Rapport d'enquête maritime M98L0097

Échouement
vraquier Federal Fraser
Lévis (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 2 août 1998, le vraquier panaméen Federal Fraser faisait escale au port de Québec pour décharger des plaques d'acier au chantier maritime. Alors qu'il amorçait son approche finale vers le quai Murphy sous la conduite d'un pilote de port, le navire, qui était assisté d'un remorqueur, s'est échoué sur un haut-fond de sable au sud-est de sa route pendant la pleine mer.

    Renseignements de base

    Fiche technique du navire

    Nom « FEDERAL FRASER »
    Numéro officiel 25571-98
    Port d'immatriculation Panama
    Pavillon Panama
    Type Vraquier
    Jauge bruteNote de bas de page 1 22388
    Longueur 222,54 m
    Tirant d'eau Av. : 7,60 m Ar. : 7,50 m
    Cargaison 22 941 tonnes métriques de pièces d'acier
    Construction 1983 B Glasgow (Écosse)
    Groupe propulseur Un moteur diesel Sulzer, 4RLB76, de 8 003 kW
    Membres d'équipage 22
    Propriétaire Prominent Star, à Hong Kong

    Le Federal Fraser est un vraquier dont la passerelle, les emménagements et la salle des machines se trouvent derrière les sept cales à cargaison. Avec un port en lourd de 35 315 tonnes, ce long-courrier a un gabarit limité de navigation pour la Voie maritime du Saint-Laurent. Il est équipé d'un propulseur d'étrave pour faciliter l'accostage et l'appareillage.

    Déroulement du voyage

    Le 1er août 1998 vers 22 h 42Note de bas de page 2, le Federal Fraser jette l'ancre au poste de mouillage « D » du port de Québec en vue de décharger 1 135 plaques d'acier au quai Murphy du chantier maritime à Lévis. L'Administration portuaire de Québec identifie ce quai comme étant le poste d'amarrage no 73.

    Le 2 août vers 1 h 30, le navire lève l'ancre. Sur la passerelle on retrouve le capitaine, l'officier de quart, un timonier et un pilote de port qui assure la conduite du navire par observation visuelle. À 1 h 42, le pilote informe les Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) que le navire appareille du poste de mouillage « D » pour s'approcher de l'entrée du chantier. À 1 h 46, le remorqueur Ocean Bravo est amarré de l'avant, à l'avant des emménagements sur le côté tribord. Le temps est clair et il n'y a aucun trafic dans le secteur.

    Le navire est gouverné vers la darse en complétant un virage dans la voie de navigation du fleuve Saint-Laurent. Dans les atterrages du chantier maritime, on met le cap au nord du môle du quai no 75 puis, quand la façade du quai est visible, le pilote ordonne au timonier de gouverner sur un cap au 225°G. En dérivant vers le sud-est, le pilote aligne le navire avec une tour jaune au fond de la darse et avec la tour radar des SCTM à Lévis. La manoeuvre d'approche se fait à une vitesse approximative de un noeud. Le second capitaine sur le gaillard d'avant informe le capitaine que la proue du navire se trouve à environ 40 m de l'entrée de la darse. Un peu plus tard, il signale que la proue se trouve à environ 30 m.

    Vers 2 h, le personnel du chantier chargé de l'amarrage du navire observe que le navire est immobilisé à environ 75 m au large du quai Murphy.

    À 2 h 2, la machine principale est stoppée puis on augmente l'allure à en arrière toute et à en arrière demie. À 2 h 15, le pilote constate que le navire s'est échoué et à 2 h 18, on stoppe la machine principale. À 2 h 25, le pilote utilise son téléphone cellulaire pour s'informer du niveau d'eau. Le régulateur du trafic maritime des SCTM l'informe que le traceur du marégraphe indique un niveau d'eau de 3,98 m. On fait un changement d'allure d'en arrière toute à en avant toute, mais le navire évite doucement sur lui-même. Quand l'allure est augmentée de nouveau à en avant toute à 3 h 10 et que le navire demeure immobile, le personnel navigant conclut que le navire est échoué. Le radar indique une distance de 0,15 mille nautique du môle du quai Murphy.

    À 3 h 12, le remorqueur Ocean Bravo va pousser contre la muraille bâbord du navire dans l'espoir de renflouer le navire. Une vérification des compartiments ne révèle aucune voie d'eau. À 4 h 5, avec l'assistance du remorqueur, le Federal Fraser évite sur tribord puis se renfloue. On décide alors de retourner au mouillage. À 4 h 45, le pilote informe le Centre des SCTM que le navire est de retour au poste de mouillage « D ».

    Lors d'une seconde tentative le 4 août, le Federal Fraser est accosté au quai Murphy sans autre incident. Cette fois-ci, l'approche de la darse se fait en longeant le môle du poste d'amarrage no 75 pendant la pleine mer avec l'assistance de deux remorqueurs.

    Avaries au navire

    Le sondage des compartiments effectué après l'événement n'a révélé aucune voie d'eau. Le 5 août, alors que le navire était amarré au quai Murphy, une inspection sous-marine a été effectuée le long du bordé de fond bâbord. L'inspection a révélé la présence d'éraflures sur la virure de bouchains et la virure de bordé de fond adjacente entre les couples no 213 et no 225 sous la cale no 2. À la hauteur de la cloison transversale séparant les cales no 2 et no 3, on a observé une deuxième concentration d'éraflures sur les virures de bouchain et de fond entre les couples no 186 et no 196. D'après les plans d'inspection sous-marine, ces avaries se situent entre 30 m et 75 m environ de la proue du navire.

    Les conditions météorologiques et les courants

    Le 2 août 1998, on a consigné dans le journal de la passerelle du Federal Fraser les conditions météorologiques suivantes : vent léger, ciel partiellement couvert et température de 16°C.

    Selon l'Atlas des courants de marée du ministère des Pêches et des Océans (MPO), lors de la pleine mer, le vecteur courant au large du quai Murphy indiquait une intensité de 1,12 noeud et une direction estimée de 280° vrai (V). Cependant, après l'étale, le courant se renverse et porte par la suite vers le secteur est.

    Selon les Tables de marées et courants du Canada du MPO, le 2 août 1998, la première prédiction de pleine mer était de 4,1 m à 2 h HAE. Le marégraphe a enregistré une pleine mer à approximativement la même heure mais à une hauteur de 3.9 m.

    Cartes marines et relevés bathymétriques

    Le pilote avait consulté la carte marine no 1316 à son domicile.Note de bas de page 3 Les pilotes sont responsables de la mise à jour de leurs cartes marines. Au meilleur de la connaissance du pilote, la carte marine qu'il utilisait était à jour.

    Toute administration locale, compagnie ou particulier voulant effectuer des travaux dans les eaux navigables du Canada doit en faire la demande à la Division de la Protection des eaux navigables (DPEN) du MPO. Toutefois, si un sondage est effectué et qu'aucuns travaux de construction, de déversement ou d'excavation ne sont faits, la personne ou le promoteur responsable qui exécute le relevé n'est pas tenu de communiquer les résultats à la DPEN. La DPEN a une entente avec le SHC pour l'échange des données.

    En 1992, le chantier maritime avait reçu un permis d'excavation de matériaux de la Direction des Voies navigables de Transports Canada (maintenant la DPEN du MPO). Une copie du relevé intitulé Ent. Normand Juneau inc., no 92-004, en date du 5 juillet 1992 avait été transmise au SHC.

    En 1996, le chantier maritime a fait un sondage privé de la darse et de ses atterrages pour évaluer la profondeur d'eau disponible pour l'accostage de plates-formes de forage. Le relevé bathymétrique intitulé BPR, no AO-E03-9600-X-001 en date du 25 juin 1996 avait été produit et distribué aux directions concernées du chantier maritime, mais aucuns travaux d'excavation n'avaient été effectués. Ainsi, aucune copie du relevé n'a été acheminée à la DPEN ni, par le fait même, au SHC. Le chantier maritime n'a pas acheminé directement au SHC une copie du relevé.

    Il existe également une entente entre le SHC et les administration portuaires. Si un ouvrage est effectué dans les limites du port où une administration portuaire a juridiction, l'administration informe directement le SHC de tout changement bathymétrique. Cependant, cette entente ne s'applique pas au secteur privé d'un port. En l'occurrence, le chantier maritime se situe dans un secteur privé du port de Québec et aucune procédure n'obligeait la direction du chantier à transmettre ses nouveaux relevés bathymétriques à la Société du port de Québec.Note de bas de page 4 En conséquence, le relevé bathymétrique de 1996 n'a pas été acheminé à la capitainerie.

    Au moment de l'événement, le chantier avait deux relevés bathymétriques qui montraient le relief du fond marin près du chantier maritime, mais la Société du port de Québec et la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent ne connaissaient l'existence que du relevé bathymétrique de 1992. D'ailleurs, avant son affectation, le pilote avait consulté une copie de ce relevé mais il ne connaissait pas l'existence du relevé de 1996.

    Lorsqu'il reçoit un relevé bathymétrique produit par le secteur privé, le SHC vérifie les paramètres qui ont été utilisés pour produire le document : zéro des sondes, référence, etc. Si le relevé n'a pas été fait en vertu des critères du SHC, le processus de vérification se complique. Le secteur privé n'est pas tenu d'adhérer à un programme de contrôle de la qualité du SHC pour le sondage et la production des relevés bathymétriques.

    La profondeur qui figure sur les cartes marines est maintenue par l'entremise de sondage et de dragage des voies navigables. La fréquence de ces ouvrages est déterminée par l'évaluation historique des besoins et les demandes spéciales. Il n'était pas prévu de faire un sondage au chantier maritime en 1998, mais par suite de l'échouement, le SHC a effectué en septembre 1998 un sondage des atterrages du chantier maritime. En novembre 1998, le SHC a produit le relevé bathymétrique intitulé Quai de MIL Davie Lauzon, no 321/1018.

    Profondeur d'eau disponible

    La carte no 1316 démontre l'existence d'un haut-fond en bordure est de la darse. L'examen des relevés bathymétriques de 1992 et de 1996 révèle que la superficie du haut-fond s'étend vers l'ouest. L'avis aux navigateurs 127/98 indique qu'en juillet 1997, une crête située à 3,2 m au-dessous du zéro des cartes a été découverte dans la partie ouest de ce haut-fond. De plus, le sondage de 1998 a permis de déceler la présence d'une nouvelle crête située à 3,8 m au-dessous du zéro des cartes, à l'ouest du haut-fond. Cette crête d'une superficie d'environ 200 m² se situe au nord de la crête située à 3,2 m au-dessous du zéro des cartes et de l'isobathe de 5 m et se trouve à environ 75 m au nord-nord-est du môle du quai Murphy. La carte marine no 1316 du SHC ne fait pas l'objet d'un avis d'ensablement.

    Le 2 août 1998 vers 2 h, le traceur du marégraphe de Québec indiquait un niveau d'eau de 3,9 m au-dessus du zéro des cartes. Le graphique du marégraphe démontre que l'heure et la hauteur de la pleine mer observée correspondaient aux prévisions, c'est-à-dire à 4.1 m. Le pilote a indiqué que la mer avait baissé plus vite que prévu après la pleine mer, ce que le graphique du marégraphe confirme. Au moment du renflouement vers 4 h, le niveau d'eau avait descendu à 3,05 m.

    Avec un tirant d'eau maximal de 7,6 m et un niveau d'eau variant de 4,1 m à 3,05 m, le Federal Fraser risquait de talonner tout haut-fond situé à 3,5 m au-dessous du zéro des cartes. La carte no 1316 démontre qu'il existe une profondeur supérieure à 3,7 m entre la voie navigable du fleuve et l'approche directe au quai Murphy. Selon le journal d'allure en manoeuvre du navire, à 2 h 40, la profondeur d'eau était de 6,3 m, alors qu'à 3 h 17, elle était de 3,8 m.

    Aides à la navigation

    Les navigateurs, y compris les pilotes, utilisent la topographie terrestre pour assurer la conduite des navires par observation visuelle. Parmi les objets portés sur la carte par le SHC, on retrouve les entités naturelles, les entités artificielles et les amers. Les amers sur les cartes marines sont répertoriées par le SHC et les cartographes établissent les choix cartographiques.

    Pour se centrer au milieu de la darse, le pilote a utilisé comme alignement, en arrière-plan, la tour radar des SCTM et, en avant-plan, la tour jaune du poste d'amarrage no 74. Puisque le SHC ne possède pas la liste des amers utilisés par les pilotes, certains repères utiles aux pilotes ne figurent pas sur les cartes marines. Au moment de l'événement, le SHC n'avait pas reçu de demande pour porter la tour jaune sur la carte no 1316.

    La structure jaune était utilisée pour supporter les câbles de transport d'énergie de la cale sèche flottante Général Georges P. Vanier. Cette tour d'une hauteur de 7,17 m est située à 67,3 m du poste d'amarrage no 73 et à 36 m du poste d'amarrage no 75. Or, un repère proéminent, la cale sèche flottante, figurait toujours sur la carte même si elle n'était plus au chantier maritime. Aucun gens de mer n'en avait ainsi informé le SHC de ce changement.

    Il y a un groupe de tours de radiocommunication à l'ouest du fort no 1 de la Pointe-de-Lévy que les navigateurs utilisent comme amers. Le pilote a utilisé une de ces tours par le travers pour déceler le mouvement du navire. Il a observé, en avant-plan, les grues du chantier maritime et, en arrière-plan, la tour VHF de 76,2 m qui était illuminée.

    Ces tours sont répertoriées par le SHC, mais au fil des ans, le nombre des tours et leur emplacement ont été modifiés. La GCC a fait l'arpentage des nouvelles installations par suite des modifications, mais l'information n'a pas été transmise au SHC. La Direction des Services techniques du MPO n'effectuait qu'une vérification du rendement radioélectrique des tours de radiocommunication. Au moment de l'événement, la précision de la position des tours sur les cartes marines ne faisait pas l'objet d'une vérification aussi précise que certains amers réputés utilisés par les navigateurs.

    Participation du personnel navigant

    Avant d'appareiller du poste de mouillage « D », le pilote a informé le personnel navigant de la route qu'il avait l'intention de suivre et de la manoeuvre d'accostage subséquente qu'il voulait entreprendre.

    A 2 h 20, on a consigné dans le journal de la passerelle que le navire attendait que la marée soit favorable pour entrer dans la darse. D'autres données ont été consignées dans le journal d'allure en manoeuvre concernant des changements d'allure mais ce n'est qu'à 3 h 10 qu'on a consigné que le navire s'était immobilisé.

    Assistance de remorqueurs

    Le nombre de remorqueurs utilisés pour l'approche et l'accostage au quai Murphy a été laissé à la discrétion du capitaine et de l'agent maritime. Comme le navire était muni d'un propulseur d'étrave, les parties se sont entendues pour utiliser un remorqueur.

    Manoeuvre d'approche

    Le pilote a assuré la conduite du navire par observation visuelle en utilisant des amers qu'il connaissait bien. Durant l'approche, on a réduit le pas de l'hélice à 1,5Note de bas de page 5 afin de casser l'erre du navire. Pour étaler le courant et dériver vers le sud-est, le pilote a actionné le propulseur d'étrave et a ordonné au remorqueur de pousser contre la muraille tribord arrière. Le pilote estime avoir suivi une route au sud des sondes de 7,6 m et de 5,9 m qui se trouvent à l'entrée de la darse. L'équipage a observé une dérive latérale minime dans la dernière phase de l'approche.

    Signalement de l'échouement

    Avant le renflouement du navire, ni le pilote ni le personnel navigant n'ont signalé l'échouement aux SCTM. Le pilote avait accès aux radiotéléphones VHF sur le navire et à son radiotéléphone portatif , mais il n'a utilisé que son téléphone cellulaire pour s'informer du niveau d'eau auprès des SCTM. De retour au poste de mouillage « D », le pilote a utilisé un radiotéléphone VHF pour communiquer sa position aux SCTM. La conversation n'a porté que sur la prochaine tentative d'accostage au chantier maritime. Ce n'est qu'en demandant par téléphone cellulaire les services d'un bateau-pilote que le pilote a confirmé au préposé du Bureau d'affectation des pilotes que le Federal Fraser s'était échoué.

    Le régulateur du Centre des SCTM assurait une veille radio téléphonique VHF ainsi qu'une veille radar et visuelle, mais il ne s'est pas rendu compte que le navire était resté immobile environ deux heures. En matinée, la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent a confirmé l'événement, et le Bureau d'affectation des pilotes a informé le surveillant du Centre des SCTM. Vers 10 h 10, un régulateur a téléphoné à l'équipage à l'aide du radiotéléphone pour obtenir des renseignements concernant les avaries au navire et vérifier si l'accident avait fait de la pollution.

    Analyse

    Cartes marines et relevés bathymétriques

    Photo 1. Isobath approximatif de 5 m de 1992, 1996 et 1998
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    Isobath approximatif de 5 m de 1992, 1996 et 1998

    L'analyse comparative des relevés bathymétriques de 1992, 1996 et de celui de 1998 effectué après l'événement a permis de constater qu'au fil des ans la bordure du haut-fond à l'entrée de la darse du chantier maritime s'était prolongée vers l'ouest due à l'ensablement (voir Figure 1). Selon le bon usage maritime, le personnel navigant et le pilote ont choisi d'utiliser la carte marine ayant la plus grande échelle comme document de référence. Cependant, cette carte ne fait pas l'objet d'avis de mise en garde concernant l'ensablement au large du chantier maritime.

    Les relevés bathymétriques fournissent plus de détails sur les profondeurs que les cartes marines, mais ils ne sont généralement pas utilisés pour la navigation. Ces relevés sont destinés à ceux qui assurent le contrôle de la profondeur des eaux navigables. D'ailleurs, on retrouve un avis à cet effet sur la plupart de ces documents. Le pilote a cependant tenu compte du relevé de 1992 lors de sa manoeuvre. Comme le chantier maritime n'avait pas acheminé le relevé de 1996 au SHC, ni le pilote ni le SHC n'en avaient pris connaissance. Il semble qu'il n'existe pas de norme régissant l'acheminement des relevés bathymétriques effectués par le secteur privé quand aucuns travaux de construction, de déversement ou d'excavation ne sont exécutés.

    La précision des relevés bathymétriques dépend de plusieurs paramètres qui contrôlent la qualité du sondage et du relevé. Quand le fond marin est continuellement sujet à l'ensablement, les relevés ne reflètent le vrai fond marin qu'en date du sondage. Ni le relevé bathymétrique de 1992 ni celui de 1996 ne démontraient la présence de la crête située à 3,8 m au-dessous du zéro des cartes. Étant donné qu'aucune carte marine ni relevé bathymétrique disponible n'indiquait la présence de cette crête, le personnel navigant et le pilote n'étaient pas en mesure d'apprécier avec exactitude la profondeur sous quille du navire dans les atterrages du chantier maritime.

    Choix des aides à la navigation

    Comme le temps était clair, la conduite du navire s'est faite par observation visuelle. Le pilote a choisi comme repères visuels la tour radar des SCTM et la tour jaune au fond de la darse. Comme le SHC n'avait pas reçu d'avis des pilotes comme quoi la tour jaune était utilisée comme amer, elle n'était pas répertoriée et ne figurait pas sur la carte marine. De plus, elle ne se trouve pas au centre du poste d'amarrage no 74 mais plutôt au nord-ouest de cette position. Ainsi, l'alignement qu'elle forme avec la tour des SCTM se prolonge au nord-ouest du centre de l'entrée de la darse dans les atterrages. L'examen des alignements montre qu'à 200 m de l'entrée de la darse, l'erreur latérale est d'une quinzaine de mètres. En conséquence, un navigateur ne peut avoir qu'un aperçu de la trajectoire d'approche.

    Pour évaluer l'erre du navire, le pilote a utilisé les tours de radiocommunication au droit du fort no 1 de la Pointe-de-Lévy. Bien que ces repères transversaux aient contribué dans une moindre mesure à déterminer la position du navire, il n'en demeure pas moins que leur emplacement et leur nombre ne correspondent pas aux données qui figurent sur la carte no 1316. Les discussions avec la Direction des Services techniques du MPO ont permis de constater qu'il n'existait pas de mécanisme pour aviser le SHC de tout changement physique concernant ces installations radioélectriques. Le changement d'emplacement des tours n'a pas contribué à l'échouement, mais dans une autre situation, cela pourrait compromettre la sécurité.

    Le SHC s'efforce de présenter l'information utile aux navigateurs. Certains amers figurant sur les cartes marines sont plus utiles que d'autres. Les repères ne sont pas tous portés sur les cartes avec la même précision. Au moment de l'événement, les mécanismes d'échange d'information avec les navigateurs, dont les pilotes, ne semblaient pas donner les résultats escomptés. Même s'il n'y a pas de normes régissant le choix cartographique, l'industrie maritime pourrait, grâce à sa participation, faire connaître ses exigences et améliorer le contrôle de la qualité.

    Manoeuvre d'approche

    La méthode utilisée lors de la manoeuvre d'approche du Murphy peut varier d'un pilote à l'autre. Le pilote de service a choisi une manoeuvre qu'il avait déjà utilisée espérant ainsi minimiser les imprévus et augmenter la sécurité. Il prévoyait s'approcher du môle du poste d'amarrage no 75, dériver transversalement vers le centre de l'entrée de la darse, puis dériver de nouveau transversalement vers le quai Murphy.

    Rien ne laisse croire que la dérive produite par le propulseur d'étrave du navire et le remorqueur n'a pas été effectuée sous contrôle. Avant de s'échouer, le navire avait une faible erre avant en plus d'une dérive transversale vers le secteur sud. Vers 02h15,le pilote a constaté que le navire était immobile; il a dû conclure que le navire avait talonné le fond marin.

    Photo 2. Position approximative du navire de la crête situé à 3,8 m au-dessous du zéro des cartes.
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    Position approximative du navire de la crête situé à 3,8 m au-dessous du zéro des cartes.

    L'inspection sous-marine a démontré que les avaries se limitaient au bordé de fond et plus particulièrement au droit de la virure de bouchains bâbord. Ces avaries permettent de conclure que le navire se déplaçait transversalement quand il a heurté un obstacle sur le côté bâbord. La crête qui se trouvait à 3,8 m au-dessous du zéro des cartes était le seul obstacle au nord-ouest de l'isobathe de 5 m et au sud-est de la route du navire (voir Figure 2).

    Vu que le niveau d'eau variait de 4,1 m à 3 m pendant l'échouement, c'est probablement cette crête que le Federal Fraser a heurtée. Il est permis de croire que la profondeur d'eau au-dessus de la crête était égale ou inférieure à 3,5 m avant le talonnage et qu'elle a augmenté à 3,8 m après le contact avec le navire.

    Selon la distance mesurée au radar, 0,15 mille nautique (278 m), et une distance estimée de 200 m entre la proue et l'antenne radar, la proue du navire se serait rapprochée à 78 m du môle du quai Murphy. Un examen a permis d'établir que la crête se trouvait à environ 75 m du quai Murphy. Le contact de l'étrave avec le haut-fond aurait été suffisant pour casser l'erre et stopper le navire. Les renseignements obtenus du navire et les observations des employés du chantier confirment que le navire s'est immobilisé vers 2 h à cette distance du quai.

    Les changements subséquents d'allure en manoeuvre ont contribué à faire avancer davantage le navire sur la crête. Pendant que le niveau d'eau baissait, le poids de la coque sur la crête aurait fait des éraflures sur le bordé. Les éraflures entre 30 m et 75 m de la proue confirment les distances de 30 m et 40 m signalées par le second capitaine.

    Le lieu approximatif de l'échouement au droit de la crête située à 3,8 m au-dessous du zéro des cartes démontre que le navire a dérivé au sud-est de l'alignement que fait la tour radar avec la tour jaune et qu'il était aligné à peu près au centre de la darse, conformément à l'information recueillie. Le personnel navigant n'a pas utilisé un des radars pour naviguer par repères parallèles. Un plan de voyage utilisant cette technique radar permet aux navigateurs d'assurer une marge de sécurité et d'être au courant de la position du navire sans être dans l'obligation de porter le point sur une carte marine. Si la tour jaune avait figuré sur la carte marine, l'alignement de la tour jaune avec la tour radar aurait pu être représenté sur l'écran radar, ce qui aurait permis de naviguer par repères parallèles. En suivant cet alignement, le navire aurait pu entrer dans la darse en évitant la crête située à 3,8 m au-dessous du zéro des cartes. En l'absence de cette tour jaune, les navigateurs auraient pu utiliser le môle du quai Murphy.

    Gestion des ressources à la passerelle

    L'équipage qui navigue en eaux étrangères a généralement peu de connaissances locales. Il en résulte que le personnel navigant a tendance à s'en remettre entièrement au pilote pour assurer la conduite du navire. En ne jouant pas un rôle actif lors de la manoeuvre, le personnel navigant n'était pas en mesure de réaliser plus tôt que le navire s'était immobilisé. Le navire n'a pas subi de voies d'eau, mais les mesures pour établir le constat d'avaries ont été retardées.

    Bien qu'avant d'appareiller le pilote a discuté d'un plan de passage qu'il avait l'intention d'exécuter, le cas à l'étude démontre que le personnel navigant et le pilote ne travaillaient pas en étroite collaboration au moment de l'échouement. L'échange d'information entre les membres de la passerelle doit être continu pour faire une approche en toute sécurité.

    Signalement d'un événement maritime

    Il est important d'aviser le Centre des SCTM dans les plus brefs délais après un accident maritime. Le Centre est le point de contact des organismes responsables pour le déclenchement des mesures d'urgence. Le MPO, Transports Canada et d'autres ministères sont chargés, entre autres, d'assurer la protection de l'environnement et de vérifier l'état de navigabilité des navires.

    Pour assurer la sécurité de la navigation après un événement, le Règlement sur les pratiques et les règles de radiotéléphonie en VHF stipule les mesures de sécurité que les navigateurs doivent prendre pour informer les SCTM et les autres navigateurs qui évoluent dans le secteur. Des radiotéléphones étaient disponibles et opérationnels mais le personnel navigant et le pilote ne les ont pas utilisés pour faire un appel relatif à la sécurité. Le fait que l'échouement n'a pas été signalé au Centre des SCTM a retardé le déclenchement des mesures d'urgence à terre et des mesures en cas d'avaries à bord. De plus, les autres navigateurs qui transitaient dans les parages ont été privés d'information pouvant concerner la navigation de leur navire.

    Le Federal Fraser était visible à partir du Centre des SCTM et il apparaissait sur l'écran radar. Malgré cela, le retour du navire au poste de mouillage après la tentative avortée n'a pas piqué la curiosité du régulateur de trafic maritime. Après avoir pris connaissance de l'événement, on n'a pas vérifié tous les renseignements pertinents tel qu'il est indiqué dans le manuel d'exploitation des SCTM. L'événement ne nécessitait pas les services de tous les organismes responsables, mais le fait de ne pas prendre connaissance immédiatement de tous les renseignements pertinents risque de retarder le déclenchement des mesures d'urgence appropriées.

    Le cas à l'étude démontre que le pilote et le personnel navigant n'étaient pas sensibilisés au rôle que doivent jouer certains ministères et donc concernant la nécessité de signaler l'événement maritime aux SCTM.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Une bonne gestion des ressources sur la passerelle (GRP) n'a pas été assurée entre le personnel navigant et le pilote (l'entière collaboration des deux parties est nécessaire pour une approche en toute sécurité). Il y a eu une interruption de communication entre le personnel navigant et le pilote et on n'a pas utilisé de méthode pour déterminer la position du navire (comme la technique de navigation par repères parallèles).
    2. Durant l'approche vers le quai Murphy, le pilote a utilisé un repère terrestre non cartographié comme balise d'alignement. Ce repère ne pouvait être porté sur la carte no 1316 du SHC. Ce choix a accru la marge d'erreur de navigation.
    3. Ni le personnel navigant ni le pilote n'avaient accès au relevé bathymétrique effectué par le secteur privé en 1996, relevé qui confirmait la présence d'ensablement. La crête située à 3,8 m au-dessous du zéro des cartes et sur laquelle le navire s'est échoué a été détectée lors du sondage effectué après l'événement.

    Faits établis quant aux risques

    1. Puisqu'aucuns travaux de construction, de déversement ou d'excavation n'ont été effectués à la suite du relevé bathymétrique de 1996, la personne ou le promoteur responsable n'était pas tenu de communiquer les résultats à la Division de la Protection des eaux navigables (DPEN). Ces résultats n'étaient pas disponibles aux navigateurs.
    2. Le relevé bathymétrique de 1996 avait été fait pour des fins d'exploitation. Puisque le chantier maritime se situe dans un secteur privé du port il n'était pas tenu de signaler des changements à l'administration portuaire.
    3. Au moment de l'accident, les mécanismes d'échange de renseignements entre le SHC et les navigateurs, dont les pilotes, n'étaient pas bien connus. Le SHC n'avait pas été informé de tous les amers utilisés par les pilotes; il ne pouvait donc pas établir un ordre de priorité des amers à porter sur la carte pour faciliter le passage des navires dans les eaux restreintes.

    Autres faits établis

    1. Dans les instants qui ont suivi l'échouement du navire, ni le personnel navigant ni le pilote n'ont utilisé un radiotéléphone maritime pour faire un appel relatif à la sécurité ou pour signaler l'accident aux SCTM. Le fait de ne pas avoir informé les organismes responsables a retardé le déclenchement des mesures d'urgence visant à protéger l'environnement.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    À la suite de l'échouement, la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent a demandé au MPO d'effectuer un sondage bathymétrique des atterrages du chantier maritime. Le 18 septembre 1998, la GCC a effectué un sondage, et le 30 novembre 1998, le SHC a produit le relevé bathymétrique Quai de MIL Davie Lauzon, no 321/1018.

    Après avoir constaté que le nombre et l'emplacement des tours de radiocommunication situées à l'ouest du fort no 1 de la Pointe-de-Lévy avaient changé, la Direction des Services techniques du MPO, Région Laurentienne, a adopté une politique visant à acheminer au SHC toutes les modifications relatives aux installations immobilières du ministère.

    En 1999, le chantier a accordé un contrat pour faire un relevé bathymétrique complet des atterrages du chantier maritime. Selon la Division de la Protection des eaux navigables de la Direction des Programmes maritimes du ministère des Pêches et des Océans, aucun dragage n'a été fait dans le secteur où le navire s'est échoué.

    En décembre 1999, le BST a envoyé deux lettres d'information sur la sécurité maritime faisant état des lacunes relevées lors de l'enquête. La lettre d'information no 03/1999 traite du fait que l'échouement du Federal Fraser n'a pas été signalé et qu'un radiotéléphone VHF n'a pas été utilisé. La lettre d'information no 04/1999 informe le SHC des lacunes suivantes : le haut-fond non signalé, le relevé bathymétrique de 1996 non normalisé, l'utilisation des repères terrestres ne figurant pas sur la carte marine, et le fait que des repères terrestres utilisés par les pilotes n'ont pas été signalés.

    Le SHC a entrepris des actions concernant l'inscription d'une note sur la carte 1316 concernant l'ensablement pour le secteur du chantier maritime. En juin 2001, le SHC a produit cette note qui a par la suite été publiée sur la carte 1316 du SHC.

    Le SHC propose aussi d'inscrire à son agenda pour l'année 2002, des rencontres officielles avec les corporations de pilotage du Saint-Laurent de même qu'avec l'industrie maritime afin de connaître leurs exigences et améliorer le contrôle de la qualité en ce qui concerne les mécanismes d'échange d'informations, afin de mieux présenter l'information utile aux navigateurs et obtenir ainsi les résultats escomptés.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .