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Document d'information (R19C0015)

Faits établis par le rapport d’enquête R19C0015 du BST : mouvement non contrôlé de matériel roulant et déraillement de train mortel près de Field (Colombie-Britannique)

Les enquêtes menées par le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sont complexes. Un accident résulte rarement d’une seule cause. Plusieurs facteurs sont à l’origine du mouvement non contrôlé de matériel roulant, du déraillement de train et des blessures mortelles subies par les trois membres de l’équipe à Field (C.-B.) le 4 février 2019. Ceux-ci sont contenus dans les 23 faits établis ci-dessous quant aux causes et facteurs contributifs. L’enquête a également permis d’établir 19 faits quant aux risques et 9 autres faits établis.

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

  1. Après avoir dépassé le point milliaire 126, le train s’est engagé sur une des pentes les plus abruptes de Field Hill. À cette étape, les serrages des freins de service successifs faits par le mécanicien de locomotive descendant, de concert avec les freins dynamiques de locomotive disponibles, n’ont pas réussi à maintenir la vitesse du train en deçà de la limite de vitesse maximale de 15 mi/h. Par conséquent, conformément aux instructions de la compagnie, l’équipe a effectué un serrage d’urgence des freins et a immobilisé le train sur Field Hill au point milliaire 127,46.
  2. L’équipe descendante et le coordonnateur de trains ont choisi les robinets de retenue seulement, et la chef de train les a ensuite réglés à la position « haute pression » sur 75 % des wagons (84 wagons), conformément aux prodécures d’exploitation de Field Hill. Parce que le quart de travail de l’équipe touchait à sa fin, le directeur des contrôleurs de la circulation ferroviaire a commandé une équipe de relève, qui rétablirait les systèmes de freinage après le serrage d’urgence des freins et terminerait le voyage à Field.
  3. Une dizaine de minutes environ après le transfert d’équipe à équipe, le train s’est mis à rouler de lui-même.
  4. Le train a accéléré en dévalant la montagne, sur une pente abrupte descendante et dans des courbes prononcées, jusqu’à ce qu’il atteigne une vitesse de 53 mi/h, ce qui dépassait largement la vitesse maximale autorisée de la voie. Cette vitesse excessive a entraîné des forces centrifuges élevées qui, de concert avec les forces latérales générées par les forces compressives modérées s’exerçant sur le train, ont fait en sorte que la locomotive s’est renversée dans une courbe à 9,8° et a déraillé au point milliaire 130,6.
  5. Malgré que l’équipe descendante eut constaté un rendement médiocre des freins ayant exigé un arrêt d’urgence, les procédures d’exploitation de Field Hill n’ont pas mené l’équipe et le coordonnateur de trains à conclure que la situation justifiait de serrer des freins à main en plus de régler des robinets de retenue.
  6. Parce que la détérioration de la capacité de freinage se produisait de façon saisonnière à bord des trains-blocs céréaliers du Canadien Pacifique par température extrêmement froide, cette situation était devenue normalisée de sorte que les équipes s’attendaient à devoir utiliser presque toute la capacité de freinage disponible pendant la descente de Field Hill.
  7. Même si les augmentations du débit d’air lors du serrage des freins avaient été remarquées et avaient fait l’objet de discussions, leur importance comme principal indicateur du mauvais fonctionnement du système de freins n’a peut-être pas été pleinement comprise; on a ainsi raté l’occasion de diagnostiquer correctement la perte d’efficacité du système de freins à air du train.
  8. Après la séance de briefing, qui n’a pas abordé les facteurs critiques, comme la température ambiante, le rendement du système de freinage et l’importance des augmentations du débit d’air lors du serrage des freins, qui auraient pu pousser à serrer les freins à main, le coordonnateur de trains a décidé que régler les robinets de retenue était suffisant après ce premier arrêt d’urgence.
  9. En raison de lacunes du programme de formation, la chef de train descendante ne savait pas qu’il fallait observer la position du piston du cylindre de frein pendant le réglage des robinets de retenue et, par conséquent, des robinets de retenue ont probablement été réglés sur des wagons dont les freins étaient inefficaces.
  10. Le coordonnateur de trains n’était pas certifié pour Field Hill et n’avait pas d’expérience antérieure d’un arrêt d’urgence sur Field Hill. Par conséquent, son processus décisionnel s’appuyait probablement sur les consignes décrites dans les procédures d'exploitation de Field Hill, qui étaient communément interprétées comme signifiant que seuls les robinets de retenue devaient être réglés après un premier arrêt d’urgence sur Field Hill.
  11. La formation et l’expérience du coordonnateur de trains ne l’avaient pas préparé adéquatement à évaluer des circonstances anormales dans l’environnement d’exploitation complexe de Field Hill.
  12. Les essais effectués après l’événement permettent de déduire que l’efficacité des freins à air d’environ 50 % des wagons du train à l’étude était réduite pendant la première descente de Field Hill et que, par conséquent, un serrage d’urgence des freins s’imposait.
  13. Dans le train à l’étude, compte tenu de la température extrêmement froide et de la longue période pendant laquelle les wagons sont demeurés immobilisés avec les freins serrés, le taux de perte de pression au cylindre de frein de certain des wagons sur lesquels les robinets de retenue étaient réglés était probablement excessif.
  14. Vingt-sept des wagons du train à l’étude avaient des distributeurs de wagon munis de dispositifs de serrage de type DB-10. Il est probable que la réaction de ces dispositifs de serrage aux faibles serrages progressifs des freins effectués alors que le train roulait entre Stephen et Partridge ait contribué à la difficulté à contrôler la vitesse du train, de sorte qu’un serrage d’urgence des freins s’imposait à Partridge.
  15. Il est fort probable que le système de freins à air des 27 wagons céréaliers munis de dispositifs de serrage de type DB-10 et de dispositifs de serrage d’urgence de type DB-20 de New York Air Brake-Knorr fabriqués il y a plus de 13 ans n’ait pas pu maintenir un freinage suffisamment efficace à cause de fuites excessives par des joints d’étanchéité de caoutchouc usés et détériorés.
  16. Trois heures et 14 minutes après le premier serrage des freins à Stephen, il est probable que la pression moyenne aux cylindres de frein ait baissé en-deçà de 31 lb/po2 de sorte que la force retardatrice n’était plus suffisante pour empêcher le train de se mettre à rouler de façon non contrôlée vers le bas de la pente en terrain montagneux.
  17. Un évanouissement par frottement des semelles de frein s’est produit sur les wagons dont les freins étaient efficaces, ce qui a contribué à la grande vitesse pendant le mouvement non contrôlé.
  18. Tant les mesures prises par les détecteurs de température de roues que les rapports sur les dangers pour la sécurité soumis par les équipes de train à bord de trains-blocs chargés de céréales roulant en direction ouest confirment que les essais de frein no 1 effectués au triage Alyth n’ont pas permis de détecter adéquatement les wagons dont les freins ne seraient pas pleinement efficaces par les températures extrêmement froides dans lesquelles le train à l’étude s’est trouvé pendant la descente de Field Hill.
  19. Entre 2015 et le moment de l’événement, le Canadien Pacifique n’avait imposé aucune restriction relative à l’exploitation des trains-blocs céréaliers sur Field Hill par températures extrêmement froides.
  20. Bien que les données des détecteurs de température de roues étaient recueillies et qu’elles indiquaient des pourcentages élevés de freins inefficaces sur les trains céréaliers au cours des 2 jours précédant l’événement, le Canadien Pacifique n’analysait pas ces données et n’a pris aucune mesure particulière ou corrective.
  21. Bien que la procédure du Canadien Pacifique relative au signalement des dangers pour la sécurité ait été suivie activement au terminal de Calgary, le processus de suivi ne permettait pas d’analyser les tendances et de régler les problèmes en matière de sécurité liés au rendement des systèmes de freins à air de la flotte de wagons céréaliers exploités par températures extrêmement froides sur la subdivision de Laggan de manière efficace.
  22. Le Canadien Pacifique estimait que la tendances dans les rapports de danger pour la sécurité ne représentait pas une « préoccupation en matière de sécurité » au sens du Règlement sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, et il n’a pas pris suffisamment de mesures pour régler les causes sous-jacentes du freinage inefficace des trains-blocs céréaliers qui descendaient Field Hill par températures extrêmement froides.
  23. La surveillance du comité de santé et sécurité de Calgary effectuée par Transports Canada n’a pas permis de relever le manque de mesure corrective à l’égard des rapports sur le rendement insuffisant du système de freinage des trains-blocs céréaliers qui descendent Field Hill.

Faits établis quant aux risques

Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

  1. Si la formation donnée en classe n’aborde pas les exigences uniques du territoire où les employés seront appelés à travailler, et si les employés ne reçoivent pas de formation en cours d’emploi sur ce territoire, ils ne seront pas bien préparés ni suffisamment formés pour exercer leurs fonctions en toute sécurité, ce qui augmente le risque d’accident.
  2. Lorsque les fonctions d’un spécialiste sont transférées à un poste de généraliste, à moins que de la formation technique et de l’expérience pratique ne viennent combler les écarts qui existent entre ces 2 postes, il y a un risque accru que ces fonctions ne soient pas effectuées convenablement.
  3. Lorsque les employés d’exploitation ne reçoivent pas de formation initiale et périodique adéquates sur la CRM, notamment sur la façon de prendre des décisions lorsqu’il y a un rapport d’autorité, la coordination et l’interaction entre les membres d’équipe pourraient ne pas être efficaces, ce qui augmente le risque d’accidents liés à des facteurs humains.
  4. Si les équipes de train travaillent régulièrement dans des conditions dangereuses, comme la dégradation du rendement au freinage par températures extrêmement froides, chaque voyage réussi augmente la tolérance au risque et réduit la capacité de l’équipe à reconnaître`, à évaluer correctement et à gérer les dangers à l’avenir, ce qui augmente le risque d’accident.
  5. Si les principes de conception établis ne sont pas suivis pour afficher l’information essentielle à la sécurité sur l’écran d’affichage du conducteur de locomotive, des indices importants pourraient passer inaperçus, ce qui augmente le risque d’accident.
  6. Lorsque les trains sont exploités par températures extrêmement froides, des fuites au cylindre de frein se produisent, ce qui augmente le risque que l’utilisation de robinets de retenue en vue de préserver la capacité de freinage soit inefficace.
  7. Lorsqu’un train descend une longue pente, où les freins peuvent demeurer serrés pendant plus de 20 minutes, même avec un taux de fuite au cylindre de frein respectant la limite maximale permise par la norme S-486, « Code of Air Brake System Tests for Freight Equipment - Single Car Test », de l’Association of American Railroads (soit 1 lb/po² par minute), il y a un risque que la fuite au cylindre de frein rende le système de freins à air inefficace
  8. Si les consignes sur la façon de réagir en situation d’urgence ne sont pas explicites mais dépendent plutôt de l’interprétation de la situation par les employés, le processus décisionnel des employés pourrait ne pas reposer sur de l’information exacte, ce qui augmente le risque qu’un plan d’action dangereux soit mis en œuvre.
  9. Si des restrictions adéquates pour l’exploitation saisonnière visant à garantir la sécurité de l’exploitation de trains-blocs par températures extrêmement froides en territoire montagneux ne sont pas invariablement activées d’année en année, il y a un risque accru de pertes de maîtrise et de déraillements.
  10. Tant que les méthodes d’essai des freins de train ne permettront pas d’évaluer avec précision l’efficacité des freins à air, les trains exploités par températures extrêmement froides demeureront susceptibles d’avoir un freinage inefficace, ce qui augmente le risque de perte de maîtrise et de déraillement.
  11. Tant que l’utilisation de semelles de frein résistantes à l’évanouissement par frottement ne sera pas obligatoire sur les trains-blocs exploités en territoire montagneux, il y aura un risque accru d’évanouissement de l’efficacité des semelles de frein par frottement et de perte de maîtrise lorsque ces trains descendent de longues pentes en terrain montagneux.
  12. Tant que des moyens de défense physiques additionnels ne seront pas mis en œuvre, il subsistera un risque que des mouvements imprévus et non contrôlés de matériel roulant ferroviaire continuent de se produire et entraînent des déraillements, des collisions et des risques inacceptables pour les employés ferroviaires, le public et l’environnement.
  13. En l’absence d’examens des compétences suffisants pour tous les membres d’équipe de train, et en l’absence de résultats d’examens qui donnent de la rétroaction qualitative, il y a un risque que des lacunes au niveau des aptitudes, des qualifications ou des connaissances d’un employé ne soient pas convenablement cernées et qu’aucune mesure corrective ne soit prise pour améliorer la sécurité.
  14. Lorsque les conditions dans les installations de repos désignées ne sont pas propices à un repos réparateur des employés, il y a un risque accru que les employés ne soient pas complètement reposés à la fin d’une période de repos désignée.
  15. Lorsque des pratiques d’exploitation exigeant l’utilisation de la pleine puissance de freinage du train pour contrôler la vitesse sur des pentes en terrain montagneux deviennent normalisées, la marge de sécurité est grandement compromise, ce qui augmente le risque d’accident.
  16. Si les compagnies de chemin de fer modifient leurs politiques et leurs procédures sans cerner tous les dangers d’avance, des mesures d’atténuation des risques appropriées peuvent ne pas être prises, ce qui augmente le risque que les marges de sécurité s’estompent.
  17. Si les dangers ne sont pas convenablement cernés et analysés, les lacunes dans les moyens de défense peuvent continuer à passer inaperçues et ne pas être atténuées, ce qui augmente le risque d’accident.
  18. Si le système de gestion de la sécurité d’une compagnie de chemin de fer ne se fonde pas sur une culture de sécurité positive, son efficacité à cerner et à atténuer les dangers diminue, ce qui augmente le risque d’accidents.
  19. S’il n’y a aucune surveillance réglementaire de la pertinence et l’efficacité des programmes de formation du personnel d’exploitation ferroviaire, il y a un risque accru que ces programmes ne soient pas suffisamment rigoureux pour garantir que le personnel d’exploitation ferroviaire possède les connaissances et l’expérience qui conviennent pour travailler en toute sécurité.

Autres faits établis

  1. Étant donné que la continuité de la conduite générale n’a été compromise à aucun moment ni d’aucune façon, et puisqu’aucun desserrage intempestif des freins du train n’est survenu avant le déraillement, la seule autre cause possible de l’augmentation du débit d’air lors du serrage des freins était une fuite d’air excessive sur un ou plusieurs wagons. Ceci peut entraîner une diminution de la pression dans le cylindre de frein ou le desserrage des freins à air sur des wagons.
  2. L’essai de frein en marche effectué à Eldon n’a révélé aucune anomalie de freinage importante parce que les fuites dans le système de freinage n’avaient pas encore été aggravées par le temps extrêmement froid, parce que les serrages des freins n’ont pas duré assez longtemps pour que les fuites nuisent au rendement du système de freins à air, et parce que le train ne se trouvait pas sur la pente en terrain montagneux.
  3. De petites réductions progressives de la pression dans la conduite générale pourraient ne pas être suffisamment fortes pour se propager sur toute la longueur de la conduite générale lorsqu’un débit d’air élevé se produit simultanément. Elles peuvent également donner lieu à une vague de pression qui n’arrive pas à déclencher efficacement le serrage des freins voulu sur les distributeurs des wagons plus âgés ou moins sensibles.
  4. L’essai sur wagon individuel, qui est habituellement effectué dans un atelier ou sur une voie de réparation extérieure par températures plus chaudes, ne révèle pas les défectuosités des distributeurs de wagon qui se manifestent dans des conditions d’exploitation froides ou extrêmement froides.
  5. Selon les calculs de freinage, les wagons du train fournissaient, en moyenne, environ 61 % de leur effort de freinage à la suite du serrage d’urgence des freins à Partridge. Environ 3 heures plus tard, lorsque le train s’est mis à rouler de lui-même, l’effort de freinage s’était détérioré à moins de 40 % de l’effort de freinage maximal théorique.
  6. Compte tenu des données enregistrées par les détecteurs de température de roues pour des trains-blocs céréaliers semblables exploités par temps extrêmement froid, c.-à-d. moins de −25 °C, les calculs indiquent qu’au moins 50 % des wagons du train à l’étude étaient froids, selon les critères pour les détecteurs de température de roues établis par la compagnie de chemin de fer, au moment de l’événement.
  7. Les données des détecteurs de température de roues recueillies en hiver pour les trains exploités par des températures de –25 °C ou moins donnent des renseignements précieux sur l’état général du système de freinage des trains. Ces données pourraient servir à élaborer des critères d’exploitation hivernale pour assurer l’exploitation en toute sécurité des trains-blocs céréaliers par temps extrêmement froid.
  8. Ni le Canadien Pacifique ni Transports Canada, qui étaient des participants à part entière dans l’élaboration et la mise en œuvre des recherches sur la technologie d’inspection automatisée de l’efficacité des freins de train (Automated Train Brake Effectiveness), ne se sont servis des constatations de l’étude au sujet de l’état de la flotte de wagons-trémies céréaliers pour entreprendre une évaluation des risques liés à l’exploitation de trains-blocs céréaliers.
  9. Bien que les compagnies de chemin de fer de compétence fédérale soient tenues d’avoir un système de gestion de la sécurité depuis 2001, et que le nouveau Règlement sur le système de gestion de la sécurité soit entré en vigueur en 2015, l’efficacité du système de gestion de la sécurité de chaque compagnie de chemin de fer n’a pas encore été évaluée par Transports Canada.