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Rapport d'enquête maritime M15A0189

Perte de bateau en mer et 3 décès
Petit bateau de pêche CFV 130214
Baie Placentia (Terre-Neuve-et-Labrador)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 16 juin 2015, vers 19 h 23, heure avancée de Terre-Neuve-et-Labrador, on a signalé le retard du petit bateau de pêche CFV 130214, avec 3 personnes à bord, qui effectuait un voyage de pêche dans la baie Placentia (Terre-Neuve-et-Labrador). Le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage — Halifax a entamé des recherches dans le secteur et, le lendemain, a récupéré les 3 membres d’équipage décédés sur l’île Bar Haven. On pense que le bateau, introuvable, a probablement coulé.

Renseignements de base

Fiche technique du navire

Tableau 1. Fiche technique du navire
Nom du navire Sans nom *
Numéro d'enregistrement du bateau auprès du
ministère des Pêches et des Océans (MPO)
130214
Numéro officiel C18847QC **
Type Petit bateau de pêche
Jauge brute estimée 3,38
Longueur hors tout 7,1 m
Largeur 2,54 m
Construction Inconnu ***
Propulsion Moteur hors-bord 4 temps de 115 HP
Cargaison Glace, appâts, engins de pêche
Équipage 3
Propriétaire Propriétaire privé/capitaine, Southern Harbour (T.-N.-L.) ****

Remarques :
* Le bateau à l’étude n’avait pas de nom d’immatriculation.
** Numéro officiel attribué au bateau lorsqu’il appartenait au précédent propriétaire (maintenant annulé).
*** Année de construction exacte du bateau inconnue, mais première immatriculation en 1986.
**** Propriétaire également capitaine du bateau.

Description du navire

Le CFV 130214 était un bateau non ponté de 7,1 m, fabriqué en fibre de verre. Il était propulsé par 1 moteur hors-bord 4 temps de 115 HP et équipé de 1 système mondial de positionnement pour navigation satellite (GPS) avec fonctions de pointage et de visualisation de cartes électroniques.

Le capitaine, en qualité de chef de l'entreprise du noyau indépendante Note de bas de page 1, l'a acquis le 17 janvier 2015 et immatriculé en tant que bateau secondaire auprès du ministère des Pêches et des Océans (MPO).

Au moment de l'événement, le bateau non ponté avait à bord : 1 réservoir de carburant portatif de 23 litres sur la poupe, 2 bidons d'essence de 20 litres, 1 pompe de cale électrique avec contacteur à flotteur automatique, des gaffes, 1 batterie de qualité marine et 3 vêtements de flottaison individuels (VFI).

Le KSL Enterprises, bateau de pêche principal du capitaine, était en cours de modifications qui prenaient plus de temps que prévu. Comme la saison de pêche au crabe devait prendre fin dans 4 semaines Note de bas de page 2, les membres de l'équipage ont modifié en toute hâte le bateau secondaire, non ponté, pendant les 2 semaines qui ont précédé l'événement afin de pouvoir pêcher le plein quota dans les délais. De chaque côté et à peu près au milieu du bateau, ils ont ménagé des compartiments en contreplaqué de 183 cm de longueur sur 76 cm de largeur pour entreposer la glace et les crabes (figure 1). Vers l'avant du bateau se trouvaient 1 petit poste comprenant la roue de gouvernail et les commandes du moteur, 1 treuil hydraulique à essence et 1 potence en aluminium sur le côté bâbord. Lors de la remontée des casiers, la palangre principale, à laquelle ces derniers étaient fixés, passait par-dessus la poulie suspendue à la potence avant de s'enrouler autour du treuil vertical monté à l'avant du poste.

Figure 1. Vue de dessus et de profil du bateau ponté avec 25 casiers à crabes à bord
Figure 1. Vue de dessus et de profil du bateau ponté avec 25 casiers à crabes à bord

KSL Enterprises Limited

Le 1er avril 2011, le capitaine a fondé KSL Enterprises Limited au titre d'entreprise familiale de pêche commerciale à Terre-Neuve-et-Labrador.

L'entreprise possédait 2 bateaux : le KSL Enterprises et le Samantha D. Patrick, les 2 d'une longueur hors tout de 13,7 m et dotés du matériel et des engins de sauvetage requis pour les bâtiments de ce gabarit.

Photo 1. KSL Enterprises
Photo 1.  <em>KSL Enterprises </em>
Photo 2. Samantha D. Patrick
Photo 2.  <em>Samantha D. Patrick </em>

Les 2 bateaux appartenaient à une société familiale et étaient rattachés à des entreprises distinctes. Chaque bateau était détenu par un membre de cette famille. Selon les politiques du MPO, les pêcheurs opèrent en tant qu'entrepreneurs individuels et non en tant que sociétés de pêche dotées de plusieurs bateaux.

Entreprises du noyau indépendantes appartenant à la famille

Le KSL Enterprises était le bateau immatriculé auprès du MPO pour l'entreprise du noyau indépendante du capitaine et le Samantha D. Patrick était le bateau immatriculé auprès du MPO pour l'entreprise du noyau indépendante de sa conjointe. Chacune de ces entreprises détenait des permis visant des espèces multiples, incluant des quotas de pêche au crabe des neiges. En vertu de la condition du permis de pêche au crabe des neiges dans la zone 10A, elles pouvaient utiliser 150 casiers. Chacune d'elles possédait également un bateau non ponté immatriculé auprès du MPO en tant que bateau de pêche secondaire. Pour que le capitaine puisse pêcher son quota de crabes de la saison, le seul bâtiment facilement disponible dans le cadre de la politique du MPO était son bateau non ponté.

Le capitaine et sa conjointe détenaient tous les deux un permis de pêche au crabe dans la zone 10A fixant pour chacun 2 quotas individuels, l'un associé au permis et le second acquis dans le cadre de la politique d'absorption d'entreprises. La conjointe du capitaine avait conclu une entente d'exploitation en partenariat avec un pêcheur du noyau indépendant, totalisant 3 quotas individuels de pêche au crabe pour son entreprise, ce qui correspond au maximum attribuable à une entreprise dans la zone 10A. La limite de 150 casiers reste en vigueur lors de l'acquisition de quotas supplémentaires dans la zone 10A.

Pour la saison 2015, le capitaine a commencé la pêche avec le Samantha D. Patrick au début de mai, et a débarqué ses premiers crabes le 12 mai. Le quota individuel autorisé de sa conjointe s'élevait à 23 550 lb et, le 12 juin, le Samantha D. Patrick avait pris 8657 lb de crabes des neiges. Le quota individuel autorisé du capitaine s'élevait à 15 700 lb. Le 12 juin, le capitaine a déchargé la première cargaison de 1324 lb de crabes des neiges du bateau non ponté.

Les captures par unité d'effort (CPUE) des débarquements du Samantha D. Patrick pour 2015 avant l'événement indiquaient qu'il allait falloir également se servir des 150 casiers du capitaine pour pouvoir pêcher ses 2 quotas et les 3 de sa conjointe avant la fin de la saison.

Déroulement du voyage

Le 14 juin 2015, 2 jours avant l'événement, le capitaine et 2 matelots de pont ont quitté Southern Harbour (Terre-Neuve-et-Labrador) à bord du Samantha D. Patrick avec le bateau non ponté en remorque. Ils avaient embarqué des appâts et de la glace à bord du Samantha D. Patrick à l'usage des 2 bateaux. Le soir même, vers 21 h, ils sont arrivés à l'anse Davis (Terre-Neuve-et-Labrador) Note de bas de page 3.

Le 15 juin, les membres de l'équipage ont fait une sortie de l'anse Davis à bord du bateau non ponté et sont rentrés avec 500 kg de crabes des neiges. L'équipage a ensuite utilisé le Samantha D. Patrick pour relever les casiers de la conjointe du capitaine, qui avaient été posés au nord de l'île Bar Haven, et sont rentrés à l'anse Davis avec environ 680 kg de crabes des neiges. Les prises sont demeurées à bord du Samantha D. Patrick et du bateau non ponté Note de bas de page 4.

On sait que le capitaine vérifiait habituellement les prévisions météorologiques locales et maritimes par téléphone cellulaire avant un voyage de pêche, mais nul ne sait s'il l'a fait le matin du 16 juin. Vers 4 h 30, le capitaine et 2 membres d'équipage ont quitté l'anse Davis à bord du bateau non ponté pour se rendre sur les lieux de pêche au crabe situés à environ 2,5 milles marins (nm) vers l'est.

En fin d'après-midi, réalisant que le bateau non ponté n'était pas encore rentré, le frère du capitaine a dépêché un bateau à sa recherche, mais sans succès. À 19 h 23, il a signalé aux Services de communication et de trafic maritime (SCTM) de la baie Placentia que le bateau non ponté avec 3 personnes à bord était en retard sur son horaire de retour prévu pour environ 15 h. Au moment de cet appel, des vents de 20 à 30 nœuds soufflaient du sud-ouest.

Recherche et sauvetage

À 19 h 24, les SCTM de la baie Placentia ont transmis un signal de détresse « Mayday Relay ». À 19 h 42, le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage — Halifax (CCCOS) a commencé à dépêcher les ressources aériennes et maritimes de la Garde côtière canadienne (GCC), du ministère de la Défense nationale et de Pêches et Océans Canada pour rechercher le bateau. Vers 20 h, le navire auxiliaire Linda Marie III et le Cormorant R910 de la GCC ont été les premiers arrivés sur les lieux. La recherche s'est poursuivie toute la nuit dans un secteur d'environ 20 milles sur 15 au nord et au sud de l'île Bar Haven, englobant les lieux de pose des casiers des 2 entreprises (annexe A).

Le lendemain, le CCCOS Halifax a dépêché le NCSM  Shawinigan à 0 h 38 et une embarcation rapide de sauvetage du MPO à 10 h. Vers 12 h, les 3 membres d'équipage décédés ont été retrouvés sur l'île Bar Haven et transportés à Argentia (Terre-Neuve-et-Labrador). Aucun ne portait de VFI.

Décès

Les 3 membres d'équipage ont été récupérés, mais ils s'étaient noyés.

Avaries au navire

On pense que le bateau, introuvable, a probablement coulé.

Conditions environnementales

Pour le secteur où s'est déroulé l'événement le 16 juin, Environnement Canada a donné des prévisions pendant toute la journée, comme suit : à 3 h, vents du sud-ouest à 15 nœuds, tournant au sud à 20 nœuds dans la soirée et augmentant à 25 nœuds pendant la nuit; à 10 h, vent du sud-ouest de 10 à 15 nœuds, puis du sud à 20 nœuds dans l'après-midi et augmentant à 30 nœuds tard dans la nuit; à 15 h 30, avis de coup de vent en vigueur, avec vents du sud-ouest à 15 nœuds, puis du sud à 20 nœuds tard dans la nuit et augmentant à 30 nœuds vers 12 h le 17 juin.

De même, les précisions horaires du ministère pour les périodes couvertes par ces prévisions indiquaient que la vitesse des vents était de 21 km/h (11 nœuds) à 5 h 30, 32 km/h (17 nœuds) à 11 h 30, 37 km/h (20 nœuds) à 12 h 30, avec finalement, une pointe à 40 km/h (22 nœuds) à 15 h 30. La hauteur significative des vagues était d'environ 0,5 m le matin, augmentant à plus de 1,8 m au début de l'après-midi avec une hauteur maximale de 2,2 m. La température moyenne de la mer était de 8 °C.

Certification et expérience du personnel

Le capitaine était titulaire d'un brevet de service de capitaine de bâtiment de pêche d'une jauge brute inférieure à 60 tonneaux et d'un Brevet de service d'officier de pont de quart de bâtiment de pêche d'une longueur hors-tout de moins de 24 mètres. Il détenait également un certificat de fonctions d'urgence en mer (FUM), un certificat restreint d'opérateur radio — commercial maritime (CRO-CM) et un certificat de secourisme élémentaire en mer. Le capitaine avait plus de 20 ans d'expérience en pêche commerciale et était agréé au titre de pêcheur professionnel de niveau II par le Professional Fish Harvesters Certification Board (PFHCB) depuis la création de l'office en 1997.

L'officier de pont du bateau en cause dans l'événement était également l'exploitant désigné Note de bas de page 5 du Samantha D. Patrick . Il avait plus de 30 ans d'expérience de la pêche, principalement acquise en exploitant sa propre entreprise de pêche côtière de multiples espèces. Il avait vendu son entreprise 2 ans plus tôt et ensuite pêché le crabe, le capelan et le hareng à bord d'un bateau de pêche de 16,7 m. Il travaillait pour KSL Enterprises Ltd. depuis environ 1 mois avant l'événement. Il détenait également un certificat de fonctions d'urgence en mer (FUM A3) et un certificat de secourisme avancé en mer. Il avait suivi un cours sur la sécurité de base à l'intention des pêcheurs et un cours d'introduction à la navigation et à la sécurité. Il était agréé au titre de pêcheur professionnel de niveau II par le PFHCB depuis la création de l'office en 1997.

Le matelot de pont détenait un certificat FUM A3 et un certificat de secourisme avancé en mer. Il avait suivi un cours sur la sécurité de base à l'intention des pêcheurs. Il était agréé au titre d'apprenti pêcheur par le PFHCB et pratiquait la pêche commerciale depuis 2005.

Certification des navires

Étant un petit bateau de pêche d'une jauge brute d'au plus 15 tonneaux, le bâtiment non ponté était assujetti à la partie II du Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche (RIPBP). Il n'était donc pas obligatoire de le soumettre aux inspections périodiques de Transports Canada (TC). Le capitaine/propriétaire ne l'avait pas immatriculé auprès de TC, mais comme bateau de pêche commerciale auprès du MPO le 27 janvier 2015.

Petits bateaux de pêche

Chargement et stabilité

Pour un bateau, la capacité de rester à flot et droit sur l'eau dans toutes les conditions de charge et d'exploitation est un élément de sécurité fondamental. Il est donc essentiel que le bateau conserve des réserves de flottabilité et de stabilité suffisantes, ainsi que des moyens d'empêcher l'eau d'entrer et de s'accumuler sur le pont ou à l'intérieur de la coque. Il faut aussi maintenir un franc-bord et une hauteur d'envahissement suffisants et un drainage adéquat. Pour assurer la sécurité en mer, on doit prendre ces facteurs en considération aux étapes de la conception et de la construction des bateaux non pontés, et pendant leur exploitation.

L'événement à l'étude concernait précisément un bateau non ponté. Dans ce cas, la flottabilité et la stabilité sont assurées par la coque étanche, qui se prolonge jusqu'au sommet du plat-bord. Les bateaux de ce type sont vulnérables à l'envahissement par les eaux lorsque les vagues passent par-dessus les bords, en particulier s'ils sont lourdement chargés. Pour atténuer ce risque, on peut faire en sorte que le bateau navigue seulement sur des eaux relativement calmes, y incorporer des dispositifs intégrés d'insubmersibilité afin d'accroître sa capacité de survie et prévoir des moyens efficaces pour évacuer l'eau embarquée. La réduction du franc-bord ou de la hauteur du point d'envahissement a pour effet d'amenuiser la réserve de flottabilité et de stabilité et donc la marge de sécurité.

Statistiques

Les incidents mettant en cause des petits bateaux de pêche ont fait l'objet de plusieurs examens et études. En 2000, la direction de la recherche et du sauvetage en mer de la GCC, région de Terre-Neuve-et-Labrador Note de bas de page 6, a réalisé un examen de la sécurité des bateaux de pêche de moins de 19,8 m. L'examen a porté sur les incidents de recherche et sauvetage (SAR) mettant en cause des bateaux de pêche commerciale immatriculés à Terre-Neuve-et-Labrador, et ce, sur la période courant de 1993 à 1999 (tableau 2).

Tableau 2. Examen des bateaux de pêche commerciale de moins de 19,8 m immatriculés à Terre-Neuve-et-Labrador par la Garde côtière canadienne pendant la période de 1993 à 1999
Longueur Nombre de bateaux immatriculés (1999) Décès
7,6 m ou moins 6137 29
Plus de 7,6 m 3436 17
TOTAL 9573 46

Le tableau 3 expose des statistiques plus récentes du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur les accidents et les décès mettant en cause des bateaux de pêche immatriculés à Terre-Neuve-et-Labrador.

Tableau 3. Statistiques du BST sur les accidents et décès mettant en cause des bateaux de pêche commerciale immatriculés à Terre-Neuve-et-Labrador pendant la période de 2000 à 2015
Longueur Nombre de bateaux immatriculés MPO (2014) AccidentsNote de bas de page * signalés au BST
(2000-2015)
Décès
7,6 m ou moins 3982 11 19
Plus de 7,6 m 2670 56 12
TOTAL 6652 67 31

Ces statistiques correspondent aux tendances actuelles ci-dessus, indiquant un nombre plus élevé de décès pour les bateaux d'une longueur inférieure ou égale à 7,6 m. L'examen de la sécurité des bateaux de pêche de 2000 énonce :

[Traduction] 

La plupart des 46 décès enregistrés pour les bateaux de pêche de moins de 65 pieds [19,8 m] depuis 1993 se sont produits avec des bateaux de moins de 25 pieds [7,6 m], ce qui révèle de graves problèmes au niveau de bateaux de pêche encore plus petits exploités plus près du littoral. Il est inquiétant que plusieurs autres types d'incidents touchant ces catégories de bateaux ne soient pas signalés et qu'ainsi, les données existantes ne rendent pas pleinement compte de l'ampleur du problème Note de bas de page 7.

Équipement de sauvetage

L'équipement de sauvetage suivant doit se trouver à bord des bateaux de plus de 12,2 m de longueur, assujettis à la partie I du RIPBP :

L'équipement de sauvetage suivant doit se trouver à bord des bateaux de moins de 12,2 m de longueur assujettis à la partie II du RIPBP (cas du bateau en cause dans l'événement) :

En 2012, TC a publié un bulletin de la sécurité des navires autorisant l'usage de VFI au lieu des gilets de sauvetage approuvés à bord de petits bâtiments autres que les embarcations de plaisance et petits bateaux de pêche commerciale Note de bas de page 11. Il y est précisé que si l'on opte pour des VFI, il faut les porter en tout temps lorsque l'on se trouve à bord d'un bâtiment non ponté.

Le règlement Occupational Health and Safety Regulations, 2012, de Terre-Neuve-et-Labrador stipule que les travailleurs employés dans des conditions présentant un risque de noyade [traduction] « doivent porter un vêtement de flottaison individuel approprié à l'environnement de travail et à la prévention du risque Note de bas de page 12. »

Au Canada, les chutes par-dessus bord sont la 2e cause de décès dans l'industrie de la pêche Note de bas de page 13. Une chute en eau froide provoque d'abord un choc hypothermique, qui présente le plus grand danger, voire un risque de décès lorsqu'une personne est brusquement immergée dans de l'eau dont la température est inférieure à 15 °C Note de bas de page 14. La victime peut ensuite rapidement subir une grande fatigue pendant qu'elle tente de demeurer à flot. Cette fatigue s'accroît rapidement si la personne ne porte pas de vêtement de flottaison individuel. L'hypothermie peut se produire en moins de 35 minutes dans l'eau froide; les fonctions corporelles ralentissent et cela peut provoquer finalement le décès de la personne. Pour accroître les chances de survie, il est essentiel de sortir rapidement la personne de l'eau.

Appareils de communication d'urgence

Des radiobalises de localisation des sinistres (RLS) sont requises à bord des bateaux d'une longueur égale ou supérieure à 8 m effectuant un voyage de cabotage, classe I, un voyage de cabotage, classe II, ou un voyage de long cours Note de bas de page 15. Qu'elle soit automatique ou manuellement activée, une RLS émet un signal d'urgence pour alerter immédiatement les ressources SAR et déclencher leur intervention.

Le radiotéléphone à très haute fréquence (VHF) n'est pas obligatoire à bord des bateaux de pêche non pontés de toute longueur ou des bateaux de pêche pontés de 8 m ou moins Note de bas de page 16. Il n'y avait ni RLS ni radiotéléphone VHF à bord du bateau non ponté en question, ce que la réglementation n'imposait d'ailleurs pas. Le matériel de communication à bord se réduisait à un téléphone cellulaire rangé dans un boîtier en plastique étanche.

Pêche commerciale dans l'Est du Canada

Au Canada, le MPO gère et réglemente la pêche commerciale conformément aux rôles et responsabilités définies par la Loi sur les pêches dans 6 régions distinctes, chacune disposant de ses propres politiques pour en assurer la durabilité et la viabilité économique, ainsi que la participation des intervenants. Dans la région de Terre-Neuve-et-Labrador, les intervenants de la pêche commerciale sont : Fish, Food and Allied Workers Union (FFAW) Note de bas de page 17, Association of Seafood Producers (ASP) Note de bas de page 18, Seafood Producers of Newfoundland and Labrador (SPNL), le gouvernement provincial, les comités de pêcheurs représentant les différents secteurs de l'industrie de la pêche et les pêcheurs. L'administration centrale du MPO pour la région de Terre-Neuve-et-Labrador est située à St. John's, et il y a 2 bureaux de secteur, 11 bureaux principaux et 22 bureaux secondaires répartis dans la province Note de bas de page 19. Il est possible d'obtenir des renseignements sur la pêche commerciale en s'adressant à un bureau ou en consultant le site Web du MPO. La politique à jour d'émission des permis de pêche du MPO pour la région de Terre-Neuve-et-Labrador n'est pas publiée ou nécessairement remise aux pêcheurs.

Immatriculation des bâtiments et émission des permis

Un permis de pêche accorde au titulaire le droit de pêcher des produits de la mer sous certaines conditions comme, par exemple, un quota individuel lui accordant une quantité de prises déterminée ou la désignation d'un bateau de pêche devant être expressément exploité en vertu du permis en question.

Un bateau de pêche doit être immatriculé auprès du MPO au nom du titulaire du permis (le propriétaire de l'entreprise du noyau indépendante) et ne peut être immatriculé qu'au nom d'un seul titulaire de permis à la fois. Il s'agit du bateau principal d'une entreprise dont la longueur hors tout (LHT) maximale autorisée est de 27,4 m en fonction du permis le plus restrictif détenu. Outre le bateau principal, les entreprises du noyau indépendantes sont autorisées à immatriculer 2 bateaux secondaires, le premier d'une LHT maximale autorisée de 8,5 m et le deuxième de 6,1 m. Seules les personnes titulaires d'au moins 1 permis de pêche commerciale peuvent immatriculer des bateaux. Dans la région de Terre-Neuve-et-Labrador, les bateaux sont immatriculés au nom du titulaire d'un permis pour une période minimale de 12 mois. Pour obtenir des renseignements sur l'immatriculation, il faut téléphoner au MPO ou en consulter le site Web Note de bas de page 20.

Le capitaine avait fait antérieurement l'expérience d'immatriculer le bateau d'un autre propriétaire dans le cadre de son entreprise. En effet, le 22 mai 2012, il a immatriculé un bateau de pêche provenant de la Nouvelle-Écosse en tant que bateau principal de son entreprise du noyau indépendante. Conformément à la politique, ce bateau était immatriculé pour une période minimale de 12 mois. Or, en moins de 2 semaines, le bateau était reparti en Nouvelle-Écosse. Le capitaine s'était retrouvé sans bateau principal pour exploiter ses permis jusqu'à expiration de la période de 12 mois marquant la fin de l'immatriculation. On ignore pourquoi le capitaine n'a pas présenté une demande de dérogation à la politique d'émission des permis pour réassocier l'immatriculation du KSL Enterprises au permis de son entreprise en 2012, et s'il était pleinement au courant de la possibilité d'acquérir une dérogation de ce type et de la procédure à suivre à cet effet.

En mai 2015, le KSL Enterprises étant associé à son entreprise depuis plus de 12 mois, le capitaine avait la possibilité d'acquérir un bateau auprès d'un autre propriétaire et de l'immatriculer auprès du MPO. Cette solution présente des inconvénients, comme un coût élevé et une période d'immatriculation minimale de 12 mois. Le capitaine n'a pas fait ce choix.

Location d'un bateau

Le titulaire d'un permis dans l'impossibilité d'utiliser son bateau principal pour des raisons indépendantes de sa volonté (mais pas en raison de l'entretien général; p. ex., un dysfonctionnement mécanique ou structurel ou la perte du bateau) est autorisé à louer un autre bateau de LHT admissible. Toutefois, le bateau loué doit être immatriculé auprès du MPO dans la région de Terre-Neuve-et-Labrador. Pour pouvoir louer un bateau, le titulaire du permis doit avoir exercé la pêche et avoir des débarquements vérifiés Note de bas de page 21 à son actif avec le bateau hors service pendant le mois précédant la demande de location. S'il fait la demande au début de la saison de pêche, il doit avoir exercé la pêche et avoir des débarquements vérifiés à son actif avec le bateau hors service pendant la saison précédente. La location dure au maximum 30 jours. Toute demande de prolongation doit être accompagnée des documents certifiés pertinents, par exemple, une attestation du mécanicien. Quant au pêcheur qui loue son bateau, il doit mettre tous ses permis de pêche en veille pour la durée de la location. Les pêcheurs peuvent s'informer sur les possibilités de location de bateau en consultant la brochure imprimée à cet effet ou en téléphonant au MPO.

Le capitaine avait la possibilité de louer un bateau, mais puisqu'il avait volontairement entrepris les réparations du KSL Enterprises, la location aurait requis une dérogation à la politique d'émission des permis délivrée par le MPO. Le capitaine n'a pas demandé de dérogation.

Entente d'exploitation en partenariat

L'exploitation en partenariat est une entente approuvée par le MPO entre 2 pêcheurs titulaires de permis d'une portée identique en matière d'espèce, de zone de pêche et de type d'engins. Elle est mise en œuvre par le bateau immatriculé par l'un ou l'autre des pêcheurs souscrivant à l'entente.

L'approbation de l'entente d'exploitation en partenariat dépend de la satisfaction de plusieurs conditions, comme suit :

Le capitaine avait déjà conclu des ententes d'exploitation en partenariat au cours d'années antérieures, mais pas pour la saison 2015. Pour obtenir des renseignements sur les ententes d'exploitation en partenariat, il faut téléphoner au MPO.

Dérogations à la politique

Le pêcheur qui n'est pas en mesure de se conformer à la politique d'émission des permis de pêche du secteur peut demander, par écrit, une dérogation au MPO — Région Terre-Neuve-et-Labrador en joignant les renseignements de référence, le motif et les documents connexes Note de bas de page 22. Cette demande est ensuite examinée en tenant compte des circonstances atténuantes et des autres possibilités éventuellement prévues en vertu de la politique d'émission des permis de pêche. Le MPO — Région Terre-Neuve-et-Labrador reçoit 50 à 80 demandes de dérogation écrites par an, qui sont en majeure partie approuvées. Le MPO n'informe pas nécessairement les pêcheurs sur les dérogations à la politique d'émission des permis.

Étant donné les circonstances qui prévalaient avant l'événement à l'étude, le capitaine avait l'option de demander une dérogation à la politique du MPO Note de bas de page 23 pour qu'il puisse utiliser le Samantha D. Patrick (c'est-à-dire le bateau de la deuxième entreprise et bâtiment principal de sa conjointe); louer un autre bateau pour un maximum de 30 jours; ou conclure une entente d'exploitation en partenariat avec un autre propriétaire de bateau. Le capitaine n'a pas officiellement demandé de dérogation à la politique d'émission des permis.

Enquête sur les questions de sécurité relatives à l'industrie de la pêche

En août 2009, le BST a entrepris une vaste enquête sur les questions de sécurité (SII) relatives aux bateaux de pêche au Canada. Le rapport Enquête sur les questions de sécurité relatives à l'industrie de la pêche au Canada a été publié en juin 2012. Cette SII a soulevé plusieurs questions de sécurité importantes qui méritent une attention particulière, à savoir : la stabilité, les engins de sauvetage, la gestion des ressources halieutiques, le coût de la sécurité, l'information sur la sécurité, les pratiques de travail sécuritaires, l'approche réglementaire de la sécurité, la fatigue, la formation et les données statistiques de l'industrie de la pêche. Elle cite 2 rapports du BST indiquant que la gestion des pêches a des répercussions directes et indirectes sur la sécurité de la pêche, et conclut que les pêcheurs sont mis en danger lorsque les mesures de gestion des ressources halieutiques ne tiennent pas compte de la sécurité à tous les niveaux : de la politique à la pratique. Il est également relevé que les engins de sauvetage Note de bas de page 24 qui sont conçus, transportés, installés, utilisés ou entretenus de manière inadéquate pour les activités de pêche mettent des vies en danger.

Recommandations en suspens

Radiobalises de localisation des sinistres

Il n'y avait aucun dispositif de communication de détresse à bord du bateau non ponté. Des enquêtes précédentes du BST Note de bas de page 25 ont démontré qu'une RLS peut contribuer à sauver des vies, car elle transmet automatiquement un signal de détresse dès qu'elle est immergée, ce qui permet de déclencher plus tôt l'intervention des ressources SAR.

En 2000, le BST a recommandé que :

Le ministère des Transports exige que les petits bateaux de pêche qui effectuent des voyages côtiers aient à leur bord une radiobalise de localisation des sinistres ou tout autre équipement approprié à dégagement hydrostatique qui se déclenche automatiquement, avertit le système de recherche et sauvetage, transmet périodiquement la position et est muni d'un dispositif de localisation directionnelle.
Recommandation M00-09 du BST

En mars 2014, TC répondait que le projet de nouveau Règlement sur la sécurité des bateaux de pêche renforcerait l'exigence de transporter une RLS aux bateaux de pêche de 12 m ou plus de longueur et navigant à moins de 25 nm du rivage. Les bateaux de pêche de moins de 12 m auraient le choix de transporter une RLS de 406 MHz au lieu d'un radeau ou d'une autre embarcation de sauvetage. Toutefois, en choisissant de transporter la RLS, le bateau aurait à transporter des combinaisons d'immersion ou des combinaisons de travail flottantes de protection quand la température de l'eau est inférieure à 15 °C. Les bateaux de pêche de toute longueur, mais qui naviguent en eaux abritées ou dans les eaux à moins de 2 ou de 5 NM (ce qu'il reste à déterminer) du rivage, auraient le même choix que les bateaux de moins de 12 m, soit de transporter une RLS ou un moyen efficace de communication bidirectionnelle.

Entre février 2010 et juin 2014, il y a eu plusieurs accidents Note de bas de page 26 mettant en cause des bateaux de pêche de moins de 12 m non équipés d'une RLS ou d'autre équipement approprié à dégagement hydrostatique qui se déclenche automatiquement, avertit le système de recherche et sauvetage, transmet périodiquement la position et est muni d'un dispositif de localisation directionnelle. Lors de ces événements, 16 membres d'équipage ont dû abandonner leur bateau et seulement 7 d'entre eux ont survécu.

Le projet de nouveau Règlement sur la sécurité des bateaux de pêche, publié le 6 février 2016 dans la Partie I de la Gazette du Canada, imposerait d'équiper certains bateaux de pêche d'une RLS, mais pas tous ceux visés par la recommandation M00-09 du BST. De plus, l'engin de sauvetage proposé n'est pas à dégagement hydrostatique, n'avertit pas automatiquement les autorités de recherche et sauvetage, et n'est pas muni d'un dispositif de localisation directionnelle comme le stipule la recommandation. Ni les mesures proposées dans le nouveau Règlement sur la sécurité des bateaux de pêche ni le retard de mise en œuvre dudit règlement ne sont satisfaisants pour réduire le risque cerné par la recommandation M00-09 du BST. Tant que le Règlement n'exigera pas que tous les bateaux de pêche aient à leur bord une RLS ou une autre forme d'équipement approprié à dégagement hydrostatique qui se déclenche automatiquement, avertit le système de recherche et sauvetage, transmet périodiquement la position et est muni d'un dispositif de localisation directionnelle, la réponse à cette recommandation sera considérée comme non satisfaisante.

Liste de surveillance du BST

Les pertes de vie à bord des bateaux de pêche figurent sur la Liste de surveillance 2014 du BST

La Liste de surveillance est une liste des enjeux qui posent les plus grands risques pour le système de transport du Canada. Le BST la publie afin de sensibiliser l'industrie et les organismes de réglementation aux problèmes qui nécessitent une intervention immédiate.

Comme le montre l'événement à l'étude, le nombre d'accidents entraînant des pertes de vie à bord de bateaux de pêche demeure trop élevé. Le Bureau reste préoccupé par des enjeux comme les modifications apportées aux bateaux et leur incidence sur la stabilité, l'utilisation et la disponibilité d'équipement et d'engins de sauvetage, la surveillance réglementaire et les répercussions des plans et pratiques de gestion des ressources halieutiques sur la sécurité générale des bateaux de pêche.

Il est noté, dans la Liste de surveillance, qu'une réglementation a certes été proposée pour corriger plusieurs des lacunes de sécurité, mais que la mise en œuvre de certaines de ces initiatives accuse d'importants retards.

En outre, une nouvelle réglementation est à elle seule insuffisante. Il faut que les autorités fédérales et provinciales ainsi que les dirigeants du milieu de la pêche prennent des mesures concertées et coordonnées pour améliorer la culture de sécurité dans les activités de pêche, et ce, en tenant compte de l'interaction entre les lacunes de sécurité.

Analyse

Événements qui ont conduit à la perte du bateau et aux décès

Comme le bateau non ponté a été perdu en mer et qu'il n'y a eu ni témoins ni survivants, l'enquête n'a pas permis de déterminer avec certitude les causes principales de l'événement.

Toutefois, plusieurs facteurs ont pu y contribuer. Aucun de ses quotas n'ayant été atteints avant le 12 juin 2015, le capitaine était confronté à une pression accrue d'intensifier la pêche. Comme son bateau principal était en réparation, il a décidé d'utiliser son bateau secondaire (le petit bateau non ponté), soit le seul immatriculé et facilement disponible en vertu de la politique du ministère des Pêches et des Océans (MPO). En effet, le Samantha D Patrick, l'autre bateau dont il était propriétaire, était immatriculé au nom de sa conjointe et réservé à la pêche du quota de crabes de cette dernière avec la restriction de 150 casiers.

Le bateau non ponté n'était pas prévu pour la pêche au crabe et n'avait d'ailleurs jamais été utilisé à cet effet. Poussé par les contraintes de temps, le capitaine l'a modifié pour la pêche au crabe pendant les 2 semaines qui ont précédé l'événement. Or, le poids des modifications a dû réduire le franc-bord du bateau, le rendant plus vulnérable à l'envahissement par l'eau et nuisant à sa stabilité. Ces modifications n'ont fait l'objet d'aucune évaluation, ni d'aucun essai quant à leurs répercussions sur la stabilité du bateau. De plus, le poids des membres de l'équipage, des appâts, de la glace et des captures du jour précédant ont dû aussi accentuer la réduction du franc-bord. La détérioration des conditions météorologiques et de l'état de la mer a augmenté le risque d'envahissement par l'eau dans le bateau chargé.

Aucune communication de détresse n'a été lancée, et l'intervention des équipes de recherche et sauvetage a été déclenchée seulement lorsque l'on a signalé le retard de plusieurs heures du bateau et de son équipage. Récupérés le jour suivant, les membres d'équipage ne portaient pas les vêtements de flottaison individuels (VFI) qui étaient à bord du bateau, ce qui a probablement contribué à réduire encore leurs chances de survie.

Politique de pêche commerciale dans la région de Terre-Neuve-et-Labrador

L'élaboration de la politique de pêche doit tenir compte de divers facteurs dont certains peuvent s'opposer : durabilité de la pêche, viabilité économique des entreprises vivant de la pêche et participation des intervenants. Il est donc utile de pouvoir déroger à la politique pour faire face à des circonstances particulières.

Au lieu d'utiliser le bateau plus petit et moins adapté, le capitaine disposait de 3 solutions de rechange qui auraient pu être mises en œuvre avant le voyage de pêche lié à l'événement. Premièrement, il aurait pu acquérir un bateau auprès d'un autre propriétaire et l'immatriculer auprès du MPO. Cela signifiait toutefois des coûts importants, une immatriculation pour un minimum de 12 mois et du temps possiblement perdu à chercher et immatriculer ce bateau.

Deuxièmement, il aurait pu conclure une entente d'exploitation en partenariat avec un autre propriétaire de bateau détenant seulement 1 quota de pêche au crabe dans la zone 10A, solution devant être approuvée par le MPO. Bien qu'il ait déjà conclu ce genre d'entente au cours d'années antérieures, le capitaine ne l'a pas fait pour la saison 2015. Aussi tardivement dans la saison, il n'aurait probablement pas trouvé un autre propriétaire de bateau détenant seulement 1 quota de pêche au crabe.

Troisièmement, le capitaine aurait pu officiellement demander une dérogation à la politique au MPO. On n'a pas pu déterminer pourquoi il ne l'avait pas fait ni si la dérogation aurait été approuvée. Il a été impossible d'établir si le capitaine était pleinement au courant de cette possibilité de dérogation et de la procédure à suivre à cet effet. Contrairement aux 2 autres solutions possibles, aucune information concernant cette dérogation n'était disponible sur le site Web du MPO ou n'était publiée dans une brochure. De fait, pour se renseigner sur cette possibilité, les pêcheurs doivent s'adresser directement au MPO.

Afin de mettre ses 150 casiers à l'eau pour pêcher son quota conformément à la politique du MPO avant la fin de la saison de pêche, le capitaine a choisi d'utiliser le bateau non ponté. Avec son franc-bord réduit à cause de sa petite taille et de la charge, le bateau n'était pas gréé adéquatement pour la pêche au crabe dans la zone où s'est déroulé l'événement.

Le MPO n'informe pas de façon proactive les pêcheurs sur la possibilité de demander une dérogation à la politique. Si cette information était accessible, cela pourrait encourager le recours à ces demandes de dérogation et améliorer ainsi la sécurité des activités de pêche. Autrement, il se peut que les pêcheurs ne cherchent pas d'information sur les possibilités à leur disposition et prennent des décisions fondées sur des renseignements erronés ou incomplets.

Si l'information concernant la politique d'émission des permis de pêche, comme les demandes de dérogation et leur approbation, n'est pas diffusée aux pêcheurs de façon proactive, il se peut que ces derniers ne sollicitent pas l'autorisation d'utiliser les moyens les plus sûrs pour exercer la pêche, ce qui augmente le risque de nuire à la sécurité des activités de pêche.

Petits bateaux de pêche

Les données des 25 dernières années sur les bateaux de pêche de Terre-Neuve-et-Labrador (provenant de l'examen effectué par la Garde côtière canadienne [GCC] sur les incidents mettant en cause des bateaux de moins de 19,8 m et de la base de données d'incidents signalés du Bureau de la sécurité des transports du Canada [BST]) ont montré que les bateaux de pêche commerciale de 7,6 m ou moins se caractérisaient par une proportion de décès plus élevée par incident signalé. Aucune tendance claire ne s'en est dégagée qui indiquerait une cause profonde Note de bas de page 27, mais les facteurs suivants pourraient y jouer un rôle : appareils de communication d'urgence et équipement de sauvetage.

Communication en cas d'urgence

Au cours de l'événement à l'étude, aucune communication de détresse n'a été lancée, et l'intervention des équipes de recherche et sauvetage a été déclenchée seulement lorsque l'on a signalé le retard de plusieurs heures du bateau et de son équipage. Dans les incidents mettant en cause des bateaux de pêche d'une longueur inférieure ou égale à 8,5 m, les appels de détresse sont rares, voire inexistants. À bord des petits bateaux de pêche, les situations d'urgence peuvent évoluer si rapidement que l'on a peu ou pas le temps de transmettre un appel de détresse verbalement ou manuellement. La première indication d'anomalie, c'est le signalement du retard du bateau par une personne à terre. En général, cela se passe des heures après le retour prévu du bateau au port, ce qui retarde d'autant les opérations de recherche et sauvetage (SAR) et réduit les chances de survie. Comme il n'est pas obligatoire que des bateaux de cette taille soient équipés de radiotéléphones très haute fréquence (VHF) avec appel sélectif numérique (ASN) ou de radiobalises de localisation des sinistres (RLS), il se peut qu'il n'y ait à bord aucun moyen de prévenir le personnel SAR dès qu'une situation d'urgence se déclare.

Il n'y avait ni radiotéléphone VHF ni RLS à bord du bateau non ponté. Bien qu'un téléphone cellulaire ait été trouvé dans un boîtier étanche rejeté sur le rivage à la suite de l'événement, le fait qu'il ait été à l'intérieur d'un boîtier indique que l'équipage n'a probablement pas eu l'occasion de l'utiliser lorsque la situation d'urgence s'est déclarée. En l'absence d'autre dispositif de communication de détresse, comme une RLS, l'intervention SAR n'a pas été déclenchée avant que le frère du capitaine ne signale le retard du bateau et de son équipage.

Récemment, 7 incidents mettant en cause des petits bateaux de pêche ont été signalés au BST, pour un total de 10 décès. Aucun de ces bateaux n'était équipé d'une RLS et aucun signal de détresse n'a été transmis.

Dans le cas des incidents signalés mettant en cause des bateaux de pêche à bord desquels l'équipage n'a pas pu lancer un appel de détresse, une RLS (automatique ou actionnée manuellement) aurait pu émettre un signal d'urgence pour alerter les ressources SAR et déclencher immédiatement leur intervention au lieu d'attendre le signalement du retard du bateau. Une RLS réduit énormément le temps que les personnes passent dans l'eau avant l'arrivée des secours.

Si les bateaux de pêche d'une longueur inférieure à 8 m ne sont pas dotés d'appareils de communication en mesure de transmettre un signal de détresse automatique, comme une RLS, l'intervention SAR peut être retardée, voire non lancée, ce qui augmente le risque de blessures ou de décès.

Équipement de sauvetage

Les bateaux de pêche de plus de 12,2 m doivent être dotés d'un bateau ou radeau de sauvetage dans lequel, s'il faut abandonner le bateau, tout l'équipage peut prendre place, ce qui lui assure une certaine protection en attendant les secours.

Quant aux bateaux de pêche de moins de 12,2 m, il n'est pas obligatoire de les doter d'un bateau ou radeau de sauvetage, ce qui serait sans doute matériellement impossible. En cas de naufrage, l'équipage n'aurait donc aucune protection contre les rigueurs de l'océan. Les combinaisons d'immersion offrent un niveau de protection similaire, mais ne sont pas obligatoires à bord des bateaux de moins de 24,4 m de longueur ou de 150 tonneaux de jauge brute. Elles pourraient trouver place à bord d'un petit bateau. Toutefois, les situations d'urgence peuvent évoluer si rapidement que l'équipage n'aurait pas le temps de les enfiler avant de quitter le bateau. Les embarcations de sauvetage et les combinaisons d'immersion augmentent la durée de récupération possible des personnes.

Il doit y avoir des gilets de sauvetage à bord, mais il n'est pas obligatoire de les porter. Le Bulletin de la sécurité des navires 06/2012 de TC stipule qu'il est possible de remplacer les gilets de sauvetage approuvés par des vêtements de flottaison individuels (VFI) à condition de porter ces derniers en tout temps lorsque le bateau est en route. Les membres d'équipage décédés ont été retrouvés sans VFI. Il est donc probable qu'ils ne les portaient pas à bord, malgré l'obligation de le faire à bord du bateau mis en cause dans l'événement.

Certes, la température de la mer aurait causé un choc thermique suivi possiblement d'une hypothermie en relativement peu de temps, mais les VFI auraient assuré la flottaison, car c'est ce à quoi ils servent lorsque les personnes se mettent à l'eau. Sans eux, les chances de survie et de sauvetage de l'équipage ont été réduites. Les VFI constituaient le seul équipement de sauvetage à bord du bateau mis en cause dans l'événement et l'équipage ne les portait pas, réduisant ainsi ses chances de survie et de sauvetage.

Différentes initiatives de promotion du port de VFI à l'échelle du Canada commencent à porter leurs fruits, et l'utilisation des VFI devient plus courante à Terre-Neuve-et-Labrador. Des associations pour la sécurité des pêcheurs, en collaboration avec plusieurs associations de pêcheurs et écoles de formation à la navigation du Canada, font activement la promotion du port de VFI au moyen de publicités, campagnes et visites promotionnelles régulières dans les ports. Malgré ces initiatives, un grand nombre de pêcheurs choisissent encore de ne pas porter de VFI en mer, ce qui constitue une importante préoccupation liée à la sécurité dans le milieu de la pêche canadien Note de bas de page 28.

Malgré les campagnes de sensibilisation de l'industrie et les exigences des pouvoirs de réglementation, si les pêcheurs ne revêtent pas de VFI ou de gilets de sauvetage lorsqu'ils travaillent sur le pont, le risque de noyade après une chute à la mer demeurera élevé.

Questions de sécurité dans l'industrie de la pêche

La SII répertorie les comportements dangereux sous 10 importantes questions de sécurité et explique la complexité de leurs relations et de leurs interdépendances. De plus, la SII analyse de façon plus poussée ces importantes questions de sécurité Note de bas de page 29. Dans le présent événement, au moins 3 de ces 10 questions de sécurité importantes étaient présentes. Les pratiques et procédures suivantes liées aux questions de sécurité importantes définies dans le rapport issu de la SII étaient évidentes dans le présent événement :

Engins de sauvetage
Faits établis dans le cadre de l'enquête sur les questions de sécurité Lien avec l'événement à l'étude
Les pêcheurs sont réticents à porter des VFI parce que bon nombre d'entre eux ont accepté le risque. Personne ne portait de VFI.
Pratiques de travail sécuritaires
Faits établis dans le cadre de l'enquête sur les questions de sécurité Lien avec l'événement à l'étude
Les pêcheurs ne mettent pas toujours l'accent sur le fait que la sécurité est l'élément important de l'instauration de pratiques de travail sécuritaires. Le port de VFI n'était pas une pratique courante au cours des activités de pêche.
Gestion des ressources halieutiques
Faits établis dans le cadre de l'enquête sur les questions de sécurité Lien avec l'événement à l'étude
Les pêcheurs sont exposés à des risques quand les mesures de gestion des ressources halieutiques ne prennent pas en compte la sécurité à toutes les étapes, de l'élaboration des politiques à la mise en pratique de celles‑ci. Il aurait été possible pour le propriétaire/capitaine de pêcher en toute sécurité grâce à une dérogation à la politique d'émission des permis de pêche du MPO, mais la procédure de demande de dérogation n'est pas annoncée par le MPO, et le propriétaire/capitaine n'a pas exploité cette possibilité.

Interdépendance des questions de sécurité

De nombreux facteurs intimement liés compromettent la sécurité des pêcheurs. Les questions de sécurité suivantes sont liées de manière complexe et ont contribué à l'événement :

Les tentatives entreprises par le passé pour résoudre ces problèmes de sécurité au cas par cas n'ont pas produit les résultats escomptés, c'est-à-dire un environnement plus sûr pour les pêcheurs. La SII souligne que, pour qu'une amélioration réelle et durable soit observée en matière de sécurité de la pêche, les changements ne doivent pas seulement porter sur un des enjeux de sécurité liés à un accident, mais plutôt sur l'ensemble de ces enjeux, ce qui met en lumière le fait qu'il existe une relation complexe et une interdépendance entre ces enjeux. L'élimination d'une seule source de danger peut prévenir un accident, mais ne réduit que légèrement les risques que posent les autres dangers. La sécurité des pêcheurs sera compromise tant que le milieu de la pêche ne reconnaîtra pas cette interdépendance et ces relations complexes et n'adoptera pas les mesures nécessaires.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Comme il n'y a eu ni témoins ni survivants, le Bureau de la sécurité des transports du Canada n'est pas en mesure de déterminer avec certitude les causes principales de l'événement.
  2. Parce qu'aucun de ses quotas n'avait été atteint avant le 12 juin 2015 et parce qu'il ne restait plus que quelques semaines à la saison de pêche, le capitaine était confronté à une pression accrue d'intensifier la pêche.
  3. Le capitaine a choisi d'utiliser son bâtiment secondaire, c'est-à-dire un bateau non ponté de 7,1 m, donc plus petit, qui n'avait jamais été utilisé pour la pêche au crabe, car son bateau principal était en réparation. Il n'avait pas le droit d'utiliser le Samantha D. Patrick, l'autre bateau dont il était propriétaire, car ce dernier était immatriculé au nom de sa conjointe et ne pouvait servir qu'à cette dernière pour pêcher le quota de 150 casiers de crabes.
  4. Étant donné les contraintes de temps, le capitaine a modifié le bateau secondaire pour la pêche. Ces modifications n'ont fait l'objet d'aucune évaluation ni d'aucun essai de stabilité.
  5. La charge accrue exercée sur le petit bâtiment en raison des modifications, le poids des membres de l'équipage, du matériel supplémentaire et de la cargaison, auraient réduit le franc-bord du bateau, le rendant plus difficile à manœuvrer dans les conditions météorologiques et l'état de la mer en vigueur le jour de l'événement.
  6. Aucune communication de détresse n'a été lancée, et l'intervention des équipes de recherche et sauvetage a été déclenchée seulement lorsque l'on a signalé le retard de plusieurs heures du bateau et de son équipage.
  7. Le bateau n'a jamais été retrouvé, et les membres d'équipage décédés ont été récupérés le jour suivant. Bien qu'il y ait eu des vêtements de flottaison individuels à bord, aucun n'en portait.

Faits établis quant aux risques

  1. Si l'information concernant la politique d'émission des permis de pêche, comme les demandes de dérogation et leur approbation, n'est pas diffusée aux pêcheurs de façon proactive, il se peut que ces derniers ne sollicitent pas l'autorisation d'utiliser les moyens les plus sûrs pour exercer la pêche, ce qui augmente le risque de nuire à la sécurité des activités de pêche.
  2. Si les bateaux de pêche d'une longueur inférieure à 8 mètres ne sont pas dotés d'appareils de communication en mesure de transmettre un signal de détresse automatique, comme une radiobalise de localisation des sinistres , l'intervention de recherche et sauvetage peut être retardée, voire non lancée, ce qui augmente le risque de blessures ou de décès.
  3. Malgré les campagnes de sensibilisation de l'industrie et les exigences des pouvoirs de réglementation, si les pêcheurs ne revêtent pas de vêtements de flottaison individuels ou de gilets de sauvetage lorsqu'ils travaillent sur le pont, le risque de noyade après une chute à la mer demeurera élevé.
  4. La sécurité des pêcheurs sera compromise tant que le milieu de la pêche ne reconnaîtra pas l'interdépendance et les relations complexes des enjeux de sécurité et n'adoptera pas les mesures nécessaires.

Autres faits établis

  1. Le matériel de communication à bord se réduisait à un téléphone cellulaire que l'on a retrouvé dans un boîtier étanche rejeté sur le rivage, ce qui suggère que l'équipage n'a pas eu l'occasion de l'utiliser.
  2. Les bateaux de pêche de moins de 7,6 mètres, comme le bâtiment en cause dans l'événement, se caractérisent par un taux de décès supérieur à celui des bateaux de plus de 7,6 mètres dans les incidents signalés.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 27 juillet 2016. Le rapport a été officiellement publié le 2 août 2016.

Clarification

La mention « immatriculés à Terre-Neuve-et-Labrador » a été ajoutée dans la légende des tableaux 2 et 3 et dans le paragraphe qui précède le tableaux 3 afin de clarifier la portée régionale des données statistiques qui figurent dans ces tableaux.

La version corrigée du rapport a été publiée

Annexes

Annexe A – Région où s'est produit l'événement

Annexe B — Pile de 25 casiers à crabes des neiges