Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A23P0130

Perte de maîtrise et collision avec le relief
SkyQuest Aviation Ltd.
Piper Aircraft Corp. PA-34-200 (Seneca), C-GTYH
Aéroport de Chilliwack (CYCW) (Colombie-Britannique)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu. Les pronoms et les titres de poste masculins peuvent être utilisés pour désigner tous les genres afin de respecter la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (L.C. 1989, ch. 3).

Table des matières

    Déroulement du vol

    Le 6 octobre 2023, l’aéronef PA-34-200 (Seneca) de Piper Aircraft Corp. (immatriculation C-GTYH, numéro de série 34-7250160), exploité par SkyQuest Aviation Ltd., a quitté l’aéroport régional de Langley (CYNJ) (Colombie-Britannique), avec à son bord un instructeur et 2 élèves pour leur 2e séance d’entraînement en vue de l’obtention d’une qualification sur multimoteurs. Un élève était assis dans le siège avant gauche et l’autre, dans la 2e rangée de sièges. Environ 1 heure plus tard, une fois la séance d’entraînement terminée, l’aéronef est retourné à CYNJ. Après l’arrêt des moteurs, les élèves ont changé de place. L’aéronef a ensuite quitté CYNJ pour effectuer un entraînement supplémentaire, incluant des exercices avec un seul moteur. Les exercices d’entraînement en vol se sont déroulés au nord de l’aéroport de Chilliwack (CYCW) (Colombie-Britannique). L’aéronef s’est ensuite rendu à CYCW. L’enquête n’a pas permis de déterminer quelles étaient les intentions de l’instructeur lors de l’arrivée à l’aéroport; toutefois, l’aéronef a été vu effectuant 1 circuit, puis s’alignant en vue d’une approche sur la piste 07.

    L’aéronef s’est mis en palier à moins de 100 pieds au-dessus du sol (AGL) alors qu’il était aligné sur la piste, puis, avant d’atteindre le seuil de piste, il s’est incliné et a viré à droite. L’angle d’inclinaison a continué à augmenter au-delà de 90° alors que l’aéronef changeait de cap vers le sud et que l’assiette en tangage diminuait en piqué. À 13 h 59Les heures sont exprimées en heure avancée du Pacifique (temps universel coordonné moins 7 heures)., l’aéronef a percuté le sol près d’un casino dans une assiette presque inversée et en piqué.

    L’avionique de l’aéronef n’a fourni aucune donnée sur la trajectoire de vol, et il n’y avait pas de renseignements radar consignés sur l’activité de l’aéronef à CYCW. Cependant, la caméra-témoin d’un véhicule passant à proximité de l’aéroport a enregistré les derniers instants du vol.

    Des arbres et de la végétation ont été endommagés par l’impact. Une quantité indéterminée de carburant a été rejetée. Aucun incendie ne s’est déclaré après l’impact. La radiobalise de repérage d’urgence de l’aéronef s’est déclenchée en raison des forces d’impact. Les 3 occupants ont été mortellement blessés.

    Figure 1. Trajectoire de vol estimée de l’aéronef d’après la vidéo de la caméra-témoin (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
    Image

    Renseignements sur l’aéronef

    Le PA-34-200 (Seneca) de Piper Aircraft Corp. est un aéronef léger bimoteur conçu pour l’aviation générale, y compris la formation au pilotage, l’usage personnel et l’utilisation à des fins commerciales. Il a une configuration à aile basse avec 1 moteur sur chaque aile et est équipé d’un train d’atterrissage tricycle.

    Les dossiers de maintenance de l’aéronef ont été examinés. Au moment de l’événement, il n’y avait aucune défectuosité non corrigée, et rien n’indiquait qu’il y avait des travaux en retard ou en suspens à effectuer. L’aéronef était équipé de turbocompresseurs du marché secondaireCertificat de type supplémentaire SA2937WE.; toutefois, les soupapes de décharge des gaz d’échappement étaient réglées en position complètement ouverte et ne permettaient aucune augmentation de la performance.

    Le BST a effectué un calcul en utilisant la quantité initiale de carburant déclarée et un taux de consommation de carburant typique pour le 1er vol, qui était d’une durée approximative de 1,2 heure, ainsi que le temps de manœuvre et de circulation au sol de l’aéronef. Le calcul a permis de déterminer qu’au moment de l’événement, l’aéronef avait environ 62 gallons US de carburant à bord et pesait 3817 livres, ce qui respectait les limites prescrites de masse et de centrage.

    Examen après l’accident

    On a examiné l’aéronef sur les lieux de l’accident. Les volets étaient rentrés et le train d’atterrissage était sorti. En raison de la nature de l’impact, des dommages à l’aéronef et du travail des premiers intervenants, l’enquête n’a pas permis de déterminer la position des commandes des moteurs ni des commandes auxiliaires au moment de l’événement. Les dommages au moteur et à l’hélice de gauche indiquent que le moteur produisait de la puissance au moment de l’impact. Les dommages à l’hélice de droite indiquent que le moteur produisait peu ou pas de puissance; l’hélice était en position dévirée au moment de l’impact. Sur le lieu de l’accident, les premiers intervenants ont noté une forte odeur de carburant et ont vu des fuites de carburant, ce qui donnait à penser qu’il y avait du carburant dans l’aéronef au moment de l’impact. Les premiers intervenants ont réglé les 2 sélecteurs de carburant à la position « OFF » (arrêt) lorsqu’ils étaient sur les lieux.

    Tous les composants de l’aéronef ont été retrouvés sur le lieu de l’accident, et la continuité des commandes de vol a été vérifiée.

    Lorsque l’épave a été récupérée, un examen plus détaillé de la cellule, des commandes de vol et des moteurs a été effectué. Une attention particulière a été accordée au moteur et à l’hélice de droite. Le moteur a été démonté et inspecté, et tous les principaux composants ont fait l’objet d’une inspection visuelle. Le circuit d’alimentation en carburant et le circuit d’allumage ont été testés par un tiers à l’aide d’un équipement de diagnostic; aucune anomalie n’a été relevée.

    L’ampoule de l’avertisseur de décrochage et les ampoules du système de turbocompression ont été envoyées au Laboratoire d’ingénierie du BST à Ottawa (Ontario) pour être analysées. On a déterminé que le voyant lumineux d’avertissement de décrochage et le voyant lumineux gauche d’avertissement de surrégime étaient probablement éteints au moment de l’impact; toutefois, le voyant lumineux droit d’avertissement de surrégime présentait une certaine déformation qui indique qu’il aurait pu être allumé au moment de l’impact. L’enquête n’a pas permis de concilier cette observation puisque les soupapes de décharge des gaz d’échappement des turbocompresseurs étaient complètement ouvertes et qu’elles ne fournissaient aucune pression de suralimentation au collecteur d’admission.

    Malgré l’étendue des dommages, l’enquête n’a pas révélé de problème dans les commandes de vol qui aurait entraîné la perte de maîtrise, ni de facteurs mécaniques qui auraient empêché l’un des moteurs de produire de la puissance.

    Renseignements météorologiques

    Le message d’observation météorologique régulière d’aérodrome émis à 14 h pour l’aéroport d’Abbotsford (CYXX) (Colombie-Britannique), l’aéroport le plus proche du lieu de l’accident disposant d’observations météorologiques, et situé à 18 milles marins au nord-ouest, indiquait ce qui suit :

    • vents soufflant du 340° vrai (V), variables du 320 °V au 050°V, à 4 nœuds;
    • visibilité de 30 milles terrestres;
    • quelques nuages à 23 000 pieds AGL;
    • température de 24 °C, point de rosée de 12 °C;
    • calage altimétrique de 30,15 pouces de mercure;
    • altitude-densité de 1100 pieds au-dessus du niveau de la mer.

    Les conditions météorologiques n’ont pas été considérées comme facteur dans cet accident.

    Roulis à la vitesse minimale de contrôle

    La vidéo de la caméra-témoin et l’examen de l’épave après l’accident correspondent au fait que l’aéronef aurait entamé un roulis à la vitesse minimale de contrôle (VMC)La vitesse minimale de contrôle est la « vitesse minimale nécessaire, suite à une panne soudaine du moteur critique, pour conserver la maîtrise de l’avion et le maintenir en vol rectiligne en braquant le gouvernail de direction au maximum et sans que l’inclinaison latérale dépasse 5°. » (Transports Canada, TP 11575F, Guide de l’instructeur : Qualification sur multimoteurs, deuxième édition [octobre 2010], Définitions). avant d’entrer en collision avec le relief. Un roulis à la VMC se produit lorsqu’il y a une situation de puissance asymétrique et que la vitesse de l’aéronef chute en dessous de la VMC. Dans un tel scénario, l’aéronef commence à faire un mouvement de lacet et à rouler vers le moteur produisant moins de poussée, car la maîtrise en lacet est insuffisante pour contrer la poussée produite par le moteur en marche.

    Pour éviter un roulis à la VMC, les pilotes apprennent, pendant leur formation, à maintenir la vitesse de l’aéronef au-dessus de la VMCPiper Aircraft Corporation, The Seneca Pilot’s Operating Manual, révision 761 506 (PR871130) (30 novembre 1987), section 6 : Operating Instructions, p. 6-12. lorsqu’ils se trouvent dans une situation de poussée asymétrique. Si la maîtrise devient difficile, il faut réduire la puissance du moteur produisant plus de poussée afin de reprendre la maîtrise en lacet et en roulis.

    Le manuel de pilotage du PA-34-200 indique ce qui suit au sujet de la VMC [traduction] :

    La VMC est la vitesse anémométrique corrigée en dessous de laquelle un aéronef bimoteur ne peut être maîtrisé en vol avec un moteur fonctionnant à la puissance de décollage à l’altitude-densité du niveau de la mer et l’autre moteur tournant en moulinet. On a déterminé que la VMC du Seneca est de 80 mi/h. Il ne faut en aucun cas essayer de voler en dessous de cette VMC avec un seul moteur en marche. Par mesure de précaution, en cas de vol avec un seul moteur, que ce soit en formation ou en situation d’urgence, maintenez une vitesse anémométrique supérieure à 90 mi/hIbid..

    Le manuel de pilotage indique en outre que toute démonstration simulant des conditions pouvant entraîner une réelle perte de maîtrise de l’aéronef doit être effectuée à une altitude minimale de 3500 pieds au-dessus du solIbid..

    Le manuel de pilotage prévoit la procédure suivante pour maintenir ou reprendre la maîtrise de l’avion en cas de panne moteur pendant une montée [traduction] :

    Si une panne moteur survient tandis que la vitesse anémométrique est inférieure à 80 mi/h (VC) [vitesse corrigée], réduire la puissance du moteur en marche de manière à maintenir la maîtrise en direction. Réduire l’assiette en cabré pour accélérer vers la vitesse de montée optimale avec un seul moteur de 105 mi/h. Dévirer ensuite le moteur inopérant [...]Ibid., section 3-C : Emergency Procedures, sous-section 6 : Engine Failure During Climb, p. 3-13.

    SkyQuest Aviation Ltd.

    SkyQuest Aviation Ltd. est une unité de formation au pilotage située à CYNJ. Elle dispense une formation au pilotage pour les licences de pilote privé, les licences de pilote professionnel, les qualifications de vol de nuit, les qualifications de vol aux instruments et les qualifications sur multimoteurs. L’aéronef à l’étude était le seul aéronef bimoteur de la flotte de l’unité.

    Expérience de l’instructeur et d’un élève

    D’après les dossiers, l’instructeur possédait la licence et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur. L’instructeur était titulaire d’une licence de pilote professionnel valide, annotée d’une qualification sur multimoteurs, d’une qualification de vol aux instruments du groupe 1 et d’une qualification d’instructeur de classe 3. L’accident est survenu le 1er jour où l’instructeur dispensait une formation multimoteur. L’instructeur avait 1047,1 heures de vol à son actif, dont 52 sur multimoteurs.

    L’élève en formation au moment de l’accident détenait une licence de pilote privé et totalisait 198,5 heures de vol, dont 1,5 heure sur multimoteurs.

    Formation multimoteur

    Pour obtenir une qualification sur multimoteurs au Canada, le candidat doit satisfaire aux exigences établies par Transports Canada dans la norme 421 du Règlement de l’aviation canadien (RAC)Transports Canada, DORS/96-433, Règlement de l’aviation canadien, Norme 421 : Permis, licences et qualifications des membres d’équipage de conduite, paragraphe 421.38(3).. Ces exigences comprennent la détention d’une licence de pilote valide et la démonstration de la compétence en exploitation d’aéronefs multimoteurs. Le processus d’entraînement mis au point par l’unité de formation au pilotage de l’aéronef à l’étude repose en grande partie sur le TP 11575F de Transports Canada, Guide de l’instructeur : Qualification sur multimoteurs, qui ne prévoit pas de programme de formation particulier à suivre obligatoirement pour obtenir la qualification sur multimoteurs, contenant uniquement des conseils à l’intention des unités de formation au pilotage et des instructeursTransports Canada, TP 11575F, Guide de l’instructeur : Qualification sur multimoteurs, deuxième édition (octobre 2010), Exercice 10 – Panne moteur pendant un décollage ou une remise des gaz..

    Les conseils en matière de formation se concentrent sur l’acquisition des compétences nécessaires pour gérer de façon sécuritaire les opérations sur multimoteurs, comme la prise en charge de la poussée asymétrique, les procédures avec moteur coupé et les scénarios d’urgence. Il est entre autres recommandé d’éviter de simuler une panne moteur en approche au-dessous de 500 pieds AGL, d’éviter de voler à une vitesse inférieure à la vitesse de montée optimale de l’avion avec un seul moteur et de n’exécuter cet exercice sur des approches réelles que lorsque l’élève le maîtrise bien en altitudeIbid..

    Le RAC n’impose pas de nombre minimum d’heures de formation; les candidats doivent plutôt acquérir les compétences requises par l’intermédiaire de l’instruction en vol et de la préparation au test en vol associéTransports Canada, DORS/96-433, Règlement de l’aviation canadien, Norme 421 : Permis, licences et qualifications des membres d’équipage de conduite, paragraphe 421.38(3)..

    SkyQuest Aviation Ltd. dispose d’un programme pour la qualification sur multimoteurs et divise la formation au pilotage en 9 objectifsSkyQuest Aviation Ltd., Training Standards: Multi Engine Rating, version 1.0 (aucune date), Training Sequence.. Les objectifs peuvent être atteints en un seul vol, mais il peut être nécessaire d’effectuer plusieurs vols pour obtenir la compétence souhaitée. Le vol à l’étude était le 2e vol d’entraînement de l’élève en formation au moment de l’accident et, d’après les renseignements recueillis lors de l’enquête, l’élève suivait en grande partie l’objectif de vol 2 : virages serrés et manœuvres à vitesse réduite. Cependant, d’après le registre de sortie, des exercices avec un seul moteur étaient également effectués. Dans le programme de formation, les premiers exercices avec un seul moteur sont effectués à l’objectif 5.

    L’enquête n’a pas permis de déterminer exactement en quoi consistait l’exercice ou quelle était l’intention derrière ce qui s’est passé pendant l’approche interrompue à CYCW.

    Rapports de laboratoire du BST

    Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

    • LP140/2023 – NVM [non-volatile memory] Data Recovery – GPS [global positioning system], EFI [electronic flight instruments] and PEDs [personal electronic devices] [Récupération des données de la NVM [mémoire non volatile] – GPS [système de positionnement mondial], EFI [instruments de vol électroniques] et PED [appareils électroniques personnels]]
    • LP178/2023 – Light Bulbs Analysis [Analyse des ampoules]

    Messages de sécurité

    On rappelle aux instructeurs qu’au cours de la formation multimoteur, tout exercice de poussée asymétrique doit être effectué à une altitude et à une vitesse anémométrique sécuritaires, compte tenu des pertes d’altitude importantes qui peuvent survenir en cas de roulis à la VMC.

    On rappelle aux pilotes d’aéronefs multimoteurs qu’en cas de perte de maîtrise en lacet dans une situation de poussée asymétrique, il est impératif de réduire la puissance du moteur en marche et de rétablir la vitesse anémométrique en réduisant l’assiette en tangage. À basse altitude, un atterrissage forcé peut s’ensuivre, offrant de meilleures chances de survie qu’un roulis à la VMC.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 4 juin 2025. Le rapport a été officiellement publié le 25 juin 2025.