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Rapport d'enquête maritime M12W0054

Chavirement et échouement
du petit bateau de pêche Jessie G
au large du cap Beale, île de Vancouver
(Colombie Britannique)
Le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 4 mai 2012 vers 17 h 30, heure avancée du Pacifique, le petit bateau de pêche Jessie G, chargé de casiers à crevettes, a roulé sur tribord en franchissant le cap Beale, en Colombie-Britannique, et n'a pas pu être redressé. Les 6 membres de l'équipage ont été rescapés par la Garde côtière canadienne (GCC) à bord de l'embarcation rapide de sauvetage Bamfield 1. Le Jessie G s'est échoué par la suite et il a été renfloué et remorqué jusqu'à Port Alberni, où il a été déclaré perte réputée totale.

This report is also available in English.

Renseignements de base

Fiche technique du navire

Nom du navire Jessie G
Numéro officiel ou de permis 194220/VRN 29826
Port d’immatriculation Vancouver (Colombie-Britannique)
Pavillon Canada
Type Petit bateau de pêche aux trappes et à la palangre
Jauge brute 14,66
LongueurNote de bas de page 1 11,7 m
Tirant d’eau 1,16 m
Construction 1951, Quatsino (C.-B.)
Propulsion Moteur diesel Detroit 6 cylindres de la série 71 (130 kW) entraînant une seule hélice à pas fixe
Cargaison Environ 180 kg de crevettes, en plus des 4 300 kg de casiers, d’équipement et d’appâts.
Membres d’équipage 6
Propriétaires enregistrés Propriétaires privés (Errington et Qualicum Beach, C.-B.)
Photo 1. Le Jessie G en cale sèche à Steveston (C.-B.)
Photo 1. Le Jessie G en cale sèche à Steveston (C.-B.)

Description du navire

Le Jessie G était un petit bateau de pêche ponté en bois (photo 1) construit en 1951 et gréé en ligneur et senneur à saumon; il était exploité sur la côte Ouest. Sa configuration d'origine a été modifiée à plusieurs reprises afin de répondre aux divers besoins d'exploitation. La coque d'origine avait été recouverte de fibre de verre et le pont principal de placage en aluminium. Le poste de pilotage, la cuisine et le coin-repas étaient situés sur l'avant du milieu du bateau dans le rouf en aluminium sur le pont principal. Le pont de passerelle, au-dessus du rouf, abritait 4 couchettes pour l'équipage. Les couchettes étaient en outre accessibles à partir de l'intérieur du rouf.

Sous le pont principal, la salle des machines, la cale à poisson isolée et réfrigérée et la cambuse étaient séparées par 2 cloisons transversales. La cambuse était accessible par l'entremise d'un trou d'homme à plat-pont étanche sur le pont principal. Le bateau était doté de 3 réservoirs de carburant, 1 de chaque côté du moteur principal, et un troisième sur le pont de passerelle. Le réservoir d'eau douce et les réservoirs d'huile de lubrification étaient situés à l'avant du moteur.

Une rallonge arrière dépassait le pont principal de 1,83 m. Le pont principal était entouré d’un pavois plein en aluminium et le pont principal arrière était délimité par une cage en aluminium. La moitié avant sur bâbord de la cage était dotée d’un protecteur plein contre le gros temps. Environ les trois quarts du toit de la cage étaient couverts par une bâche renforcée par des planches en bois (photo 2).

Photo 2. Rallonge arrière, cage en aluminium et protecteur contre le gros temps.
Photo 2. Rallonge arrière, cage en aluminium et protecteur contre le gros temps.

Un congélateur contenant des plaques de réfrigération était monté à l'intérieur de l'hiloire, derrière le rouf sur le pont principal. Une génératrice diesel arrimée sur le pont de passerelle alimentait en électricité le compresseur frigorifique.

Le bateau était doté de paravanes d’amortissement du roulis et transportait une yole de 6 m en aluminium qui était fixée au toit de la cage en aluminium. Au moment de l’accident, le bateau transportait aussi des casiers à crevettes, des appâts et des provisions pour l’équipage.

Déroulement du voyage

Le 3 mai 2012, le Jessie G quitte Port Alberni à 6 h 30Note de bas de page 2, suit le bras Alberni et prend le large en direction du sud vers le chenal Trevor (annexe A). À leur arrivée au chenal Trevor, le capitaine et l’équipage attendent jusqu’à 12 hNote de bas de page 3 pour installer les casiers à crevettes. Ils laissent ensuite les casiers à l’eau et accostent à Bamfield à 17 h 30 pour la nuit.

Le lendemain matin, à 6 h 30, le Jessie G quitte Bamfield en direction du chenal Trevor. À 7 h, l’équipage commence à hisser les casiers à crevettes. La prise de crevettes est faible; les casiers demeurent donc à bord et l’équipage se prépare à partir en direction d’autres lieux de pêche qu’il croit plus productifs. La prise, qui pèse environ 180 kg, est placée sur les plaques de réfrigération à l’intérieur du congélateur. À 16 h 30, tous les casiers à crevettes sont rangés dans la cage en aluminium ainsi que sur son toit et sa périphérie. Le bateau quitte le chenal Trevor par marée descendante dans des conditions calmes; le capitaine a l’intention de naviguer près du cap Beale.

Aux environs de 17 h, alors que le bateau s’approche du cap Beale, il fait face à la houle du sud-ouest et au courant de marée. Le bateau commence à faire des mouvements de lacet, de roulis et de tangage sous l’effet de la forte mer. Le capitaine règle la vitesse du bateau à plusieurs reprises, en tentant de contrer le lent mouvement de roulis et de réduire les effets de la mer. L’eau qui s’accumule sur le pavois à tribord fait en sorte que le Jessie G commence à rouler sur tribord.

Un des membres de l’équipage remarque alors que les sabords de décharge sont submergés et que l’eau ’s’accumule sur le pont. Il en informe le capitaine, qui augmente la vitesse du bateau et fait un changement de cap sur bâbord pour tenter d’évacuer l’eau. En constatant que le Jessie G ne revient pas en position verticale, le capitaine ordonne aux membres de l’équipage d’enfiler leur vêtement de flottaison individuel (VFI) et de quitter le rouf.

À 17 h 21, le capitaine commence à lancer un appel Mayday sur la voie 16 du radiotéléphone très haute fréquence (VHF), mais à cause de l’envahissement par le haut, il est contraint de le quitter pendant l’appel. L’appel est reçu par le centre de la Garde côtière à Tofino. Afin de répondre à l’appel de détresse, l’embarcation rapide de sauvetage (ERS) Bamfield 1 quitte Bamfield, en direction du Jessie G.

Photo 3. Le Jessie G échoué près du cap Beale.
Photo 3.  Le Jessie G échoué près du cap Beale.

Alors que l’équipage se tient sur le côté bâbord, le bateau continue à rouler sur tribord et demeure engagé à la position 48° 47,18′ N, 125° 13,76′ W (annexe A). Tous les membres de l’équipage portent alors leur VFI à l’exception du mécanicien, qui avait trouvé et enfilé sa combinaison d’immersion. La yole de 6 m en aluminium demeure arrimée au toit de la cage en aluminium. Alors que certains membres d’équipage tentent de libérer la yole, d’autres essaient de fabriquer un radeau en attachant des sacs d’entreposage de crevettes ensemble en vue d’abandonner le bateau.

À 17 h 47, l’ERS arrive et vient au secours du capitaine et des 5 membres de l’équipage du bateau. Ils sont transportés à Bamfield. Au cours de la soirée, le bateau dérive et termine sa course quand il s’échoue sur un récif à la position 48° 46,60′ N, 125° 12,20′ W (photo 3). Le lendemain, le bateau est localisé, renfloué et remorqué jusqu’à Port Alberni, où il est déclaré perte réputée totale.

Conditions environnementales

Selon les prévisions d’Environnement Canada, pour la période de l’accident, il devait y avoir des vents allant de légers à modérés soufflant du nord-ouest et de la houle allant de légère à modérée en provenance du sud-ouest. Selon les tables des courants et marées de Pêches et Océans Canada, la marée devait être basse à Bamfield à 17 h 37. Le courant de marée descendante du chenal Trevor devait alors rencontrer la houle du sud-ouest.

Certificats du navire

Étant un petit bateau de pêche d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux, le Jessie G était visé par la partie II du Règlement sur l’inspection des petits bateaux de pêche (RIPBP). En tant que tel, il n’était pas nécessaire de soumettre le bateau à l’inspection de Transports Canada (TC) ni de présenter des données concernant sa stabilité.

Certification et expérience du personnel

Le capitaine comptait plus de 40 ans d’expérience de pêche sans accident, principalement sur des bateaux de plus de 24 m, et était titulaire d’un brevet valide de capitaine de pêche, troisième classe, depuis 1987. En mai 2007, le capitaine avait de plus terminé le Programme d’éducation sur la stabilité des bateaux de pêche, un cours interactif de 4 jours conçu pour que les pêcheurs approfondissent leurs connaissances sur la stabilité des bateaux de pêche.

En outre, le capitaine avait suivi la formation obligatoire A2 sur les fonctions d’urgence en mer (FUM) en 1992. Il s’agissait du premier voyage du capitaine sur le Jessie G et de sa deuxième saison de pêche à la crevette.

Le mécanicien était titulaire d’un brevet valide de capitaine de pêche, quatrième classe, et comptait environ 20 ans d’expérience de pêche. Trois membres de l’équipage étaient titulaires d’un certificat de formation de conducteur de petits bâtiments. Tous les membres de l’équipage, sauf 1, avaient un certificat de formation aux fonctions d’urgence en mer (FUM) de niveau A3, et ils avaient tous une certaine expérience de pêche.

Avant le début de chaque saison de pêche, les membres de l’équipage doivent être informés des caractéristiques d’exploitation du bateau, selon les règles de WorkSafeBCNote de bas de page 4. Les membres d’équipage doivent aussi connaître l’emplacement et la manière d’utiliser l’équipement de navigation, d’exploitation et d’urgence, ainsi que les pratiques d’exploitation sécuritaire et les procédures d’urgence du bateau.

Avant le début de la pêche à bord du Jessie G, l’emplacement des extincteurs a été porté à l’attention des membres de l’équipage, qui ont reçu l’instruction de porter un VFI en tout temps lorsqu’ils travaillent sur le pont. L’équipage portait effectivement un VFI lorsqu’il travaillait sur le pont.

Stabilité du bateau

Modifications

Au moment de l’accident, le bateau était équipé pour pêcher et congeler les crevettes. Voici certaines des modifications à la conception originale du bateau :

Toutes ces modifications ont été effectuées avant l’achat par le nouveau propriétaire. Aucune d’elles n’a été consignée et, de manière générale, le capitaine n’était pas au courant de l’ampleur des modifications. Les modifications ont entraîné une augmentation du poids à l’état lège du bateau d’origine.

Répartition de la charge

Lorsque la stabilité des petits bateaux de pêche n’est pas évaluée, les pêcheurs connaissent peu leur limite. Dans ces cas, une bonne pratique maritime élémentaire consiste à garder le poids au fond du bateau, ce qui fait en sorte que le centre de gravité du bateau est bas. Il importe que les capitaines comprennent l’influence qu’a la répartition de la charge sur la stabilité du bateau et qu’ils sachent que le fait d’augmenter le poids à la partie supérieure d’un navire en réduit généralement la stabilité.

Avant le départ, le jour de l’accident, le Jessie G avait été préparé pour un voyage de 6 semaines. Une quantité suffisante de provisions pour 6 semaines avait été chargée et tous les réservoirs étaient remplis. En outre, un certain nombre d’éléments (poids approximatif) avaient été chargés à bord, notamment :

Photo 4. Le Jessie G amarré, avril 2012.
Photo 4. Le Jessie G amarré, avril 2012.

En raison de la taille du bateau, la majeure partie de cet équipement était située au-dessus du centre de gravité du bateau, faisant augmenter le poids du bateau sur sa partie supérieure et réduisant son franc-bord.

Franc-bord

Le franc-bord est une mesure de la distance verticale entre la ligne de flottaison et le point le plus bas du pont principal. Il importe que le franc-bord soit adéquat pour assurer la flottabilité du bateau. Le franc-bord d’un bateau surchargé est réduit, ce qui fait en sorte que ses sabords de décharge sont submergés à des angles de gîte plus faibles. Lorsque les sabords de décharge sont submergés, le centre de flottabilité change et la capacité de redressement du bateau diminue.

Lorsque les nouveaux propriétaires ont mouillé le Jessie G à Steveston, en mars 2012, le franc-bord du bateau était évalué à environ 18 cm (photo 4). Avant le départ vers les lieux de pêche, le matin de l’accident, le franc-bord du bateau n’était plus que d’environ 7,5 cm. Juste avant l’accident, le franc-bord était encore plus faible en raison de la prise de crevettes, de l’eau retenue dans les engins et de l’eau qui s’était accumulée sur le pont.

Gestion des ressources halieutiques

Les propriétaires ont été autorisés à combiner 2 permis de pêche à la crevette sur le Jessie G, comme cela avait été fait dans le passé. En combinant les permis de la sorte, le nombre de casiers alloués passe de 300 à 500. Avant de délivrer un permis de pêche à la crevette au propriétaire d’un bateau, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) exige que la longueur de la coque flottante du bâtiment soit conforme aux restrictions relatives à la longueur mentionnées dans le permis. Toutefois, la mesure de la coque flottante ne tient pas compte de la rallonge arrière qui, sur le Jessie G, permettait d’accueillir le nombre accru de casiers et entraînait une élévation du centre de gravité du bateau. La longueur de la coque flottante du bateau répondait aux exigences relatives à la longueur décrétées par le MPO.

Initiative des pêches commerciales intégrées du Pacifique

En 2007, le MPO lançait l’Initiative des pêches commerciales intégrées du Pacifique (IPCIP), un programme quinquennal financé par le gouvernement fédéralNote de bas de page 6. Les éléments importants de ce programme sont l’augmentation de la capacité, la cogestion, des mesures de responsabilisation renforcée et la transmission aux Premières Nations de l’accès aux pêches commerciales.

L’IPCIP vise à aider les Premières Nations qui souhaitent participer davantage à la pêche commerciale’. Le programme permet aux Premières Nations de présenter des demandes d’inscription en tant qu’entreprises de pêche commerciale (EPC). Les demandes doivent inclure, entre autres, un plan d’affaires et un plan de formation et de mentoratNote de bas de page 7.

Une fois que le plan d’affaires est approuvé, l’IPCIP offre une aide financière afin d’appuyer la mise en œuvre des plans de formation et de mentorat. L’objectif est de faire en sorte que les capitaines et les équipages aient les compétences nécessaires pour pêcher efficacement et en toute sécurité. Lorsque le plan d’affaires et les plans de formation et de mentorat sont mis en œuvre, le MPO peut délivrer des permis de pêche commerciale et attribuer les quotas, les bateaux et les engins.

Dans le cadre de l’IPCIP, on choisit les EPC à qui les permis seront délivrés. Le MPO transfère les permis de pêche commerciale en permis de pêche commerciale communautaireNote de bas de page 8 et les délivre aux EPC choisies dans le cadre de l’IPCIP. Le MPO demeure propriétaire des permis de pêche commerciale communautaire, bien que ce soit les EPC des Premières Nations qui les distribuent. Le MPO a dépensé 107 millions de dollars pour acheter des permis de pêche commerciale et des quotas par l’entremise de l’IPCIP. Cela représente environ 15,8 % de la valeur des permis de pêche commerciale en Colombie-Britannique.

Dans le cadre de l’IPCIP, le MPO a acheté et délivré 2 permis de pêche commerciale communautaire pour la pêche à la crevette aux EPC des Premières Nations impliquées dans cet accident. Les EPC ont distribué ces permis aux propriétaires du Jessie G par l’entremise d’un processus d’appel d’offres de location. En louant ces permis, il était convenu que le capitaine offrirait à 2 membres des Premières Nations un emploi comme membre d’équipage. Les 2 membres de l’équipage des Premières Nations ont suivi une formation afin d’obtenir les certificats obligatoires, mais n’ont pas participé à la formation recommandée concernant la sécurité, qui comprenait une formation de secourisme élémentaire, une formation sur la stabilité des bateaux, une séance de familiarisation avec le bateau et une formation sur la survie en eau froide. De plus, ces 2 membres de l’équipage n’ont pas participé au processus de mentorat de l’IPCIP.

Appareils de sauvetage

Il n’y avait aucun radeau de sauvetage ni de radiobalise de localisation des sinistres (RLS) à bord du Jessie G au moment de l’accident; ceux-ci n’étaient pas exigés selon la réglementation. Il y avait à bord du bateau 5 VFI et 2 combinaisons d’immersion, mais il n’y avait aucun gilet de sauvetage. Selon les règlements de WorkSafeBC, chaque membre d’équipage à bord doit disposer d’une combinaison d’immersion, et selon les règlements de TC, chaque membre d’équipage à bord doit disposer de 1 gilet de sauvetage.

Le Jessie G transportait 1 yole de 6 m en aluminium fixée au toit de la cage d’aluminium. La yole n’était pas équipée d’un mécanisme de mise à l’eau par dégagement libre et ne pouvait flotter librement lorsque le bateau a roulé et qu’il est demeuré engagé. La yole et le mécanisme de mise à l’eau par dégagement libre ne sont pas exigés selon la réglementation.

Coût de la sécurité

Au fil des ans, les enquêtes menées par le Bureau de la sécurité des transports (BST) ont démontré que les mesures visant à optimiser les profits au détriment de la sécurité sont adoptées fréquemment et qu’elles ont contribué à des accidents et à des pertes de vieNote de bas de page 9. Une entreprise de pêche à la crevette rentable permet à un pêcheur de recouvrer ses coûts de démarrage et d’exploitation, et de gagner sa vie. Ces coûts couvrent notamment les radoubs, les améliorations ou les réparations nécessaires, une inspection du bateau, les assurances, la location du permis ou du quota, et l’achat des engins, de l’équipement de sécurité et des provisions. En outre, dans bien des cas, les bénéfices d’une saison de pêche à la crevette constituent un pourcentage important du revenu annuel d’un pêcheur. La capacité d’un pêcheur à rentabiliser son entreprise de pêche à la crevette est souvent directement liée à la réduction des coûts de démarrage et à l’optimisation du temps consacré à la pêche, compte tenu des mesures de gestion des ressources halieutiques (GRH) prises à l’égard de la pêche à la crevette en Colombie-Britannique.

Pêche à la crevette en C.-B.

En Colombie-Britannique, il n’y a aucune limite de prises pour un permis de pêche à la crevette donné. Sans une telle limite, les pêcheurs se disputent la ressource jusqu’à ce que le point de référence de l’indice de géniteursNote de bas de page 10 pour la zone concernée soit atteint; c’est à ce moment que la pêche est fermée dans cette zone. Parmi les facteurs qui ont une incidence sur les bénéfices, il y a le nombre de jours de pêche et la vitesse à laquelle les pêcheurs peuvent pêcher et transformer leurs prises. La pêche est limitée à la période allant de 7 h à 19 h chaque jour, et les pêcheurs sont autorisés à remonter leurs casiers 1 fois par jour.

Frais de démarrage

Les propriétaires du Jessie G ont engagé des frais pour le démarrage de l’exploitation de pêche en 2012. Ces coûts couvraient notamment l’achat du bateau, une inspection du bateau, les radoubs, les améliorations et les réparations nécessaires pour corriger les lacunes, les assurances, la location des permis, les engins et l’équipement et les provisions.

Les propriétaires du Jessie G ont acheté un bateau de 61 ans, qui approchait la fin de sa vie utile, en le considérant comme un actif à court terme. Les propriétaires ont également combiné 2 permis de pêche à la crevette pour le bateau afin d’optimiser le nombre de casiers alloués pouvant être transportés et exploités.

Pratiques de travail

Vers la fin d’avril 2012, les 5 membres d’équipage se sont réunis et ont préparé le Jessie G pour la pêche et la congélation des crevettes. Le capitaine et l’équipage ne connaissaient pas bien les limites du bateau, et la plupart des membres de l’équipage se rencontraient pour la première fois avant le départ. L’enquête a révélé que le capitaine ne connaissait pas bien les Bulletins de la sécurité des navires (BSN) de TC ni les renseignements sur la sécurité de WorkSafeBC concernant les risques liés à la stabilité réduite des bateaux durant les activités de pêche à la crevette. Il n’y avait aucune pratique ou procédure de travail sécuritaire consignée pour le Jessie G, contrairement à ce qu’exige WorkSafeBC.

Enquête sur l’assurance des bateaux

La plupart des propriétaires de bateau décident de souscrire une assurance pour se prémunir contre les pertes. Dans la plupart des cas, les assureurs exigent que le bateau soit inspecté avant de l’assurer. Cette inspection vise surtout à déterminer l’état du navire, ainsi que sa valeur actuelle et sa valeur de remplacement. Certains assureurs comptent parmi leurs effectifs des inspecteurs à qui ils confient les travaux d’inspection; d’autres assureurs permettent aux propriétaires de choisir un inspecteur de marine indépendant pour procéder à l’inspection.

Les inspecteurs de marine peuvent appartenir à une ou plusieurs associations professionnelles, mais il n’existe aucune accréditation obligatoire. La portée des inspections varie d’un inspecteur à un autre et d’une entreprise à une autre; il en est de même pour les critères à remplir pour obtenir une assurance. Par conséquent, il est possible que certaines zones critiques d’un bateau ne soient pas inspectées. Il est en outre possible que les caractéristiques de stabilité et les modifications du bateau ne puissent pas être évaluées et que les vices cachés ne puissent pas être cernés.

Contrairement aux assureurs qui n’ont pas de norme commune en ce qui a trait à la portée des inspections des navires, il existe, en Colombie-Britannique, une coopérative qui assure des bateaux de pêche et qui favorise la sécurité de l’industrie de la pêche. La coopérative est gérée par un conseil d’administration composé de pêcheurs. Pour un bateau assuré par cette coopérative, on paie des primes d’assurance qui sont directement liées au nombre de demandes d’indemnisation. Un nombre moindre d’accidents amène une baisse des primes pour les pêcheurs, ce qui encourage ces derniers à pêcher de façon sécuritaire. La coopérative compte parmi ses effectifs des inspecteurs, et elle utilise des critères particuliers pour les inspections et l’approbation des assurances. Les bateaux dont la coque est en planches recouvertes de fibre de verre, comme le Jessie G, ne peuvent pas être assurés par cette coopérative.

En vue de souscrire une assurance, les propriétaires du Jessie G ont fait inspecter le bateau le 28 mars 2012, alors qu’il était en cale sèche à Steveston, en Colombie-Britannique. Un inspecteur indépendant accrédité par la Society of Accredited Marine Surveyors a inspecté le Jessie G, puis a présenté le rapport à l’assureur par l’entremise d’un courtier. L’inspection a porté sur l’état de la coque du bateau, les machines, les équipements, l’hélice, le gouvernail, l’arbre de transmission, l’électronique et l’équipement de sécurité. Elle n’a pas permis de déterminer l’état interne du moteur et de l’équipement, l’état de fonctionnement des composants électroniques, ni l’état des planches de la coque sous la fibre de verre. L’inspection n’avait pas pour objectif d’évaluer la stabilité du bateau ni son intégrité structurelle.

Selon le rapport d’inspection, le Jessie G, qui était en cale sèche depuis 2008, approchait de la fin de sa vie utile normale. Il y était de plus mentionné certaines lacunes à corriger. L’assurance a été accordée à la condition que les lacunes soient corrigées dans les 30 jours suivant la date de l’inspection, ou avant le début des activités de pêche. Le rapport d’inspection indiquait également que, dans son état, le bateau pouvait être utilisé pour se rendre de Steveston à Port Alberni si les conditions météorologiques étaient favorables, sans apporter plus de précision. Le bateau a ensuite été conduit jusqu’à Port Alberni dans de bonnes conditions météorologiques avec une quantité minimale d’équipement à bord. Pendant la majeure partie du mois d’avril 2012, alors que le Jessie G était amarré, le capitaine et le mécanicien ont complété le radoub et ont corrigé la plupart des lacunes précisées dans le rapport d’inspection en prenant les mesures suivantes :

Selon les exigences, le Jessie G devait transporter suffisamment de gilets de sauvetage et de combinaisons d’immersion pour chacun des membres d’équipage à bord, en plus d’un seau d’incendie, un extincteur, des fusées éclairantes et une bouée de sauvetage. Au moment de l’accident, le Jessie G ne transportait pas un nombre suffisant de gilets de sauvetage et de combinaisons d’immersion, mais avait à son bord les autres équipements de sécurité nécessaires.

Enquête sur les questions de sécurité relatives à l’industrie de la pêche au Canada

En août 2009, les questions de sécurité relatives aux bateaux de pêche au Canada ont fait l’objet d’une enquête approfondie menée par le BST. Le rapport de l’Enquête sur les questions de sécurité relatives à l’industrie de la pêche au Canada a été publié en juin 2012 et offre une vue d’ensemble des questions de sécurité dans l’industrie de la pêche au pays, tout en révélant les relations complexes et les interdépendances qui existent entre elles. Le Bureau a soulevé les importantes questions de sécurité suivantes, qui méritent une attention particulière : la stabilité, la GRH, les engins de sauvetage, la formation, l’information sur la sécurité, le coût de la sécurité, les pratiques de travail sécuritaires, l’approche réglementaire --à l’égard de la sécurité, la fatigue et les données statistiques de l’industrie de la pêcheNote de bas de page 11.

Événements précédents

Les accidents passés concernant la pêche aux trappesNote de bas de page 12 qui ont fait l’objet d’une enquête de la part du BST avaient certains points en commun, y compris les effets cumulatifs suivants :

Ces mêmes facteurs ont été soulevés en ce qui concerne l’accident impliquant le bateau de pêche Love and AnarchyNote de bas de page 13. Dans ce rapport, le Bureau a conclu que les propriétaires et les capitaines peuvent en venir à compter sur les inspections auxquelles est soumis leur bateau aux fins d’assurance pour juger de son état et de sa sécurité.

Liste de surveillance

En mars 2010, puis de nouveau en juin 2012, le Bureau a publié sa liste de surveillance, dans laquelle il précise les questions de sécurité critiques qui ont fait l’objet d’enquêtes du BST et qui posent les plus grands risques pour la sécurité des Canadiens. Les pertes de vie à bord d’un bateau de pêche sont une de ces questions de sécurité. Compte tenu d’un taux moyen de presque 13 pertes de vie par an entre 1999 et 2011, le Bureau est préoccupé au sujet des modifications apportées aux bateaux et des répercussions que ces modifications peuvent avoir sur la stabilité; de l’utilisation et de la disponibilité de l’équipement de sauvetage; de la surveillance réglementaire; de l’impact des mesures de gestion des ressources halieutiques; ainsi que de l’absence d’une culture de sécurité et d’un code de pratiques recommandées dans l’industrie de la pêche. La liste de surveillance souligne la nécessité pour l’industrie d’adopter et de promouvoir des procédures et des pratiques d’exploitation sécuritaires afin de mieux informer les exploitants de bateaux de pêche sur les questions touchant la sécurité.

Analyse

Événements qui ont conduit au chavirement et à l’échouement

L’après-midi du 4 mai 2012, après que l’équipage eut remonté les casiers à crevettes à bord, le bateau a immédiatement quitté le chenal Trevor en direction de lieux de pêche plus productifs. La prise et les casiers à crevettes humides ont été conservés à bord, ce qui a fait augmenter le poids de la partie supérieure du bateau. Combinés à la charge existante du navire, la prise et les casiers à crevettes ont contribué à réduire le franc-bord, qui était déjà limité en raison des modifications qui y avaient été apportées. Lorsque le bateau est sorti du chenal Trevor, en passant à proximité du cap Beale, il a fait face à des conditions de mer plus agitées en raison de la rencontre de la houle du sud-ouest et du courant de marée descendante. Le capitaine a réglé la vitesse du bateau à plusieurs reprises, en tentant de contrer le lent mouvement de roulis et de réduire les effets de la mer.

L’exposition du navire à cette mer agitée, combinée au fait que le franc-bord était réduit et que la charge sur le pont principal avait augmenté, ont fait en sorte que de l’eau s’est accumulée sur le pont. L’accumulation de l’eau a été retenue parce que les sabords de décharge étaient submergés, ce qui a entraîné un changement dans le centre de flottabilité du bateau. Cet ensemble de facteurs a fait en sorte que le Jessie G a commencé à rouler sur tribord, et suffisamment pour qu’il ne puisse pas revenir en position verticale.

Il n’a pas été possible de déterminer le port en lourd et l’assiette du bateau, ni les effets directs attribuables aux modifications; par ailleurs, une évaluation précise de la stabilité transversale du bateau à l’état intact n’a pu être effectuée. Toutefois, l’enquête a révélé que le franc-bord était vraisemblablement insuffisant, compte tenu de la charge du bateau.

Questions de sécurité

Lors des accidents comme celui du Jessie G, les effets cumulatifs de pratiques dangereuses, de facteurs environnementaux et de la situation opérationnelle coïncident de manière à créer les conditions propices pour qu’un accident se produise. Dans le cadre de l’Enquête sur les questions de sécurité relatives à l’industrie de la pêche au Canada, on a regroupé les activités ayant une incidence sur la sécurité en 10 questions de sécurité importantes, et l’on a constaté qu’il existe des relations et des interdépendances complexes entre ellesNote de bas de page 14. Voici l’incidence qu’ont eue 7 de ces 10 problèmes de sécurité importants sur le Jessie G.

Stabilité

Le Jessie Ga subi de nombreuses modifications et a de plus été chargé au-delà de la capacité prévue à l’origine pour ce bateau, ce qui a réduit son franc-bord. Ces facteurs ont réduit la stabilité du bateau et sa capacité à faire face aux forces extérieures; en outre, ils n’étaient pas bien compris par l’équipage, qui n’a pas su prendre les mesures nécessairesNote de bas de page 15.

Gestion des ressources halieutiques

Le Jessie Gétait doté d’une rallonge arrière pour loger les 200 casiers additionnels alloués par les 2 permis de crevettes combinés. La dimension de la coque flottante du Jessie G, qui n’incluait pas la rallonge arrière, répondait aux exigences du ministère des Pêches et des Océans (MPO) en matière de longueur pour la délivrance du permisNote de bas de page 16. Le MPO n’a pas exigé qu’une évaluation globale de la capacité du bateau à pêcher la crevette soit effectuée avant d’accorder les permis combinés. Le fait de ne pas évaluer un bateau afin de déterminer s’il répond aux exigences de l’exploitation prévue expose l’équipage et le bateau à des risques en matière de sécurité.

Initiative des pêches commerciales intégrées du Pacifique

L’Initiative des pêches commerciales intégrées du Pacifique (IPCIP) du MPO a pour objectif d’accroître la participation des Premières Nations à la pêche commerciale. Un des éléments clés de l’IPCIP est le renforcement des capacités, ce qui comprend la planification des activités, le développement de l’entreprise et, surtout, la formation et le mentorat. Les plans de formation doivent comprendre les éléments suivants :

Ces exigences visent à aider les capitaines et les équipages des entreprises de pêche commerciale (EPC) des Premières Nations à pêcher efficacement et en toute sécurité. Les membres de l’équipage appartenant à une EPC qui étaient à bord du Jessie G avaient reçu la formation d’attestation obligatoire, mais n’avaient pas rempli toutes les exigences du plan de formation de l’IPCIP. L’IPCIP n’évalue pas le degré de conformité aux exigences du plan de formation.

Avant de louer les permis aux propriétaires du Jessie G, l’EPC n’a pas exigé la tenue d’une évaluation pour déterminer s’il avait la capacité de satisfaire aux besoins de l’exploitation prévue; elle a ainsi perdu une occasion de veiller à la sécurité de l’équipage et du bateau.

Appareils de sauvetage

Certains pêcheurs peuvent décider d’engager des dépenses visant à améliorer les revenus plutôt que d’investir dans la sécuritéNote de bas de page 17. Dans le présent cas-, l’achat de gilets de sauvetage et de radiobalises de localisation des sinistres (RLS) a été reporté pour des raisons financières. Bien que le Jessie G ait subi un radoub et des améliorations, le bateau est parti sans que cet équipement de sécurité soit à son bord. En outre, au moment de l’accident, le bateau ne transportait pas de radeau de sauvetage et le nombre de combinaisons d’immersion était insuffisantNote de bas de page 18. Les appareils de sauvetage sont essentiels pour accroître les chances de survie en cas d’urgence en mer.

Embarcation de sauvetage et mécanisme de mise à l’eau par dégagement libre

Transports Canada (TC) et WorkSafeBC n’exigent pas que les bateaux de moins de 12,2 m ou d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux soient équipés d’un radeau de sauvetage. Le Jessie G transportait une yole de 6 m fixée au toit de la cage d’aluminium. Toutefois, la yole n’était pas dotée d’un mécanisme de mise à l’eau par dégagement libre et est demeurée fixée au bateau lorsque celui-ci a roulé. L’équipage a finalement réussi à libérer la yole, mais l’ERS est arrivée avant qu’elle puisse être utilisée. Les embarcations de sauvetage qui sont fixées à un bateau sans être dotées d’un mécanisme de mise à l’eau par dégagement libre peuvent ne pas être accessibles à l’équipage en cas d’urgence. En outre, les petits bateaux de pêche de moins de 12,2 m ou d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux qui ne transportent pas de radeau de sauvetage peuvent exposer l’équipage à des risques accrus en cas d’urgence.

Formation

L’équipage avait suivi une formation sur les fonctions d’urgence en mer (FUM), mais n’avait pas effectué des exercices d’urgence avant ou pendant les activités de pêche comme l’exigent TC et WorkSafeBCNote de bas de page 19. On a montré aux membres de l’équipage où se trouvaient les vêtements de flottaison individuels et les extincteurs lorsqu’ils ont été affectés au bateau, mais ils n’ont pas participé à une séance de familiarisation officielle avec le bateau comme l’exige la réglementation.

Information sur la sécurité

Au fil des ans, le Bureau de la sécurité des transports (BST), Transports Canada et WorkSafeBC ont publié de l’information sur la sécurité concernant, entre autres, les appareils de sauvetage, les effets indésirables des modifications apportées aux bateaux, les procédures de chargement inadéquates et les pratiques de travail dangereuses. Le capitaine du Jessie Gn’avait reçu aucun renseignement sur la sécurité concernant les activités de pêche, et n’a pas trouvé qu’ils étaient facilement accessiblesNote de bas de page 20.

Le capitaine a participé au Programme d’éducation sur la stabilité des bateaux de pêche en mai 2007, qui porte sur les principes de base concernant la stabilité; cependant, ces principes n’ont pas été respectés sur le bateau en cause dans cet accident. Par exemple, aucune mesure n’a été prise pour limiter les risques liés au poids supplémentaire sur la partie supérieure du bateau et au franc-bord limité.

Coût de la sécurité

La réalité économique de la pêche fait en sorte que la plupart des propriétaires et des capitaines essaient de réduire au minimum les coûts afin d’optimiser les profits. Ainsi, les décisions d’exploitation peuvent être influencées par les coûts de démarrage, la nécessité de gagner sa vie et le fonctionnement de la pêche à la crevetteNote de bas de page 21, ce qui entraîne l’acceptation des risques au détriment de la sécuritéNote de bas de page 22.

Afin de limiter les coûts de démarrage, les propriétaires du Jessie G ont acheté un bateau âgé de 61 ans, qui approchait la fin de sa vie utile, en le considérant comme un actif à court terme. Le bateau a été l’objet d’importantes modifications au cours de sa vie utile, et le poids de ces modifications a réduit son franc-bord. Toutefois, les propriétaires n’étaient pas au courant de l’ampleur de ces modifications et de leurs effets sur la stabilité du bateau. En outre, les propriétaires ont combiné 2 permis de pêche à la crevette pour le bateau afin d’optimiser le nombre de casiers pouvant être utilisés et de réduire les coûts d’exploitation; toutefois, cela a contribué à augmenter le risque relatif à la stabilité du bateau.

Afin d’optimiser le temps de pêche, le Jessie G a quitté le chenal Trevor vers des lieux de pêche plus productifs immédiatement après que les casiers à crevettes eurent été remontés; toutefois, en partant immédiatement, le bateau allait devoir naviguer durant la marée descendante. Cela a amené le bateau à naviguer dans une mer plus agitée, ce qui a compromis sa stabilité.

Dans ce cas précis, les limites du bateau et les effets que pouvaient avoir les conditions environnementales sur lui étaient mal compris. Par conséquent, les décisions d’exploitation visant à tirer le maximum des jours de pêche ont empêché l’adoption d’autres solutions, comme la possibilité d’attendre que la mer soit plus calme avant de naviguer dans la zone concernée, ou de transporter les casiers à crevettes par camion vers les nouveaux lieux de pêche afin de réduire le poids sur la partie supérieure du bateau. Les décisions d’exploitation visant à tirer le maximum des jours de pêche peuvent avoir des répercussions sur la sécurité d’un bateau et de son équipage.

Pratiques de travail sécuritaires

Il n’y avait aucune pratique ou procédure de travail sécuritaire consignée pour le Jessie G, contrairement à ce qu’exige WorkSafeBCNote de bas de page 23, et le capitaine et l’équipage n’étaient pas au courant des limites du bateau. En raison de la taille du bateau, les espaces de rangement pour les engins de pêche et l’équipement étaient limités. La génératrice et le réservoir de carburant étaient situés sur le pont de passerelle en raison du rangement limité, ce qui faisait en sorte d’élever le centre de gravité du bateau.

Interdépendance des questions de sécurité

La mise en application des connaissances sur la stabilité dans le cadre des activités de pêche sur le Jessie G était liée, de manière complexe, à ce qui suit :

La sécurité des pêcheurs ne pourra pas être assurée tant que les relations complexes et l’interdépendance entre les questions de sécurité ne seront pas reconnues et traitées (annexe B). Les tentatives entreprises par le passé pour résoudre ces problèmes de sécurité au cas par cas n’ont pas donné les résultats escomptés : c’est-à-dire un environnement plus sûr pour les pêcheurs. Le rapport de l’Enquête sur les questions de sécurité relatives à l’industrie de la pêche au Canada souligne que, pour qu’une réelle et durable amélioration soit observée en matière de sécurité de la pêche, les changements ne doivent pas seulement porter sur l’un des problèmes de sécurité liés à un accident, mais plutôt sur l’ensemble de ces problèmes, ce qui met en lumière le fait qu’il existe une relation complexe et une interdépendance entre ces problèmes. L’élimination d’une seule situation dangereuse peut empêcher qu’un accident se produise, mais ne réduit que légèrement les risques que posent les autres.

Inspections de navires

Les assureurs n’ont pas de norme commune en ce qui a trait à la portée des inspections des navires. La décision d’accorder une assurance dépend de plusieurs facteurs, dont les suivants :

La couverture d’assurance peut aussi être limitée en fonction de facteurs comme les conditions météorologiques, la zone de navigation ou les limites de l’équipement.

Comme il n’existe pas de norme commune, les inspecteurs appliquent leurs propres critères lorsqu’ils inspectent les navires. Par conséquent, ces inspections varient d’un inspecteur à un autre et d’une entreprise à une autre; il en est de même pour les critères à remplir pour obtenir une assurance. Ce manque d’uniformité peut faire en sorte que certaines zones critiques d’un bateau ne soient pas inspectées. Il est possible que des aspects importants sur le plan de la sécurité comme la stabilité, les modifications apportées aux navires et les vices cachés ne soient pas pris en considération durant une inspection. L’absence de normes à l’échelle de l’industrie concernant les inspections effectuées avant d’accorder des assurances expose les équipages et les navires à des risques.

Les propriétaires et les capitaines de petits bateaux de pêche prennent parfois connaissance des résultats de ces inspections, corrigent les lacunes qui y sont signalées et concluent que leur navire est désormais tout à fait sécuritaire sur le plan opérationnel. Cependant, ces inspections ne donnent pas l’heure juste quant à l’état du navire, et il est dangereux pour les propriétaires de s’y fier. De même, si l’inspecteur soulève des lacunes, le propriétaire s’engage normalement à y remédier dans le délai établi et l’assurance est accordée. Toutefois, les assureurs ne font pas toujours le suivi nécessaire pour s’assurer que les lacunes sont effectivement corrigées.

Dans le cas présent, un inspecteur indépendant a mené l’inspection du Jessie G, puis a présenté le rapport à l’assureur par l’entremise d’un courtier. L’assureur n’a pas exigé une évaluation de l’état intérieur de la coque, ni de l’intégrité structurelle et de la stabilité du bateau. Pourtant, le navire a été jugé apte à se rendre à Port Alberni, dans des conditions météorologiques favorables non précisées, et selon le rapport d’inspection, quelques réparations et ajouts devaient être effectués avant de commencer les activités de pêche. Suivant l’inspection, le courtier a jugé, dans sa recommandation adressée à l’assureur, que le bateau et le capitaine posaient un risque acceptable aux fins d’assurance. Cette recommandation était largement fondée sur les 40 ans d’expérience de pêche sans accident du capitaine, dont la majeure partie a été acquise sur des bateaux de pêche de plus grande taille.

Compte tenu du fait que les inspections ne sont pas obligatoires pour les bateaux de pêche d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux et que les inspections périodiques détaillées effectuées aux fins d’assurance ne fournissent pas de rense ignements utiles, il existe un risque que les propriétaires ne connaissent pas l’état de leur bateau et sa capacité à satisfaire aux besoins de l’exploitation prévue.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Les effets cumulatifs des conditions environnementales ainsi que de la distribution de la charge, des particularités de la coque, des modifications subies et du franc-bord réduit sur le Jessie G ont entraîné le bateau à rouler sur tribord.
  2. Lorsque le bateau s’est trouvé en mer plus agitée, de l’eau s’est accumulée sur le pavois de tribord et est demeurée sur le pont.
  3. Le poids additionnel de l’eau accumulée et retenue sur le pont a amené le Jessie G à rouler sur tribord et à demeurer engagé, ce qui l’a empêché de revenir en position verticale.

Faits établis quant aux risques

  1. La sécurité des pêcheurs ne pourra pas être assurée tant que les relations complexes et l’interdépendance entre les questions de sécurité ne seront pas reconnues et traitées.
  2. Les embarcations de sauvetage qui sont fixées à un bateau sans être dotées d’un mécanisme de mise à l’eau par dégagement libre peuvent ne pas être accessibles à l’équipage en cas d’urgence.
  3. Les bateaux de moins de 12,2 m ou d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux qui ne transportent pas de radeau de sauvetage peuvent exposer l’équipage à des risques accrus en cas d’urgence.
  4. Le fait de ne pas évaluer un bateau pour déterminer s’il répond aux exigences de l’exploitation prévue expose l’équipage et le bateau à des risques en matière de sécurité.
  5. En l’absence d’inspections exhaustives ou obligatoires permettant d’obtenir des renseignements utiles, il existe un risque que les propriétaires ne soient pas au courant de l’état de leur bateau et de sa capacité à satisfaire aux besoins de l’exploitation prévue.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité prises

Suivant une présentation du Bureau de la sécurité des transports (BST) concernant l’accident, le comité consultatif de Fish SAFE a recommandé que des renseignements sur la sécurité soient immédiatement préparés à l’intention des pêcheurs de crevettes.

À la lumière de cet accident, la Pacific Prawn Fisherman’s Association (PPFA) a mis sur pied un comité formé de pêcheurs de crevettes pour travailler en collaboration avec Fish Safe afin de créer un code des pratiques exemplaires en matière de pêche à la crevette en Colombie-Britannique. Au début de 2013, un code de pratiques exemplaires a été préparé et le conseil d’administration de la PPFA a approuvé sa publication et sa distribution aux pêcheurs. Le code de pratiques exemplairesNote de bas de page 24 a pour objectif de lutter contre les pratiques de travail dangereuses qui continuent à exposer les pêcheurs, les équipages et les navires à des risques.

Le présent rapport met un terme à l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le . Il est paru officiellement le .

Annexes

Annexe A – Région où s’est produit l’événement

Annexe B – Conditions dangereuses et questions de sécurité connexes

Conditions dangereuses Questions de sécurité
Stabilité GRH Engins de sauvetage Formation Info. Coûts Pratiques de travail
Le bateau a été modifié afin de tenir compte des besoins opérationnels et des restrictions du permis relatives à la longueur X X X X X X
Les modifications apportées au bateau n’ont jamais été approuvées ni enregistrées malgré le BSN 01/2008 X X X X X
On n’a pas su reconnaître les signes de stabilité limitée (franc-bord réduit) X X X X X
Le bateau a été utilisé pour des activités de pêche auxquelles il n’était pas adapté X X X X X X
L’appel de détresse interrompu et l’absence de radeau de sauvetage, de RLS et de gilets de sauvetage X X X X X
Le bateau a été exploité en dehors des limites de stabilité sécuritaires : aucun livret sur la stabilité n’était accessible malgré le BSN 04/2006 X X X X X X
Équipement et pratiques de chargement dangereux : nombre excessif de casiers, centre de gravité élevé X X X X X X
La yole n’était pas dotée d’un mécanisme de mise à l’eau par dégagement libre X X X X X
Aucun exercice d’urgence ou de séance de familiarisation avec le bateau n’a eu lieu malgré le BSN 06/1995 X X X X X
Nombre insuffisant de gilets de sauvetage et de combinaisons d’immersion à bord X X X X X
Le bateau a été conduit dans des conditions de mer agitée afin de gagner du temps X X X X X X