Language selection

Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A22C0016

Collision avec le relief
Bamaji Air Inc.
Cessna 208 Caravan (C-GIPR)
Sioux Lookout (Ontario), 17 NM NNW



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Déroulement du vol

Le 8 mars 2022, l’aéronef Cessna 208 Caravan équipé de roues (immatriculation C-GIPR, numéro de série 20800343) et exploité par Bamaji Air Inc. (Bamaji) effectuait une série de vols selon les règles de vol à vue (VFR) à partir de l’aéroport de Sioux Lookout (CYXL) (Ontario). À 10 h 31Note de bas de page 1, après avoir vérifié la prévision d’aérodrome (TAF) valide de 9 h à 20 h ainsi que la prévision de zone graphique (GFA) valide de 6 h à 18 h, le pilote a décollé pour un vol vers une piste de glace sur le lac Springpole (Ontario), à environ 78 milles marins (NM) au nord-nord-ouest de CYXL. L’aéronef est revenu à CYXL avec 2 passagers à son bord à 12 h.

En prévision d’un 2e vol à destination du lac Springpole, le pilote a chargé environ 900 livres de fret dans la cabine et l’a fixé solidement en place sous un filet d’arrimage. Il restait 750 livres de carburant à bord de l’aéronef, ce qui était suffisant pour le vol prévu. Le pilote et 1 passager sont montés à bord de l’aéronef. Le pilote occupait le siège de gauche et le passager celui de droite dans le poste de pilotage. Les deux occupants portaient leur système de ceinture de sécurité avec baudrier à 5 points.

À 12 h 50, une bourrasque de neigeNote de bas de page 2 a commencé à traverser CYXL, réduisant ainsi la visibilité au sol. Le pilote a fait circuler l’aéronef jusqu’à une position sur l’aire de trafic et a attendu que la bourrasque de neige, qui se déplaçait rapidement, passe. À 13 h 01, le pilote a fait circuler l’aéronef jusqu’à la piste 34 et a décollé dans des conditions météorologiques de vol à vue.

L’aéronef est monté jusqu’à environ 1800 pieds au-dessus du niveau de la mer (ASL), puis, une fois sorti de la zone de contrôle, il est descendu à environ 1600 à 1700 pieds ASL, soit environ 500 à 600 pieds au-dessus du sol (AGL), afin de rester sous le plafond couvert. Lorsque l’aéronef a commencé à traverser le lac Seul (Ontario), la visibilité était bonne droit devant et vers l’ouest. Cependant, lorsque l’aéronef se trouvait environ à mi-chemin au-dessus du lac, il a rencontré de la turbulence et a immédiatement été enveloppé dans des conditions de voile blanc générées par une bourrasque de neige.

Le pilote a tourné la tête pour inspecter l’aile gauche et s’est aperçu que de la glace semblait s’accumuler sur le bord d’attaque. Il a reporté son attention vers les instruments de vol et a constaté que l’altimètre descendait rapidement. Il a ensuite tiré sur le manche pour arrêter la descente; toutefois, en quelques secondes, l’aéronef a heurté la surface gelée du lac Seul, à environ 17 NM au nord-nord-ouest de CYXL.

L’aéronef a été lourdement endommagé (figure 1). Il n’y a eu aucun incendie. Les occupants de l’aéronef ont été légèrement blessés. La radiobalise de repérage d’urgence (ELT) d’Artex (modèle Me406) s’est déclenchée au moment de l’impact et le signal a été détecté par le système de satellites Cospas-Sarsat. Le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage à Trenton (Ontario) a réaffecté un aéronef de l’Aviation royale canadienne (ARC) qui se trouvait dans la région et 3 techniciens en recherche et sauvetage (SAR) ont été parachutés sur les lieux dans l’heure qui a suivi l’accident. Les occupants de l’aéronef et les techniciens SAR ont été évacués par un hélicoptère civil plus tard dans la journée.

Figure 1. Vue le long de la traînée de débris (Source : BST)
Vue le long de la traînée de débris (Source : BST)

Renseignements météorologiques

Le message météorologique horaire à 12 h pour CYXL indiquait ce qui suit :

À 12 h 55, un message météorologique mis à jour à CYXL indiquait ce qui suit :

Cinq minutes plus tard, à 13 h, les conditions météorologiques signalées à CYXL étaient les suivantes :

La TAF émise à 9 h 29 indiquait que les conditions à CYXL de 9 h à 13 h seraient les suivantes :

Temporairement entre 9 h et 13 h, la TAF indiquait ce qui suit :

La TAF indiquait également que de 13 h à 20 h, les conditions météorologiques prévues à CYXL étaient les suivantes :

Temporairement entre 13 h et 20 h, la TAF indiquait ce qui suit :

La GFA émise à 5 h 32 indiquait que les conditions météorologiques dans la région de CYXL seraient les suivantes :

Évaluation météorologique

Le BST a demandé à Environnement et Changement climatique Canada de procéder à une évaluation météorologique des conditions auxquelles le vol aurait été confronté.

Selon l’évaluationNote de bas de page 3, à 12 h 50, une ligne de cellules de convection, présentant des plafonds d’échos radar entre 7000 et 9000 pieds ASL, s’étendait au nord-ouest de CYXL. Une cellule de convection a commencé à traverser CYXL à 12 h 55. La réflectivité radar correspondait à un taux d’accumulation de neige d’environ 1,4 centimètre par heure (cm/h) et les plafonds d’échos radar se situaient à environ 8200 pieds ASL. Vers 12 h 55, une vidéo de surveillance de l’aire de trafic de CYXL a montré que la visibilité avait été brièvement réduite à environ 1000 pieds.

Entre 13 h et 13 h 10, une cellule de convection présentant des réflectivités radar plus élevées et des plafonds d’échos jusqu’à 9000 pieds ASL a indiqué que la visibilité et le plafond étaient encore plus bas sur les lieux de l’écrasement par rapport à ce qui avait été signalé et observé à 12 h 55 à CYXL.

Comme l’indique l’évaluation météorologique, [traduction]

les cellules de convection qui produisent des chutes de neige modérées à fortes, soudaines et brèves, comme celle-ci, peuvent également être appelées « bourrasques de neige ». Les bourrasques de neige peuvent causer des conditions de voile blanc dans la poudrerie et les vents de surface soufflant par rafalesNote de bas de page 4.

À 13 h 10, quelques minutes après l’écrasement, des échos radar relativement intenses indiquent que la neige tombait à un taux d’environ 2 cm/h sur les lieux de l’accident (figure 2).

Figure 2. Imagerie radar de la neige à 13 h 10 le 8 mars 2022. La légende indique la réflectivité en dBz (unité de réflectivité radar utilisée en météorologie) ou l’accumulation de neige en cm/h. (Source : Environnement et Changement climatique Canada, Meteorological Assessment: March 8th, 2022 – Sioux Lookout, Ontario, avec annotations du BST)
Imagerie radar de la neige à 13 h 10 le 8 mars 2022. La légende indique la réflectivité en dBz (unité de réflectivité radar utilisée en météorologie) ou l’accumulation de neige en cm/h. (Source : Environnement et Changement climatique Canada, Meteorological Assessment: March 8th, 2022 – Sioux Lookout, Ontario, avec annotations du BST)

Selon l’évaluation, il est probable que des bourrasques de neige réduisaient la visibilité au moment de l’événement. De plus, l’aéronef est probablement entré dans des conditions de givrage mixte et modéré, voire fort, ainsi que dans une zone de turbulence modérée, voire forte, au moment de l’événement.

Renseignements sur le pilote

Le pilote a commencé sa carrière de pilote en juin 2019 chez Bamaji. Après avoir travaillé pour un autre exploitant, il est retourné chez Bamaji au début de septembre 2021. Il a réussi une vérification de compétence pilote pour le Cessna C208 Caravan en novembre 2021 et a commencé à piloter le Cessna C208 Caravan équipé de roues à la fin de la saison de vol des hydravions.

Le pilote détenait la licence et les qualifications appropriées pour le vol VFR conformément à la réglementation en vigueur. Il était titulaire d’une licence de pilote professionnel – avion annotée des classes avions terrestres, hydravions, monomoteurs et multimoteurs. Il était également titulaire d’un certificat médical valide de catégorie 1 et d’une qualification de vol aux instruments du groupe 1. Cependant, depuis son retour chez Bamaji, il n’avait pas exercé les privilèges de la qualification de vol aux instruments.

Le pilote avait accumulé environ 1315 heures de vol au total. Cela comprenait 126 heures à bord de l’aéronef à l’étude, dont 48,3 heures dans les 30 jours précédant le vol à l’étude.

Chez Bamaji, la journée normale de travail du pilote commençait habituellement à 7 h 30 et se terminait vers 16 h. Le jour de l’événement, sa journée de travail a commencé à 9 h. Rien n’indique que la fatigue ait contribué à cet événement.

Renseignements sur la compagnie

Bamaji a reçu l’approbation de Transports Canada (TC) pour exercer ses activités en vertu des sous-parties 702 (Opérations de travail aérien) et 703 (Exploitation d’un taxi aérien) du Règlement de l’aviation canadien. Cette approbation se limite aux vols VFR de jour uniquement.

Renseignements sur l’aéronef

Le Cessna 208 Caravan est un aéronef à aile haute et à train d’atterrissage fixe propulsé par un turbopropulseur PT6A-114A de Pratt & Whitney Canada et muni d’une hélice 3GFR34C703 de McCauley.

L’aéronef à l’étude a été construit en 2001 et était équipé pour les vols de nuit et selon les règles de vol aux instruments. Chaque siège du poste de pilotage était muni d’un système de ceinture de sécurité avec baudrier à 5 points comprenant une ceinture sous-abdominale, une sangle d’entre-jambes et une ceinture-baudrier à double courroie à enrouleur à inertie.

D’après les documents relatifs au vol à l’étude, le centre de gravité de l’aéronef se trouvait dans les limites et la masse de l’aéronef au décollage était d’environ 6698 livres, ce qui est inférieur à la masse maximale au décollage de 8360 livres. L’aéronef ne présentait aucune anomalie connue, et rien n’indique qu’un système de l’aéronef ait contribué à l’événement.

L’aéronef n’était pas doté d’un enregistreur de données de vol, d’un enregistreur de conversations de poste de pilotage ni d’un système de suivi des vols, et il n’était pas tenu d’en être doté en vertu de la réglementation. Par conséquent, il n’a pas été possible de reconstituer un profil de vol précis pour l’enquête.

Renseignements sur l’épave et sur l’impact

En raison des conditions météorologiques et des fermetures de routes, ce n’est que le 13 mars 2022, soit 5 jours après l’événement, que les enquêteurs ont pu accéder au site.

L’inspection sur place de plusieurs sections des bords d’attaque des ailes qui avaient été protégées par une couche de neige et qui étaient à l’abri du soleil a révélé quelques plaques de givre ou de glace très mince. Toutefois, il n’y avait aucun signe d’accumulation importante de glace sur les surfaces critiques exposées de l’aéronef, que ce soit sur les photos prises quelques heures après l’écrasement ou lors de l’examen sur place de l’épave par le BST.

L’aéronef est entré en collision avec la surface gelée et enneigée du lac Seul à une élévation d’environ 1100 pieds ASL, dans une assiette de piqué avec l’aile gauche abaissée. La présence d’une couche de neige d’une épaisseur de 2 à 3 pieds sur la surface de la glace a réduit les forces générées par la collision. Le poste de pilotage et la cabine de l’aéronef sont demeurés en grande partie intacts et ont offert un espace de survie. Le sillon laissé par l’épave mesurait environ 550 pieds de long et était orienté à environ 310°V, ce qui correspond à un angle de plus ou moins 40° à gauche du relèvement direct (350°V) de CYXL vers la piste de glace au lac Springpole.

Le fuselage reposait sur le côté gauche et de la neige avait pénétré dans le poste de pilotage par les ouvertures de fenêtre, rendant ainsi difficile la sortie du poste de pilotage pour le pilote. Les deux sièges du poste de pilotage sont demeurés attachés aux rails de siège fixés au plancher. Les ceintures sous-abdominales, les sangles d’entre-jambes et les ceintures-baudriers étaient toujours fixées à leurs points d’attache respectifs.

L’échelle barométrique de l’altimètre gauche était réglée à 29,60 pouces de mercure (inHg) et correspondait à 0,04 inHg près à la pression barométrique à CYXL le jour du vol. L’altitude indiquée sur l’altimètre à l’étude concordait étroitement avec celle d’un altimètre en bon état de service réglé au même calage barométrique. Le dernier étalonnage de l’altimètre remontait à avril 2021.

Plusieurs instruments de vol principaux ont été récupérés et envoyés au Laboratoire d’ingénierie du BST à Ottawa (Ontario) afin de déterminer si les instruments gyroscopiques fonctionnaient et si les forces d’impact avaient produit des marques témoins d’aiguille sur les cadrans des instruments. Les examens ont permis d’obtenir les renseignements suivants :

Vol selon les règles de vol à vue dans des conditions météorologiques de vol aux instruments

Les dangers associés à la poursuite d’un vol VFR dans des conditions météorologiques de vol aux instruments sont bien connus. Les accidents survenant lors de vols commençant dans des conditions météorologiques de vol à vue et se poursuivant jusqu’à ce que les pilotes perdent le repère visuel avec l’horizon présentent un taux de mortalité élevé. Selon les données recueillies par le BST, ces types de vols ont entraîné 100 accidents et 122 morts au Canada entre 2000 et 2021.

Effet de voile blanc

L’accident s’est produit alors que l’aéronef traversait un grand lac gelé et enneigé, à basse altitude. Outre quelques petites îles et les rivages boisés éloignés, il y avait peu d’éléments pour fournir des repères visuels. Le relief, jumelé aux bourrasques de neige qui traversaient le secteur, a engendré des circonstances propices à la création de conditions de voile blanc localisées. Le glossaire de météorologie de l’American Meteorological Society définit le voile blanc comme suit [traduction] :

(Aussi appelé temps laiteux.) Un phénomène optique atmosphérique qui fait que l’observateur semble enveloppé dans une lueur blanchâtre uniforme.

On ne peut discerner l’horizon, ni les ombres, ni les nuages; on perd le sens de la profondeur et de l’orientation et on ne peut voir que les objets très sombres situés tout près. Le voile blanc se produit si la couche de neige au sol est intacte et le ciel au-dessus est uniformément couvert lorsque, grâce à l’effet de clarté de la neige, la lumière venant du ciel est à peu près égale à celle qui vient de la surface de la neige. La poudrerie peut accentuer ce phénomèneNote de bas de page 5.

Le Manuel d’information aéronautique de Transports Canada (AIM de TC) fournit les renseignements suivants sur le voile blanc :

[C]haque fois qu’un pilote se trouve en présence des conditions de voile blanc […] ou qu’il soupçonne simplement qu’il est en présence de ces conditions, il devrait immédiatement monter s’il se trouve à bas niveau ou se mettre en palier et se diriger vers un endroit où les détails de la typographie [sic]du terrain sont très évidents. Le pilote ne doit pas continuer le vol sauf s’il est préparé à traverser la zone de voile blanc aux instruments et s’il a la compétence voulue pour le faireNote de bas de page 6.

Le vol dans des conditions de voile blanc peut donner lieu à un horizon visuel mal défini qui aura une incidence sur la capacité du pilote à détecter et à corriger tout changement d’assiette, d’altitude ou de vitesse anémométrique de l’aéronef. À moins que le pilote ne puisse réussir la transition vers le vol aux instruments, la dégradation des repères visuels peut finir par entraîner une désorientation spatiale qui peut conduire à une perte de maîtrise.

Rapport de laboratoire du BST

Le BST a produit le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :

Messages de sécurité

Le fait de poursuivre un vol VFR dans des zones où les repères visuels sont réduits, notamment dans des zones où les conditions météorologiques se détériorent ou dans des zones de voile blanc, peut entraîner une désorientation spatiale et éventuellement une perte de maîtrise. Tous les pilotes, quelle que soit leur expérience, doivent planifier et envisager des stratégies pour éviter ces conditions, ainsi que prévoir des plans de rechange si de telles conditions se présentent.

Comme le démontre cet événement, l’utilisation d’un système de ceinture de sécurité complet peut limiter la gravité des blessures aux occupants lors d’un accident. Les équipages de conduite et les passagers sont encouragés à utiliser le système de ceinture de sécurité complet, y compris les ceintures-baudriers disponibles, en tout temps.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .