus élevé que si le navire était commandé par un pilote.

L’enquête sur l’événement de l’Ocean Monarch a cerné certains problèmes en ce qui concerne l’observation par la compagnie des conditions de sa dispense de pilotage, et la supervision du système de dispense de pilotage en général :

L'APP a pris plusieurs mesures proactives récemment pour améliorer la sensibilisation dans le secteur maritime. Pourtant, certains navires ne se conforment pas entièrement aux exigences des dispenses qui garantissent la sécurité de la navigation.

Si les compagnies qui détiennent des dispenses de pilotage ne se conforment aux conditions de ces dispenses, et si la surveillance par l'APP n'est pas suffisante pour détecter ces non-conformités, il y a un risque que des navires soient exploités de façon non sécuritaire dans les zones de pilotage.

2.6 Surveillance réglementaire

2.6.1 Remorqueurs d'une jauge brute d'au plus 15 tonneaux

Les propriétaires et exploitants de navires sont les premiers responsables de la gestion de la sécurité. Toutefois, TC doit assurer une surveillance efficace et intervenir proactivement pour s'assurer que les propriétaires et exploitants de navires se conforment à la réglementation et sont en mesure de gérer efficacement la sécurité de leurs activités.

À l'heure actuelle, les remorqueurs d'au plus 15 tjb ne sont pas tenus d'être exploités en vertu d'un document sur l'effectif minimal de sécurité. Ce document stipule l'effectif en fonction de la classe de voyages du navire, du nombre et de la certification des membres d'équipage requis pour l'exploitation/maintenance, et pour les situations d'urgence/abandon du navire. C'est plutôt au représentant autorisé et au capitaine de cette classe de navires qu'il revient de déterminer l'équipage minimal conformément au RPM, sans que TC exerce de surveillance pour s'assurer de la suffisance de l'effectif. Contrairement aux remorqueurs plus grands, cette classe particulière de navires plus petits ne fait l'objet d'aucune obligation de certification en vertu du Règlement sur la construction de coques ou du Règlement sur l'inspection des coques. Par conséquent, ces remorqueurs ne sont assujettis à aucune restriction géographique en matière de voyages, de type d'activité pour lequel le navire est utilisé (p. ex., remorquage), ou de conditions d'exploitation du navire (p. ex., conditions météorologiques).

TC considère que les remorqueurs d'au plus 15 tjb posent moins de risques et les soumet à moins de surveillance réglementaire. Pourtant, cette non-gestion des risques peut avoir des conséquences similaires à celles associées aux remorqueurs de plus de 15 tjb. La campagne d'inspection ciblée menée récemment n'est pas un substitut à une surveillance efficace, et comme toutes les inspections, elle était de nature réactive. Néanmoins, ses résultats montrent que parmi l'échantillon de navires, les remorqueurs d'au plus 15 tjb présentaient plus de lacunes que les remorqueurs de plus de 15 tjb. Il est donc important, pour assurer leur exploitation sécuritaire, que les remorqueurs d'au plus 15 tjb soient assujettis à un niveau de surveillance similaire à celui de remorqueurs plus grands.

Si les remorqueurs d'au plus 15 tjb ne font pas l'objet d'une surveillance réglementaire adéquate, il y a un risque que des lacunes dans leur exploitation ne soient pas corrigées, ce qui mettrait en danger l'équipage, le navire et l'environnement.

2.6.2 Jaugeage

Si les remorqueurs de plus de 15 tjb font l'objet d'inspections périodiques et de restrictions au chapitre de l'effectif minimum et des voyages, ce n'est pas le cas des remorqueurs d'au plus 15 tjb. Les exploitants peuvent donc, à leur discrétion, utiliser ces remorqueurs pour tout type d'activité, où que ce soit, avec un équipage plus petit. Étant donné la nature concurrentielle de l'industrie du remorquage, où l'on octroie habituellement les contrats aux exploitants aux coûts les plus faibles par un système d'appels d'offres, les remorqueurs d'au plus 15 tjb détiennent un avantage commercial par rapport aux remorqueurs plus grands. C'est ainsi qu'au fil des ans, les exploitants ont usé de diverses stratégies pour artificiellement réduire à moins de 15 la jauge brute enregistrée de leurs navires. TC a émis des lignes directrices en 1992 pour mettre fin à cette pratique, mais d'après l'analyse par le BST de remorqueurs exploités en Colombie-Britannique, il semble que pour 33 % des 51 navires examinés, la jauge enregistrée était inexacte, en raison de dimensions de creux irréalistes.

Malgré sa jauge brute réelle de 63,6, le remorqueur Ocean Monarch était immatriculé comme étant d'au plus 15 tjb, et depuis 1992 était exploité sans être assujetti aux exigences réglementaires s'appliquant à un remorqueur de sa taille. Par exemple, l'Ocean Monarch n'était pas assujetti à :

Des remorqueurs de plus de 15 tjb qui ont bénéficié d'une clause d'antériorité et qui ont été immatriculés comme étant d'au plus 15 tjb ne sont pas soumis aux exigences réglementaires qui visent à assurer l'exploitation sécuritaire des navires. Sans la surveillance réglementaire voulue, les problèmes de sécurité peuvent passer inaperçus, notamment ceux qui sont associés à un effectif insuffisant et à des voyages pour lesquels un navire ne convient pas.

Si des remorqueurs de plus de 15 tjb sont immatriculés comme étant d'au plus 15 tjb, ils ne sont pas soumis à une surveillance qui vise à assurer leur exploitation sécuritaire. Il y a alors un risque que des lacunes passent inaperçues ou ne soient pas corrigées, et qu'elles mènent à des accidents.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. La personne de quart, qui était seule dans la timonerie la nuit, s'est endormie pendant que le remorqueur et le chaland circulaient dans les eaux restreintes du Passage de l'Intérieur.
  2. Lors du contact avec le fond, le remorqueur était en mode de pilotage automatique, avec toutes les alarmes sonores de navigation désactivées.
  3. Lors du contact avec le fond, l'officier de pont était en service depuis au moins 8 heures. Le capitaine et le matelot de pont dormaient sous le pont, donc l'officier de pont n'avait aucune interaction humaine pour l'aider à demeurer éveillé.
  4. Il est probable qu'une combinaison de facteurs – fatigue aiguë, perturbations chroniques du sommeil, désynchronisation des rythmes circadiens et facteurs de risque associés au travail de nuit – ait affecté l'officier de pont au cours des jours précédant l'événement, et que ces facteurs, combinés à la charge de travail faible et monotone dans la timonerie, aient induit le sommeil de l'officier de pont entre 3 h 36 et 4 h 36.
  5. Il n'y avait aucune stratégie en place pour atténuer les risques liés à la fatigue de l'équipage.
  6. Étant donné que le remorqueur était en service 24 heures par jour, 7 jours par semaine avec un équipage de 3 membres, il était difficile, et parfois impossible d'avoir 2 personnes de quart la nuit tout en veillant à ce que l'équipage obtienne suffisamment de repos.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Si une compagnie maritime n'a pas de programme de gestion de la fatigue et si aucune exigence réglementaire ne l'oblige à en avoir, il y a un risque que les équipages exploitent un navire quand ils sont fatigués, ce qui augmente la probabilité d'erreur qui pourrait précipiter un événement.
  2. Si les compagnies n'établissent pas une solide culture de sécurité, il y a un risque que des pressions commerciales et des considérations d'ordre opérationnel dégradent la sécurité, ce qui pourrait mener à un environnement d'exploitation dangereux pour les équipages.
  3. Si les compagnies qui détiennent des dispenses de pilotage ne se conforment aux conditions de ces dispenses, et si la surveillance par l'Administration de pilotage du Pacifique n'est pas suffisante pour détecter ces non-conformités, il y a un risque que des navires soient exploités de façon non sécuritaire dans les zones de pilotage.
  4. Si les remorqueurs d'au plus 15 tonnes de jauge brute ne font pas l'objet d'une surveillance réglementaire adéquate, il y a un risque que des lacunes dans leur exploitation ne soient pas corrigées, ce qui mettrait en danger l'équipage, le navire et l'environnement.
  5. Si des remorqueurs de plus de 15 tonnes de jauge brute sont immatriculés comme étant d'au plus 15 tonnes de jauge brute, ils ne sont pas soumis à une surveillance qui vise à assurer leur exploitation sécuritaire. Il y a alors un risque que des lacunes passent inaperçues ou ne soient pas corrigées, et qu'elles mènent à des accidents.

3.3 Autres faits établis

  1. Le Registre canadien d'immatriculation des bâtiments de TC contient des renseignements désuets sur les remorqueurs, ce qui complique la tâche d'obtenir des données fiables sur les remorqueurs en service sur la côte Ouest du Canada.
  2. Le capitaine a informé la compagnie de l'événement, mais ne l'a signalé ni aux Services de communications et de trafic maritimes, ni à l'Administration de pilotage du Pacifique, ni au BST, comme l'exige la réglementation.
  3. Au moment de l'événement, l'Ocean Monarch avait une jauge brute réelle de 63,6, mais il était immatriculé comme étant d'au plus 15 tonnes de jauge brute et n'était par conséquent assujetti à aucune surveillance réglementaire (inspections périodiques, document sur l'effectif minimal de sécurité, ou toute limite quant au type de voyage qu'il peut effectuer).
  4. Le BST a analysé un échantillon de 51 remorqueurs en Colombie-Britannique mesurant de 12 à 15 m de long et immatriculés comme étant d'au plus 15 tonnes de jauge brute. L'analyse a révélé que, dans 17 cas, le creux mesuré était considérablement inférieur au creux typique d'un remorqueur de forme et de taille similaires.
  5. Le système de dispense de l'Administration de pilotage du Pacifique compte sur les exploitants pour qu'ils fournissent des renseignements exacts lorsqu'ils demandent une dispense, et l'Administration ne dispose d'aucun processus pour vérifier les renseignements, hormis des vérifications aléatoires.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Mercury Launch & Tug Ltd.

À la suite de l'événement à l'étude, la compagnie a installé un système d'alarme du quart à la passerelle à bord de l'Ocean Monarch. De nouvelles procédures d'exploitation sécuritaire ont été élaborées et mises en œuvre à bord du navire. De plus, la compagnie a informé tous ses capitaines que les alarmes du quart à la passerelle doivent en tout temps être activées et surveillées.

4.1.2 Garde côtière canadienne

La Garde côtière canadienne a transmis un rapport de contravention à Transports Canada concernant cette compagnie. Ce rapport indique que le capitaine n’a pas veillé à informer un régulateur de trafic maritime après le contact avec le fond.

4.1.3 Transports Canada

Transports Canada a amorcé une inspection de conformité pour repérer les infractions réglementaires. Les résultats de cette inspection n'ont pas encore été publiés.

4.1.4 Administration de pilotage du Pacifique

À la suite de l'événement à l'étude, l'Administration de pilotage du Pacifique (APP) a révoqué la dispense de pilotage du capitaine et a exigé que le capitaine se familiarise avec les exigences d'une dispense avant qu'il ne puisse en obtenir une nouvelle. L'APP a également facturé à la compagnie les frais de pilotage exigibles. L'APP a publié un article dans une revue spécialisée en vue d'accroître la sensibilisation de la communauté maritime au système de dispense de pilotage. En outre, l'APP a transmis une trousse d'information aux représentants autorisés de navires qui détiennent une dispense de pilotage. Cette trousse d'information vise à informer les capitaines des conditions d'utilisation d'une dispense de pilotage.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A – Plan général de l'Ocean Monarch (vues de dessus et de profil)

Plan général de l'Ocean Monarch (vues de dessus et de profil)
Source : BST, selon le plan général du navire créé par A. G. McIlwain Ltd.

Annexe B – Lieu de l'événement

Lieu de l'événement
Source : Service hydrographique du Canada, avec annotations du BST

Annexe C – Analyse du jaugeage d'un remorqueur

Le BST a analysé les mesures consignées de longueur, de largeur et de creux d'un échantillon de 51 remorqueurs en Colombie-Britannique, pour déterminer si les mesures consignées étaient réalistes, au vu de leur jauge brute globale. Cette analyse fait suite à la constatation par le BST de jauges brutes enregistrées inexactes de 2 remorqueurs, l'Ocean Monarch et l'Island Defender. Le remorqueur Island Defender a été immatriculé en 1990 avec une jauge brute enregistrée de 14,66. Le ministère de la Défense nationale a acheté ce navire en 1997, a retiré ses planchers surélevés et a recalculé sa jauge brute, conformément à la Norme de jaugeage des bâtimentsNote de bas de page 92 de Transports Canada, comme étant de 64,83Note de bas de page 93.

Le BST sait que par le passé, certains remorqueurs ont été construits avec des planchers artificiellement surélevés, ce pourquoi il a comparé des remorqueurs de taille comparable. Le BST a déterminé que la jauge brute enregistrée était inexacte pour 17 remorqueurs dans l'échantillon retenu, en raison de dimensions de creux irréalistes. Par exemple, le creux maximal consigné de l'Ocean Warlock est de 0,34 m, incluant un espace de salle des machines qui comprend 2 moteurs de 600 kW. Cependant, des moteurs de cette puissance ont une hauteur moyenne de quelque 2 m.

Annexe D – Zones de pilotage obligatoire

Zones de pilotage obligatoire
Source : Administration de pilotage du Pacifique du Canada

Annexe E – Événements précédents où la fatigue était en cause

Depuis 1994, la fatigue a été un facteur contributif dans 139 événements maritimes qui ont été signalés au BST. Sur 128 enquêtes maritimes effectuées par le BST depuis 2002, la fatigue a été constatée comme un fait établi dans 15 cas (soit 12 %). Depuis 2006, on a constaté dans 6 rapports d'enquêtes effectuées par le BST des risques liés à la fatigue qui s'appliquent directement à l'événement à l'étude.

M16P0378 (Nathan E. Stewart) – Le 13 octobre 2016, peu après 1 h (heure avancée du Pacifique), l'ensemble remorqueur-chaland articulé composé du remorqueur Nathan E. Stewart et du chaland-citerne DBL 55 s'est échoué sur le récif Edge, près de l'île Athlone, à l'entrée du passage Seaforth, à environ 10 milles marins à l'ouest de Bella Bella (Colombie-Britannique). L'enquête du BST a permis de déterminer que le second officier, qui travaillait seul sur la passerelle, était fatigué. Il s'est endormi et a raté un point de changement de cap prévu. Les alarmes de navigation disponibles n'étaient pas activées, et aucun système d'alarme du quart à la passerelle n'était installé.

M12L0147 (Tundra) – Le 28 novembre 2012, le vraquier Tundra à proximité de Sainte-Anne-de-Sorel (Québec). L'enquête a déterminé que la fatigue a probablement été un facteur à l'origine d'une connaissance de la situation inadéquate du pilote et que « [s]ans formation en sensibilisation à la fatigue, il est possible que les pilotes ne soient pas en mesure de détecter les symptômes ou les signes liés aux troubles du sommeil, qui ne peuvent pas être détectés dans le cadre d'un examen médical ordinaire ».

M12F0011 (Viking Storm) – Le 28 septembre 2012, le bateau de pêche canadien Viking Storm aborde le bateau de pêche américain Maverick dans un épais brouillard, à 30 milles marins au large de La Push, dans l'État de Washington. L'enquête a déterminé qu'il était fort probable que les capacités cognitives de l'officier de pont du Viking Storm aient été réduites à cause de la fatigue. L'enquête a également permis de déterminer que « si les pêcheurs considèrent que le repos équivaut au sommeil pour ce qui est de la capacité de réparation, ils risquent de sous-estimer le nombre d'heures continues de sommeil nécessaires au rétablissement de leurs fonctions cognitives ». De plus, l'enquête a permis de déterminer que « sans un plan de gestion de la fatigue qui tient compte des opérations de pêche et du besoin d'assurer un sommeil ininterrompu, les membres d'équipage risquent de ne pas être assez reposés pour exécuter leurs tâches en toute sécurité ».

M12N0017 (Beaumont Hamel) – Le 30 mai 2012, le traversier à passagers Beaumont Hamel a perdu sa propulsion principale et sa direction à la suite d'une panne électrique à l'approche du quai de Portugal Cove (Terre-Neuve-et-Labrador). Le navire a heurté le quai. L'enquête a permis de constater que « [l]es programmes de gestion de la fatigue qui n'offrent pas assez d'occasions pour garantir un sommeil réparateur augmentent le risque d'une baisse du rendement quotidien de l'équipage ».

M09W0064 (Velero IV) – Le 8 avril 2009, le navire de recherche halieutique américain Velero IV et le bateau de pêche américain Silver Challenger II s'abordent à l'est des îles Numas, dans le détroit de la Reine-Charlotte (Colombie-Britannique). L'enquête a permis de déterminer que « [l]es horaires de travail et de repos qui ne permettent pas de bénéficier d'un sommeil réparateur favorisent l'apparition de la fatigue, ce qui entraîne une baisse de rendement, occasionne des erreurs dues à un manque d'attention, diminue la vivacité d'esprit et rend moins vigilant ».

M08W0193 (Kaien Pride) – Le 13 septembre 2008, le remorqueur Kaien Pride, qui remorquait 3 chalands de pourvoirie, s'est échoué sur l'île Garden, à Prince Rupert (Colombie-Britannique). Le remorqueur s'est renfloué par ses propres moyens, sans avarie apparente. L'unique personne de quart s'était endormie à la barre.

M07L0158 (Nordik Express) – Le 16 août 2007, le navire à passagers Nordik Express heurte l'île de l'Entrée alors qu'il s'approche de l'entrée du havre de Harrington Harbour (Québec). L'enquête a permis de déterminer que « [l]'absence d'un plan de gestion de la fatigue fait augmenter la probabilité d'erreurs dues à la fatigue, et par conséquent augmente les risques pour le navire, l'équipage, les passagers et l'environnement ».

M06N0014 (Kometik) – Le 8 avril 2006, Un soudeur et un membre d'équipage effectuaient des réparations par soudage sur le pétrolier navette Kometik dans la baie de la Conception (Terre-Neuve-et-Labrador), quand un mélange de vapeur explosif s'est enflammé dans la citerne à cargaison. L'enquête a permis de déterminer qu'un membre d'équipage a travaillé alors qu'il était fatigué. L'enquête a aussi permis de déterminer que « le manuel de sécurité du navire n'identifiait pas la fatigue ou la charge de travail comme étant des facteurs de risque et ne comprenait pas de procédures pour atténuer ces risques ».

Annexe F – Événements précédents impliquant des ensembles remorqueur-chaland exploités avec 1 seule personne dans la timonerie

Les événements ci-dessous impliquant des ensembles remorqueur-chaland ont été signalés au BST. Dans chacun de ces cas, 1 seule personne qualifiée se trouvait dans la timonerie la nuit.

M16P0378 (Nathan E. Stewart) – Le 13 octobre 2016, l'ensemble remorqueur-chaland articulé composé du remorqueur Nathan E. Stewart et du chaland-citerne DBL 55 s'est échoué sur le récif Edge, près de l'île Athlone, à l'entrée du passage Seaforth, à environ 10 milles marins à l'ouest de Bella Bella (Colombie-Britannique). L'enquête du BST a permis de déterminer que le second officier, qui travaillait seul sur la passerelle, était fatigué. Il s'est endormi et n'a pas effectué un changement de cap prévu. Les alarmes de navigation disponibles n'étaient pas utilisées, et aucun système d'alarme du quart à la passerelle n'était installé.

M16P0083 (Ocean Eagle) – Le 15 mars 2016, le remorqueur Ocean Eagle, qui remorquait le chaland ZB 335, s'est échoué dans le détroit de Johnstone (Colombie-Britannique). Le chaland est entré en collision avec la poupe du remorqueur et a subi des avaries. Aucune vigie n'était en faction, et l'officier de pont était seul dans la timonerie durant les heures de noirceur. L'officier de pont était occupé à remplir des formulaires et n'a pas effectué un changement de cap prévu.

M07W0045 (Gulf Prince) – Le 13 avril 2007, le remorqueur Gulf Prince, qui remorquait le chaland MDM vide, s'est échoué dans le chenal Gardner, à l'île North Rix (Colombie-Britannique). Une seule personne se trouvait dans la timonerie au moment de l'événement.

M04C0044 (Karen Andrie) – En septembre 2004, le chaland A-397 poussé par le remorqueur Karen Andrie (doté d'une timonerie supérieure et inférieure) a heurté et renversé le feu D33 dans le cours inférieur de la rivière Détroit (Ontario).

M04F0016 (Evans McKeil) – En juillet 2004, le remorqueur Evans McKeil (doté d'une timonerie supérieure et inférieure) poussait le chaland Ocean Hauler vide lorsqu'il a heurté et endommagé des quais privés et une embarcation de plaisance du côté américain de la rivière Sainte-Claire. Le remorqueur s'est ensuite échoué.

M04F0010 (Doug McKeil) – En avril 2004, le remorqueur Doug McKeil (doté d'une timonerie supérieure et inférieure) poussait le chaland chargé Ocean Hauler lorsqu'il a heurté des quais privés et des remises à bateaux du côté américain de la rivière Sainte-Claire.

M02C0011 (Progress/Pitts Carillon) – En avril 2002, le chaland Pitts Carillon poussé par le remorqueur Progress a percuté et renversé le feu 82 de la Voie maritime du Saint-Laurent.