Rapport d'enquête maritime A93W0159

Perte de maîtrise du rotor de queue
Défaillance de la chaîne dynamique du rotor de queue
Campbell Helicopters Ltd.
Bell 205A-1 (hélicoptère) C-FJTF
48 nm au sud d'Edson (Alberta)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    L'hélicoptère transportait à l'élingue un panier contenant du matériel de forage. Dès que le panier est passé au-dessus des arbres, l'hélicoptère a subi d'importantes vibrations. Le pilote a tenté de déposer la charge, mais l'hélicoptère s'est mis à tanguer violemment et à tourner sur lui- même en descendant. Le pilote a été violemment secoué malgré sa ceinture de sécurité et il n'est pas parvenu à actionner le mécanisme de largage de la charge. L'hélicoptère s'est écrasé sur le côté gauche dans de grands arbres et a été lourdement endommagé. Le pilote a subi des blessures graves à la poitrine.

    Le Bureau a déterminé que le pilote avait perdu la maîtrise du rotor de queue parce que le pignon conique d'entrée du boîtier d'engrenages intermédiaire à 42 degrés s'était rompu à la suite d'un criquage progressif attribuable à une fatigue mégacyclique sous faibles contraintes, ce qui a coupé du rotor de queue la puissance de la boîte de transmission principale relayée par l'arbre de transmission.

    NUMÉRO DE DOSSIER : A93W0159
    TYPE D'ÉVÉNEMENT : perte de maîtrise du rotor
    de queue - défaillance de la chaîne dynamique du rotor de queue (accident)
    DATE : 24 septembre 1993
    HEURE LOCALE : 14 h HAR
    LIEU : 48 nm au sud d'Edson (Alberta)
    TYPE D'AÉRONEF : Bell 205A-1 (hélicoptère)
    IMMATRICULATION : C-FJTF
    TYPE D'EXPLOITANT : transporteur aérien
    GENRE DE VOL : transport à l'élingue
    DOMMAGES : importants
    LICENCE : pilote professionnel

    Pilote
    HEURES DE VOL 90 derniers jours Total
    Tous types 297 12,000
    Type en cause 297 2,000

    1.0 Renseignements de base

    1.1 Déroulement du vol

    Le pilote du Bell 205A-1 transportait du matériel de forage à l'aide d'une élingue dans le cadre d'une opération de forage sismique. Il venait tout juste de déplacer du matériel de forage sismique à environ 1 000 pieds à l'est vers un nouveau site, le long d'une ligne de démarcation, et il devait maintenant déplacer un panier rempli de tiges de forage et d'accessoires.

    Dès que le panier de 2 500 livres accroché à l'extrémité de l'élingue de 110 pieds est passé au-dessus de pins d'une hauteur de 60 pieds, l'hélicoptère s'est mis à vibrer fortement. Le pilote a tenté de déposer la charge, mais l'hélicoptère s'est mis à tanguer violemment et à tourner sur lui-même en descendant. Le pilote a été violemment secoué malgré sa ceinture de sécurité et n'a pas pu actionner le mécanisme de largage de la charge. L'hélicoptère est descendu au sol et s'est immobilisé sur le côté gauche, la charge y étant toujours fixée. Le pilote a subi des blessures graves à la poitrine.

    L'équipe de forage a lancé un MAYDAY à l'aide de ses radios portatives et a signalé l'écrasement du Bell 205 au camp de base. Les foreurs ont ensuite dégagé le pilote qui était grièvement blessé. Le pilote a été immédiatement transporté à une installation médicale par un hélicoptère qui avait répondu au message de détresse.

    1.2 Référence verticale - Travail avec une élingue longue

    La référence verticale est la technique qui consiste à déplacer des élinguées en observant directement la charge. Le pilote regarde verticalement vers le bas par une trappe ouverte ou par une coupole vitrée se trouvant sur la porte du pilote. Dans certains cas, l'élinguée nécessite une élingue suffisamment longue pour permettre à l'hélicoptère de franchir tous les obstacles lorsque la charge est fixée à un crochet allongé.

    Au moment de l'accident, le pilote se trouvait en place gauche et utilisait la trousse de référence verticale approuvée par Transports Canada. Une partie de cette trousse est constituée par le contact d'armement de largage de la charge, qui se monte de la même façon sur les leviers de pas collectif de gauche et de droite. On actionne le contact en le soulevant de son cran et en le déplaçant vers le haut pour armer le crochet de largage, situé au fond de l'hélicoptère. S'il faut larguer la charge en cas d'urgence, le pilote n'a qu'à enfoncer au moyen de son pouce droit un bouton rouge situé sur le manche cyclique. On peut aussi larguer mécaniquement la charge en appuyant sur une pédale située directement entre les pédales du palonnier. Au cours des travaux à l'élingue, il arrive parfois qu'on laisse sur la position OFF.le contact d'armement de largage de la charge pour éviter tout largage électrique accidentel.

    Dans cet hélicoptère, le montage du contact d'armement de largage de la charge sur le levier de pas collectif de gauche était différent de celui du levier de droite. Le contact avait été enlevé et remonté sur le levier de pas collectif de gauche, de sorte que tout déplacement du contact vers le haut désarmait le circuit, ou coupait le circuit plutôt que de l'activer. Le pilote était conscient de ce nouveau montage sur le côté gauche; il lui 1 Le graphique de la hauteur en fonction de la vitesse est adapté du manuel de vol approuvé du Bell 205A-1. permettait d'armer facilement le mécanisme de largage de la charge simplement en soulevant puis en rabattant de son pouce gauche le contact d'armement de largage.

    1.3 Graphique de la hauteur en fonction de la vitesse pour le travail à l'élingue

    Le graphique de la hauteur en fonction de la vitesse (courbe H/V) montre le rapport entre la hauteur au-dessus du sol et la vitesse en translation, y compris le vol stationnaire, pour lequel un atterrissage peut être effectué en toute sécurité advenant une perte de puissance ou une perte de maîtrise en direction (situations critiques).

    Le graphique H/V est compris dans la section traitant des limites d'exploitation du manuel de vol de base approuvé pour le BHT 205A-1 (voir la figure 1)1. Les zones ombrées sont celles dans lesquelles les pilotes doivent éviter de voler. Le fait de piloter un hélicoptère à une faible hauteur et à basse vitesse, ce qui correspond aux zones ombrées du graphique, rend impossible un atterrissage en autorotation en toute sécurité.

    Figure 1 Graphique de la hauteur en fonction de la vitesse
    Image
    Graphique de la hauteur en fonction de la vitesse

    Le supplément approuvé pour le travail à l'élingue (BHT-205A1-FMS-CAN-2), annexé au manuel de vol de base, précise toutefois que les limites de la courbe H/V du manuel de base ne s'appliquent pas aux opérations d'élingage ou de treuillage.

    1.4 Lieu de l'accident

    Au premier rebond de l'hélicoptère, la porte gauche du poste de pilotage s'est ouverte; lors du deuxième et dernier impact, elle a été projetée à l'intérieur du poste de pilotage. Le panier contenant le matériel de forage ne s'est pas détaché de l'élingue et s'est immobilisé, intact, à environ 54 pieds au sud de l'hélicoptère. On a trouvé le contact d'armement de largage du levier de pas collectif de gauche sur OFF.

    Les pales du rotor principal de l'hélicoptère ont étêté plusieurs pins de bonne grosseur, et elles ont subi des dommages indiquant qu'une puissance significative était développée au moment de l'impact initial. Certains fragments résultant du heurt des pales du rotor principal ont été retrouvés incrustés dans des arbres situés jusqu'à 200 pieds de l'épave principale. Les pales du rotor principal ont sectionné la poutre-fuselage juste devant le boîtier d'engrenages (intermédiaire) à 42 degrés. Le boîtier d'engrenages et les pales du rotor de queue ont été retrouvés à environ 27 pieds au nord de l'épave principale. Les pales du rotor de queue ne présentaient aucun signe de dommages par rotation.

    1.5 Examen du boîtier d'engrenages à 42 degrés

    L'examen sur place de l'hélicoptère a révélé une défaillance du boîtier d'engrenages à 42 degrés de la chaîne dynamique du rotor de queue. Le boîtier d'engrenages était éventré, et ses engrenages internes étaient clairement endommagés. Une partie du pignon conique d'entrée du boîtier a été retrouvée à l'extérieur du boîtier sur le lieu de l'accident. Ce morceau du pignon conique et toute la poutre-fuselage ont été examinés dans un atelier de métallurgie à Vancouver, en Colombie-Britannique, en présence de représentants du BST.

    Le boîtier d'engrenages à 42 degrés (réf. 204-040-003-37) totalisait 7 480,8 heures depuis sa mise en service initiale, et 123,4 heures depuis la dernière révision. Le pignon conique d'entrée (réf. 204-040-500-9) était une pièce d'origine du boîtier. Le boîtier d'engrenages à 42 degrés n'a pas de durée de vie limite puisque ses composants sont remplacés «selon leur état» au cours des inspections.

    L'analyse de la défaillance du pignon conique d'entrée a révélé que ce pignon s'était rompu à cause d'une fatigue mégacyclique sous faibles contraintes. Des criques de fatigue s'étaient amorcées à un congé de pied sur la face concave, ou côté menant, d'une dent. La zone d'origine de la fatigue ne présentait aucun signe avant-coureur de contraintes excessives. Aucun défaut de matériau n'a été relevé qui aurait pu contribuer à la défaillance.

    1.6 Boîtier d'engrenages à 42 degrés - Défaillances antérieures

    Outre cette défaillance du pignon conique d'entrée (réf. 204-040-500-9), il y a eu huit autres défaillances semblables depuis 1979 mettant en cause le boîtier portant la réf. 204-040-003-37. La durée totale depuis la mise en service initiale des pignons variait entre 2 186 heures et 8 543 heures; les temps écoulés connus depuis l'essai non destructif et la révision variaient entre 124 heures et 1 985 heures. Un autre boîtier d'engrenages (réf. 204-040-003-23) comprenant le même pignon conique d'entrée que les autres a aussi subi une défaillance du pignon conique d'entrée, ce qui porte le total des défaillances à 10.

    Dans tous les cas sauf un, pour lequel on ne dispose d'aucun renseignement opérationnel, le pignon défectueux, à un moment donné, avait été en service pendant des opérations de levage lourd, comme le transport de billes de bois, la lutte contre les incendies ou les missions d'appui au forage sismique.

    1.7 Équipement de sécurité

    L'hélicoptère était équipé d'un baudrier, mais le pilote avait décidé de ne pas le porter parce qu'il trouvait que le baudrier entravait ses mouvements; en outre, le pilote n'était pas à l'aise lorsqu'il devait se pencher à gauche, par-dessus le levier de pas collectif, pour surveiller l'élinguée.

    Le pilote possédait un casque protecteur, mais il avait décidé de ne pas le porter parce qu'il effectuait un travail de référence verticale en regardant par une coupole vitrée, et il croyait que le casque entraverait son champ de vision.

    2.0 Analyse

    2.1 Introduction

    L'analyse porte sur l'effet d'une perte de maîtrise du rotor de queue pendant le travail à l'élingue à l'intérieur des zones ombrées du graphique H/V et sur la raison pour laquelle le pignon conique d'entrée du boîtier d'engrenages à 42 degrés s'est rompu.

    2.2 Travail à l'élingue en fonction du graphique H/V

    L'hélicoptère volait à faible hauteur et à faible vitesse à l'intérieur des zones ombrées du graphique H/V; toutefois, le travail à l'élingue était effectué conformément au supplément approuvé sur le travail à l'élingue, annexé au manuel de vol de base.

    Le travail à l'élingue, tout comme les missions d'appui au forage, exige que les hélicoptères soient systématiquement exploités aux hauteurs et aux vitesses indiquées dans les zones ombrées du graphique H/V du constructeur. Ces missions peuvent être exécutées conformément au supplément approuvé pour le travail à l'élingue, annexé au manuel de vol de base; cependant, exploiter un hélicoptère dans les zones ombrées du graphique H/V demeure risqué puisqu'un atterrissage ne peut pas toujours être exécuté en toute sécurité en cas de situation critique, comme une panne moteur ou une défaillance du rotor de queue.

    Les pilotes d'hélicoptère qui se spécialisent dans le travail avec une élingue longue volent systématiquement dans les zones ombrées du graphique H/V du constructeur et sont conscients des risques élevés que présente une telle opération. Toutefois, lorsqu'ils effectuent du travail à l'élingue dans les zones ombrées du graphique H/V du constructeur, les pilotes doivent être préparés à faire face non seulement à une perte de puissance éventuelle, mais également à une perte de maîtrise imprévue du rotor de queue, laquelle est plus susceptible de survenir sous l'effet de charges élevées, notamment lors du vol en stationnaire à des masses maximales.

    2.3 Largage de la charge extérieure

    Lorsque le pignon conique d'entrée s'est rompu, le pilote ne disposait que de peu de temps pour se rendre compte qu'il avait perdu la maîtrise du rotor de queue. Dans une telle situation au- dessus des arbres, la réaction du pilote était de tenter de larguer immédiatement la charge extérieure du crochet et de se préparer à un atterrissage en catastrophe. Il avait l'intention d'armer le mécanisme de largage en tirant vers l'extérieur le contact d'armement du largage sur le levier de pas collectif avec son pouce gauche, puis de le repousser vers le bas, conformément à la façon selon laquelle le contact avait été remonté. Le pilote a aussi tenté d'enfoncer la pédale de largage manuel située entre les pédales du palonnier. Cependant, comme l'hélicoptère tournait sur lui-même après la perte de maîtrise du rotor de queue, le pilote n'a pas réussi à larguer l'élinguée.

    2.4 Défaillance du pignon conique d'entrée

    L'analyse de la défaillance du pignon conique d'entrée du boîtier d'engrenages à 42 degrés a révélé que le pignon s'était fracturé et rompu à la suite d'une fatigue mégacyclique sous faibles contraintes, contraintes qui sont survenues en vol sur le congé de pied de la face concave, ou côté menant, d'une dent.

    La défaillance du pignon conique d'entrée s'est produite lors d'une phase critique du vol alors que l'hélicoptère volait au-dessus des arbres à une faible hauteur et à faible vitesse, ce qui empêchait le pilote de réussir un atterrissage en autorotation en toute sécurité.

    2.5 Utilisation de l'équipement de sécurité disponible

    Le pilote ne portait pas son casque protecteur ni son baudrier. On n'a pas déterminé dans quelle mesure cette situation avait contribué à la gravité des blessures du pilote.

    3.0 Faits établis

    1. Le travail à l'élingue était effectué conformément au supplément approuvé sur le travail à l'élingue, annexé au manuel de vol de base.
    2. Le pignon conique d'entrée s'est rompu à la suite d'un criquage progressif causé par une fatigue mégacyclique sous faibles contraintes.
    3. Le pilote a perdu la maîtrise du rotor de queue parce que le pignon conique d'entrée du boîtier d'engrenages à 42 degrés s'est rompu, ce qui a coupé du rotor de queue la puissance de la boîte de transmission principale relayée par l'arbre de transmission.
    4. Comme l'hélicoptère tournait sur lui-même par suite de la perte de maîtrise du rotor de queue, le pilote n'a pas pu larguer l'élinguée.
    5. La perte de maîtrise du rotor de queue s'est produite alors que l'hélicoptère survolait une zone forestière à faible hauteur et à basse vitesse, ce qui empêchait le pilote de réussir un atterrissage en autorotation en toute sécurité.
    6. Le pilote ne portait pas son casque protecteur ni le baudrier dont était équipé l'hélicoptère.

    3.1 Causes

    Le pilote a perdu la maîtrise du rotor de queue parce que le pignon conique d'entrée du boîtier d'engrenages intermédiaire à 42 degrés s'est rompu à la suite d'un criquage progressif attribuable à une fatigue mégacyclique sous faibles contraintes, ce qui a coupé du rotor de queue la puissance de la boîte de transmission principale relayée par l'arbre de transmission.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures prises

    Après avoir reçu la lettre d'information du BST traitant des défaillances antérieures de boîtiers d'engrenages à 42 degrés, Transports Canada a publié un article dans le numéro 1/93 de Mainteneur, pour aviser les exploitants engagés dans des opérations de levage lourd des défaillances antérieures des boîtiers d'engrenages à 42 degrés et des risques que ces boîtiers comportent. En outre, Transports Canada a publié une lettre, datée du 6 octobre 1993, destinée aux propriétaires d'hélicoptères Bell 204B et 205A-1. Cette lettre mentionnait que le boîtier d'engrenages à 42 degrés des modèles d'hélicoptère en question risque de subir une défaillance lorsque ces hélicoptères sont utilisés pour des opérations de levage lourd, même si la charge maximale transportée s'inscrit dans les limites.

    Le groupe Aviation de Transports Canada surveille la situation et a communiqué avec la Federal Aviation Administration et Bell Helicopter Textron Inc. concernant les mesures correctives à prendre pour régler ce problème.

    Bell Helicopter Textron Inc. a émis les Operations Safety Letters .OSN-205-93-31 et OSN- GEN-93-25 pour rappeler aux exploitants qu'il faut redoubler de prudence dans le cas des opérations de levage lourd.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Gerald E. Bennett, Zita Brunet, l'hon. Wilfred R. DuPont et Hugh MacNeil.