Avis de sécurité ferroviaire – 12/13
Détermination des propriétés du pétrole brut pour assurer son transport sécuritaire
Place du Centre
4e étage
200, promenade du Portage
Gatineau (Québec)
K1A 1K8
617-12/13
R13D0054
Le 11 September 2013
Madame Marie-France Dagenais (ASD)
Directrice générale, Transport des marchandises dangereuses
Transports Canada
330, rue Sparks
Ottawa (Ontario)
K1A 0N5
Madame Dagenais,
Détermination des propriétés du pétrole brut pour assurer son transport sécuritaire
Vers 22 h 45, heure avancée de l’Est (HAE), le 5 juillet 2013, le train de marchandises MMA 2 de la Montreal Maine & Atlantic (MMA) (le train) circulait vers l’est sur la subdivision de Sherbrooke de la MMA, en route de Montréal (Québec) vers Saint John (Nouveau-Brunswick). Le train mesurait environ 4700 pieds et pesait approximativement 10 300 tonnes. Il comprenait 5 locomotives en tête, un wagon VB (un fourgon de queue pour usage spécial), 1 wagon couvert chargé, suivi de 72 wagons-citernes non pressurisés de classe 111 remplis de pétrole brut. La feuille de route indiquait que le produit chargé dans chacun des wagons-citernes était du pétrole brut, UN 1267, classe 3, groupe d’emballage (GE) III.
Vers 23 h, le train a été immobilisé au point de relève des équipes désigné de la MMA, c’est-à-dire au point milliaire 7.40 près de Nantes (Québec), sur la voie principale présentant une pente descendante de 1,2 %. Peu avant 1 h le 6 juillet 2013, le train s’est mis à avancer, a pris de la vitesse pendant qu’il roulait de façon non contrôlée sur la pente vers la ville de Lac-Mégantic (Québec) et a déraillé à proximité du centre-ville. Le wagon couvert et 63 wagons-citernes ont notamment déraillé.
De nombreux wagons déraillés ont déversé leur contenu qui s’est enflammé quasi instantanément, créant un grand bassin de flammes qui a brûlé durant plusieurs jours. Il y a eu 42 victimes, 5 personnes manquent toujours à l’appel, le centre-ville a subi des dommages considérables et quelque 2000 personnes ont été évacuées de la zone avoisinante. Au moment de l’accident, la température ambiante enregistrée était de 22 °C (événement no R13D0054 du BST).
Le pétrole brut provenait de New Town (Dakota du Nord) et était destiné à une raffinerie située à Saint John (Nouveau-Brunswick). Les wagons-citernes avaient été ramassés à New Town par le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) et transportés à Montréal. Le train, toujours avec la même feuille de route, a alors été remis à la MMA en service d’échange.
L’évaluation des méthodes en place aux installations de chargement de New Town a permis d’établir les faits suivants :
- le produit chargé dans les wagons du train venait de 11 fournisseurs différents possédant des puits producteurs dans la région de la formation schisteuse de Bakken au Dakota du Nord;
- le produit avait été transporté à New Town par des citernes routières à partir de plusieurs installations de fournisseurs, puis transbordé dans les wagons-citernes, à raison d’environ 3 citernes routières par wagon-citerne.
- Les données des 10 différentes fiches signalétiques remises par les fournisseurs variaient grandement et étaient même contradictoires dans certains cas. Par exemple, alors que toutes les fiches signalétiques indiquaient que le produit était une marchandise dangereuse de classe 3, le groupe d’emballage variait de GE I à GE III.
- Au moins 4 fiches signalétiques indiquaient un produit GE I et 2 autres affichaient qu’il était nécessaire de « déterminer le point d’éclair pour bien établir le groupe d’emballage ».
- Selon les documents de transport des camions, le produit expédié par les fournisseurs jusqu’aux installations ferroviaires de chargement était un produit GE II.
- Une fois le produit transbordé dans les wagons-citernes, l’expéditeur a indiqué que tous les wagons-citernes contenaient un produit GE III.
- Le journal de bord du train était fondé sur les données de la feuille de route fournie au CP par l’expéditeur.
Le pétrole brut présente un large éventail de points d’éclair et de points initiaux d’ébullition. C’est pourquoi on divise ces liquides inflammables de classe 3 en différents groupes d’emballage (GE) pour mieux refléter et communiquer les dangers qu’ils présentent. Le BST a prélevé des échantillons de produit à partir des 9 wagons-citernes intacts qui n’ont pas déraillé durant l’accident à Lac-Mégantic. Les résultats des tests indiquent que ces échantillons de produit présentaient un point d’éclair inférieur à -35 °C et un point initial d’ébullition qui se situe entre 43,9 et 48,5 °C, ce qui place ce produit à la limite inférieure de la plage des points d’éclair pour le pétrole brut, bien en deçà du seuil GE III. Aux termes des règlements fédéraux, ces caractéristiques correspondent à un produit qui doit être inclus dans la classe 3, GE II.
Le point d’éclair inférieur du pétrole brut explique en partie pourquoi il s’est enflammé aussi rapidement après la rupture des wagons-citernes de classe 111. Étant donné que les caractéristiques des produits sont l’un des facteurs dont il faut tenir compte au moment de choisir un contenant pour transporter des matières dangereuses, cela remet également en question l’aptitude des wagons-citernes de classe 111 pour transporter des quantités importantes de liquides inflammables à point d’éclair bas (GE I et GE II). Le BST poursuit son analyse des éléments des wagons-citernes et une analyse exhaustive des échantillons de combustibles, puisqu’il en fera une analyse détaillée dans le cadre de son enquête.
On utilise la désignation GE III pour les liquides inflammables moins volatiles qui ont un point d’éclair plus élevé et qui sont donc moins susceptibles de s’enflammer facilement à température ambiante, advenant un accident de transport (c.-à-d. qui produisent habituellement moins de vapeurs inflammables à des températures ambiantes normales).
La sécurité des personnes qui manutentionnent des matières dangereuses ou qui sont en contact avec elles durant le transport dépend en grande partie de la description précise du produit transporté. Il est primordial de fournir une description précise pour garantir que le produit est emballé dans des contenants appropriés et que l’on emploie les bonnes procédures de chargement et de déchargement. En outre, il s’agit d’une information importante durant les activités d’intervention d’urgence pour garantir une bonne planification et des mesures adéquates.
En raison de la volatilité de ce type de pétrole brut et des conséquences potentielles d’un déversement durant un accident, surtout lorsqu’il est transporté en quantités importantes, Transports Canada pourrait juger opportun d’examiner les processus en place qu’utilisent les fournisseurs et les entreprises qui transportent ou importent ces produits afin de veiller à ce qu’on détermine et documente correctement les propriétés de ces produits pour les transporter en toute sécurité.
Je vous prie d’accepter, Madame Dagenais, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Signé par Robert Johnston
Robert Johnston
Directeur intérimaire
Enquêtes – Rail/pipeline