Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A19O0103

Amerrissage avec train sorti
Cessna A185E (sur flotteurs amphibies)
immatriculé à titre d’aéronef privé, C-GBUI
Upper Raft Lake (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Déroulement du vol

    Vers 12 h 25Note de bas de page 1 le 4 août 2019, un Cessna A185E amphibie immatriculé et exploité à titre privé (immatriculation C-GBUI, numéro de série 185-1320) a quitté la piste 30 (surface dure) de l’aéroport régional Orillia Rama (CNJ4) en Ontario pour un vol-voyage de jour selon les règles de vol à vue. L’aéronef transportait le pilote, 6 membres d’une famille et 1 chien à destination d’un gîte situé sur la rive ouest d’Upper Raft Lake (Ontario), à environ 48 milles marins de CNJ4. Le pilote, qui avait planifié d’effectuer le transport en 2 vols séparés, a décidé de n’en faire qu’un seul pour gagner du temps en raison d‘une activité familiale déjà prévue.

    La phase croisière du vol de 34 minutes s’est déroulée à une altitude d’environ 2200 pieds au-dessus du niveau de la mer. À 12 h 59, l’avion a amerri sur Upper Raft Lake, avec le train sorti, a capoté, puis s’est immobilisé sur le dos. Les passagers ont subi de légères blessures dues à l’impact et ont réussi à évacuer l’avion par le côté droit. Le pilote n’a pas réussi à sortir et s’est finalement noyé. Le chien s’est noyé aussi. L’avion était équipé d’une radiobalise de repérage d’urgence, qui s’est activée, mais aucun signal n’a été reçu.

    Les passagers (1 adulte et 5 enfants) se sont hissés sur les flotteurs de l’avion. Ils ont ramené l’avion à la rame vers la rive est, l’ont assujetti à un rocher et ont attendu de l’aide sur la rive. Les membres de la famille n’ont pas pu appeler à l’aide, car leurs téléphones mobiles étaient dans l’avion. Ils ont passé la nuit sur la rive, près de l’avion. Vers 9 h le lendemain matin, un autre membre de la famille a informé un exploitant d’hydravion à CNJ4 que l’avion n’était pas encore revenu. L’exploitant a dépêché un avion, et l’hydravion a été aperçu vers 10 h dans Upper Raft Lake. Par la suite, le pilote a amerri pour venir en aide aux survivants.

    Le centre d’information de vol à London (Ontario) et le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage à Trenton (Ontario) ont ensuite été avisés. Peu après, le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage a dépêché 2 avions sur les lieux. Un avion a transporté les survivants à l’hôpital.

    Renseignements sur le pilote

    Les dossiers indiquent que le pilote avait la licence et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur. Il avait obtenu sa licence de pilote professionnel en mars 2005 et sa qualification sur hydravion en juin de la même année. Il cumulait environ 3100 heures de vol, dont 300 étaient sur type et 150 sur avion amphibie.

    Renseignements météorologiques

    Le message d’observation météorologique régulière d’aérodrome diffusé à l’aéroport Muskoka (CYQA)Note de bas de page 2 faisait état des conditions suivantes au moment de l’accident :

    • Vents variables à 8 nœuds.
    • Visibilité de 9 milles terrestres.
    • Ciel dégagé.

    Les conditions météorologiques n’ont pas été retenues comme facteur dans l’événement à l’étude.

    Renseignements sur l’aéronef

    L’avion dans l’événement à l’étude était un monomoteur à 6 sièges construit par la Cessna Aircraft Company en 1968. Au cours du vol à l’étude, il était équipé de 4 sièges. Il était immatriculé à titre privé et entretenu en vertu d’un programme d’inspection annuelle, comme indiqué dans la norme 625 du Règlement de l’aviation canadien (RAC)Note de bas de page 3.

    L’avion avait déjà eu un accident en 2013Note de bas de page 4. Le pilote de l’événement à l’étude, qui était aussi un technicien d’entretien d’aéronef autorisé, l’avait complètement remis en état. Au cours de sa remise en état, terminée en février 2019, certaines modificationsavaient été apportées, toutes effectuées conformément aux certificats de type supplémentaires approuvés pour le type et le modèle de l’avion.

    L’avion avait été piloté pendant environ 23 heures depuis sa remise en état. En juillet 2019, après quelque 14 heures de vol depuis sa remise en état, l’avion a été équipé de flotteurs amphibiesNote de bas de page 5 Wipaire 3730. Ces flotteurs incluaient un ensemble de train d’atterrissage rétractable permettant à l’avion de se poser sur des pistes ou sur l’eau. Par la suite, l’avion a été piloté pendant environ 9 heures avant l’accident.

    Renseignements sur l’épave

    L’avion s’est posé sur la surface de l’eau avec le train sorti, ce qui l’a fait capoter. Il s’est immobilisé sur le dos, avec les flotteurs reposant sur l’eau, ce qui l’a maintenu à la surface (figure 1).

    Figure 1. Avion de l’événement à l’étude retrouvé le jour suivant, assujetti à la rive (source : ami du pilote)
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    Avion de l’événement à l’étude retrouvé le jour suivant, assujetti à la rive (source : ami du pilote)

    L’avion a été repêché d’Upper Raft Lake 5 jours après l’événement à l’étude. Il avait été lourdement endommagé. Tous les dommages causés à la cellule étaient attribuables aux forces d’impact subies lors du capotage.

    Toutes les gouvernes ont été retrouvées; les volets étaient réglés à 30º. Les instruments de vol de l’aéronef étaient intacts. Un système mondial de positionnement pour navigation satellite (un GPS modèle Garmin Aera 660) a été retiré de l’avion et envoyé au Laboratoire technique du BST à Ottawa (Ontario), où il a été analysé. Ce dispositif a fourni des données relatives au vol à l’étude, incluant la trajectoire de vol.

    Toutes les roues étaient complètement descendues et le levier de commande de train était en position UP. Il n’a pas été possible de déterminer si la position du levier à UP était due à une manœuvre du pilote à un certain moment, ou à l’impact et aux déplacements pour évacuer la cellule.

    Renseignements sur le système de train d’atterrissage

    Le système de train d’atterrissage de l’avion à l’étude était actionné au moyen d’un bloc d’alimentation électrohydraulique, composé d’une pompe électrique et d’un réservoir à liquide hydraulique montés en bloc, du côté gauche antérieur de la cloison pare-feu.

    Normallement, dans ce système, un voyant rouge PUMP ON (pompe en marche) sur le module du levier de commande de train d’atterrissage s’illumine pour indiquer que le bloc d’alimentation électrohydraulique fonctionne lorsque le train d’atterrissage descend ou remonte.

    La pompe s’arrête automatiquement une fois que le train d’atterrissage atteint la position commandée. Un manostat coupe l’alimentation électrique de la pompe lorsque la pression hydraulique augmente dans le système, une fois que les roues sont complètement descendues ou remontées.

    Le panneau avant comprend un disjoncteur de 40 A pour la pompe hydraulique. Il est situé juste sous le levier de commande de train d’atterrissage et protège le circuit électrique de la pompe. S’il se déclenche avant ou pendant que le levier de commande du train d’atterrissage est placé en position UP, cela coupe l’alimentation au train d’atterrissage et ce dernier ne remonte pas.

    À l’examen, le disjoncteur était en saillie par rapport à sa position normale, indiquant qu’il s’était déclenché. L’enquête n’a pas permis de déterminer si le disjoncteur s’était déclenché avant, pendant ou après le vol à l’étude.

    L’avion était équipé d’une pompe manuelle d’urgence qui pouvait être utilisée pour actionner le train d’atterrissage manuellement en cas de panne du bloc d’alimentation électrohydraulique ou de panne électrique générale du système de train d’atterrissage. Toutefois, rien n’indiquait que ce système d’appoint avait été actionné. L’avion était aussi muni d’une fenêtre concave du côté du pilote et d’un miroir courbe situé sous l’aile gauche, permettant au pilote de vérifier visuellement la position des roues.

    L’avion comprenait 8 voyants indépendants de position de train d’atterrissage (figure 2) divisés en 2 groupes : 4 voyants bleus pour un amerrissage et 4 voyants verts pour un atterrissage sur surface dure. Normalement, chaque voyant des 2 groupes de couleur est associé à une des 4 roues du train d’atterrissage : les 2 du haut pour le train d’atterrissage avant et les 2 du bas pour le train d’atterrissage principal. Les voyants bleus s’illuminent pour indiquer que le train d’atterrissage est remonté pour un amerrissage, et les voyants verts s’illuminent pour indiquer que le train d’atterrissage est descendu pour un atterrissage sur une surface dure.

    Figure 2. Voyants de position du train d’atterrissage de l’avion (source : BST)
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    Voyants de position du train d’atterrissage de l’avion (source : BST)

    L’avion était équipé d’un système d’avertissement de position de train d’atterrissage amphibie dont la fonction était de déclencher une alarme sonore sur la position du train d’atterrissage lorsque l’avion décélérait à une vitesse anémométrique précise. Ce système a été examiné pour déterminer la vitesse anémométrique seuil à laquelle le système s’actionnait et pour vérifier si les alarmes sonores fonctionnaient. La vitesse anémométrique seuil était réglée pour actionner le système une fois la vitesse anémométrique réduite à 95 mi/h ou moins.

    La mise électrique à la terre du système d’avertissement de position de train d’atterrissage amphibie était rompue. À cause de la longue immersion dans l’eau du lac (5 jours), il a été impossible de réparer le système d’avertissement. Il est demeuré défectueux et ne déclenchait pas d’alarme sonore et n’allumait pas de voyant. L’enquête n’a pas permis de déterminer si le système était fonctionnel au cours du vol à l’étude.

    La pompe et le moteur hydrauliques ont été examinés et ne présentaient aucun problème pouvant avoir nui à l’exploitation normale. Le levier de commande de train d’atterrissage fonctionnait et ne fuyait pas.

    Renseignements sur la liste de vérifications

    Il a été impossible de déterminer si le pilote se servait d’une liste de vérifications pour piloter l’avion pendant l’exploitation normale, y compris pour vérifier si le train d’atterrissage était en position d’amerrissage. Aucune liste de vérifications ni affiche n’ont été trouvées au cours de l’examen de l’épave et du contenu de l’avion. Toutefois, comme l’avion avait été soumis à d’importantes forces d’impact et qu’il était demeuré sur le dos dans l’eau pendant quelque temps, une liste de vérifications, le cas échéant, aurait pu se détacher de l’épave.

    L’article 602.60 du RAC stipule qu’un aéronef entraîné par moteur doit transporter à bord :

    1. une liste de vérifications ou des affiches permettant l’utilisation de l’aéronef conformément aux limites précisées dans le manuel de vol de l’aéronef, le manuel d’utilisation de l’aéronef, le manuel d’utilisation du pilote ou dans tout autre document équivalent fourni par le constructeurNote de bas de page 6.

    Il stipule de plus que :

    La liste de vérifications ou les affiches […] doivent permettre l’utilisation de l’aéronef dans des conditions normales, anormales et d’urgence, et comprendre […]

    1. une vérification avant atterrissageNote de bas de page 7

    Information sur la masse et le centrage

    L’avion avait une masse brute maximale au décollage de 3350 livres, et une masse à vide de base de 2389,5 livres, ce qui laissait une capacité de charge utile de 960,5 livres pour le pilote, les passagers, les bagages et le carburant utilisable.

    Comme les réservoirs à carburant ont été endommagés au cours de la séquence de collision, il a été impossible de calculer précisément la masse et le centrage du vol à l’étude. Pour demeurer sous la masse brute maximale au décollage, et tenant compte du poids de l’avion, des passagers et des bagages, l’avion aurait pu transporter 25 gallons de carburant, qui auraient suffi à effectuer un vol d’environ 90 minutes à un régime de croisière.

    Questions relatives à la survie des occupants

    L’enquête a permis de cerner 3 questions différentes relatives à la survie : les ceintures de sécurité, les gilets de sauvetage et la formation sur l’évacuation d’urgence.

    Ceintures de sécurité

    L’avion pouvait transporter 4 personnes, dont le pilote : il y avait 4 sièges et chacun était doté d’un dispositifs de retenue.

    L’article 605.22 du RAC stipule : « [...] il est interdit d’utiliser un aéronef autre qu’un ballon, à moins que celui-ci ne soit muni, pour chaque personne à bord autre qu’un enfant en bas âge, d’un siège comprenant une ceinture de sécuritéNote de bas de page 8 ».

    Même s’il n’y avait que 4 sièges dans l’avion, 7 personnes (le pilote, 1 adulte, 5 enfants) et 1 chien se trouvaient à bord pendant le vol à l’étude. Trois enfants étaient assis sur les 2 sièges arrière : 1 enfant utilisait un siège et la ceinture de sécurité; les 2 autres enfants partageaient un siège et ne portaient pas de ceinture de sécurité. Un autre enfant et le chien se trouvaient dans la soute à bagages où il n’y avait ni siège ni ceinture de sécurité. L’adulte était assis à l’avant, à côté du pilote, et tenait un enfant (non en bas âge). Le pilote et l’adulte ne portaient que la ceinture sous-abdominale (sans la ceinture-baudrier). L’enfant assis sur l’adulte n’était retenu d’aucune façon.

    Le paragraphe 101.01(1) du RAC définit la ceinture de sécurité comme étant un « dispositif de retenue individuel qui se compose soit [accent ajouté] d’une ceinture sous-abdominale, soit d’une ceinture sous-abdominale et d’une ceinture-baudrierNote de bas de page 9 ».

    De 1990 à 2018, le BST a enquêté sur de nombreux accidents d’aéronefs équipés de ceintures-baudriers détachables dans lesquels on a déterminé que les occupants ne portaient pas les ceintures au moment de l’accident. Des 62 accidents recensés, 33 ont été mortels, ce qui a occasionné 68 pertes de vie au total. Parmi les 68 personnes ayant perdu la vie, 37 personnes ne portaient pas la ceinture-baudrier qui était en place. Même si les probabilités de survie dans ces 62 accidents étaient différentes, dans la plupart des cas, le port de la ceinture-baudrier aurait pu augmenter les chances de survie et d’évacuation des occupants.

    Transports Canada a tenté de clarifier le règlement dans les documents Sécurité aérienne — Nouvelles 4/2013 et 1/2018, ainsi que dans la circulaire d’information 605-004 (novembre 2014). Toutefois, s’il n’est pas clair dans le règlement que l’utilisation de tous les composants disponibles d’une ceinture de sécurité est obligatoire, il y a un risque que les ceintures-baudriers ne soient pas utilisées comme prévu, ce qui augmente le risque de blessures et de pertes de vie. Par conséquent, le Bureau recommande que :

    le ministère des Transports modifie le Règlement de l'aviation canadien pour éliminer toute ambiguïté relativement à la définition de « ceinture de sécurité ».
    Recommandation A19-01 du BST Note de bas de page 10

    Gilets de sauvetage

    Même si les 6 passagers ont réussi à évacuer l’avion, il n’y avait à son bord que 5 vêtements de flottaison individuels. Aucun des passagers n’a évacué l’avion en portant ou en emportant un vêtement de flottaison individuel.

    Le paragraphe 602.62(1) du RAC stipule que :

    Il est interdit d’effectuer un décollage à partir d’un plan d’eau ou un amerrissage sur celui-ci dans un aéronef ou d’utiliser un aéronef au-dessus d’un plan d’eau au-delà d’un point où l’aéronef pourrait rejoindre le rivage dans l’éventualité d’une panne moteur, à moins que ne soit transporté à bord un gilet de sauvetage, un dispositif de flottaison individuel ou un vêtement de flottaison individuel pour chaque personne à bordNote de bas de page 11.

    Formation sur l’évacuation d’urgence

    Ni le pilote ni les passagers n’avaient suivi de formation sur l’évacuation subaquatique d’urgence, et la réglementation en vigueur ne l’exigeait pas.

    Une étude du BST sur les accidents d’hydravions au CanadaNote de bas de page 12 a démontré qu’il était difficile pour les passagers de sortir d’un avion après une collision avec un plan d’eau. La formation sur l’évacuation d’urgence pour les pilotes a été jugée essentielle pour augmenter les chances de survie. En février 2019, des modifications proposées au RAC ont été publiées dans la Partie II de la Gazette du CanadaNote de bas de page 13. Ces modifications entreront en vigueur en février 2022 et rendront obligatoire la formation sur l’évacuation subaquatique d’urgence pour les pilotes d’hydravions en exploitation commerciale.

    Messages de sécurité

    Il y avait 2 adultes et 5 enfants à bord de l’avion, mais seulement 4 sièges et dispositifs de retenue. Les occupants des sièges avant n’utilisaient pas les 2 ceintures-baudriers disponibles. Un enfant était assis sur les genoux d’un adulte sans être attaché et un autre n’avait pas de siège du tout. Deux enfants partageaient 1 siège et ne portaient pas la ceinture de sécurité disponible. Il est important que chacun des occupants ait son propre siège et utilise le dispositif de retenue disponible pour augmenter les chances de survie et d’évacuation d’un avion en cas d’accident.

    Les passagers du vol à l’étude ont été en mesure d’évacuer l’avion après la collision. Toutefois, il n’y avait pas suffisamment de vêtements de flottaison pour tout le monde à bord. Il est important qu’un avion ait assez de vêtements de flottaison à bord pour tous les passagers en cas d’accident sur un plan d’eau.

    Le pilote de l’avion dans l’événement à l’étude n’avait pas reçu de formation d’évacuation subaquatique d’urgence. Il a été démontré que cette formation augmente les chances de survie en cas d’accident d’hydravion et les exploitants d’hydravions privés devraient envisager de la suivre.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .