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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A19O0117

Incursion sur piste
Air Georgian Limited
Bombardier CRJ 200, C-GKEJ
Aéroport international Lester B. Pearson de Toronto (Ontario)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 9 août 2019, l’aéronef Bombardier CRJ 200 (immatriculation C-GKEJ, numéro de série 7269) exploité par Air Georgian Limited se préparait à effectuer le vol GGN7339 de l’aéroport international Lester B. Pearson de Toronto (Ontario) à l’aéroport international John Glenn de Columbus (Ohio, États-Unis). L’aéronef Boeing 777-300 (immatriculation C-FIUR, numéro de série 35242) exploité par Air Canada achevait le vol ACA883 de l’aéroport de Kastrup-Kobenhavn (Copenhague, Danemark) à l’aéroport international Lester B. Pearson de Toronto (Ontario).

À 12 h 40, heure avancée de l’Est, l’équipage de conduite du CRJ 200 a commencé à circuler et environ 3 minutes plus tard, le contrôleur tour lui a demandé de s’aligner sur la piste 33R. À peu près au même moment, l’aéronef Boeing 777 a atterri sur la piste 33L et a circulé sur la voie de circulation H. Le contrôleur sol nord a demandé à l’équipage de conduite du Boeing 777 de traverser la piste 33R. Pendant que le Boeing 777 traversait la piste, l’équipage du CRJ 200 a amorcé sa course au décollage, sans en avoir obtenu l’autorisation. Lorsque l’équipage de conduite du CRJ 200 a aperçu le Boeing 777 au-dessus de la bosse de la piste, il a interrompu le décollage et est sorti de la piste par la voie de circulation B2. L’événement est survenu de jour dans des conditions météorologiques de vol à vue. Personne n’a été blessé. Les aéronefs n’ont subi aucun dommage.

1.0 Renseignements de base

1.1 Déroulement du vol

Le 9 août 2019, l’aéronef Bombardier CRJ 200 (immatriculation C-GKEJ, numéro de série 7269) exploité par Air Georgian Limited se préparait à effectuer le vol GGN7339 en suivant les règles de vol aux instruments (IFR) de l’aéroport international Lester B. Pearson de Toronto (CYYZ) (Ontario) à l’aéroport international John Glenn de Columbus (KCMH) (Ohio, États-Unis). À 12 h 40Note de bas de page 1, l’équipage de conduite du CRJ 200 a commencé à circuler du poste de stationnement de l’aérogare 1 vers la piste 33R, en passant par la voie de circulation DR et la voie de circulation D, en vue de décoller. Alors que l’aéronef se trouvait sur la voie de circulation D, le commandant de bord a demandé à la première officière (PO) d’amorcer la liste de vérification de circulation au sol. En plus d’effectuer la liste de vérification, la PO était responsable de surveiller les communications du contrôle de la circulation aérienne (ATC) et d’y répondre.

Pendant que le CRJ 200 roulait sur la voie de circulation D et approchait de l’intersection avec la voie de circulation B, l’attention du commandant de bord était tournée vers un aéronef qui approchait de la droite et roulait sur la voie de circulation B en vue de décoller de la piste 33R.

À peu près au même moment, l’aéronef Boeing 777-300 (immatriculation C-FIUR, numéro de série 35242) exploité par Air Canada, effectuant le vol IFR ACA883 de l’aéroport de Kastrup-Kobenhavn (EKCH) (Copenhague, Danemark) à CYYZ, atterrissait sur la piste 33L. L’équipage de conduite du Boeing 777 a reçu l’instruction de rouler sur la voie de circulation F4 et sur la voie de circulation HNote de bas de page 2, ainsi que de communiquer avec le contrôleur sol nord. Le contrôleur sol nord a demandé à l’équipage de conduite d’attendre à l’écart de la piste 33R.

Vers 12 h 42 min 30 s, un aéronef de Havilland DHC-8 a obtenu l’autorisation de décoller alors qu’il se trouvait à l’intersection de la piste 33R et de la voie de circulation B3Note de bas de page 3. Après le départ du DHC-8, le prochain aéronef devant décoller de la piste 33R était le CRJ 200.

À 12 h 42 min 38 s, la PO du CRJ 200 avait terminé la liste de vérification de circulation au sol et elle avait entamé la liste de vérification d’alignement, lorsque le contrôleur tour a demandé à l’équipage de conduite de s’aligner sur la piste 33R. Le contrôleur tour a inclus dans cette instruction une modification de l’altitude et de la direction concernant l’autorisation de départ normalisé aux instruments (SID) afin d’assurer un espacement adéquat avec le DHC-8 qui venait de décoller.

Après avoir relu correctement les instructions, la PO a modifié le réglage du bouton d’affichage d’altitude, puis elle est retournée à l’élément suivant de la liste de vérification pour l’alignement. Après avoir entendu la relecture correcte de la PO du CRJ 200, le contrôleur tour, qui contrôlait aussi activement les arrivées sur la piste 33L, s’est retourné pour observer un autre de Havilland DHC-8 qui effectuait l’approche pour atterrir sur la piste 33L.

Alors que le CRJ 200 circulait pour s’aligner sur la piste 33R, le Boeing 777 approchait de la ligne d’attente à l’écart de la piste 33R, sur la voie de circulation H. À 12 h 43 min 16 s, le contrôleur sol nord, qui avait coordonné l’activité sur la piste avec le contrôleur tour, a indiqué à l’équipage de conduite du Boeing 777 de traverser sans délai la piste 33R.

Alors que l’équipage de conduite du CRJ 200 se plaçait en position sur la piste 33R et que la PO achevait la liste de vérification pour l’alignement, le commandant de bord a demandé à la PO s’ils avaient reçu une autorisation de décollage. La PO a déclaré qu’ils l’avaient reçue.

À 12 h 43 min 30 s, alors que le Boeing 777 franchissait le point d’attente de la piste 33R, l’équipage du CRJ 200 a amorcé la course au décollage. L’équipage n’avait pas reçu l’autorisation de décoller du contrôleur tour.

Le CRJ 200 a commencé à accélérer. Alors que l’aéronef approchait du sommet de la bosse sur la piste, le commandant de bord a vu le Boeing 777 à environ 5400 pieds devant lui et a immédiatement interrompu le décollage. À ce moment-là, l’équipage de conduite a compris qu’il n’avait probablement pas obtenu l’autorisation de décoller.

À 12 h 43 min 46 s, le système de surveillance des incursions sur piste et d’alerte de conflit (RIMCAS)Note de bas de page 4 a émis une alerte visuelle et une alarme sonore dans la tour. Le contrôleur tour, dont l’attention était accaparée par l’aéronef DHC-8 approchant de la piste 33L, a immédiatement tourné son attention vers le conflit sur la piste 33R.

À 12 h 43 min 53 s, le contrôleur tour a rapidement évalué la situation, déterminé qu’il n’y avait aucun risque de collision et immédiatement accordé l’autorisation de décollage à l’équipage du CRJ 200, qui avait déjà amorcé l’interruption du décollage. L’équipage du CRJ 200 a effectué un appel radio pour informer le contrôleur tour qu’il interrompait le décollage. Le contrôleur tour a alors indiqué au CRJ 200 de quitter la piste 33R en empruntant la voie de circulation B2 (figure 1).

Le CRJ 200 a ralenti et quitté la piste en passant par la voie de circulation B2Note de bas de page 5. Le CRJ 200 avait atteint une vitesse maximale au sol de 99 nœuds pendant la course au décollage.

Figure 1. Représentation de la route du CRJ 200 et de la trajectoire d’approche (ligne pointillée) et de la route de circulation au sol (ligne unie) du Boeing 777 (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Représentation de la route du CRJ 200 et de la trajectoire d’approche (ligne pointillée) et de la route de circulation au sol (ligne unie) du Boeing 777 (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Après avoir quitté la piste et s’être brièvement arrêté sur la voie de circulation B2 pour terminer les éléments applicables de la liste de vérification, l’équipage de conduite du CRJ 200 a reçu des instructions de circulation afin de repositionner l’aéronef et de se préparer à un autre départ de la piste 33R. Le CRJ 200 a quitté CYYZ à 12 h 52. Après l’atterrissage à KCMH, le commandant de bord et la PO ont tous deux déposé un rapport sur la sécurité aérienne Note de bas de page 6 portant sur le décollage interrompu à CYYZ, conformément au manuel d’exploitation de la compagnie Air Georgian.

L’équipage de conduite du Boeing 777 n’était pas au courant du conflit parce qu’il était à l’écoute de la fréquence sol nord.

1.2 Personnes blessées

Aucun des 42 passagers et 3 membres de l’équipage du CRJ 200 n’a été blessé.

Aucun des 378 passagers et 12 membres de l’équipage du Boeing 777 n’a été blessé.

1.3 Dommages à l’aéronef

Aucun des 2 aéronefs n’a subi de dommages.

1.4 Autres dommages

Il n’y a eu aucun autre dommage.

1.5 Renseignements sur le personnel

1.5.1 Équipage de conduite du CRJ 200

Les membres de l’équipage de conduite du CRJ 200 possédaient les licences et les qualifications nécessaires au vol, conformément à la réglementation en vigueur (tableau 1).

Tableau 1. Renseignements sur le personnel
  Commandant de bord Première officière
Licence de pilote Licence de pilote de ligne (ATPL) Licence de pilote professionnel (CPL)
Date d’expiration du certificat médical 1er décembre 2019 1er mai 2020
Heures de vol total 3394 2445
Heures de vol sur type 1331 995
Heures de vol au cours des 7 jours précédant l’événement 28 30
Heures de vol au cours des 30 jours précédant l’événement 82 51
Heures de vol au cours des 90 jours précédant l’événement 199 245
Heures de vol sur type au cours des 90 jours précédant l’événement 199 245

1.5.2 Contrôleur tour

Le contrôleur tour possédait les licences et les qualifications nécessaires pour s’acquitter de ses tâches, conformément à la réglementation en vigueur (tableau 2).

Tableau 2. Renseignements sur le contrôleur
Poste du contrôleur Contrôleur tour à CYYZ
Validité de licence Aéroport international de Calgary (CYYC), CYYZ
Date d’expiration du certificat médical 24 septembre 2020
Expérience comme contrôleur 24 ans
Expérience dans la présente unité 7 ans
Heures de service avant l’événement 6 heures

1.6 Renseignements sur l’aéronef

Les dossiers indiquent que l’aéronef était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. Sa masse et son centre de gravité étaient en deçà des limites prescrites au moment de l’événement (tableau 3).

Tableau 3. Renseignements sur l’aéronef
Constructeur Bombardier
Type, modèle et immatriculation CL-600-2B19, CRJ 200, C-GKEJ
Année de construction 1998
Numéro de série 7269
Date d’émission du certificat de navigabilité / permis de vol 2002-05-03
Total d’heures de vol cellule 46 784,6
Type de moteur (nombre) General Electric CF34-3B1 (2)
Masse maximale autorisée au décollage 52 888 lb (24 040,4 kg)

1.7 Renseignements météorologiques

Le message d’observation météorologique régulière d’aérodrome (METAR) de CYYZ émis à 12 h, soit 43 minutes avant l’événement à l’étude, indiquait ce qui suit :

Les vents présents à CYYZ au moment de l’événement favorisaient l’utilisation des pistes 33L et 33R pour les décollages et les atterrissages. On a jugé que les conditions météorologiques n’avaient pas contribué à l’événement à l’étude.

1.8 Aides à la navigation

1.8.1 Départ normalisé aux instruments

Un départ normalisé aux instruments (SID) est une « [p]rocédure de départ IFR planifiée nécessitant une autorisation ATC et publiée pour utilisation par les pilotes et les contrôleurs afin d’assurer le franchissement d’obstacles et la transition d’un aérodrome à la structure en route appropriéeNote de bas de page 7 ». Dans l’événement à l’étude, le CRJ 200 a été placé en séquence pour décoller après un aéronef de Havilland DHC-8. Étant donné que le CRJ 200 est un type d’aéronef plus rapide que le DHC-8, l’ATC a modifié l’autorisation de SID du CRJ 200 afin d’assurer un espacement adéquat entre les 2 aéronefs.

La PO avait déjà reçu des modifications concernant des autorisations de SID à CYYZ, mais les modifications étaient habituellement indiquées au moment de la circulation de l’aéronef ou elles étaient incluses dans l’autorisation de décollage. Lorsque les modifications de l’autorisation de SID étaient incluses dans l’autorisation de décollage, elles comportaient habituellement un changement d’altitude ou un changement de cap, pas les deux. La PO n’avait jamais reçu de modifications de SID en même temps que des instructions d’alignement.

1.9 Communications

1.9.1 Phraséologie des contrôleurs de la circulation aérienne

Les contrôleurs de la circulation aérienne de la tour de contrôle de CYYZ suivent les directives en matière de communication et de phraséologie qui sont établies dans le Manuel des services de la circulation aérienne (MATS)Note de bas de page 8 et dans le Toronto Control Tower Unit Operations ManualNote de bas de page 9. La phraséologie de l’ATC est également décrite dans l’outil d’apprentissage et guide de référence de NAV CANADA, Phraséologie IFRNote de bas de page 10,Note de bas de page 11. Chaque contrôleur reçoit une formation sur le contenu de ces manuels.

Comme l’indique le MATS, les contrôleurs doivent mettre en application ce qui suit :

Utilisez la phraséologie normalisée contenue dans ce manuel chaque fois que possible. De préférence, utilisez la phraséologie normalisée plutôt qu’une formulation en langage clair. Si la phraséologie n’est pas fournie, utilisez une formulation en langage clair et concisNote de bas de page 12.

Le tableau qui suit présente les exigences du MATS en matière de phraséologie à l’intention des contrôleurs dans le contexte du vol à l’étude :

Tableau 4. Exemples de phraséologie du contrôleur tirés du MATS de NAV CANADA (Source : NAV CANADA, Manuel des services de la circulation aérienne — Tour de contrôle, version 2.1 [entré en vigueur le 28 mars 2019])
Mesure Instruction au contrôleur Phraséologie à utiliser pour communiquer avec l’aéronef Page dans la source
Instructions d’alignement sur piste Si aucun délai n’est prévu, donnez l’instruction à un aéronef de s’aligner de la façon suivante :: ALIGNEZ-VOUS ( id de piste ) 98
SID Vous pouvez émettre une altitude différente de l’altitude spécifiée dans le SID, à condition que vous preniez les deux mesures suivantes :
  • Vous énoncez l’altitude modifiée.
  • Vous obtenez une relecture avant le départ
75
Modification d’une altitude dans une autorisation de départ SID transmise précédemment Aucune instruction fournie. NUMÉRO DE VOL… MODIFICATION DE VOTRE ALTITUDE SID; MONTEZ À... 76
Départs successifs IFR : Même piste Immédiatement après le décollage, les trajectoires de départ divergent de 30° ou plus. Un seul ou les deux aéronefs peuvent exécuter un virage. “VOLEZ ( cap ), [ restriction d’altitude ].” ou “VIREZ À ( GAUCHE / DROITE ) ( cap ), [ ( restriction d’altitude ) ].” 190

L’objectif de la phraséologie aéronautique normalisée est d’éliminer autant que possible les ambiguïtés. La phraséologie normalisée réduit le risque qu’un message soit mal compris et facilite le processus de relecture et de réécoute de sorte que toute erreur puisse être rapidement déceléeNote de bas de page 13.

1.9.1.1 Relecture et réécoute

Le Règlement de l’aviation canadien (RAC)Note de bas de page 14 exige que l’équipage de conduite respecte toutes les instructions du contrôle de la circulation aérienne et en accuse réception.

Les directives suivantes en ce qui a trait à la relecture et à la réécoute sont fournies aux pilotes dans le guide Phraséologie IFR de NAV CANADA :

Le personnel ATS [services de la circulation aérienne] est tenu de confirmer que les relectures de toutes les autorisations IFR sont exactes. C’est ce qu’on appelle la réécoute. À titre de pilote, vous pouvez faciliter ce processus : relisez promptement toutes les autorisations et instructions IFR en employant une phraséologie normalisée et, dans la mesure du possible, dans le même ordre/format qu’elles ont été émises.

Les erreurs de relecture/réécoute entraînent souvent des événements d’aviation liés à la sécurité. Éliminez les appels radio inutiles et n’utilisez qu’une phraséologie claire et concise afin de réduire le nombre d’erreurs de relecture et de réécouteNote de bas de page 15.

De plus, le MATS de NAV CANADA contient les directives suivantes à l’intention des contrôleurs :

Une autorisation ou une instruction de l’ATC constitue, pour un aéronef, l’autorisation de ne poursuivre que dans la mesure où la circulation aérienne connue est concernée. Elle est basée uniquement sur la nécessité d’espacer la circulation aérienne de façon sécuritaire et efficace.[172]

  1. Un pilote est tenu de se conformer à une autorisation ATC qu’il a acceptée et à une instruction qui lui a été adressée et dont il a accusé réception, sous réserve de sa responsabilité finale en ce qui concerne la sécurité de son aéronefNote de bas de page 16.

1.9.2 Décollage retardé

Lorsqu’il émet des instructions ou des autorisations et s’il est nécessaire de retarder le décollage d’un aéronef en raison du trafic ou pour des raisons d’espacement, le contrôleur de la circulation aérienne peut décider d’indiquer à l’équipage de conduite d’« attendre » après l’instruction d’alignement. La raison pour laquelle le décollage est reporté n’est pas toujours connue de l’équipage de conduite. Selon le MATS de NAV CANADA : « Les retards peuvent être causés par du trafic précédent atterrissant ou décollant, des retards IFR ou un positionnement CRDA [converging runway display aid]. Par exemple, vous n’êtes pas tenu d’informer un pilote de la raison du retard si un aéronef qui le précède attend pour décoller ou qu’un aéronef visible est en approche finaleNote de bas de page 17. »

Lors de l’événement à l’étude, dans le cadre de la gestion de la circulation, le contrôleur tour avait prévu un court délai pour permettre à l’aéronef précédent qui décollait de prendre de l’altitude sur un cap divergent et pour laisser suffisamment de temps au Boeing 777 pour quitter la piste 33R par la voie de circulation H. Ce court délai a également donné au contrôleur tour l’occasion de centrer son attention sur l’aéronef en cours d’atterrissage qui approchait de la piste 33L. Étant donné que le délai était court et que le contrôleur croyait que l’équipage du CRJ 200 était au courant du départ précédent, le contrôleur a choisi de ne pas informer l’équipage de conduite du CRJ 200 d’un retard et de ne pas donner l’instruction « attendez » après avoir donné l’instruction de s’aligner.

1.9.3 Autorisation de décoller

Le MATS de NAV CANADA fournit des directives aux contrôleurs et indique le format qui doit être utilisé pour accorder une autorisation de décollage à l’équipage d’un aéronefNote de bas de page 18. Le manuel comprend également des directives à suivre pour annuler une autorisation de décollage. Si l’autorisation de décollage est annulée une fois que l’aéronef s’est mis à rouler sur la piste, le contrôleur doit donner l’instruction « interrompez le décollage » et indiquer les raisons motivant l’annulation de l’autorisationNote de bas de page 19.

Dans l’événement à l’étude, l’autorisation de décollage n’avait pas été accordée à l’équipage du CRJ 200.

1.9.3.1 Phraséologie essentielle à la sécurité

En cas d’incursion sur piste grave, un contrôleur peut décider que la marche à suivre la plus sécuritaire est de donner l’instruction d’interrompre son décollage à un aéronef en partance ou l’instruction de remettre les gaz à un aéronef en approche. Ces instructions, notamment celle d’interrompre un décollage, ne sont pas courantes, mais elles sont considérées comme une option de dernier recours. Les lignes directrices du MATS stipulent que :

L’interruption du décollage est une procédure d’urgence utilisée dans des situations où la continuation du décollage présenterait un grand danger pour l’aéronef. La décision d’un contrôleur d’interrompre le décollage est une mesure extrême utilisée uniquement lorsqu’il n’y a aucune solution de rechange possibleNote de bas de page 20.

1.10 Renseignements sur l’aérodrome

1.10.1 Aéroport international Lester B. Pearson de Toronto

CYYZ est exploité par l’Autorité aéroportuaire du Grand Toronto et compte au total 5 pistes : 05/23, 06L/24R, 06R/24L, 15L/33R et 15R/33L.

1.10.1.1 Pistes 15L/33R et 15R/33L

Au moment des faits à l’étude, les pistes 33R et 33L étaient utilisées pour recueillir des données sur le temps d’occupation des pistes (ROT)Note de bas de page 21. La piste 33R était utilisée pour les départs d’aéronefs et la piste 33L pour les arrivées d’aéronefs. On peut dire que la distance de circulation au sol entre le poste de stationnement de l’aérogare 1 et la piste 33R est courte. Dans l’événement à l’étude, la distance mesurée entre le poste de stationnement d’où le CRJ 200 a commencé à circuler et la ligne d’attente à l’écart sur la piste 33R est d’environ 1000 m (3280 pieds).

À CYYZ, les pistes 15L/33R et 15R/33L sont utilisées pour environ 5 % de tous les déplacements. Huit voies de circulation croisent la piste 15L/33R (figure 2). Ces voies de circulation sont utilisées pour faciliter les mouvements des aéronefs à CYYZ.

Figure 2. Schéma de la piste 15L/33R montrant toutes les voies de circulation sécantes (indiquées par des lettres) (Source : NAV CANADA, Canada Air Pilot, vol. 4, p. 721)
Schéma de la piste 15L/33R montrant toutes les voies de circulation sécantes (indiquées par des lettres) (Source : NAV CANADA, Canada Air Pilot, vol. 4, p. 721)
1.10.1.2 Piste 15L/33R et calculs de visibilité directe

La piste 33R, soit la piste de l’événement à l’étude, est d’une longueur de 11 050 pieds et d’une largeur de 200 pieds. L’élévation de la surface de la piste augmente à partir du seuil de la piste 33R et culmine à 23 pieds au-dessus du niveau du seuil, ce qui crée une bosse à environ 3600 pieds du début de la piste. L’élévation diminue ensuite sur le restant de la piste jusqu’à atteindre une valeur nulle.

Dans le cadre de l’enquête, la superficie du Boeing 777 que l’équipage de conduite du CRJ 200 aurait pu voir à des points précis le long de la piste 33R a été calculée. Les calculs étaient fondés sur la visibilité directe de l’équipage de conduite en position assise dans le poste de pilotage du CRJ 200 et tenaient compte du profil de pente de la piste et de l’emplacement du Boeing 777 lorsqu’il a traversé la piste 33R, par la voie de circulation H.

Au début de la course au décollage à partir du seuil de la piste 33R, il aurait été possible de voir 7,4 m (24,28 pieds) de la partie supérieure du stabilisateur vertical du Boeing 777, environ 8900 pieds devant (figure 3).

Figure 3. Vue de dessus et de profil de la piste 33R montrant la ligne de visibilité de l'équipage de conduite du CRJ 200 et sa vue du Boeing 777 au début de la course au décollage (position 1 dans l'illustration) (Source : BST)
Vue de dessus et de profil de la piste 33R montrant la ligne de visibilité de l'équipage de conduite du CRJ 200 et sa vue du Boeing 777 au début de la course au décollage (position 1 dans l'illustration) (Source : BST)

Alors que l’aéronef, poursuivant sa course sur la piste 33R, approchait du sommet de la bosse sur la piste, il aurait été possible de voir l’ensemble du fuselage, soit les 17,2 m (56,43 pieds) supérieurs, du Boeing 777 traversant la piste 33R par la voie de circulation H, quelque 6400 pieds devant (figure 4).

Figure 4. Vue de dessus et de profil de la piste 33R montrant la ligne de visibilité de l'équipage de conduite du CRJ 200 et sa vue du Boeing 777 au sommet de la bosse sur la piste (position 2 dans l'illustration) (Source : BST)
Vue de dessus et de profil de la piste 33R montrant la ligne de visibilité de l'équipage de conduite du CRJ 200 et sa vue du Boeing 777 au sommet de la bosse sur la piste (position 2 dans l'illustration) (Source : BST)

1.10.2 Tour de l’aéroport international Lester B. Pearson de Toronto

1.10.2.1 Généralités

Au moment de l’événement, 4 des 9 postes (Figure 5) de la tour à CYYZ étaient occupés :

Figure 5. Postes des employés dans la tour de l’aéroport international Lester B. Pearson de Toronto. Les postes vacants au moment de l’événement sont indiqués par un « X ». (Source : NAV CANADA)
Postes des employés dans la tour de l’aéroport international Lester B. Pearson de Toronto. Les postes vacants au moment de l’événement sont indiqués par un « X ». (Source : NAV CANADA)
1.10.2.2 Poste combiné de tour nord/sud

Il y a 2 postes de contrôleur tour à CYYZ. Le contrôleur tour nord est responsable des aéronefs qui décollent des pistes 05/23 et 15L/33R ou y atterrissent. Le contrôleur tour sud est responsable des aéronefs qui décollent des pistes 06L/24R, 06R/24L et 15R/33L ou y atterrissent.

Le Toronto Control Tower Unit Operations Manual permet à 1 contrôleur tour d’assumer les responsabilités nord et sud de la tour dans un poste combiné en période de trafic léger à l’aéroport, sous la direction du surveillant de tour ou du contrôleur principal en serviceNote de bas de page 22. Au moment de l’événement, le volume de trafic à CYYZ était considéré comme léger, ce qui justifiait que la tour mène ses activités avec une seule personne occupant le poste combiné de contrôleur tour nord/sud.

1.10.2.3 Visibilité des seuils de la piste 33L et de la piste 33R depuis la tour

La tour est située entre les pistes 33L et 33R. Le poste de travail combiné tour nord/sud fait face au nord-ouest. Lorsqu’il est assis ou debout face à ce poste de travail, le contrôleur tour doit faire pivoter sa chaise ou son corps dans le sens horaire d’environ 150° pour observer le seuil de la piste 33R. De même, le contrôleur doit faire pivoter sa chaise ou son corps d’environ 110° dans le sens antihoraire pour observer le seuil de la piste 33L.

Au moment de l’événement, le contrôleur tour était debout pour observer un aéronef qui atterrissait sur la piste 33L. Par conséquent, il ne pouvait ni surveiller le seuil de la piste 33R, ni utiliser l’écran du système perfectionné de guidage et de contrôle de la circulation de surface (A‑SMGCS) au poste de travail pour confirmer la position du CRJ 200.

1.10.2.4 Charge de travail du contrôleur

Le contrôleur tour a qualifié de modérée sa charge de travail au moment de l’événement, compte tenu de la difficulté de surveiller les seuils des pistes 33L et 33R lorsqu’on occupe le poste combiné. Le contrôleur doit également faire preuve de vigilance à l’égard du trafic traversant la piste en service étant donné le nombre de voies de circulation qui croisent la piste 33R. Pour gérer cette charge de travail, le contrôleur tour intégrait à l’occasion de courts délais entre les instructions d’alignement et les autorisations de décollage données aux aéronefs partants. Ces courts délais donnaient au contrôleur tour le temps nécessaire pour surveiller les aéronefs qui atterrissaient et il lui permettaient d’assurer la coordination avec le contrôleur sol pour garantir que les aéronefs devant traverser la piste 33R le fassent en toute sécurité.

1.10.3 Système perfectionné de guidage et de contrôle de la circulation de surface

La tour de contrôle de CYYZ est munie d’un A-SMGCS, ou radar sol, qui fournit aux contrôleurs un affichage en temps réel de la circulation d’aéronefs et d’autres véhicules sur les aires de manœuvre de l’aérodrome. Ce système reçoit les données de radars et d’antennes de multilatération. Chaque poste de contrôle de la tour comprend son propre écran A‑SMGCS.

1.10.3.1 Système de surveillance des incursions sur piste et d’alerte de conflit

Le RIMCAS est un sous-système du A-SMGCS. Le logiciel RIMCAS surveille la circulation d’aéronefs et de véhicules sur l’aire de mouvement de l’aérodrome et d’aéronefs dans l’espace aérien environnant pour détecter les conflits potentiels et alerter les contrôleurs de la circulation aérienneNote de bas de page 23.

La principale fonction du logiciel RIMCAS est de surveiller les incursions sur piste. Lorsqu’un aéronef doit décoller d’une piste désignée en service ou y atterrir, le logiciel évalue les positions des cibles radar et, selon des paramètres configurables, cerne les incursions sur cette piste. Lorsqu’il détecte un danger, le logiciel envoie un message d’alerte au contrôleur de la circulation aérienne et identifie les cibles, leurs positions et la gravité du danger.

Les alertes sont générées en 2 étapes. L’alerte de niveau 1 est visuelle : elle s’affiche à l’écran A-SMGCS pour alerter le contrôleur de la circulation aérienne de l’existence d’une situation dangereuse. L’alerte de niveau 2 est visuelle et sonore : une alerte s’affiche à l’écran A‑SMGCS, et une alarme retentit dans la tour pour indiquer que le danger est critique et qu’une incursion peut être imminente.

Le MATS fournit les indications suivantes pour le moment où une alerte de niveau 1 passe au niveau 2 :

Lorsqu’un aéronef au départ active une alerte, annulez l’autorisation de décollage ou transmettez des instructions d’interruption de décollageNote de bas de page 24.

Seuls les contrôleurs de la circulation aérienne entendent les alarmes et voient les alertes générées par le logiciel RIMCAS leur indiquant de transmettre de nouvelles instructions aux aéronefs ou aux véhicules qui sont en danger. Ce logiciel n’avertit pas directement les équipages de conduite à bord d’aéronefs.

Le jour de l’événement, le RIMCAS a fonctionné comme prévu et a généré d’abord une alerte de niveau 1, puis une alerte de niveau 2.

1.11 Enregistreurs de bord

Conformément à la réglementation en vigueur, le CRJ 200 était muni d’un enregistreur de conversations de poste de pilotage (CVR) ainsi que d’un enregistreur numérique de données de vol (DFDR). Le BST a demandé que les 2 enregistreurs soient mis de côté à des fins d’analyse.

1.11.1 Enregistreur numérique de données de vol

Air Georgian n’a pas mis de côté le DFDR; l’appareil n’était donc pas disponible au moment de l’enquête.

1.11.2 Enregistreur de conversations de poste de pilotage

Air Georgian a mis de côté le CVR et l’a remis au BST. Le CVR installé à bord du CRJ 200 était un modèle A100S de marque Fairchild, dont la capacité d’enregistrement est de 30 minutes. Les communications au moment de l’événement n’ont pas été conservées dans le CVR parce qu’il n’a été retiré du service qu’après la fin du vol de l’aéronef vers KCMH, soit environ 60 minutes après le départ de CYYZ.

La norme 625.34 du RAC stipule notamment ce qui suit :

Au présent article, toute mention de la date de construction d’un aéronef s’entend de celle à laquelle le constructeur a signé l’attestation de conformité certifiant que l’aéronef est conforme à la définition de type approuvée.

[…]

(2) Le CVR installé à bord d’un aéronef construit après le 31 décembre 2002, doit conserver toute l’information enregistrée pendant le temps d’utilisation de l’aéronef, ou pendant ses deux dernières heures d’utilisation, selon la plus courte de ces périodes.

(3) Le CVR installé sur un aéronef autre que celui visé au paragraphe (2), doit conserver toute l’information enregistrée pendant le temps d’utilisation de l’aéronef, ou pendant ses 30 dernières minutes d’utilisation, selon la plus courte de ces périodesNote de bas de page 25.

Pour mener leurs activités aux États-Unis, les exploitants aériens canadiens doivent se conformer à certaines parties des Federal Aviation Regulations (FAR) des États-Unis. Dans ce cas précis, Air Georgian est tenue de se conformer à la partie 129.5b) des FAR, qui stipule que [traduction] :

[c]haque transporteur aérien étranger menant des activités aux États-Unis doit les mener conformément aux normes énoncées [...], à l’annexe 6 (Exploitation d’aéronefs), [...] de la Convention relative à l’aviation civile internationaleNote de bas de page 26.

L’annexe 6 de la Convention relative à l’aviation civile internationale de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) exige que :

[t]ous les avions dont la masse maximale au décollage certifiée est supérieure à 5 700 kg et dont le premier certificat de navigabilité individuel a été délivré le 1er janvier 1987 ou après seront équipés d’un CVRNote de bas de page 27.

L’annexe 6 exige également que :

[t]ous les CVR conserveront les éléments enregistrés au cours des 2 dernières heures de fonctionnement au moinsNote de bas de page 28.

Cette exigence voulant que les CVR puissent conserver au moins 2 heures a été publiée pour la première fois à l’annexe 6 de l’OACI le 18 novembre 2010. Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Par conséquent, l’utilisation de CVR d’une capacité de 30 minutes n’est plus autorisée par les normes internationales.

En mai 2019, Transports Canada a publié des modifications au Règlement de l’aviation canadien qui exigent que les CVR puissent enregistrer pendant au moins 2 heures; toutefois, ces exigences n’entreront en vigueur que le 29 mai 2023. Cette date de mise en œuvre permettra de continuer à utiliser des CVR de 30 minutes au Canada pendant plus de 7 ans après la date limite de janvier 2016 établie par l’OACI.

Le CRJ 200 était exploité conformément au RAC en vigueur pour le vol au Canada, mais il n’était pas conforme aux exigences du FAR ou de l’OACI en ce qui a trait aux vols internationaux.

1.11.3 Recommandation antérieure du BST sur la durée de l’enregistrement de l’enregistreur de conversations de poste de pilotage

Le 9 mars 1999, le BST a publié la recommandation A99-02 dans le cadre de son enquête sur l’accident du vol 111 de Swissair, un aéronef McDonnell Douglas MD-11 qui s’est écrasé dans l’eau près de Peggy’s Cove (Nouvelle-Écosse) après que l’équipage a dérouté le vol vers Halifax (Nouvelle-Écosse) en raison de la présence de fumée dans le poste de pilotageNote de bas de page 29.

Une des lacunes constatées lors de l’enquête a été la capacité d’enregistrement limitée du CVR. Le CVR n’a pu qu’enregistrer pendant 30 minutes; il n’a donc pas enregistré la période cruciale pour l’enquête. En conséquence, le Bureau a recommandé à Transports Canada (TC) que :

dès le 1er janvier 2005, tous les aéronefs qui doivent être équipés d’un FDR et d’un CVR soient tenus d’être équipés d’un CVR d’une capacité d’enregistrement d’au moins 2 heures.
Recommandation A99-02 du BST

Dans sa plus récente réponse (datée d’octobre 2019), TC a indiqué qu’il était d’accord avec la recommandation A99-02.

En mai 2019, des modifications au RAC en matière d’enregistreurs de données de vol (FDR) et de CVR ont été publiées dans la partie II de la Gazette du CanadaNote de bas de page 30. Ces modifications comprenaient l’obligation que les CVR puissent enregistrer au moins 2 heures. La réglementation entrera en vigueur en mai 2023.

Le Bureau estime que ces modifications combleront les lacunes de sécurité associées à cette recommandation.

Par conséquent, le BST a estimé que la réponse à la recommandation A99-02 dénote une attention entièrement satisfaisante.

Pour plus de détails sur cette recommandation, ainsi que pour consulter les réponses de TC à la recommandation et l’évaluation de ces réponses par le BST, visitez le site https://www.tsb.gc.ca/fra/recommandations-recommendations/aviation/index.html.

1.12 Renseignements sur l’épave et sur l’impact

Sans objet.

1.13 Renseignements médicaux et pathologiques

Rien dans l’enquête ne laisse croire que des facteurs médicaux et pathologiques aient pu nuire au rendement du commandant de bord ou de la PO.

1.14 Incendie

Sans objet.

1.15 Questions relative à la survie des occupants

Sans objet.

1.16 Essais et recherche

1.16.1 Rapports de laboratoire du BST

Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

1.17 Renseignements sur les organismes et sur la gestion

1.17.1 Généralités

Le Boeing 777 et le CRJ 200 étaient tous deux exploités conformément à la sous-partie 705 du RAC (Exploitation d’une entreprise de transport aérien).

1.17.2 Air Georgian Limited

1.17.2.1 Généralités

Au moment de l’événement, Air Georgian Limited était le propriétaire et l’exploitant du CRJ 200. La compagnie, une filiale de Regional Express Aviation Ltd., établie en 1984, exploitait des Beechcraft 1900D et des Bombardier CL-600-2B19 (CRJ-100 et 200). Son siège social se trouvait à Toronto (Ontario).

1.17.2.2 Tâches de l’équipage de conduite pendant la circulation au sol

Le manuel d’exploitation de la compagnie Air Georgian offre des définitions et indique les responsabilités de chaque membre d’équipage de conduite. Le manuel stipule que le commandant de bord doit s’assurer [traduction] « que les membres d’équipage s’acquittent de leurs fonctions d’une manière conforme aux politiques et procédures publiées de la compagnie pendant le temps de service en volNote de bas de page 31 ».

Tous les membres de l’équipage de conduite doivent se surveiller mutuellement, dans les limites permises par leurs fonctions, afin d’assurer l’uniformité de toutes les activités.

Comme l’indiquent les procédures d’exploitation normalisées (SOP), la liste de vérification de circulation au sol ne doit pas être effectuée pendant les manœuvres dans les zones à trafic élevé, notamment à proximité des portes d’embarquement et sur les aires de trafic. L’équipage de conduite doit être concentré sur la zone de manœuvre qui l’entoureNote de bas de page 32.

Chaque membre d’équipage de conduite est tenu de surveiller l’autre, de contre-vérifier tous les instruments et de tenir les autres informés de tout écart par rapport aux SOP. Les SOP exigent en outre que le commandant de bord et le PO confirment verbalement entre eux certaines instructions et certaines autorisations, par exemple toutes les instructions d’attente à l’écart, les autorisations de s’engager sur une piste en service et les autorisations de décollageNote de bas de page 33.

1.17.2.2.1 Commandant de bord

Pendant la circulation au sol, le commandant de bord est chargé de manœuvrer l’aéronef en toute sécurité jusqu’à la piste, de surveiller le trafic au sol, de superviser le PO et de répondre à tout élément d’annonce et réponse figurant sur les listes de vérification et annoncé par le PO.

1.17.2.2.2 Premier officier

Pendant la circulation au sol, le PO est chargée d’effectuer les listes de vérification requises, d’annoncer tout élément d’annonce et réponse figurant sur les listes de vérification, d’écouter les communications de l’ATC et d’y répondre, et de rester attentif à ce qui se passe à l’extérieur de l’aéronef.

1.18 Renseignements supplémentaires

1.18.1 Attentes et modèles mentaux dans les environnements opérationnels

Dans les situations opérationnelles réelles, on se fie à l’expérience et aux connaissances pour rapidement catégoriser la situation que l’on vit et pour choisir la marche à suivre appropriéeNote de bas de page 34. Ainsi, dans les situations souvent répétées, l’attention et les attentes sont généralement éclairées par le modèle mental que l’on a de la situation, étant donné que l’expérience antérieure permet de savoir quelle information est importante et comment se déroulera la situation.

Les modèles mentaux sont essentiels pour réagir efficacement dans des environnements dynamiques où chaque seconde compte, car ils réduisent le besoin d’évaluer une situation, ce qui prend du temps, et permettent d’agir rapidement. Cependant, ils peuvent également entraîner des erreurs de perception de l’information. Lorsque les pilotes reçoivent des renseignements sur l’environnement auxquels ils s’attendent, ils tendent à réagir rapidement et sans erreur. Toutefois, lorsqu’ils reçoivent des renseignements différents de ceux auxquels ils s’attendent, ils tendent à réagir lentement ou de manière inappropriéeNote de bas de page 35.

1.18.2 Attention et charge de travail

La charge de travail dépend du nombre de tâches à accomplir dans un laps de temps donné. Si le nombre de tâches à accomplir augmente, ou si le temps disponible pour les accomplir diminue, la charge de travail augmente. Il y a saturation des tâches quand le nombre de tâches à accomplir dans un laps de temps donné excède les capacités d’une personne à les accomplir, et certaines tâches doivent alors être abandonnées ou reportéesNote de bas de page 36.

La capacité d’une personne de partager son attention est limitée, et une charge de travail accrue peut nuire à la capacité de percevoir et d’évaluer l’information provenant de l’environnement. Une charge de travail accrue peut entraîner un rétrécissement ou une concentration de l’attentionNote de bas de page 37. Dans certains cas, on peut se concentrer involontairement sur de l’information que l’on estime de la plus haute importance. Dans d’autres cas, on peut fixer notre attention sur une certaine information. L’une ou l’autre de ces situations peut engendrer une conscience situationnelle inexacteNote de bas de page 38.

1.18.3 Facteurs ayant une répercussion sur l’attention et la charge de travail de l’équipage de conduite

Le jour de l’événement à l’étude, alors que l’aéronef circulait en direction de la piste 33R, le commandant de bord concentrait son attention sur un aéronef qui roulait vers lui, sur la voie de circulation B, et il n’a donc pas pu surveiller la PO pendant qu’elle s’acquittait de ses fonctions.

Jusqu’à 6 minutes peuvent être nécessaires pour effectuer et vérifier visuellement les éléments des listes de vérification pour la circulation au sol et l’alignement, si cette tâche est réalisée sans contrainte de tempsNote de bas de page 39. Toutefois, si l’équipage de conduite reçoit un appel radio de l’ATC pendant qu’une liste de vérification est en cours d’exécution, la personne qui exécute la liste de vérification doit interrompre ce qu’elle fait, noter les éléments de la liste de vérification qui n’ont pas encore été effectués, puis écouter les instructions reçues de l’ATC, prendre des notes (le cas échéant) et relire les instructions. Chaque communication radio avec l’ATC peut retarder l’achèvement d’une liste de vérification de 10 à 30 secondes, voire plus, selon le contenu de la communication. Au moment de l’événement, l’équipage de conduite du CRJ 200 avait reçu 2 instructions du contrôleur sol sud et 1 instruction du contrôleur tour pendant que l’aéronef circulait de l’aire de trafic à la piste 33R.

Le temps écoulé entre le moment où le CRJ 200 a quitté l’aire de stationnement et le moment où il a commencé sa course au décollage était de 3 minutes 22 secondes.

1.18.4 Fatigue

La fatigue associée au manque de sommeil peut résulter d’un ou de plusieurs des 6 facteurs de risque suivants :

Les baisses de rendement liées à la fatigue constituent des facteurs de risque et des prédicteurs importants en ce qui concerne les accidents et les blessures au travailNote de bas de page 40, les accidents routiersNote de bas de page 41 et les événements aéronautiques.

Il y a de nombreux rythmes biologiques chez les humains qui suivent un schéma circadien (quotidien). De nombreux rythmes circadiens sont interdépendants et synchronisés entre eux et avec un moment précis de la journée. La fatigue et la propension au sommeil suivent également un schéma circadien et augmentent considérablement la nuitNote de bas de page 42. Chez l’humain, le rendement optimal est atteint lorsque tous les rythmes circadiens sont synchronisés entre eux et avec des signaux temporels externes.

Les quarts de travail suivant un cycle progressif — c’est-à-dire de jour, d’après-midi, puis de nuit — facilitent l’ajustement du rythme circadien et diminuent le risque de fatigue par rapport aux quarts de travail suivant un cycle régressifsNote de bas de page 43. Une modification trop brusque du schéma veille-sommeil peut causer une désynchronisation des rythmes circadiens, ce qui peut entraîner des baisses de rendement. Des recherches ont montré que les travailleurs dont les quarts sont variables obtiennent, en moyenne, moins de sommeil et sont plus susceptibles d’être affligés de troubles du sommeil, de somnolence excessive et de perturbations des rythmes circadiensNote de bas de page 44,Note de bas de page 45 que les travailleurs ayant des quarts de travail réguliers. En raison de la désynchronisation, il sera également plus difficile d’obtenir suffisamment de sommeil réparateur avant d’entamer le nouveau quart du matin, parce que le corps n’est pas encore synchronisé pour s’endormir en début de soirée.

Les recherches ont également montré que les rythmes circadiens s’adaptent à un rythme compris entre 1 et 1,5 heure par jour, selon la direction du changement de quart. Afin de réduire les risques de désynchronisation du rythme circadien et de fatigue, une bonne règle générale consiste à accorder aux gens 1 jour d’adaptation pour chaque heure de changement antihoraire dans le schéma veille-sommeil (c’est-à-dire lorsqu’on se couche plus tôt qu’à l’habitude)Note de bas de page 46.

1.18.4.1 Politique de gestion de la fatigue chez Air Georgian

Air Georgian a mis sur pied son programme de gestion de la fatigue en comprenant les risques qui pèsent sur les pilotes moyen-courrier et court-courrier. La gestion de la fatigue a été longuement abordée pendant la formation au sol, qui comprenait la liste de vérification IMSAFENote de bas de page 47 et la formation de sensibilisation sur la façon de déceler la fatigue, le processus de déclaration et les mesures prises en fonction de ces déclarations.

En outre, au début de 2019, dans le cadre du programme de gestion de la fatigue d’Air Georgian, la compagnie a fait appel à un tiers pour aider à améliorer les stratégies visant à réduire les risques, à améliorer la productivité et à optimiser le rendement humain grâce à la science du sommeil. Air Georgian a également utilisé un logiciel qui gérait et optimisait l’horaire de l’équipage en appliquant les normes relatives aux limites de temps de vol et de temps de service qui étaient en vigueur au moment de l’événement.

Le manuel des politiques et procédures d’entrepriseNote de bas de page 48 d’Air Georgian contient la politique de gestion de la fatigue de la compagnie, qui fournit des renseignements sur les causes de la fatigue, quelques mesures d’atténuation pour éviter la fatigue, des conseils si un membre d’équipage se sent fatigué au travail et des politiques concernant la fatigue dans les opérations aériennes. Le manuel ne mentionne pas les répercussions du sens de rotation des quarts de travail sur le rythme circadien et sur le degré de fatigue d’une personne.

La formation sur la fatigue des pilotes d’Air Georgian portait sur les éléments du manuel des politiques et procédures d’entreprise, y compris la politique de gestion de la fatigue. Au moment de l’événement, le commandant de bord et la PO étaient au courant de la politique de gestion de la fatigue et avaient reçu une formation à ce sujet.

1.18.4.2 Horaire typique de l’équipage chez Air Georgian

Au cours des 2 mois précédant l’événement, les quarts de travail de l’équipage alternaient entre le quart de soir et le quart de jour. Les périodes de service de vol et de repos de l’équipage étaient conformes à la réglementationNote de bas de page 49. Les quarts de soir commençaient généralement entre 13 h et 14 h 30 et se terminaient entre 22 h 30 et 23 h 30. Pour les quarts de travail tôt le matin, l’équipage devait généralement se rendre au travail au petit matin entre 5 h et 6 h 55 et il était libéré de ses fonctions entre 13 h et 16 h.

Le commandant de bord et la PO ont tous deux déclaré se sentir régulièrement fatigués lorsqu’ils faisaient le quart de soir. Le commandant de bord et la PO se couchaient alors environ 2 à 4 heures plus tard que leur heure normale de coucher, soit 22 h, à cause de l’heure à laquelle le quart de nuit se terminait et des 2 heures nécessaires pour rentrer chez eux à partir de la porte d’embarquement de l’aéroport. Après les quarts de soir, le commandant de bord et la PO ont déclaré qu’ils se réveillaient normalement à leur heure habituelle le matin (vers 7 h), puis qu’ils tentaient de se rendormir. Ni le commandant de bord ni la PO ne faisaient de siestes pendant leurs jours de congé.

Au cours des 2 mois précédant l’événement, l’équipage s’est vu accorder entre 1 et 6 jours de repos entre les quarts de soir et les quarts de jour, dans la partie régressive du cycle des quarts de travail. Pendant leurs jours de congé, le commandant de bord et la PO tentaient de maintenir leur schéma veille-sommeil normal (c’est-à-dire se coucher vers 22 h et se réveiller vers 7 h).

1.18.4.3 Historique de veille-sommeil de l’équipage
1.18.4.3.1 Commandant de bord

Le jour de l’événement, le commandant de bord s’est réveillé à 4 h 15 et a commencé à travailler à 5 h 30. Bien qu’il ait eu 7 heures de sommeil de bonne qualité la veille, il se sentait fatigué le jour de l’événement.

Pendant les 6 jours précédant l’événement, le commandant de bord était dans la partie régressive de son cycle de quarts de travail. Après avoir fait le quart de soir pendant 4 jours, le commandant de bord avait eu 1 jour de congé pour se reposer avant de commencer à faire le quart du petit matin, qui commençait à 7 h 15. Le commandant de bord n’a pas fait de sieste pendant son jour de congé. L’événement s’est produit pendant le 2e quart de travail du petit matin du commandant de bord. Le commandant de bord risquait de subir une certaine désynchronisation du rythme circadien, car il lui aurait fallu au moins 3 jours entre les rotations de quart pour s’adapter au nouvel horaire du matin (il devait se lever plus tôt qu’à la normale, soit à 4 h au lieu de 7 h). Le sommeil du commandant de bord a été fortement perturbé parce que les quarts du matin l’obligeaient à commencer plus tôt que ce à quoi il était habitué. Les heures de fin du quart de soir pendant les 4 jours de travail précédant l’événement ont fait en sorte que le commandant de bord n’a pas pu avoir 8 heures pleines de sommeil réparateur au cours de toutes ces nuits, puisqu’il se réveillait à l’heure habituelle. Il accumulait ainsi une dette de sommeil chronique engendrée par une quantité de sommeil réduite récurrente. Bien que le commandant de bord ait éprouvé une certaine fatigue au moment de l’événement, l’enquête n’a pas permis de déterminer si les effets de la fatigue sur le rendement ont été un facteur qui a contribué à l’incursion sur piste.

1.18.4.3.2 Première officière

Au cours des 6 jours précédant l’événement, la PO avait eu un horaire de travail régulier débutant tôt en matinée; elle avait commencé à travailler entre 5 h et 5 h 30, et avait terminé sa journée de service entre 12 h 44 et 16 h 19. La PO avait eu en moyenne 7,5 à 9 heures de sommeil nocturne de bonne qualité pendant cette période. Le matin de l’événement, la PO s’est réveillée vers 4 h après une période de sommeil de bonne qualité de 7,75 heures. La journée de travail de la PO a commencé à 5 h 30. La PO en était au 6e de ses 8 quarts de travail du petit matin. La PO ne se sentait pas fatiguée le jour de l’événement. L’enquête a permis de déterminer que la fatigue de la PO n’était pas un facteur qui aurait pu contribuer à l’événement.

1.18.5 Liste de surveillance du BST

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr. Le BST publie la Liste de surveillance afin d’attirer l’attention de l’industrie et des organismes de réglementation sur les problèmes qu’il faut régler sans tarder.

1.18.5.1 Risque de collisions

Le risque de collisions dues aux incursions sur piste figure sur la Liste de surveillance 2020.

Depuis l’inscription de cet enjeu sur la Liste de surveillance en 2010, le BST a mené 18 enquêtesNote de bas de page 50 sur des incursions sur piste, notamment une enquête sur une question de sécurité du transport aérien visant les pistes parallèles du « complexe sud » à CYYZNote de bas de page 51. Même si aucun accident n’est survenu récemment au Canada en raison d’une incursion sur piste, les conséquences d’une telle collision pourraient être catastrophiquesNote de bas de page 52. Par conséquent, le Bureau craint que la fréquence des incursions sur piste au Canada et le risque de collision persistent jusqu’à ce que des mécanismes de défense efficaces soient conçus dans le but d’y remédier et mis en œuvre dans les aéroports, les aéronefs, les véhicules et les installations pour le contrôle aérien partout au Canada.

MESURES À PRENDRE

  • Cet enjeu demeurera sur la Liste de surveillance du BST tant que l’on n’aura pas constaté une baisse soutenue de la fréquence des incursions sur piste, et plus particulièrement des incursions posant un risque élevé, ou jusqu’à ce que de nouvelles technologies soient mises en œuvre pour améliorer les mécanismes de défense.
  • Il n’existe pas de solution unique pour réduire la fréquence des incursions sur piste partout au pays. Des solutions individuelles pour des dangers déjà cernés, jumelées à des progrès technologiques à grande portée (comme des aides à la conscience situationnelle dans le poste de pilotage et des feux d’état de la piste), seront probablement plus efficaces.

1.19 Techniques d’enquête utiles ou efficaces

Sans objet.

2.0 Analyse

L’incursion sur piste s’est produite pendant les heures de clarté dans des conditions météorologiques de vol à vue. Les gestes posés par l’équipage de conduite du Boeing 777 n’ont pas été considérés comme des facteurs ayant contribué à l’événement à l’étude.

Les dossiers indiquent que tout le personnel responsable de l’exploitation de l’aéronef CRJ 200 et du contrôle de la circulation aérienne (ATC) dans cet événement possédait les licences et les qualifications nécessaires, conformément à la réglementation en vigueur ou aux directives applicables. L’aéronef était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées.

L’analyse portera principalement sur l’établissement du modèle mental de l’équipage de conduite du CRJ 200 en ce qui a trait au déroulement de la situation, et sur la façon dont les attentes et la charge de travail de ses membres, combinées à la séquence des instructions de l’ATC fournies par le contrôleur tour, ont probablement contribué à la mauvaise compréhension de l’instruction d’alignement par l’équipage de conduite. L’analyse portera également sur les risques de fatigue et sur la capacité d’enregistrement de l’enregistreur de conversations de poste de pilotage.

2.1 Charge de travail, attentes et modèle mental de l’équipage de conduite

Pendant qu’il circulait sur une courte distance, l’équipage de conduite a dû s’acquitter de nombreuses tâches préalables au départ, comme manœuvrer l’aéronef, exécuter les éléments de liste de vérification, communiquer avec l’ATC et surveiller la zone autour de l’aéronef, notamment surveiller les autres aéronefs et leurs mouvements. En prévision du départ, le commandant de bord se concentrait sur la manœuvre sécuritaire de l’aéronef, tandis que la première officière (PO) se concentrait sur l’exécution des listes de vérification et sur les communications avec l’ATC.

Dans le cadre d’activités normales, sans contraintes de temps, l’exécution des listes de vérification pour la circulation au sol et l’alignement peuvent prendre jusqu’à 6 minutes. En l’absence de données provenant du CVR, il a été impossible de déterminer le temps réel qu’il a fallu à l’équipage de conduite pour exécuter les éléments de la liste de vérification. Toutefois, le temps écoulé entre le moment où l’aéronef a quitté l’aire de stationnement et le moment où il a commencé sa course au décollage sur la piste 33R était de 3 minutes 22 secondes. Étant donné que l’équipage de conduite exécutait les listes de vérification requises et répondait aux instructions de l’ATC, le nombre de tâches préalables au départ que l’équipage de conduite devait accomplir dans un court laps de temps a accentué sa charge de travail.

Alors que le CRJ 200 approchait de la piste 33R, l’équipage de conduite s’attendait à recevoir une autorisation immédiate de décollage. Bien que la PO ait relu correctement les instructions de l’ATC, elle avait peu d’attention à consacrer à l’évaluation du contenu des instructions car elle se concentrait sur l’exécution de la liste de vérification pour l’alignement. La charge de travail de la PO était encore accrue par le fait qu’elle se concentrait sur le changement de cap et d’altitude dans la modification du départ normalisé aux instruments (SID), qu’elle jugeait à ce moment-là être l’aspect le plus important de l’instruction d’alignement.

Parce que le SID avait été modifié, la PO s'attendait d'autant plus à ce que l'équipage reçoive bientôt une autorisation de décollage. Il est important de noter que la PO était habituée à recevoir une modification de SID suivie d’une autorisation de décollage. Dans l’événement à l’étude, lorsque la PO a reçu et relu l’instruction d’alignement avec la modification au SID, elle a interprété cette communication de l’ATC de manière erronée comme une autorisation de décollage. Durant ce temps, le commandant de bord se concentrait sur un autre aéronef tout en manœuvrant son propre aéronef jusqu’en position. Par conséquent, il avait moins d’attention à consacrer au suivi des instructions et des autorisations de l’ATC et à la supervision de la PO; il ne s’est donc pas concentré sur l’instruction de l’ATC.

Lorsque le CRJ 200 s’est engagé sur la piste 33R, un aéronef de Havilland DHC-8 venait de décoller et il n’était probablement plus visible par l’équipage. Il n’y avait aucun autre aéronef sur la piste directement devant l’équipage.

Lorsque le commandant de bord a demandé à la PO s’ils avaient reçu l’autorisation de décoller, cette dernière, qui avait interprété les instructions d’alignement et de modification du SID du contrôleur tour de façon erronée comme une autorisation de décollage, a répondu qu’ils avaient obtenu l’autorisation de décoller. Cette interprétation correspondait au modèle mental des membres de l’équipage, selon lequel ils décolleraient peu après s’être alignés sur la piste 33R.

L’augmentation de la charge de travail, le fait que l’équipage s’attendait à recevoir une autorisation de décollage immédiate et l’interprétation erronée des instructions d’alignement ont mené l’équipage à lancer la course au décollage sans avoir obtenu l’autorisation de décoller.

D’après les calculs du BST, le fuselage du Boeing 777 n’aurait pas pu être vu par l’équipage du CRJ 200 au début de la course au décollage en raison du profil de pente de la piste 33R; par conséquent, l’équipage n’avait aucune indication visuelle indiquant qu’il n’était pas sécuritaire d’amorcer la course au décollage sur la piste 33R. L’équipage de conduite n’aurait pu voir que la partie supérieure du stabilisateur vertical du Boeing 777, qui était sur la voie de circulation H à une distance de plus de 8900 pieds. La distance entre le CRJ 200 et le Boeing 777, en plus de la vitesse à laquelle le Boeing 777 circulait et les caractéristiques environnantes à l’horizon, aurait fait en sorte que l’équipage de conduite éprouve des difficultés à distinguer la partie supérieure du stabilisateur vertical.

L’équipage n’a aperçu le Boeing 777 qu’après avoir atteint le sommet de la bosse sur la piste 33R. Le commandant de bord a immédiatement interrompu le décollage. À ce moment-là, l’équipage de conduite a compris qu’il n’avait probablement pas obtenu l’autorisation de décoller.

2.2 Instructions du contrôle de la circulation aérienne

Le jour de l’événement, le contrôleur tour occupait le poste combiné nord/sud et contrôlait à la fois les aéronefs qui décollaient de la piste 33R et les aéronefs qui atterrissaient sur la piste 33L. En raison de l’emplacement physique de la tour, le contrôleur tour ne peut pas observer en même temps le seuil de la piste 33L et le seuil de la piste 33R. De plus, pendant que le contrôleur tour observe à des aéronefs sur l’un ou l’autre des seuils, il ne peut pas surveiller les écrans du poste de travail; il doit plutôt se fier aux alarmes sonores pour l’avertir des conflits sur piste. Étant donné qu’il y a 8 croisements sur la piste 33R, ce qui augmente le risque d’incursion, le contrôleur doit également être vigilant à l’égard du trafic traversant la piste en service. La charge de travail du contrôleur tour au moment de l’événement à l’étude était modérée, en raison de la difficulté de surveiller à la fois les 2 seuils de la piste 33 et les écrans du poste de travail.

Le contrôleur tour a géré la charge de travail en intégrant parfois de courts délais entre les autorisations d’alignement et de décollage données aux aéronefs partants. Ce court délai donnait au contrôleur tour le temps nécessaire pour surveiller les aéronefs qui atterrissaient et il lui permettait d’assurer la coordination avec le contrôleur sol pour garantir que les aéronefs devant traverser la piste 33R le fassent en toute sécurité.

Le contrôleur tour avait prévu un court délai après l’émission de l’instruction d’alignement au CRJ 200. Le contrôleur tour avait l’intention de fournir l’autorisation de décoller dès que son attention ne serait plus requise pour l’aéronef atterrissant sur la piste 33L, après avoir confirmé que le Boeing 777 avait dégagé la piste 33R. Bien que le Manuel des services de la circulation aérienne (MATS) de NAV CANADA exige qu’un contrôleur donne l’instruction « attendez » à un aéronef si un retard est prévu à la suite d’une instruction d’alignement, le contrôleur tour ne croyait pas que le retard serait long et il croyait que l’équipage du CRJ 200 était au courant du départ précédent. Par conséquent, il n’a pas donné l’instruction « attendez ».

Après avoir fourni à l’équipage de conduite du CRJ 200 des instructions d’alignement et avoir entendu la relecture correcte, le contrôleur tour s’attendait à ce que l’équipage de conduite respecte l’instruction. Il s’est alors tourné pour porter son attention vers l’aéronef atterrissant sur la piste 33L et, par conséquent, il n’a pas pu surveiller le seuil de la piste 33R ni l’affichage du système avancé de guidage et de contrôle de la circulation de surface (A‑SMGCS) pour confirmer la position du CRJ 200 ou du Boeing 777 traversant la piste 33R.

Le CRJ 200 a amorcé la course au décollage pendant que le Boeing 777 franchissait le point d’attente de la piste 33R. Peu de temps après, le contrôleur tour a entendu une alarme sonore de niveau 2 du système de surveillance des incursions sur piste et d’alerte de conflit (RIMCAS) et il a ramené son attention sur la piste 33R. Il a vu le CRJ 200 accélérer sur la piste, puis il a remarqué le Boeing 777 quittant la piste. Compte tenu de la vitesse et de la position des 2 aéronefs, il a rapidement évalué qu’il n’y avait aucun risque de collision et a accordé l’autorisation de décoller au CRJ 200. En même temps, l’équipage de conduite du CRJ 200 a vu que le Boeing 777 traversait toujours la piste et a amorcé l’interruption du décollage. L’équipage de conduite du CRJ 200 a entendu l’autorisation de décollage de l’ATC, mais il a informé le contrôleur qu’il interrompait le décollage.

Les directives du MATS stipulent que le contrôleur doit annuler l’autorisation de décoller ou donner une instruction d’interruption de décollage lorsqu’une alerte de niveau 2 du RIMCAS est activée. Le MATS stipule également ce qui suit : « La décision d’un contrôleur d’interrompre le décollage est une mesure extrême utilisée uniquement lorsqu’il n’y a aucune solution de rechange possibleNote de bas de page 53 ». Dans l’événement à l’étude, bien que le MATS exige qu’une instruction d’interruption du décollage soit émise lorsque l’alerte de niveau 2 est déclenchée, le contrôleur tour a choisi de ne pas donner d’instruction d’interruption de décollage, mais plutôt de donner une autorisation de décollage, parce qu’il estimait qu’il n’y avait aucun risque de collision.

2.3 Risque de fatigue associé aux cycles régressifs de quarts de travail et aux perturbations du rythme circadien

Une analyse approfondie du degré de fatigue de l’équipage de conduite a été effectuée, en tenant compte de l’horaire de travail des membres de l’équipage de conduite, de leur historique de sommeil et de leur rythme circadien. L’enquête a permis de déterminer que la fatigue de la PO n’était pas un facteur qui aurait pu contribuer à l’événement.

Le commandant de bord était confronté à 3 facteurs de risque de fatigue au moment de l’événement : perturbation aiguë du sommeil, perturbation chronique du sommeil et perturbation du rythme circadien. Bien que le commandant de bord ait éprouvé une certaine fatigue au moment de l’événement, l’enquête n’a pas permis de déterminer si les effets de la fatigue sur le rendement ont été un facteur qui a contribué à l’incursion sur piste. 

Toutefois, les membres de l’équipage de conduite courent un risque de fatigue lorsqu’ils travaillent tôt le matin après avoir fait des quarts de soir, sans avoir eu un nombre suffisant de jours de repos pour s’adapter au nouvel horaire du matin.

Les cycles de quarts de travail qui passent de quarts de nuit (ou de fin de soirée, comme dans ce cas-ci) à des quarts du petit matin sont appelés des cycles régressifs. Ce type de cycle de quarts de travail rend difficile la resynchronisation du rythme circadien du corps en fonction du nouvel horaire. En raison de la désynchronisation, il sera également plus difficile d’avoir un sommeil réparateur suffisant avant d’entamer le premier quart du matin, puisque le corps n’est pas synchronisé pour s’endormir en début de soirée (un changement en sens antihoraire). Une bonne règle générale consiste à accorder aux gens 1 jour d’adaptation pour chaque heure de changement en sens antihoraire dans le schéma veille-sommeilNote de bas de page 54..

Bien que l’enquête n’ait pas permis de déterminer si la fatigue avait eu une incidence sur le rendement dans l’événement à l’étude, les cycles de quarts de travail régressifs causent une désynchronisation du rythme circadien, ce qui augmente le risque de fatigue chez les membres d’équipage qui n’obtiennent pas suffisamment de temps de congé pour adapter leur schéma veille-sommeil lorsqu’ils travaillent selon ce type de cycle.

Un examen du Corporate Policy and Procedures Manual d’Air Georgian Limited a révélé que, même si la politique de gestion de la fatigue cerne plusieurs causes de fatigue et indique quelques mesures d’atténuation, il n’est pas fait mention de l’incidence du sens de la rotation du cycle des quarts de travail sur le rythme circadien et sur le degré de fatigue d’une personne.

Si les compagnies aériennes n’informent pas les membres d’équipage du risque de fatigue dû au sens de la rotation du cycle des quarts de travail, il y a un risque accru que les membres d’équipage exploitent un aéronef alors qu’ils sont fatigués.

2.4 Enregistreur de conversations de poste de pilotage

L’enregistreur de conversations de poste de pilotage (CVR) installé à bord du CRJ 200 avait une capacité d’enregistrement de 30 minutes et était homologué pour être utilisé au Canada conformément à la réglementation canadienne en vigueur. Le CRJ 200 est finalement parti pour effectuer son vol régulier à destination de l’aéroport international John Glenn de Columbus (KCMH) (Ohio, États-Unis). Toutefois, la partie 129 des Federal Aviation Regulations (FAR) des États-Unis exige que les exploitants aériens étrangers mènent leurs activités conformément à l’annexe 6 de la Convention relative à l’aviation civile internationale de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). L’annexe 6 précise que tous les CVR doivent avoir une capacité d’enregistrement d’au moins 2 heures.

L’utilisation de CVR dont la capacité d’enregistrement est de 30 minutes n’est plus permise par les normes internationales. Par conséquent, tout aéronef canadien actuellement muni d’un CVR d’une capacité de 30 minutes, comme l’aéronef de l’événement à l’étude, qui est exploité à l’extérieur du Canada ne satisfait pas aux exigences des États-Unis et de l’OACI.

Les normes de l’OACI concernant les CVR ont été modifiées en 2010 et stipulaient qu’à compter de janvier 2016, tous les CVR doivent être en mesure de conserver les renseignements enregistrés au moins au cours des 2 dernières heures d’exploitation. En mai 2019, Transports Canada a publié des modifications au Règlement de l’aviation canadien qui exigent que les CVR puissent enregistrer au moins 2 heures; toutefois, ces exigences n’entreront en vigueur que le 29 mai 2023. Cette date de mise en œuvre permettra de continuer à utiliser des CVR de 30 minutes pendant plus de 7 ans après la date limite de janvier 2016 établie par l’OACI.

Si des CVR à capacité d’enregistrement réduite restent en service, il y a un risque accru que les données pertinentes à un événement ne soient pas disponibles pour une enquête, ce qui empêche de cerner et de communiquer les lacunes en matière de sécurité afin de renforcer la sécurité des transports.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

  1. Le nombre de tâches préalables au départ que l’équipage de conduite devait accomplir dans un court laps de temps a accentué sa charge de travail.
  2. La charge de travail de la première officière était encore accrue par le fait qu’elle se concentrait sur le changement de cap et d’altitude dans la modification du départ normalisé aux instruments, qu’elle jugeait à ce moment-là être l’aspect le plus important de l’instruction d’alignement.
  3. Dans l’événement à l’étude, lorsque la première officière a reçu et relu l’instruction d’alignement avec la modification au départ normalisé aux instruments, elle a interprété cette communication du contrôle de la circulation aérienne de manière erronée comme une autorisation de décollage.
  4. L’augmentation de la charge de travail, le fait que l’équipage s’attendait à recevoir une autorisation de décollage immédiate et l’interprétation erronée des instructions d’alignement ont mené l’équipage à lancer la course au décollage sans avoir obtenu l’autorisation de décoller. 
  5. Le fuselage du Boeing 777 n’aurait pas pu être vu par l’équipage du CRJ 200 au début de la course au décollage en raison du profil de pente de la piste 33R; par conséquent, l’équipage n’avait aucune indication visuelle indiquant qu’il n’était pas sécuritaire d’amorcer la course au décollage sur la piste 33R.

3.2 Faits établis quant aux risques

Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

  1. Les cycles de quarts de travail régressifs causent une désynchronisation du rythme circadien, ce qui augmente le risque de fatigue chez les membres d’équipage qui n’obtiennent pas suffisamment de temps de congé pour adapter leur schéma veille-sommeil lorsqu’ils travaillent selon ce type de cycle.
  2. Si les compagnies aériennes n’informent pas les membres d’équipage du risque de fatigue dû au sens de la rotation du cycle des quarts de travail, il y a un risque accru que les membres d’équipage exploitent un aéronef alors qu’ils sont fatigués.
  3. Si des enregistreurs de conversations de poste de pilotage à capacité d’enregistrement réduite restent en service, il y a un risque accru que les données pertinentes à un événement ne soient pas disponibles pour une enquête, ce qui empêche de cerner et de communiquer les lacunes en matière de sécurité afin de renforcer la sécurité des transports. 

3.3 Autres faits établis

Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

  1. Bien que le Manuel des services de la circulation aérienne exige qu’une instruction d’interruption du décollage soit émise lorsque l’alerte de niveau 2 est déclenchée, le contrôleur tour a choisi de ne pas donner d’instruction d’interruption de décollage, mais plutôt de donner une autorisation de décollage parce qu’il estimait qu’il n’y avait aucun risque de collision.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 NAV CANADA

À la suite de cette enquête, NAV CANADA a publié la directive d’exploitation YYZ-OD-2020-488, qui rappelle aux contrôleurs tour que, comme l’indique le Manuel des services de la circulation aérienne, lorsque des alertes de niveau 2 du système de surveillance des incursions sur piste et d’alerte de conflit sont déclenchées par le décollage d’un aéronef, ils doivent annuler l’autorisation de décoller ou donner une instruction d’interruption du décollage.

4.1.2 Air Georgian Limited

La compagnie Air Georgian Limited n’est plus une société.

Toutefois, à la suite de l’événement à l’étude, Air Georgian a mené une enquête interne sur la sécurité, conformément à son système de gestion de la sécurité. De plus, à la suite de l’événement, Air Georgian a indiqué qu’elle avait modifié ses procédures d’exploitation normalisées de manière à exiger qu’une demande soit présentée au contrôle de la circulation aérienne (ATC) si l’un des 2 membres de l’équipage de conduite ne connaît pas le contenu d’une autorisation ou d’une instruction de l’ATC.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .