Raclage d'une aile au cours d'un atterrissage interrompu
du Boeing 727-225 C-GCJB
exploité par Cargojet Airways Limited
à l'aéroport international du Grand Moncton
(Nouveau-Brunswick)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le Boeing 727-225 cargo (immatriculation C-GCJB, numéro de série 21855) du vol 620 de Cargojet Airways effectue un vol de transport de fret de nuit entre Hamilton (Ontario) et Moncton (Nouveau-Brunswick). Le copilote assume les tâches de pilote aux commandes (PF) pendant que le commandant de bord effectue une vérification en ligne du copilote. La croisière vers Moncton se déroule sans histoire. À son arrivée à Moncton, l'équipage de conduite effectue deux approches interrompues dans l'obsécuritéé et de mauvaises conditions météorologiques avant d'atterrir après la troisième approche.
Une inspection de l'appareil effectuée à Moncton après le vol révèle des dommages visibles à l'aile gauche. L'extrémité du bec du bord d'attaque extérieur gauche et le carénage du volet de bord de fuite extérieur gauche sont éraflés. Les dommages correspondent à un léger contact avec la piste. Les renseignements disponibles indiquent que le raclage de l'aile a eu lieu à 2 h 41, heure avancée de l'Atlantique, au cours de l'atterrissage interrompu après la deuxième approche. L'appareil avait une assiette en cabré de 5°, un angle d'inclinaison latérale de 14°, et la hauteur de l'avion au-dessus du sol calculée par dérivation était d'approximativement 26 pieds. Personne n'a été blessé.
Renseignements de base
Procédures d'observations météorologiques à Moncton
Les observations météorologiques à Moncton sont effectuées par une entreprise privée, ADGA Group Consultants Incorporated, liée par contrat à NAV CANADA. Le personnel d'ADGA, conformément au Manuel d'observations météorologiques de surface (MANOBS), effectue des observations météorologiques horaires et, lorsque les conditions se détériorent, diffuse des observations météorologiques spéciales. Ces observations servent à fournir des rapports horaires, des rapports d'observations spéciales ainsi que les renseignements des messages ATIS (service automatique d'information de région terminale). La modification no 9 au MANOBS, datée de septembre 1987, à la page xiv, au paragraphe intitulé « Fonctions », explique qu'il incombe à l'observateur en météorologie de surveiller attentivement et continuellement la situation atmosphérique. Des observations de vérification doivent être effectuées entre les observations horaires régulières pour s'assurer que les modifications importantes des conditions météorologiques sont signalées. Il faut aussi effectuer une observation de vérification lorsqu'on reçoit un rapport météo de pilote (PIREP) d'un avion qui se trouve dans un rayon de 1,5 mille terrestre (sm) de l'aéroport et que ce rapport indique que le pilote a observé des conditions météorologiques très différentes de celles figurant dans le rapport des observations actuelles.
Ce n'est qu'après deux approches interrompues du Boeing 727-225 que l'observateur en météorologie a été averti que le plafond était beaucoup plus bas que ce qui était signalé et diffusé dans le message ATIS. Une fois averti par le contrôle de la circulation aérienne (ATC), l'observateur a immédiatement effectué une observation diffusée à 2 h 49. Cependant, à ce moment-là, l'avion était guidé au radar en prévision de la troisième approche et l'équipage n'a pas reçu le rapport de 2 h 49. Les observateurs en météorologie n'ont pas accès aux prévisions régionales, aux renseignements météorologiques par satellite, aux données radar ni aux observations des autres aéroports.
Pour déterminer la hauteur du plafond la nuit, les observateurs utilisent un projecteur de nuages et une alidade (un appareil de visée optique pour mesurer les angles). L'utilisation de ce matériel prend beaucoup de temps et, puisqu'il s'agit d'une tâche manuelle, l'observateur ne peut obtenir une lecture continue. L'alidade de Moncton n'est pas située à l'endroit optimal, car une rampe d'éclairage à haute intensité posée sur le bâtiment vient lui nuire et les bâtiments directement voisins ne donnent à l'observateur qu'un arc de 20° (sur un total de 180°) pour estimer l'épaisseur de la couverture nuageuse.
Prévisions météorologiques et conditions réelles
Les prévisions météorologiques de l'aérodrome de Moncton couvrant la période de l'accident étaient les suivantes : visibilité de 6 sm dans de la brume; plafond avec couvert nuageux à 800 pieds; visibilité de 3 sm temporairement dans de la brume. Entre 3 h et 6 h, heure avancée de l'Atlantique (HAA)Note de bas de page 1, les prévisions étaient les suivantes : visibilité de ¾ sm dans de la brume; plafond avec couvert nuageux à 300 pieds.
L'ATIS de Moncton a diffusé les messages suivants.
L'ATIS Alpha de 1 h (que l'équipage de conduite a reçu avant la descente) donnait les détails suivants : plafond avec couvert nuageux à 1100 pieds (mesuré); visibilité de 15 sm; vent du 100° magnétiques à 3 noeuds; température de 9 °C; point de rosée à 8 °C.
L'ATIS Bravo de 2 h (que l'équipage de conduite a reçu pendant la descente) donnait les détails suivants : plafond avec couvert nuageux à 1100 pieds (estimé); visibilité de 10 sm; vent du 80° magnétiques à 3 noeuds; température de 9 °C; point de rosée à 8 °C.
L'ATIS Charlie, un rapport météo spécial datant de 2 h 46 et diffusé à 2 h 49 (que l'équipage de conduite n'a pas reçu) donnait les détails suivants : plafond avec couvert nuageux à 1100 pieds (estimé); visibilité de 1,5 sm; vent du 90° magnétiques à 3 noeuds; température de 9 °C; point de rosée à 8 °C.
Le METARNote de bas de page 2 de 3 h signalait un plafond à 1100 pieds (estimé) et une visibilité de 1 sm dans le brouillard.
Les rapports météorologiques horaires de 1 h à 3 h à Greenwood, le terrain de dégagement indiqué sur le plan de vol, indiquaient comme valeurs les plus basses un plafond avec couvert nuageux à 1400 pieds et une visibilité de 3 sm. Comme l'équipage s'attendait à ce que les conditions météorologiques à Moncton soient de beaucoup supérieures aux minimums d'atterrissage, il n'a pas mis à jour les renseignements météorologiques de Greenwood.
Approches
L'enregistreur de données de vol et l'enregistreur de conversations dans le poste de pilotage ont été déposés de l'avion et envoyés à la Direction de l'ingénierie du BST pour analyse. L'enregistreur de conversations dans le poste de pilotage avait enregistré 30 minutes de renseignements audio de bonne qualité; cependant, tous les renseignements obtenus en vol ont été effacés lorsque l'enregistreur a continué à fonctionner après l'atterrissage final. Il a néanmoins enregistré les commentaires de l'équipage après cet atterrissage. L'enregistreur de données de vol a enregistré de bonnes données sur tous les canaux. Ces données ont servi à créer une animation, qui a ensuite servi à analyser la seconde approche.
La première approche du vol 620 a été une approche directe effectuée en alignement arrière du radiophare d'alignement de la piste 11. L'avion était toujours dans les nuages au moment où il est descendu sous le plafond signalé de 1100 pieds au-dessus du niveau du sol (AGL) et il était toujours dans les nuages à l'altitude minimale de descente (MDA) de 270 pieds AGL. N'ayant pas de références visuelles convenables, l'équipage a fait une approche interrompue à 2 h 31. D'après les calculs, il restait environ 10 100 livres de carburant après cette approche.
Le vol 620 a ensuite été guidé au radar en prévision d'une approche à l'aide du système d'atterrissage aux instruments (ILS) de la piste 29. Tandis que l'appareil était guidé vers sa trajectoire d'approche finale, la fonction de maintien d'altitude du pilote automatique fonctionnait mal, ce qui a fait dévier l'avion de son altitude sélectionnée, et le copilote a débrayé le pilote automatique pour effectuer une approche manuelle. L'appareil était configuré en prévision d'un atterrissage avec volets sortis à 30°. Lorsque l'avion a atteint la hauteur de décision de 200 pieds AGL, l'équipage de conduite a vu les feux d'approche. L'avion était légèrement à droite du prolongement de l'axe de piste et était en train de faire une correction d'alignement. À environ 150 pieds AGL, le copilote a incliné l'appareil vers la droite pour se mettre dans l'axe de piste. Il a continué à corriger jusqu'à ce que l'avion se trouve près du bord droit de la piste, à environ 40 pieds AGL. Le copilote a fait une nouvelle correction pour se mettre dans l'axe et, à environ 20 pieds au-dessus de la piste, alors que l'avion était incliné de 14° vers la gauche, il a réduit la puissance pour atterrir. (On estime que l'avion s'est trouvé avec la quantité minimale de carburant pour le déroutement à la fin de cette approche.) C'est à ce moment que le commandant de bord a pris les commandes, mis les gaz et cabré l'appareil à 5° pour faire une remise des gaz. Avant que les ailes ne soient ramenées à l'horizontale, le bec de bord d'attaque et le volet de bord de fuite de l'aile gauche ont raclé la piste. À ce moment-là, l'équipage de conduite ne s'est pas rendu compte que l'avion était entré en contact avec la piste. Le vol 620 a été guidé au radar en prévision d'une autre approche ILS de la piste 29. Le commandant a effectué cette approche et l'avion a atterri sur la piste 29 à 2 h 53.
Les approches ont été effectuées conformément aux procédures d'utilisation normalisées (SOP) de l'entreprise. Selon les SOP, le PF effectue l'approche aux instruments et le pilote qui n'est pas aux commandes (PNF) surveille l'approche, communique avec l'ATC et fait les annonces normales entre les membres d'équipage. Une fois les minimums atteints, il faut décider s'il y a suffisamment de références visuelles pour permettre une transition des références de vol aux instruments aux références visuelles à l'extérieur en prévision de l'atterrissage. Les SOP indiquent qu'il faut interrompre l'atterrissage lorsque l'avion n'est pas sur le profil dans les plans latéral et vertical et qu'il se trouve à moins de 1000 pieds AGL.
Équipage de conduite
Le commandant cumulait un total de 40 000 heures de vol, dont 9 000 à bord de ce type d'avion. Le copilote cumulait un total de 5 000 heures de vol, dont 600 à bord de ce type d'avion. On a signalé que l'équipage de bord était bien reposé avant le vol. La fatigue n'a donc pas été un facteur dans cet accident.
Carburant
Au cours de la troisième approche, le carburant à bord de l'appareil était en-deçà des 8680 livres exigées comme quantité minimale de carburant pour le déroutement. À l'arrêt des moteurs à Moncton, il restait 6400 livres de carburant à bord de l'appareil. Le manuel d'exploitation de l'entreprise établit que, si l'on atteint la quantité minimale de carburant pour le déroutement, IL FAUT se diriger immédiatement vers l'aéroport de dégagement, à moins qu'un atterrissage imminent à l'aéroport de destination soit raisonnablement assuré.
Analyse
Les prévisions météorologiques de Moncton annonçaient une baisse marquée du plafond et de la visibilité dès 3 h; cependant, cette transition avait déjà commencé lorsque le vol 620 a effectué sa première approche vers 2 h 30. L'équipage n'a pu apercevoir la piste à la MDA de 270 pieds AGL, malgré le fait que les renseignements de l'ATIS de 2 h annonçaient que le plafond était à 1100 pieds et que la visibilité était de 10 sm. À la deuxième approche, l'équipage n'a aperçu les feux de piste que lorsque l'avion est descendu à 200 pieds AGL, à environ 2 h 40. La météo signalée n'a changé qu'après la deuxième approche. Un rapport météorologique spécial diffusé à 2 h 49 signalait que le plafond et la visibilité étaient respectivement de 1100 pieds et de 1,5 sm. À ce moment-là, l'équipage avait déjà commencé sa troisième approche et n'avait donc pas reçu le rapport de 2 h 49. La détérioration des conditions météorologiques avait beau avoir été fort justement prévue pendant cette période, la fréquence des observations n'a pas été suffisante pour composer avec la détérioration des conditions météorologiques.
Ni les contrôleurs ni les observateurs en météorologie n'avaient décelé les baisses du plafond et de la visibilité, et il a fallu attendre après la deuxième approche interrompue avant qu'un rapport d'observation spéciale soit demandé. La transmission d'un plus grand nombre de données à l'observateur en météorologie, comme des prévisions ou des rapports de pilotes, aurait pu déclencher des observations de vérification supplémentaires. De plus, de meilleurs conseils permettant de déterminer le moment opportun pour effectuer une observation de vérification, y compris une référence particulière aux prévisions, à l'écart entre la température et le point de rosée, etc., auraient pu permettre d'effectuer des observations de vérification supplémentaires qui auraient permis de déceler les changements affectant la visibilité avant la première approche du vol 620.
Des renseignements météorologiques valides constituent un élément de première importance pour un pilote qui tente de prendre de bonnes décisions. Lorsque les conditions météorologiques à destination sont égales aux minimums ou presque, les équipages doivent mettre à jour leurs renseignements météorologiques, choisir l'approche qui a le plus de chance d'être réalisable et établir des plans pour un éventuel déroutement avant l'approche à destination. Cependant, lorsque les renseignements météorologiques signalés à destination sont bien au-dessus des minimums, les équipages s'attendent à effectuer une approche et un atterrissage sans problème et peuvent se dispenser de préparer un déroutement et choisir l'approche la plus rapide susceptible d'être menée à bien.
Le rapport météorologique de Moncton à 2 h qui a été reçu au cours de la descente en prévision de la première approche donnait les renseignements suivants : plafond avec couvert nuageux estimé à 1100 pieds, visibilité de 10 sm. Compte tenu de ce rapport, l'équipage avait prévu une approche directe en alignement arrière du radiophare d'alignement de la piste 11, qu'il a exécuté sans s'attendre à avoir de problèmes. Par conséquent, il n'avait prévu aucun déroutement et il a choisi l'approche la plus propice d'après les conditions météorologiques signalées. Si les conditions météorologiques signalées avaient fait état du plafond bas et de la visibilité réduite, l'équipage aurait probablement planifié un déroutement et effectué une première approche de la piste 29 à l'aide de l'ILS. Cette option aurait accru les chances de réussir l'atterrissage dès la première approche et évité la situation de bas niveau de carburant.
D'après les calculs effectués après le vol, il restait assez de carburant à bord pour permettre une deuxième approche. L'avion avait beau ne pas être positionné dans le plan latéral pour atterrir à la deuxième approche, le commandant de bord n'est pas intervenu pour interrompre l'atterrissage jusqu'à ce que l'appareil ait atteint une position fortement inclinée à gauche, très près de la surface de la piste, avec les moteurs réduits. Au cours de l'atterrissage interrompu, ce n'est qu'après avoir amorcé le cabrage de l'appareil qu'on a ramené les ailes à l'horizontale, ce qui a causé le contact de l'aile gauche avec la piste. Après l'atterrissage interrompu, le niveau minimum de carburant pour le déroutement a été atteint. C'est à ce moment-là que le commandant de bord a dû choisir entre tenter une troisième approche dans des conditions connues ou se rendre à l'aéroport de dégagement sans renseignements météorologiques à jour. Il y avait risque potentiel d'arriver à l'aéroport de dégagement avec un niveau de carburant encore moindre et dans des conditions météorologiques défavorables. La décision de tenter une troisième approche était contraire aux principes du manuel d'exploitation, mais le commandant était bien conscient des conditions météorologiques et avait la certitude raisonnable de pouvoir faire un atterrissage imminent à Moncton.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- La décision du commandant de bord d'intervenir et d'interrompre l'atterrissage à la deuxième approche a été prise trop tard pour empêcher l'avion d'entrer en contact avec la surface de la piste.
- Les ailes de l'avion n'ont pas été remises à l'horizontale avant le cabrage de l'appareil, ce qui a causé le contact entre l'aile gauche et la piste.
Fait établi quant aux risques
- La détérioration prévue des conditions météorologiques n'a pas été décelée ni signalée en temps opportun.
Autres faits établis
- Quand l'avion s'est posé, il n'avait plus la quantité minimale de carburant pour le déroutement exigée dans le manuel d'exploitation; cependant, on peut juger que la décision d'effectuer la troisième approche était raisonnable, compte tenu des circonstances avec lesquelles le commandant de bord devait composer.
- Les conditions météorologiques signalées à l'équipage n'étaient pas représentatives des conditions réelles à l'aéroport, ce qui a contribué aux erreurs de planification commises par l'équipage et à la situation intempestive de bas niveau de carburant.
Mesures de sécurité prises
La partie du manuel d'exploitation de l'entreprise traitant de la quantité minimale de carburant exigée pour le déroutement a été modifiée comme suit :
[Traduction]
« Une fois que la quantité minimale de carburant pour le déroutement est atteinte, IL FAUT se diriger immédiatement vers l'aéroport de dégagement. »
Transports Canada propose actuellement des modifications au Règlement de l'aviation canadien qui définiront l'usage des approches surveillées par le pilote dans le cadre des nouvelles dispositions réglementaires sur les interdictions d'approche.
En réponse à cet événement, le personnel régional de Transports Canada a effectué une inspection du service d'observations météorologiques de Moncton le 5 octobre 2005. À la suite des conclusions de cette inspection, les lampes à faisceau large près du projecteur de mesure du plafond ont été réglées de manière à moins nuire aux observations météorologiques, et NAV CANADA a instauré de nouvelles procédures pour améliorer le transfert de renseignements portant sur des conditions météorologiques changeantes entre le bureau météo et le personnel de la tour.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .
Annexes