Rapport d'enquête aéronautique
Collision au décollage
du de Havilland DHC 6 100 Twin Otter, C FAWC
exploité par Liard Air Limited
à Muncho Lake (Colombie Britannique)
le
Rapport numéro A07W0128
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Vers 12 h 35, heure avancée du Pacifique, le de Havilland DHC 6 100 Twin Otter de Liard Air Limited (immatriculation C FAWC, numéro de série 108) décolle d'une piste gravelée près de l'hôtel pavillonnaire Northern Rockies Lodge, à Muncho Lake, pour effectuer un vol selon les règles de vol à vue à destination de Prince George (Colombie Britannique). Une fois en vol, l'avion vire sur la droite et le support de volet externe droit heurte la chaussée de la route de l'Alaska. Par la suite, l'avion heurte un poteau puis un câble téléphonique ainsi que le bord de la route une seconde fois, et s'écrase sur la berge rocheuse d'un ruisseau asséché.
L'avion s'immobilise à plat à environ 600 pieds de l'extrémité de départ de la piste. Un violent incendie après impact se déclare et l'avion est entièrement détruit. Un des passagers subit des brûlures mortelles, un des pilotes est grièvement brûlé tandis que l'autre subit de graves blessures à l'impact et les deux autres passagers sont légèrement blessés.
Renseignements de base
Conditions météorologiques
Les conditions météorologiques à Muncho Lake, Colombie Britannique (C.-B.) étaient propices au vol à vue. Le ciel était couvert à grande altitude et le plafond nuageux se situait au dessus du niveau des crêtes montagneuses environnantes. Des averses isolées avaient débuté dans la région. La température atteignait environ 15 °C. Le vent de surface soufflait du sud est à environ deux nœuds avec, à l'occasion, quelques changements de vitesse et de direction. Les altimètres avaient été calés à l'altitude de la piste avant le décollage, et le calage altimétrique était de 29,95 pouces de mercure.
La compagnie
Liard Air Limited (Liard Air) était une compagnie privée qui offrait au public des services de transport aérien à bord d'aéronefs à voilure fixe en vertu des sous parties 702, 703 et 704 du Règlement de l'aviation canadien (RAC). Sa base principale était située à Muncho Lake, où elle offrait ses services en association avec l'hôtel pavillonnaire Northern Rockies Lodge. Elle se spécialisait dans les expéditions saisonnières de chasse et de pêche (été et automne) et les excursions aériennes dans le nord de la C.-B.
La compagnie exploitait un Cessna 185 sur flotteurs, un de Havilland DHC 2 Beaver sur flotteurs, un Cessna 172 sur roues et un de Havilland DHC 6 100 Twin Otter sur roues. Le certificat d'exploitation aérienne délivré à Liard Air par le ministère des Transports autorisait la compagnie à utiliser le Twin Otter pour des vols selon les règles de vol à vue (VFR) en vertu des sous parties 702, 703 et 704 du RAC et pour des vols selon les règles de vol aux instruments (IFR) en vertu de la sous partie 704 du RAC. Le Twin Otter avait été ajouté à la flotte de Liard Air en 2001 à la suite d'une diminution des services aériens réguliers vers les communautés du Nord situées à proximité. En raison de cette diminution de service, les clients internationaux avaient de la difficulté à se rendre par avion dans le nord de la C.-B. Le Twin Otter avait été acheté principalement pour transporter les clients entre Muncho Lake et les aéroports internationaux de Vancouver et d'Edmonton.
Les pistes de Muncho Lake
La compagnie utilisait deux pistes gravelées à Muncho Lake. La piste de l'hôtel était située au mille 462 de la route de l'Alaska, sur l'emprise de la route, immédiatement en face du Northern Rockies Lodge. Elle se trouvait à 2750 pieds au dessus du niveau de la mer (asl), et elle était orientée du sud est au nord ouest. Une enquête effectuée après l'accident a révélé que la piste mesurait environ 950 pieds de longueur et qu'elle avait une pente ascendante d'environ 2° vers le nord ouest. Les décollages s'effectuaient généralement en direction nord ouest en raison du relief élevé vers le sud est. La route de l'Alaska croisait la zone de montée initiale à environ 100 pieds au delà du seuil nord ouest de la piste.
Un câble téléphonique rural récemment mis hors service était suspendu à environ 25 pieds au dessus du sol du côté opposé de la route par rapport à la piste. Compte tenu de la pente ascendante du relief et de la hauteur des poteaux, le câble se trouvait à environ 47 pieds au dessus du seuil sud est de la piste et à environ 1330 pieds de celui ci. Une route de gravier traversait la piste presque à mi longueur, à environ 455 pieds du seuil sud est.
La piste de l'hôtel était entretenue par Liard Air (voir la photo 1 – piste de l'hôtel). Le seuil sud est n'était pas marqué et il n'était pas très visible, car les premiers 100 pieds de surface à partir du seuil étaient couverts de gazon et de broussailles. Il n'y avait aucun manche à vent près de la piste, et les équipages de conduite se fiaient aux drapeaux flottants au haut des mâts situés à l'avant de l'hôtel comme indicateurs de direction du vent. Le propriétaire de Liard Air croyait que la piste mesurait 900 pieds de longueur. La piste n'avait jamais été arpentée officiellement afin de déterminer sa longueur et sa pente exacte.
La piste Muncho longeait la route de l'Alaska et se trouvait à environ 10 kilomètres au sud de l'hôtel. Elle était deux fois plus longue que la piste de l'hôtel. Liard Air se servait généralement de la piste Muncho pour les vols de Twin Otter avec passagers et les avions dont la masse au décollage était élevée. Lorsque la compagnie devait utiliser la piste Muncho, elle transportait le fret, le carburant et les passagers en direction et en provenance de la piste en passant par la route de l'Alaska et déplaçait l'avion d'une piste à l'autre (vol d'environ cinq minutes). Puisque la piste Muncho n'était pas surveillée, l'exploitant stationnait le Twin Otter à la piste de l'hôtel afin d'éviter le vandalisme. De plus, en le stationnant à cet endroit, il était plus facile à utiliser en cas d'urgence et il faisait de la publicité pour Liard Air le long de la route. Lorsque l'avion était stationné à la piste de l'hôtel, la quantité de carburant à bord était généralement maintenue à plus ou moins 1500 livres.
L'équipage de conduite
Liard Air employait trois pilotes. Le propriétaire de Liard Air agissait à titre de pilote en chef et de gestionnaire de l'exploitation pour les opérations régies par la sous partie 703 du RAC. Il était titulaire d'une licence de pilote professionnel, annotée pour avions et hydravions monomoteurs et multimoteurs, et d'une qualification de vol aux instruments de groupe 1. Au cours des 26 dernières années, il avait volé dans le nord de la C.-B., au Yukon et dans les Territoires du Nord Ouest. Il totalisait environ 12 000 heures de vol, dont environ 420 heures sur le Twin Otter. Il avait décollé et atterri plusieurs fois sur la piste de l'hôtel à bord du Twin Otter.
Le commandant de bord du vol en question agissait à titre de pilote en chef de Liard Air pour les opérations régies par la sous partie 704 du RAC. Il était titulaire d'une licence de pilote de ligne, et il totalisait 22 000 heures de vol à bord de différents petits et moyens aéronefs à voilure fixe, y compris des avions d'affaires et des avions à turbopropulseurs. Il totalisait environ 6000 heures de vol sur Twin Otter, et il avait acquis par le passé un peu d'expérience hors piste à bord de DHC 6 100 et de DHC 6 300. Il avait cessé de travailler à temps plein pour le compte d'une compagnie en 2002, et il avait travaillé comme commandant de bord d'un hydravion Twin Otter de Havilland DHC 6 300 aux Maldives entre août 2006 et mars 2007. Il avait subi avec succès une vérification de compétence pilote sur le Twin Otter le 27 août 2006. Il avait été embauché par Liard Air le 1er juin 2007 et il était entré en poste à Muncho Lake le 10 juin 2007. Il avait suivi la formation théorique et pratique requise de la compagnie, donnée par le propriétaire. Au cours de la formation, il avait été question de décollages à performances maximales pour avion à décollage et atterrissage courts (ADAC), mais il n'y avait eu aucune démonstration ni aucun entraînement. La formation fournie par le propriétaire portait surtout sur les décollages sur pistes courtes avec 30° de volets. Le commandant de bord avait décollé de la piste de l'hôtel à trois reprises, mais une seule fois comme commandant de bord.
Le copilote était titulaire d'une licence de pilote de ligne, et il totalisait environ 10 800 heures de vol, principalement à bord de gros avions. Après avoir pris sa retraite comme pilote au sein d'une ligne aérienne en 2005, il s'était tourné vers l'aviation de brousse. Il avait travaillé brièvement pour Liard Air en 2006 après y avoir été formé, et il est revenu travailler pour la compagnie en mai 2007. Avant d'être embauché par Liard Air, il n'avait aucune expérience sur piste courte ni comme pilote de brousse. Il avait suivi toute la formation requise de la compagnie et il avait récemment subi avec succès une vérification de compétence pilote de Transports Canada sur le Twin Otter. Il totalisait environ 105 heures de vol sur le Twin Otter, toutes effectuées sur l'avion en question. Le copilote était autorisé à agir à titre de commandant de bord du Twin Otter pour les vols effectués sur des pistes pavées plus longues. Le copilote avait décollé de la piste de l'hôtel à trois reprises, toujours comme copilote. Il avait aussi vu le Twin Otter décoller plusieurs fois de la piste de l'hôtel.
Les deux pilotes étaient bien reposés le jour de l'accident. L'équipage et les passagers avaient prévu passer la nuit à Vancouver, et il ne semble pas que l'équipage ait été pressé de partir afin de respecter des échéances de vol.
L'exploitation du Twin Otter de Liard Air
Exploiter un petit service aérien commercial saisonnier est une occupation complexe et pleine de défis. Les fonctions de contrôle d'exploitation et de tenue des registres qui doivent être accomplies afin d'assurer la conformité au règlement et d'éliminer les risques représentent à elles seules une lourde tâche administrative. L'ajout du Twin Otter à la flotte de Liard Air et l'approbation des opérations aériennes régies par les sous parties 703 et 704 du RAC pour le Twin Otter ont grandement accru les responsabilités administratives au sein de la compagnie.
L'approbation des opérations régies par la sous partie 704 exigeait aussi que la compagnie embauche un pilote expérimenté titulaire d'une licence de pilote de ligne afin d'occuper le poste de pilote en chef d'une compagnie régie par la sous partie 704 du RAC (ci après appelée RAC 704). Cette exigence a représenté tout un défi. Un ancien pilote en chef/gestionnaire d'exploitation de RAC 704 avait mis sur pied l'exploitation du Twin Otter. Il a quitté la compagnie en 2006 après plusieurs années de service. Son remplaçant a donné sa démission en février 2007. Un troisième pilote a été embauché au printemps 2007 comme pilote en chef de RAC 704, mais il a démissionné peu de temps après avoir terminé sa formation. À ce moment là, la compagnie a décidé volontairement de ne plus se prévaloir des avantages qui lui étaient octroyés pour ses opérations IFR régies par la sous partie 703 et pour ses opérations régies par la sous partie 704. La compagnie a repris les avantages conférés par la sous partie 704 lorsque le commandant de bord de l'avion en question a été embauché et approuvé en tant que pilote en chef de RAC 704. Une modification au manuel d'exploitation de la compagnie a été rédigée afin de tenir compte des récents changements apportés au sein de la compagnie, et cette modification était à l'étude par Transports Canada. Aucun gestionnaire d'exploitation de RAC 704 n'avait été nommé officiellement, même si le gestionnaire d'exploitation de RAC 703 et le pilote en chef de RAC 704 possédaient les exigences requises en matière d'expérience pour occuper ce poste.
Le propriétaire participait activement à l'exploitation quotidienne de Liard Air et il prenait presque toutes les décisions au niveau de la gestion et de l'exploitation de la compagnie. Même s'il avait accordé l'entière responsabilité de l'exploitation du Twin Otter au pilote en chef de RAC 704, le propriétaire exerçait une grande influence sur les décisions relatives aux vols du Twin Otter. Compte tenu que l'avion avait moins de neuf sièges passagers au moment de l'accident, il satisfaisait aux exigences réglementaires de la sous partie 703 du RAC.
Les pilotes à l'emploi de Liard Air effectuaient aussi différentes fonctions auxiliaires comme ravitailler les avions en carburant, nettoyer les vitres et l'intérieur des avions, enlever et poser les sièges, faire l'appoint des niveaux d'huile et de liquide hydraulique, coordonner les passagers et charger et décharger le fret. Même si ces tâches augmentent considérablement la charge de travail quotidienne des équipages de conduite, elles font partie des tâches que doivent généralement accomplir les équipages de conduite des petites compagnies commerciales saisonnières d'aviation de brousse exploitées avec un minimum de personnel.
En tant que nouveau pilote en chef de RAC 704, le commandant de bord a consacré ses premières semaines de travail à assimiler ses fonctions et les politiques et procédures de la compagnie et à mettre à jour les documents nécessaires à l'exploitation de la compagnie. En plus d'effectuer ses tâches administratives, il a totalisé environ 65 heures de vol pendant les 29 jours qu'il a travaillé à l'hôtel.
Planification avant le vol
Le vol avait d'abord été planifié pour amener un client du Northern Rockies Lodge à l'aéroport international de Vancouver. Au départ, on avait prévu utiliser le Cessna 172 pour effectuer le vol, ce qui nécessitait de faire une escale de ravitaillement en carburant à Prince George (C.-B.). Le matin de l'accident, on a décidé d'utiliser le Twin Otter en raison des risques de mauvaises conditions VFR ou IFR en route vers Prince George.
Vers 7 h 15, heure avancée du Pacifique (HAP) Footnote 1, le propriétaire avait discuté avec le commandant de bord de la possibilité d'utiliser le Twin Otter pour le vol. À ce moment là, le vent et la température étaient favorables au décollage du Twin Otter de la piste de l'hôtel. Le commandant de bord avait ensuite effectué un vol à bord de l'hydravion Cessna 185 et, à 8 h 44, il avait signalé au propriétaire par radiotéléphone qu'il y avait des plafonds bas au niveau du sillon des Rocheuses, sur la route vers Prince George. En fonction de ces renseignements, le propriétaire avait décidé que le vol vers Vancouver se ferait à bord du Twin Otter. L'avion devait quitter la piste de l'hôtel avec un passager à bord vers 13 h. Il n'avait pas été question de la quantité de carburant, même si le commandant de bord avait prévu une masse de carburant de 1600 livres, qui était suffisante pour un vol VFR vers Prince George. Après la discussion, le propriétaire avait demandé au copilote de retirer quelques sièges de la cabine et de faire le plein de carburant de l'appareil. Le copilote avait demandé au propriétaire s'il était possible de partir de la piste de l'hôtel avec une pleine charge de carburant et ce dernier lui avait assuré qu'il n'y avait aucun problème. Le propriétaire avait demandé de faire le plein afin que l'avion ait une réserve de carburant suffisante dans l'éventualité ou l'équipage aurait à déposer un plan de vol IFR en route vers Prince George.
Le propriétaire avait ensuite autorisé qu'un deuxième passager prenne place à bord. Ce passager devait se rendre à Vancouver pour ramener des produits alimentaires à l'hôtel. Ce dernier avait décidé plus tard qu'un autre passager devait l'accompagner pour l'aider à coordonner sa commande de produits. L'exploitant n'a appris la présence de ce troisième passager qu'après l'accident.
Le commandant de bord était revenu de son vol à bord de l'hydravion Cessna 185 à 11 h 15. Il avait alors été informé que le plein de carburant avait été fait sur le Twin Otter et que deux autres passagers avaient été ajoutés au manifeste de vol. Le copilote avait préparé un rapport de masse et de centrage qui indiquait une masse au décollage de 9956 livres. Les renseignements sur la masse et le centrage avaient été transmis verbalement au commandant de bord. Il était très rare que la piste de l'hôtel soit utilisée pour des vols avec passagers. Par contre, à cette occasion, il avait été décidé de décoller de la piste de l'hôtel.
Vers 10 h 10, le propriétaire avait quitté Muncho Lake à bord de l'hydravion Beaver avec plusieurs clients de l'hôtel afin de se rendre à un lac situé à environ 40 miles au sud ouest. Les clients devaient y passer plusieurs heures à pêcher. En décollant de Muncho Lake, le propriétaire avait remarqué qu'il n'y avait pas de vent et que l'accélération de l'avion était lente. Il avait aussi remarqué que des nuages se déplaçaient au dessus des montagnes vers l'est indiquant un vent du sud est. En arrivant à sa destination au lac, il avait aussi noté que le vent du sud augmentait. Après être arrivé à destination, vers 12 h 35, le propriétaire avait tenté de communiquer par téléphone satellite avec le commandant de bord à l'hôtel afin de discuter avec ce dernier des changements dans les conditions météorologiques. Il n'avait pas été en mesure de joindre l'hôtel, car l'accident venait de se produire.
Le décollage
Pendant le breffage avant décollage, le commandant de bord a précisé qu'il utiliserait des procédures de décollage standard et que le décollage serait interrompu si un problème était signalé avant que l'avion soit en vol. Il n'a pas été question de l'accélération de l'avion, et aucun point d'interruption de décollage n'a été déterminé. Lorsque la course au décollage vers le nord ouest a débuté, il y avait environ 86 pieds de piste utilisable derrière l'avion. Les volets étaient sortis à 30° et le couple des deux moteurs était passé à 20 livres par pouce carré (lb/po2) avant que les freins soient desserrés. Le commandant de bord avait dit au copilote d'augmenter le couple des deux moteurs à 42 lb/po2 après le desserrage des freins et, dès que l'avion a commencé à rouler, le copilote a rapidement poussé les manettes des gaz.
Peu après le début de la course au décollage, le copilote a remarqué que le moteur gauche avait un couple de 40 lb/po2 et que le moteur droit avait un couple de 42 lb/po2. Il a informé le commandant de bord que le moteur gauche n'avait pas encore atteint le couple demandé. Il n'y avait alors aucune raison d'interrompre le décollage. À peu près à mi piste, le commandant de bord a tiré la commande de profondeur vers l'arrière et l'avion a pris l'air pendant quelques instants avant de revenir au sol. Le commandant de bord a alors réagi en poussant les deux manettes des gaz jusqu'aux butées avant. L'avion a dérivé d'environ 20° sur la gauche à l'approche du bout de la piste et il a pris l'air après une course au sol d'environ 695 pieds.
Le commandant de bord a effectué un virage à droite immédiatement après le décollage afin d'éviter le câble téléphonique et de suivre la route de l'Alaska et le support de volet externe droit a heurté l'accotement. L'avion a ensuite survolé la route et heurté le poteau et le câble téléphoniques puis s'est écrasé sur la berge rocheuse d'un ruisseau asséché.
L'avion
L'avion était homologué conformément à la réglementation en vigueur. L'épave a été examinée sur les lieux de l'accident. Toutes les gouvernes ont été retrouvées sur les lieux, et tous les dommages subis par l'avion ont été attribués aux forces d'impact et à l'incendie majeur après impact. L'avion était doté de moteurs Pratt and Whitney PT6A 20. Les moteurs ont été soumis à un examen visuel après avoir été retirés de la cellule et ils ne portaient aucune trace de défaillance mécanique. En raison de la destruction presque complète de l'avion à la suite de l'écrasement et de l'incendie, il a été impossible de déterminer avec certitude si une défaillance ou un mauvais fonctionnement d'un système avant l'impact aurait contribué à l'accident. Par contre, aucune défaillance ni aucun mauvais fonctionnement n'avait été signalé ni identifié.
Le manuel de vol des DHC 6 100 fournit les données de réglage de pression de l'indicateur de couple moteur à utiliser pour calculer la puissance de décollage requise. Le pilote devrait être en mesure de déterminer le couple à partir du tableau, sans dépasser les limites de fonctionnement du moteur. Le réglage de la puissance de décollage pour les conditions existantes correspondait à un couple de 39,5 lb/po2.
L'avion était doté d'un enregistreur de la parole dans le poste de pilotage (CVR). Le contenu de ce dernier a été téléchargé au laboratoire technique du BST. Selon l'analyse des bruits ambiants du CVR, le régime des hélices se situait entre 2180 et 2160 tours par minute (tr/min) au moment du décollage, ce qui correspond presque à la limite de 2200 tr/min au décollage précisée dans le manuel de vol de l'avion. L'avion n'était pas doté d'un enregistreur de données de vol (FDR), et aucun n'était requis par la réglementation
Masse et centrage de l'avion
Selon le rapport de masse et de centrage, l'avion pesait 9955 livres, soit 1624 livres de moins que sa masse brute maximale au décollage (11 579 livres). Ses réservoirs étaient pleins de carburant Jet A et, d'après le calcul effectué, la masse carburant était de 2500 livres. La capacité de carburant utilisable du Twin Otter est de 315 gallons impériaux. Aux fins du calcul de la masse et du centrage, le manuel d'exploitation précise qu'un gallon impérial de carburant Jet A pèse 8,4 livres. À 8,4 livres par gallon impérial, un plein de carburant pèserait 2646 livres. En tenant compte du carburant brûlé pendant le démarrage et la circulation au sol, la masse carburant au décollage était probablement de 2600 livres.
Rien n'indique que le rapport de masse et de centrage tenait compte du poids des sangles d'arrimage et du matériel de survie à bord. D'après le carnet de route, le matériel de survie pesait 60 livres, et le poids des sangles d'arrimage a été évalué à environ 10 livres. Selon les calculs effectués après l'accident, en incluant le poids du carburant supplémentaire, du matériel de survie et des sangles d'arrimage, la masse de l'avion au décollage était égale ou légèrement supérieure à 10 100 livres.
Les calculs de centrage effectués après l'accident, en tenant compte de l'emplacement exact des passagers et des données de masse et de moment, indiquaient que le centre de gravité de l'avion était près de la limite avant, à 23 pour cent de la corde aérodynamique moyenne (CAM). Le centrage approuvé se trouve entre 20 pour cent et 36 pour cent de la MAC.
Liard Air utilisait un calculateur SeeGeeMD pour effectuer les calculs de masse et de centrage du Twin Otter. Pour fonctionner, cet appareil a besoin d'une valeur de départ, appelée index d'exploitation, qui représente la masse à vide de l'avion. L'index d'exploitation est calculé à partir de la masse et du moment de l'avion à vide au moyen d'une formule fournie par le fabricant du calculateur. Selon l'examen des index d'exploitation pour différentes configurations de sièges passagers du C FWAC, les renseignements fournis pour calculer l'index étaient erronés.
Le rapport de masse et de centrage préparé par le copilote indiquait que la valeur de l'index d'exploitation de départ du calculateur SeeGeeMD pour une configuration de huit sièges passagers était de 12,8. Cette valeur avait été tirée d'un document de masse et de centrage existant. Selon les calculs effectués après l'accident, cette valeur aurait dû être de 11,9. Une enquête plus approfondie a révélé que l'index d'exploitation utilisé par Liard Air pour les calculs effectués au moyen du calculateur SeeGeeMD correspondait au résultat obtenu au moyen d'une formule appelée « index de base » fournie dans le document PSM 1 6 8 de la firme de Havilland (manuel de poids et de centrage du DHC 6). La valeur de l'index d'exploitation utilisée était de 0,5 à 1,0 unité supérieure à la valeur d'exploitation exacte. Lorsqu'on entre une valeur d'index d'exploitation supérieure à la valeur réelle dans le calculateur SeeGeeMD, c'est comme si on reculait le centre de gravité. Donc, le calcul final indiquerait un centre de gravité plus vers l'arrière qu'il ne l'est vraiment.
Performances de l'avion
Le manuel de vol des DHC 6 100 décrit trois procédures de décollage. La section 2 décrit les procédures d'exploitation normales pour un décollage normal avec 30° de volets, le supplément 12 de la section 5 décrit les procédures d'exploitation normales pour un décollage normal avec 10° de volets et la partie 5 de la section portant sur les données d'exploitation supplémentaires décrit les procédures d'exploitation normales pour un décollage ADAC à performances maximales avec 30° de volets. Les procédures de décollages ADAC à performances maximales exigent que le manche soit tiré complètement à l'arrière du début de la course au décollage jusqu'à l'arraché, et jusqu'à ce que l'avion ait pris l'air à une vitesse inférieure à la vitesse minimale de contrôle avec le moteur critique hors fonctionnement (Vmc).
Tous les calculs de performances au décollage effectués après l'accident tenaient compte d'une température de 15 °C, d'une altitude pression de 2720 pieds et d'un vent arrière de deux nœuds. Avec une masse de 10 000 livres et en suivant des procédures de décollage normales avec 30° de volets sur une surface bétonnée sèche et de niveau, l'avion aurait eu besoin d'une distance d'environ 1700 pieds pour pouvoir franchir un obstacle de 50 pieds. En suivant des procédures de décollage normales avec 10° de volets sur une surface bétonnée sèche et de niveau, l'avion aurait eu besoin d'une distance d'environ 1350 pieds pour pouvoir franchir un obstacle de 50 pieds. En suivant des procédures de décollage ADAC à performances maximales sur une surface dure, sèche et de niveau, l'avion aurait eu besoin d'une distance d'environ 1175 pieds pour pouvoir franchir un obstacle de 50 pieds. Pour que l'avion puisse franchir un obstacle de 50 pieds, avec une distance de décollage de 1250 pieds, dans les conditions de vent et de température données, en suivant des procédures de décollage normales avec 30° de volets, il aurait fallu que sa masse maximale au décollage ne dépasse pas 8900 livres. Pour atteindre ces distances de décollage, toutes les procédures exigent que la puissance de décollage soit atteinte avant que les freins soient desserrés. Les tableaux de performances au décollage ne fournissaient aucun moyen de compenser la pente ascendante de la piste ni la surface gravelée, ce qui faisait pourtant augmenter la distance requise pour décoller et franchir un obstacle de 50 pieds.
Puisque les procédures de décollage ADAC à performances maximales ne fournissent pas le niveau de sécurité requis par la réglementation, elles ne peuvent être utilisées qu'avec une autorisation spéciale. Au Canada, les exploitants qui effectuent des décollages ADAC à performances maximales avec un Twin Otter doivent obtenir une autorisation spéciale sous forme de spécifications d'exploitation de Transports Canada. Pour qu'une compagnie puisse effectuer des décollages ADAC à performances maximales, le pilote en chef ou le responsable de la formation sur le DHC 6 doit suivre une formation initiale d'au moins deux heures sur un simulateur capable de recréer des conditions normales et anormales de décollage ADAC à performances maximales. Les pilotes de ligne qui sont autorisés à effectuer des décollages ADAC à performances maximales doivent suivre une formation annuelle sous la supervision du pilote d'entraînement qui a suivi la formation initiale sur simulateur. Les procédures de décollage ADAC à performances maximales de la compagnie doivent être expliquées dans le manuel d'exploitation. L'avion doit être doté d'un système de mise en drapeau automatique en bon état de service et en fonction. Liard Air n'était pas autorisé à effectuer de décollages ADAC à performances maximales avec le Twin Otter en vertu d'une approbation de spécifications d'exploitation. Aucun des pilotes de Liard Air n'avait suivi de formation sur simulateur pour les décollages ADAC à performances maximales, le manuel d'exploitation de la compagnie ne contenait pas de procédures de décollage ADAC à performances maximales et l'avion n'était pas doté d'un système de mise en drapeau automatique.
Le propriétaire avait décollé de la piste de l'hôtel à bord du Twin Otter à plusieurs reprises par le passé et il avait adopté des procédures qui ressemblaient à des procédures de décollage ADAC à performances maximales.
Les performances des avions DHC 6 300 sont nettement supérieures à celles des avions DHC 6 100, surtout pour les opérations sur piste courte et hors piste.
Le manuel d'exploitation de la compagnie
Le manuel d'exploitation de Liard Air Ltd. contenait des renseignements détaillés sur la façon de mener les opérations. Il précisait qu'un formulaire de masse et de centrage de la compagnie devait être rempli pour chaque vol et que les masses au décollage et à l'atterrissage ne devaient pas être supérieures aux masses permettant à l'avion de satisfaire aux exigences de performances pour le décollage et/ou l'atterrissage, quel que soit l'aérodrome utilisé. Il précisait aussi que, avant le départ, le commandant de bord devait calculer et modifier, au besoin, la masse au décollage de l'avion pour faire en sorte qu'elle ne dépasse pas la masse maximale au décollage prescrite dans le manuel de vol de l'avion en fonction de l'altitude pression et de la température ambiante à l'aérodrome utilisé. Le manuel d'exploitation exigeait que les facteurs suivants soient pris en considération au moment de déterminer la masse au décollage :
- altitude pression à l'aérodrome;
- température ambiante;
- pente de la piste dans le sens du décollage;
- composante du vent au décollage, s'il est tenu compte d'au plus 50 % de la composante vent debout signalée ou d'au moins 150 % de la composante vent arrière signalée.
Les pilotes de Liard Air effectuaient rarement les calculs de performances au décollage pour les vols en partance de la piste de l'hôtel, et aucun calcul de performances au décollage n'a été effectué avant l'accident en question. Selon le manuel d'exploitation, le contrôle d'exploitation d'un vol était confié au commandant de bord et ce dernier était aussi responsable des procédures de préparation du vol.
Procédures d'exploitation normalisées
Une compagnie peut établir des procédures d'exploitation normalisées afin de normaliser les procédures utilisées par les équipages de conduite dans l'exercice de leurs fonction. Les procédures d'exploitation normalisées peuvent venir compléter les renseignements contenus dans d'autres publications comme les manuels d'exploitation ou les manuels de vol des aéronefs. La compagnie Liard Air n'avait pas de procédures d'exploitation normalisées pour l'utilisation du Twin Otter sur une piste courte et elle n'était pas tenue d'en avoir.
Dossiers des décollages précédents de la piste de l'hôtel
Les carnets de route de l'avion ont été examinés afin de déterminer la masse moyenne de l'avion lors des derniers vols effectués de la piste de l'hôtel. L'avion avait décollé de la piste de l'hôtel au moins 29 fois entre le 11 mai 2006 et la date de l'accident. Treize vols avait été effectués avec un seul pilote, et seize vols avec deux membres d'équipage. À une occasion, un passager se trouvait à bord. Les masses au décollage variaient entre 7170 livres et 9578 livres. Sept vols avait été effectués avec une masse au décollage supérieure à 8500 livres. Le propriétaire agissait à titre de commandant de bord pour six de ces vols, et le commandant de bord au moment de l'accident avait été commandant de bord pour un de ces vols. Les vols effectués avec une masse au décollage supérieure à 9000 livres avaient été effectués par temps frais avec un vent favorable du nord ouest.
Tendance à s'en tenir au plan et tendance à l'anticipation
Un article publié récemment par la Fondation pour la sécurité aérienne intitulé Pressing the Approach Footnote 2 (Forcer l'approche) traitait de deux tendances chez l'être humain qui sont reconnues comme étant responsables d'erreurs de jugement et de décision commises par les équipages de conduite. Même si l'article de la Fondation traitait de ces tendances en référence à des accidents en approche, la compréhension de ces tendances a permis d'expliquer les facteurs humains qui peuvent avoir contribué à l'accident en question. D'après l'article, la tendance à s'en tenir au plan semblait être à la base de ce que les pilotes appellent le « jusqu'au boutisme » qui, selon la Fondation, aurait joué un rôle dans un pourcentage élevé d'accidents. Selon l'analyse effectuée par les chercheurs, cette tendance découlerait de l'interaction de trois éléments importants, soit l'influence exercée par la société ou l'organisation, les caractéristiques et les limites inhérentes à l'intellectualisation chez l'être humain et les renseignements incomplets ou ambigus. L'article traitait aussi d'une autre forte tendance intellectuelle inhérente à l'être humain qui est la tendance à l'anticipation. Selon cette tendance, une personne qui s'attend à ce qu'une situation se produise remarquerait moins les détails indiquant que la situation n'est pas ce qu'elle semble être. Cette tendance s'aggraverait lorsque les équipages doivent assimiler de nouveaux renseignements qui leur sont fournis de façon sporadique et par fragments incomplets et parfois ambigus.
Possibilités de survie des occupants
Il était possible de survivre aux forces d'impact de l'accident en question. Après l'accident, tous les occupants ont été en mesure de se déplacer et de sortir par la porte droite du poste de pilotage. L'incendie après impact s'est déclaré dans la cabine au moment de l'impact, et tous les occupants ont été aspergés de carburant aviation avant de quitter l'avion. Le commandant de bord a été grièvement brûlé et un des passagers a subi des brûlures mortelles.
Les réservoirs de carburant principaux du DHC 6 Twin Otter se trouvent dans le fuselage, sous le plancher de la cabine, entre les points de fixation du train principal. Selon l'examen de l'épave effectué sur les lieux de l'accident, un des atterrisseurs principaux, ou les deux, pourraient avoir perforé le réservoir voisin au moment de l'impact, causant ainsi un écoulement de carburant dans la cabine. Des étincelles causées par le frottement du train principal en acier contre des pierres et des arcs électriques provenant des fils reliés à la batterie et endommagés par l'impact sont des sources d'inflammation possibles.
Il est reconnu que les incendies après impact contribuent de façon importante aux blessures et aux décès qui résultent d'accidents offrant des chances de survie mettant en cause des avions ayant une masse maximale homologuée égale ou inférieure à 5700 kilogrammes. Aucune norme de navigabilité conçue spécialement pour réduire les risques d'incendie après impact, soit en confinant le carburant ou en empêchent l'inflammation, ne s'applique aux avions à train fixe régis par le CAR 3 Footnote 3 , les FAR 23 Footnote 4 ou le RAC 523 Footnote 5.
En 2006, le BST a publié le Rapport sur les incendies après impact faisant suite à des accidents de petit aéronef (SII A05 01). Selon ce rapport, l'incendie ou l'inhalation de fumée avait été responsable, en tout ou en partie, d'environ 30 % des 728 cas de blessures mortelles et d'environ 35 % des 231 cas de blessures graves subies dans 521 accidents de petits aéronefs avec incendie après impact. Le rapport adressait trois recommandations à Transports Canada, à la Federal Aviation Administration (FAA) ainsi qu'à d'autres organismes de réglementation étrangers. Ces recommandations visaient à corriger les lacunes en matière de sécurité liées aux conditions dangereuses qui contribuent à l'apparition des incendies après impact ainsi qu'aux décès et blessures liés aux incendies. Les réponses que Transports Canada et la FAA ont fournies à la suite des recommandations ne mentionnaient aucune mesure prise ni à prendre afin de réduire ou d'éliminer les risques liés aux lacunes qui font en sorte que des incendies après impact se déclarent à bord des petits avions. Ces réponses ont donc été jugées « insatisfaisantes » par le Bureau.
Le harnais de sécurité du copilote s'est brisé lors de l'impact et il a été découvert à plusieurs pieds de l'épave. Il n'avait pas été exposé à l'incendie après impact. Les pièces du harnais récupérées ont été envoyées au laboratoire technique du BST pour examen. Le harnais comportait trois parties formant un Y. La partie supérieure était reliée à un enrouleur à inertie et les deux courroies inférieures étaient reliées à la ceinture sous abdominale. La sangle était détériorée bien au delà des limites d'usure prescrites par le fabricant. Elle portait des traces de coupure et d'usure par frottement, elle était effilochée par endroits et la couleur bleu foncée d'origine était décolorée. Des échantillons prélevés des deux sangles d'épaule ont été rompus par étirement dans un appareil d'essai de traction. Les échantillons ne respectaient pas les spécifications de résistance minimale à la rupture du fabricant.
La sangle s'est brisée au niveau de la partie supérieure reliée à l'enrouleur à inertie. Il s'agissait de la partie la plus faible du dispositif de retenue, car il n'y avait qu'une seule courroie pour résister à la charge d'impact.
Analyse
Les conditions météorologiques étaient propices à un vol selon les règles de vol à vue, et l'examen de l'épave sur les lieux n'a révélé la présence d'aucun problème mécanique préexistant qui aurait contribué à l'accident. Même si le rendement du moteur gauche était légèrement inférieur à celui du moteur droit pendant la course au décollage, le couple des deux moteurs était supérieur au réglage de puissance au décollage prévu en fonction de la température et de l'altitude pression (39,5 lb/po2), et le régime des hélices respectait les valeurs normales au décollage. L'analyse traitera donc des facteurs liés à l'organisation et à la gestion qui ont amené l'avion a être exploité à l'extérieur de ses capacités de performances au décollage.
Facteurs liés à l'organisation et à la gestion
Les procédures de contrôle d'exploitation et de gestion des risques de Liard Air n'ont pas permis de reconnaître, de réduire, ni d'éliminer les risques liés aux décollages de la piste de l'hôtel. Au moment de l'accident, Liard Air était en période de transition en raison des différents changements apportés récemment au sein de son personnel administratif. Les opérations du Twin Otter étaient les plus touchées par cette transition.
Certaines politiques et procédures organisationnelles qui auraient pu prévenir l'accident ont été enfreintes ou ignorées ou étaient inexistantes. Le manuel d'exploitation de Liard Air visait à assurer la sécurité des opérations aériennes et à éliminer les risques d'erreurs de jugement de la part des équipages de conduite. Même si un calcul de la masse et du centrage a été effectué avant le vol en question, la masse de l'avion n'a pas été utilisée pour calculer les performances au décollage, comme le requiert le manuel d'exploitation. Les décollages de la piste de l'hôtel étaient devenus assez habituels pour que l'on ne ressente pas le besoin de déterminer les performances au décollage avant chaque départ et que l'on se fie principalement à l'intuition et au jugement du propriétaire et/ou des équipages de conduite pour les questions liées au chargement de l'avion.
Liard Air avait comme politique non écrite que la piste de l'hôtel devait être utilisée principalement pour stationner le Twin Otter et que ce dernier ne devait décoller de la piste qu'avec à son bord l'équipage et une charge de carburant minimale. Selon les registres des décollages, la politique voulant qu'aucun vol avec passagers ne décolle de la piste de l'hôtel a rarement été enfreinte et il est arrivé à l'occasion que des décollages avec une charge élevée de carburant soient effectués. Le jour de l'accident, on a enfreint cette politique deux fois plutôt qu'une en décollant avec trois passagers à bord et avec une pleine charge de carburant.
Dans la formation qu'il a donnée au commandant de bord, le propriétaire préconisait de sortir les volets à 30° pour les décollages sur piste courte, même si en sortant les volets à 10° l'avion aurait besoin d'une moins longue distance pour monter à 50 pieds. Compte tenu de l'élévation, de la longueur, de la pente et de la surface gravelée de la piste de l'hôtel, des procédures de décollage ADAC à performances maximales auraient peut être été nécessaires à certains moments alors que la masse de l'avion était très élevée, mais ni la compagnie ni l'avion n'étaient certifiés pour des décollages ADAC à performances maximales, et aucun membre de l'équipage de conduite n'avait suivi de formation appropriée pour ce type de décollage.
Au sein de la compagnie Liard Air, le propriétaire prenait la plupart des décisions. Il était bien au fait des opérations quotidiennes de la compagnie, il avait une idée bien arrêtée de la façon dont les vols devaient être effectués et il avait une bonne expérience des décollages à bord du Twin Otter sur la piste de l'hôtel. En tenant compte de ces éléments et du fait que le propriétaire avait participé à l'étape de planification avant le vol, l'équipage de conduite croyait que le décollage pouvait être effectué sans problème. De plus, la surveillance directe que le propriétaire exerçait régulièrement sur les vols du Twin Otter a pu créer une ambiguïté au niveau des fonctions et des responsabilités des personnes chargées de l'exploitation du Twin Otter.
Même si la piste de l'hôtel était utilisée régulièrement et que le propriétaire savait que les masses au décollage étaient importantes pour les décollages sur piste courte, il n'y avait aucune procédure d'exploitation normalisée pour le Twin Otter. Une telle procédure aurait établi les limites pour les décollages sur piste courte qui n'entrent pas dans la catégorie des décollages ADAC à performances maximales, ce qui aurait réduit les risque liés aux décollages de la piste de l'hôtel.
Le cadre de travail
Le cadre de travail et les attentes liées au travail chez Liard Air différaient grandement de ce qu'avaient connu le commandant de bord et le copilote au sein des entreprises d'aviation commerciales et d'affaires pour lesquelles ils avaient travaillé. Il est très rare de retrouver le soutien opérationnel offert par l'aviation commerciale et d'affaires (répartiteurs, équipes au sol, personnel de maintenance disponible localement et procédures d'exploitation très formelles) au sein de petites compagnies d'aviation de brousse. Par conséquent, les équipages de conduite des compagnies d'aviation de brousse qui offrent des services saisonniers se fient donc souvent aux connaissances de l'exploitant, généralement acquises sur place par expérience, et ils sont généralement plus autonomes quand vient le temps de prendre des décisions opérationnelles courantes. De plus, les défis sur le plan de l'exploitation posés par l'utilisation de pistes courtes peuvent être très différents de ceux posés au sein de compagnies aériennes commerciales ou d'affaires qui utilisent de longues pistes avec des zones de montée exemptes d'obstacles.
L'équipage de conduite
Le commandant de bord et le copilote constituaient la dernière ligne de défense du système. Ils travaillaient depuis peu pour Liard Air et ils n'avaient pas beaucoup d'expérience des décollages de la piste de l'hôtel. Le commandant de bord avait été embauché et nommé pilote en chef environ cinq semaines avant l'accident. Il se peut que les lourdes tâches administratives qu'il a dû prendre en charge en tant que pilote en chef ainsi que les heures de vol qu'il devait effectuer ne lui aient pas laissé le temps de reconnaître et d'évaluer les risques liés aux vols effectués à partir de la piste de l'hôtel. Les renseignements importants relatifs au vol en question ont été fournis au commandant de bord de façon fragmentée entre la première discussion à propos du vol, qui a eu lieu tôt le matin, et le moment du départ. Par contre, le commandant de bord s'attendait à ce que le décollage se fasse sans encombre, car il croyait que le propriétaire et le copilote avaient discuté de la masse au décollage et en avaient tenu compte.
Le copilote était plus au courant des circonstances immédiates menant au vol que le commandant de bord, car il avait passé une grande partie de la matinée à préparer l'avion. Les conversations qu'il avait eues avec le propriétaire et le commandant de bord ne lui faisaient entrevoir aucun problème avec le décollage. Même s'il avait fourni verbalement au commandant de bord les renseignements sur la masse et le centrage, il semblait avoir laissé l'entière responsabilité de décider ou non de décoller au commandant de bord, lequel n'avait pas participé activement à la planification du vol.
Le commandant de bord avait piloté récemment des avions DHC 6 300 aux Maldives. Même si cette expérience se limitait à des Twin Otter équipés de flotteurs, sa connaissance des performances élevées des avions DHC 6 300 l'a peut être porté à croire que l'avion DHC 6 100 de Liard Air était capable de performances semblables. De plus, les deux pilotes savaient que la piste de l'hôtel était utilisée depuis de nombreuses années. C'est pourquoi ils s'attendaient à ce que le décollage se fasse sans problème.
Planification avant le vol
La planification avant le vol est une élément essentiel de tout vol, et la réglementation exige que les équipages de conduite tiennent compte de tous les renseignements pertinents sur un vol avant le départ. Puisque le DHC 6 Twin Otter est un avion à décollage court très performant, il est souvent utilisé sur des pistes courtes sommairement aménagées où la marge d'erreur en matière de jugement ou de rendement de l'équipage de conduite est très faible. Dans tous les cas, lorsqu'ils utilisent des pistes courtes, les équipages de conduite doivent connaître les limites de performances au décollage de l'avion et les respecter.
Le propriétaire et le copilote se sont chargés de la planification du chargement avant le vol en question. Le commandant de bord a accepté de décoller de la piste de l'hôtel avec un passager à bord. Peu de temps après, il a effectué un autre vol et il n'a pas participé directement aux décisions prises ultérieurement, soit de faire le plein de carburant et d'ajouter deux passagers. Le propriétaire est aussi parti sur un autre vol, et il n'était donc plus en mesure de surveiller les préparatifs avant vol ni de donner son avis sur l'ajout d'un troisième passager. Même si le copilote a passé presque toute la matinée à préparer l'avion, il n'a rédigé qu'un rapport de masse et de centrage et il n'a pas fait de calculs de performances au décollage.
Il se peut que l'équipage de conduite n'ait pas été informé des renseignements essentiels relatifs aux opérations effectuées sur la piste de l'hôtel, comme l'importance du vent de surface, de la température et de la masse de l'avion. Malgré les changements au niveau du vent et de la température et malgré le fait que la masse au décollage était de beaucoup supérieure à la normale pour un décollage de la piste de l'hôtel, aucun des pilotes n'a senti le besoin de revoir la masse au décollage. Le fait que la décision de décoller ait été prise démontre que le propriétaire, le commandant de bord et le copilote n'ont pas été en mesure de reconnaître et de gérer les risques liés aux opérations sur la piste de l'hôtel.
Centre de gravité
Au moment de l'accident, le centre de gravité de l'avion respectait les limites prescrites. Par contre, les valeurs d'index d'exploitation du calculateur SeeGeeMD utilisées par les pilotes de Liard Air étaient de 0,5 à 1,0 unité supérieures aux valeurs exactes. Donc, chaque fois que le calculateur SeeGeeMD était utilisé pour planifier un vol, le centre de gravité calculé était plus vers l'arrière que le centre de gravité réel de l'avion.
Le décollage
Avant de commencer le décollage, l'avion n'était pas placé de façon à pouvoir utiliser toute la longueur de la piste. De plus, les freins ont été desserrés avant que les moteurs atteignent la puissance de décollage. Ces deux éléments ont réduit les chances que l'avion atteigne l'altitude de franchissement d'obstacles voulue. La décision d'utiliser la piste de l'hôtel ne laissait aucune marge d'erreur, et après le début de la course au décollage, l'équipage ne disposait que de très peu de temps pour évaluer les performances de l'avion et, au besoin, interrompre le décollage. Si l'équipage de vol avait déterminé un point d'interruption de décollage adéquat, et s'il avait interrompu le décollage en atteignant ce point puisque l'avion n'avait pas encore pris l'air, les risques d'accident auraient été réduits.
L'avion a parcouru presque toute la longueur de piste disponible et, pour une raison inconnue, il a dérivé d'environ 20° sur la gauche au cours de la dernière partie du décollage. Le pilote a donc dû lui donner un angle d'inclinaison prononcé afin de demeurer au dessus du corridor de la route pendant la montée initiale, réduisant ainsi ses performances de montée et augmentant les risques de contact avec le câble téléphonique.
Compte tenu de la longueur et de la pente de la piste, des conditions de vent, de la température, de l'emplacement du câble téléphonique et des procédures de décollage utilisées, le pilote a décollé alors que la masse de l'avion était supérieure à ses capacités de franchissement d'obstacles. Un calcul des performances de décollage effectué avant le décollage aurait permis de déterminer que la distance disponible n'était pas suffisante.
Possibilités de survie des occupants
Le harnais de sécurité du copilote avait été affaibli par le temps et l'exposition aux rayons ultraviolets, et il s'est brisé à l'intérieur des tolérances de fabrication.
Comme le démontre cet accident, les incendies après impact exposent les occupants des petits avions à des risques importants. Les forces d'impact étaient dans les limites de la tolérance humaine, et tous les occupants ont été en mesure de se déplacer et de sortir de l'avion après l'impact. Par contre, une personne a subi de graves blessures et une autres a subi des blessures mortelles en raison du violent incendie après impact. Aucune norme de navigabilité conçue spécialement pour confiner le carburant ou en empêcher l'inflammation en cas d'écrasement ne s'applique aux avions à train fixe régis par le CAR 3 et les FAR 23. Les réponses que Transports Canada et la FAA ont fournies à la suite des recommandations du rapport SII A5 01 ne mentionnaient aucune mesure prise ni à prendre afin de réduire ou d'éliminer les risques d'incendie après impact à bord des petits avions. Par conséquent, la probabilité que de tels accidents avec incendie se reproduisent est très élevée et, comme le présent accident l'a démontré, les occupants des petits avions continuent d'être exposés à des risques de décès et de blessures graves liés aux incendies après impact.
L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :
- LP 66/2007 – CVR and Performance Analysis (CVR et analyse des performances)
- LP 77/2007 – Shoulder Harness (Harnais de sécurité)
On peut obtenir ces rapports en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le pilote a tenté de décoller alors que la masse de l'avion ne respectait pas les capacités de franchissement d'obstacles de l'avion. Par conséquent, l'avion a heurté un poteau et un câble téléphoniques pendant la montée initiale.
- Aucun calcul de performances pour un décollage et une montée à 50 pieds n'a été effectué avant le décollage. L'équipage de conduite ne connaissait donc pas la distance requise pour franchir le câble téléphonique.
- L'extrémité sud est de la piste n'était pas clairement indiquée. Le décollage a donc été entrepris alors qu'il y avait environ 86 pieds de piste utilisable derrière l'avion.
- Le décollage a été entrepris sur une pente ascendante avec un léger vent arrière, deux facteurs qui faisait augmenter la distance totale requise pour franchir les obstacles existants.
Faits établis quant aux risques
- Les procédures de contrôle d'exploitation au sein de la compagnie étaient insuffisantes pour réduire les risques liés aux décollages de la piste de l'hôtel.
- Les masses maximales admissibles au décollage pour les vols de la piste de l'hôtel n'ont pas été bien transmises à l'équipage de conduite.
- Des procédures de décollage à performances maximales pour avion à décollage et atterrissage courts (ADAC) auraient peut être été nécessaires pour certains vols de Twin Otter de la piste de l'hôtel alors que la masse de l'avion était très élevée, mais ni la compagnie ni l'avion n'étaient certifiés pour ce type de décollage.
- Le harnais de sécurité du copilote avait été affaibli par le temps et l'exposition aux rayons ultraviolets, et il s'est brisé à l'intérieur des tolérances de fabrication lors de l'impact.
- Les valeurs d'index d'exploitation du calculateur SeeGeeMD utilisées par les pilotes de Twin Otter de Liard Air étaient de 0,5 à 1,0 unité supérieures aux valeurs exactes. Donc, chaque fois que le calculateur SeeGeeMD était utilisé pour planifier un vol, le centre de gravité calculé était plus vers l'arrière que le centre de gravité réel de l'avion.
- Aucune norme de navigabilité conçue spécialement pour confiner le carburant ou en empêcher l'inflammation en cas d'écrasement ne s'applique aux avions à train fixe régis par le Civil Aviation Regulation (CAR) 3 et les Federal Aviation Regulation (FAA) 23 des États Unis.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
À la suite de cet accident, Transports Canada a procédé à une vérification réglementaire de la compagnie. Le Twin Otter n'a pas été remplacé et l'exploitant a décidé volontairement de ne plus se prévaloir des avantages qui lui étaient octroyés par la sous partie 704 du Règlement de l'aviation canadien et qui étaient inscrits sur le certificat d'exploitation aérienne de la compagnie.
À la suite de cet accident, le propriétaire a appliqué les mesures correctives suivantes au sein de sa compagnie (Liard Air) :
- Tous les pilotes à l'emploi de Liard Air Limited devront lire et signer une lettre qui explique les responsabilités des pilotes qui exploitent les avions de Liard Air Limited.
- L'exploitant a installé des téléphones satellites dans tous ses hydravions afin que les pilotes puissent communiquer directement entre eux.
- Le manuel de contrôle de maintenance de Liard Air Limited a été modifié afin d'exiger que toutes les ceintures de sécurité à bord des appareils de la compagnie soient remplacées après 10 ans, même si aucune durée de vie n'est précisée par le fabricant.
- Des calculs de masse et de centrage pour différentes configurations de masse à bord des avions de la compagnie ont été effectués, et un programme informatique est maintenant utilisé pour calculer la masse et le centrage à la base principale. Les seules formules de calcul de masse et de centrage utilisées seront celles fournies par le constructeur de l'avion.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .