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Rapport d'enquête ferroviaire R97V0063

Déraillement
Canadien National
Train numéro Q-102-51-26 Point milliaire 106,15,
subdivision Ashcroft
Conrad (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

À 6 h 6, heure normale du Pacifique, le 26 mars 1997, une grande dépression dans la plate-forme à la hauteur du point milliaire 106,15 de la subdivision Ashcroft, près de Conrad (Colombie-Britannique), a fait dérailler le train no Q-102-51-26 (train 102) du Canadien National qui se rendait de Boston Bar (Colombie-Britannique) à Kamloops (Colombie-Britannique). Les deux membres de l'équipe de train ont été mortellement blessés.

Le Bureau a déterminé que le volume exceptionnel d'eau de ruissellement attribuable à la fonte de l'épaisse couche de neige et à de fortes précipitations saisonnières qui s'était accumulé au-dessus de la route transcanadienne adjacente n'a pas été capté et évacué comme prévu par le système de drainage. L'eau a pénétré dans le sol, a migré à travers les remblais de la route et s'est infiltrée dans la plate-forme de la voie ferrée, entraînant sa déstabilisation. La plate-forme de la voie ferrée n'a pu soutenir la pression d'eau interstitielle qui en a résulté et elle s'est affaissée. Parmi les facteurs contributifs, on compte la présence de dépôts alluviaux sensibles à l'humidité dans la partie inférieure de la plate-forme et le fait que les remblais de la route se chevauchent, ce qui a créé une ligne d'écoulement continue de la nappe d'eau souterraine vers le remblai de la voie ferrée.

1.0 Renseignements de base

1.1 L'accident

Le 26 mars 1997 vers 5 h 30[1], le train 102 du Canadien National (CN) quitte Boston Bar, point milliaire 125,5 de la subdivision Ashcroft, dans la clarté matinale en direction est à destination de Kamloops, point milliaire 0,0. Le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) qui surveille le mouvement des trains dans la subdivision Ashcroft depuis le centre de contrôle de la circulation ferroviaire d'Edmonton (Alberta) remarque sur le pupitre du système de commande centralisée de la circulation (CCC) que le train 102 roule normalement vers l'est et que le voyant lumineux s'allume quand ce dernier s'engage dans le bloc de West Conrad, au point milliaire 106,4. Quelques secondes plus tard, alors que le train 102 occupe le bloc en question, le système de CCC tombe en panne entre Boston Bar et Lasha, point milliaire 96,5. Afin de localiser le train 102 et de savoir si tout va bien, le CCF tente à plusieurs reprises de communiquer avec le train par radio. Il ne reçoit aucune réponse, mais l'équipe d'un train vers l'ouest qui est immobilisé sur une voie d'évitement à Cisco, point milliaire 101,0, l'informe que le train 102 n'est pas encore passé à sa hauteur. Le CCF communique alors par radio avec des employés du CN qui travaillent dans la région de Conrad et leur demande de localiser le train 102.

Vers 6 h 45, un employé d'entretien de la voie découvre les deux locomotives et plusieurs wagons porte-conteneurs à deux niveaux du train 102 au fond d'une grande dépression dans la plate-forme de la voie au point milliaire 106,15. Des wagons-trémies découverts chargés de soufre appartenant au train no R-711-51-22 (train 711) vers l'ouest immobilisé sur la voie d'évitement adjacente ont aussi déraillé et se trouvent dans la dépression et autour. Certains wagons de soufre se sont renversés et leur contenu s'est répandu au sol. Du carburant s'est échappé des locomotives déraillés et brûle. L'incendie détruit la plupart des wagons déraillés et des marchandises qu'ils contiennent, mais le soufre répandu n'est pas touché par l'incendie. Comme on ne retrouve pas les deux membres de l'équipe de train après avoir fouillé les alentours, on assume avec raison, comme les événements subséquents le confirment, qu'ils ont été incapables de quitter la cabine de la locomotive et de sauter à terre avant que le train n'atteigne la dépression.

Du matériau de remblai de la couche de fondation de la route transcanadienne, qui se trouve au-dessus de la voie ferrée et parallèle à cette dernière, s'est affaissé et des fissures apparaissent dans la chaussée directement au-dessus du lieu de déraillement. Pour éviter d'autres glissements de la couche de fondation de la route et assurer la sécurité des automobilistes et des premiers intervenants, on limite la circulation à la voie la plus proche du déblai. On enlève la barrière de béton sur le bord extérieur de la route. On construit aussi une fosse et un système de drainage temporaires au-dessus de la route pour détourner l'eau de ruissellement du lieu de l'accident. La taille des fissures est constamment surveillée et on est prêt à évacuer les lieux si elles atteignent 5 mm.

Le terrain montagneux rend le travail des pompiers difficile et on utilise des hélicoptères bombardiers d'eau pour combattre l'incendie. L'incendie est tenace mais on réussit finalement à l'éteindre vers 17 h le 28 mars 1997. Une fois l'incendie éteint, on retrouve les corps du mécanicien et du chef de train dans la cabine de la locomotive de tête.

Le feu se rallume vers 5 h le 29 mars 1997 autour des locomotives et on met plusieurs heures à l'éteindre. À 5 h 30 le 30 mars 1997, on doit interrompre les opérations de nettoyage et évacuer les employés quand les fissures dans la chaussée commencent à s'élargir. Quand la taille des fissures demeure inchangée pendant 5 heures 1/2, on reprend le travail. Le reste des travaux de nettoyage et de restauration se déroule sans incident.

On enlève les wagons déraillés et les marchandises. On vidange les réservoirs des locomotives du reste de gazole et les moteurs de leur huile. Ensuite, on remplit les locomotives de béton et on les enterre dans la plate-forme. On restaure la voie et on l'ouvre à la circulation ferroviaire à 2 h le 6 avril 1997.

On s'attaque ensuite à la reconstruction de la couche de fondation de la route, puisque tous les contrôles et toutes les vérifications révèlent qu'aucun autre glissement du remblai de la route ne s'est produit et que les niveaux de saturation des eaux a diminué. Les travaux de réfection de la route se terminent le 10 avril 1997.

1.2 Victimes

Le mécanicien et le chef de train ont été mortellement blessés.

1.3 Dommages au matériel

Quatorze wagons de marchandises et deux locomotives ont été détruits.

1.4 Autres dommages

Environ 1 200 pieds de voie principale et de voie d'évitement ont été détruits.

1.5 Renseignements sur le personnel

L'équipe de train se composait d'un chef de train et d'un mécanicien, qui prenaient place dans la locomotive de tête. Tous deux répondaient aux exigences de leurs postes respectifs et satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique.

1.6 Renseignements sur le train

Le train se composait de 2 locomotives, de 72 wagons chargés et de 5 wagons vides. Il pesait environ 4 850 tonnes et mesurait quelque 5 580 pieds.

1.7 Particularités de la voie

La subdivision Ashcroft va de Kamloops (point milliaire 0,0) à Boston Bar (point milliaire 125,5) et elle est en opération depuis 1915.

La voie principale est constituée de longs rails soudés (LRS) de 136 livres posés en 1994. Les rails reposent sur des traverses en béton installées à une fréquence d'environ 2 640 au mille (la voie d'évitement de Conrad repose sur des traverses en bois). Le ballast est constitué de pierre concassée et on en a refait la surface en 1995. Dans le secteur du déraillement, la voie était en bon état. Entre les points milliaires 106,2 et 106,0, la vitesse maximale permise était de 30 mi/h pour les trains de marchandises et de 35 mi/h entre les points milliaires 113,2 et 106,2.

1.8 Renseignements sur le lieu de l'événement

1.8.1 Généralités

Dans le secteur du déraillement, la voie principale simple et la voie d'évitement (à l'ouest de la voie principale) sont bordées d'un côté par la route transcanadienne, qui se trouve à environ 60 m (197 pieds) à l'est et à 34 m (112 pieds) au-dessus de la voie ferrée, et de l'autre côté par le fleuve Fraser, qui se trouve à environ 150 m (492 pieds) à l'ouest et à 50 m (164 pieds) au-dessous. Le remblai de la voie ferrée et le pied du talus de la route avaient été emportés, laissant un vide d'environ 60 m (197 pieds) de longueur et 12 m (40 pieds) de profondeur dans le talus de la route. La terre boueuse du remblai s'était écoulée en une traînée vers l'ouest jusqu'au fleuve Fraser. Le groupe de traction et les trois premiers wagons du train 711 étaient encore debout et toujours sur les rails de la voie d'évitement au sud de la dépression. Le quatrième wagon avait quitté les rails et penchait sur le côté, les cinquième et sixième wagons s'étaient renversés sur le côté et avaient répandu leur chargement alors que le septième wagon avait partiellement roulé vers le bas du talus. Les huitième, neuvième et dixième wagons se sont retrouvés près du pied du talus en bordure ouest de l'empilement de matériel roulant au fond de la dépression, alors que le onzième wagon avait quitté la voie mais était resté à la verticale du côté nord du glissement. Le dixième wagon s'était arrêté à environ 46 m (150 pieds) à l'ouest de la voie d'évitement. L'empilement de matériel roulant comprenait le groupe de traction et les six premiers wagons du train 102. Les septième et huitième wagons avaient quitté la voie mais étaient encore debout en bordure sud de la dépression (voir la Figure 1).

La subdivision Thompson du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) emprunte le côté opposé du canyon du fleuve Fraser et est clairement visible du lieu du déraillement.

1.8.2 Conditions géotechniques

Le terrain est montagneux et densément boisé. La route, construite à l'origine en 1948, a été relocalisée en 1952 et en 1960. Chaque fois que la route a été relocalisée, on l'a rapprochée de l'emprise ferroviaire (voir la Figure 2). La plate-forme et le talus de la route sont constitués de matériau de remblai indigène placé sur le sol primaire. La pente du talus de la route est d'environ 1,5 pour 1. Une voie de service de 3 m (10 pieds) de largeur se trouve entre la plate-forme de la voie ferrée et le pied du remblai de la route.

La plate-forme de la voie ferrée a été construite en 1915 avec du matériau de remblai indigène placé tel quel sur le sol primaire. En 1979, la compagnie ferroviaire a construit une voie d'évitement parallèle à l'ouest de la voie principale. Le matériau grenu utilisé pour construire le remblai de la voie d'évitement a aussi été placé sur le sol primaire.

La pente du talus de la voie ferrée est d'environ 1,5 pour 1.

Les eaux de ruissellement des versants de montagnes et des bassins hydrographiques environnants s'écoulaient vers la route transcanadienne par un canal de drainage naturel dont on a estimé le débit à deux mètres cubes par minute[2]; elles s'infiltraient dans le sol à environ 36 m (118 pieds) de la route. Les eaux de ruissellement étaient censées passer sous les plates-formes de la route et de la voie ferrée et s'écouler jusqu'au fleuve Fraser par l'entremise d'une série de tuyaux de drainage. Un étang collecteur du côté est de la route ne contenait pas d'eau. Le tuyau vertical en métal ondulé qui desservait l'étang collecteur dépassait du sol d'environ 1 m (3 pieds) et ses côtés étaient percés de plusieurs trous permettant à l'eau d'y pénétrer. Il n'y avait pas de tuyau ni de conduit de drainage pour relier le canal de drainage des eaux de ruissellement au tuyau vertical de l'étang collecteur.

1.8.3 Le déversement de soufre

Même si le soufre solide, expédié sous forme de pastilles dans ce cas-ci, n'est pas assujetti au Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, il n'en produit pas moins un gaz toxique (le bioxyde de soufre) lorsqu'il brûle et il représente donc un risque pour la sécurité s'il y a possibilité d'allumage. Presque tout le produit déversé a été récupéré mais une quantité non chiffrable s'est mélangée au matériau de remblai déplacé, dont une certaine quantité s'est déversée dans le fleuve Fraser. Puisqu'il est pratiquement insoluble dans l'eau, il devrait se déposer dans les sédiments du fleuve et demeurer dans le sol à la hauteur du glissement. Ni l'un ni l'autre endroit ne représente de risque pour la santé.

1.9 Méthode de contrôle du mouvement des trains

Dans la subdivision Ashcroft, le mouvement des trains est régi par le système de CCC autorisé en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) et est surveillé par un CCF en poste à Edmonton.

1.10 Conditions météorologiques

La première chute de neige de la saison sur Conrad a été enregistrée le 16 novembre 1996. Il y a eu une accumulation constante de neige pendant tout le mois de décembre jusqu'au 1er janvier 1997, quand les précipitations se sont transformées en pluie. Le mois de janvier 1997 s'est avéré un mois sans précédent pour ce qui est de la quantité de pluie tombée, avec une accumulation de 240,7 mm à l'aéroport international de Vancouver où, selon Environnement Canada, les conditions climatiques sont semblables à celles de la région de Conrad. Pendant le mois de février, le niveau des précipitations a été près de la normale.

La neige accumulée a commencé à fondre dans la région de Conrad à la mi-février (selon la station météorologique Lytton 2 qui se trouve à environ 13 km au nord de Conrad). La semaine du 11 au 18 mars a été légèrement plus froide et des chutes de neige importantes ont été enregistrées les 15 et 16 mars (aux stations météorologiques Lytton 2 et Lytton Botanie, cette dernière se trouvant à 24 km au nord de Conrad). Au cours des trois jours suivants, les précipitations se sont transformées en pluie. D'après les deux stations météorologiques de Lytton, de 20 à 25 mm de pluie sont tombés; quand la pluie tombe sur la neige, il se produit habituellement d'importantes quantités d'eaux de ruissellement. En deux jours, 25 cm de nouvelle neige ont fondu à la station Lytton 2 et 22 cm de nouvelle neige ont fondu en trois jours à la station Lytton Botanie. La neige accumulée durant l'hiver (environ 55 cm) a commencé à fondre à un taux de 1,3 cm par jour et le 25 mars (le jour le plus chaud de l'année jusque là selon la station Lytton 2), le taux de fonte à la station Lytton Botanie a atteint environ 5 cm par jour.

La deuxième plus importante chute de pluie à survenir en une journée en 59 ans à l'aéroport international de Vancouver s'est produite le 1er mars 1997, avec une accumulation de 47,2 mm. Ce record a été dépassé quand 48,4 mm de pluie sont tombés le 18 mars 1997. Plus de 20 mm de pluie sont tombés quotidiennement les 17 et 19 mars 1997.

Des conditions similaires ont prévalu à la station météorologique Lytton 2.

Entre octobre 1996 et mars 1997, on a enregistré 1 327,0 mm de précipitations, les six mois avec la plus importante pluviométrie dans les 59 dernières années. Des records de pluie et de neige ont été enregistrés dans presque tout le sud de la Colombie-Britannique.

Le 26 mars 1997, il s'agissait environ du 41e jour où les quantités d'eaux de ruissellement dues à la fonte des neiges étaient importantes. Le taux de fonte a augmenté soudainement entre les 17 et 19 mars en raison des averses de pluie sur la nouvelle neige.

Au moment de l'accident, la température était d'environ huit °C, les vents étaient du sud et légers et il n'y avait pas de précipitation.

1.11 Renseignements consignés

1.11.1 Train 102

Les données du consignateur d'événements n'ont pu être récupérées, les locomotives du train 102 ayant été détruites par l'incendie.

1.11.2 Train 711

Les données du consignateur d'événements du train 711, qui était immobilisé, ont révélé qu'il y a eu serrage des freins d'urgence, et donc séparation des wagons, à 4 h 37 min 4 s.

1.11.3 Rapport d'activité des signaux

Les données sur l'activité des signaux éélectroniques indiquent que le train 902 vers l'est du CFCP, qui empruntait la voie du CN en vertu d'une entente entre les deux compagnies, est passé sur le signal 1064 du système de CCC (à Conrad ouest, au point milliaire 106,4) à 3 h 53 min 5 s.

Le train 102 a croisé le signal 1160 du système de CCC (à Inkitsaph, au point milliaire 116,0) à 5 h 48 min 36 s et le signal 1064 à 6 h 5 min 49 s. À 6 h 6 min 22 s, le système de CCC de Conrad est tombé en panne.

1.12 Autres renseignements

1.12.1 L'affaissement de la plate-forme

1.12.1.1 Conclusions du rapport sur l'étude géotechnique

Dans le rapport sur l'étude géotechnique préparé par M. Stephen G. Evans (ingénieur géotechnicien et ingénieur-géologue pour la Commission géologique du Canada), conseiller auprès du Bureau de la sécurité des transports du Canada, et par M. K. Wayne Savigny, ingénieur, géologue (ingénieur géotechnicien et ingénieur-géologue pour la firme d'experts-conseils Bruce Geotechnical Consultants Inc. de Vancouver), expert-conseil pour le CN, on a conclu que le déraillement s'est produit après une longue période (pouvant aller jusqu'à 41 jours) au cours de laquelle la quantité des eaux de ruissellement saisonnières n'a cessé d'augmenter à la suite de la fonte d'une accumulation de neige particulièrement abondante. Des observations faites sur les lieux le 26 mars 1997 ont indiqué que les eaux de ruissellement en provenance de rigoles se trouvant directement au-dessus du lieu du glissement s'étaient infiltrées dans l'ancien remblai de la route et dans le remblai actuel avant d'atteindre le tuyau de drainage en bordure de la route transcanadienne actuelle. Cette infiltration soutenue a créé une nappe phréatique qui allait d'un bord à l'autre du remblai de la route. À la suite de l'élaboration de l'infrastructure routière dans la région de Conrad, le talus de la route transcanadienne s'est continuellement rapproché de l'emprise du CN jusqu'à ce qu'en 1960, on construise le talus de la route transcanadienne directement contre le remblai existant du CN, créant pour la première fois la possibilité physique d'un écoulement continu de la nappe d'eau souterraine de part et d'autre des remblais et d'une augmentation soutenue des pressions d'eau interstitielle dans le remblai du CN existant. L'événement du 26 mars 1997 met en cause deux glissements. Dans un premier temps, un petit glissement centré au nord de la principale niche d'arrachement a été causé par un affaissement du remblai du côté ouest de la voie d'évitement et a entraîné le déraillement du train qui transportait du soufre (train 711). Le deuxième glissement, beaucoup plus important, a été amorcé par le premier mais a rétrogradé vers la rigole gonflée d'eau au lieu de se joindre aux décharges du premier glissement. Les deux glissements ont été causés par une augmentation de la pression d'eau. L'étendue de la rétrogradation des glissements est reliée au niveau de la nappe phréatique et au degré de compactage du remblai d'origine de la voie ferrée.

Une analyse de la stabilité de la pente a indiqué que le remblai de la voie ferrée était stable quand la nappe phréatique se situait au niveau des dépôts alluviaux enfouis sous les différentes couches de remblai. En conditions d'écoulement permanent, le remblai au-dessus du centre de la rigole était moyennement stable. La partie centrale du remblai a bénéficié de l'effet d'abaissement des dépôts alluviaux, mais les bords de la rigole ont été soumis à des pressions (d'eau interstitielle) élevées en raison de l'absence de l'effet de drainage. Sous l'effet des pressions d'eau élevées, les limons indigènes non ou peu plastiques du sol de fondation de la plate-forme ont amorcé le premier glissement.

Le premier glissement a mis à découvert le remblai d'origine du CN qui était meuble et, dans sa partie inférieure, saturé d'eau. Ce remblai s'est alors affaissé en rétrogradant par petits effondrements peu profonds jusqu'à ce que le remblai d'origine, meuble et saturé d'eau, soit éliminé.

1.12.1.2 Rapport du ministère des Transports et de la Voirie de la Colombie-Britannique

Un rapport géotechnique, préparé par B.C. Beattie, ingénieur (ingénieur géotechnicien), et J.A. Valentinuzzi, ingénieur (ingénieur régional des sols et des matériaux) pour le ministère des Transports et de la Voirie de la Colombie-Britannique, indique que l'importante brèche creusée dans le talus de la voie ferrée a été causée par une coulée de terre qui a régressé en amont à partir du pied du talus de la voie ferrée et qui a enlevé une section du talus, sous la voie, de même qu'une partie du pied de la pente du remblai de la route transcanadienne. Un examen préliminaire d'une rigole d'eaux de ruissellement qui court immédiatement à l'est du talus de la route a révélé qu'elle transportait une importante quantité d'eau qui s'infiltrait presque immédiatement dans le sol à l'embouchure de la rigole. Pour éviter que les eaux de ruissellement ne s'infiltrent davantage dans le sol, on a creusé une tranchée que l'on a dotée d'une garniture de plastique pour détourner le cours de la rigole vers le nord jusqu'au tuyau de drainage du ministère des Transports et de la Voirie. Un indicateur de talus et un piézomètre ont été installés pour surveiller les mouvements de la surface de roulement de la route et la hauteur de la nappe phréatique. À la suite de l'étude et des contrôles, le ministère des Transports et de la Voirie est raisonnablement sûr que le talus de la route transcanadienne est actuellement stable par suite des travaux de correction de la pente du talus de la voie ferrée effectués par le CN. Le ministère des Transports et de la Voirie travaille présentement sur la conception d'un système de drainage qui empêcherait les eaux de ruissellement de s'infiltrer dans le sol à l'embouchure de la rigole en faisant passer toutes les eaux de ruissellement futures sous la route par l'entremise du tuyau de drainage existant et du système de drainage récemment construit par le CN.

1.12.2 Programmes d'inspection géotechnique

1.12.2.1 Programme géotechnique du CN

C'est la direction générale de la géotechnique du CN qui agit à titre de groupe de soutien pour le personnel de génie du district local. Le personnel et le soutien technique de la région ouest sont basés à l'administration centrale d'Edmonton. La région peut compter sur un ingénieur géotechnicien principal, appuyé par des services techniques et d'ingénierie, qui travaille de concert avec des ingénieurs-conseils experts dans le domaine et qui connaissent bien le territoire du canyon du Fraser. Le programme d'inspection comporte trois éléments : une reconnaissance annuelle, des inspections localisées et des inspections occasionnées par des conditions imminentes.

La reconnaissance annuelle a pour objet, par le biais d'une inspection sur place, d'examiner le programme de stabilisation à long terme à la lumière des conditions actuelles, d'établir l'ordre de priorité des mesures correctives et de confirmer le programme des travaux pour l'année suivante. La visite annuelle est effectuée par l'ingénieur géotechnicien principal du secteur accompagné de l'ingénieur du district et d'un superviseur de la voie qui connaît le territoire. Les endroits problématiques sont identifiés par le personnel de génie local. Les dossiers historiques qui sont disponibles sont consultés. Les endroits identifiés comme nécessitant des mesures correctives sont confiés à la direction générale de l'ingénierie.

Les inspections localisées sont effectuées par l'ingénieur géotechnicien principal avec recours en sous-traitance à des consultants privés. Elles ont pour objet d'évaluer les conditions, d'élaborer des stratégies correctives, de recueillir sur place les renseignements nécessaires pour la conception technique et de passer en revue l'état des travaux en cours. Ces inspections sont axées sur les aspects techniques et se font sous la direction de l'ingénieur géotechnicien principal.

Les inspections occasionnées par des conditions imminentes sont effectuées à chaque fois que nécessaire par l'ingénieur géotechnicien principal, par des consultants privés ou les deux par suite de situations d'urgence ou d'inquiétudes exprimées sur le terrain. Les inspections géotechniques sont axées sur les glissements rocheux et les pentes structurales instables de même que sur les problèmes de drainage, de stabilité des épaulements et des talus, d'affaissement de la plate-forme, et des activités nuisibles des castors.

Il y a eu 34 inspections sur place (annuelles et localisées) par la direction générale de l'ingénierie du CN dans la subdivision Ashcroft entre 1993 et le jour de l'accident. La plupart des inspections ont porté sur des risques de glissements rocheux même si d'autres problèmes de nature géotechnique et de drainage ont été identifiés. On a trouvé, entre autres, que la stabilité et le drainage du talus routier au point milliaire 113,7 (à environ 1 mille 1/2 du lieu de l'événement) étaient problématiques et le ministère des Transports et de la Voirie a pris des mesures correctives (notamment une révision de l'alignement de la route) après avoir été informé par le CN.

1.12.2.2 Programme de prévention des glissements de terrain du CN

En 1995, le CN a engagé un consultant pour élaborer une méthodologie de gestion des dangers et des risques de glissements rocheux et pour examiner les pratiques du CN en ce qui concerne la gestion des risques naturels (notamment des glissements de terrain, des affouillements, des éboulements et des avalanches de débris). L'examen en question avait aussi pour objet d'évaluer les pratiques du CN et de les comparer à celles des autres compagnies ferroviaires, des entreprises de transport et des services publics. Il avait pour mandat de faire des recommandations sur l'élaboration d'une formule pour inspecter les avalanches et les glissements potentiels, les travaux de stabilisation des pentes, les glissements de boue, les systèmes de drainage et l'état du sous-sol.

Par suite de ce premier projet, un système d'évaluation des dangers et des risques d'éboulements rocheux pour l'évaluation quantitative des risques d'éboulement et l'établissement des priorités en matière de correction a été mis sur pied. Le système a été inauguré dans le corridor Fraser en 1996 et subséquemment mis en application sur l'ensemble du district du Pacifique du CN en 1997.

1.12.2.3 Programme géotechnique routier du ministère des Transports et de la Voirie

Le ministère des Transports et de la Voirie n'avait pas instauré de programme géotechnique proactif. C'est un entrepreneur engagé par le ministère pour l'entretien des routes qui effectuait les inspections périodiques et l'entretien courant de la chaussée et des structures connexes, et qui faisait rapport de toute condition inhabituelle au bureau de district du ministère. Le bureau de district chargeait ensuite la direction générale du génie géotechnique du ministère des Transports et de la Voirie de faire enquête.

Des représentants de la direction générale du génie géotechnique ont déclaré qu'il était peu probable qu'un profane puisse détecter les problèmes géotechniques souterrains. Ils ont aussi affirmé qu'aucun rapport formel n'existait entre les ingénieurs géotechniciens du ministère et leurs homologues du CN ou du CFCP. Ils ne communiquent directement avec les responsables du réseau routier local que lorsqu'une situation urgente survient, et il n'y avait pas de programme de surveillance géotechnique proactif en place, en raison des ressources limitées.

L'entrepreneur des travaux routiers n'avait signalé aucun problème géotechnique important dans le secteur depuis 1992. La direction générale du génie géotechnique n'avait donc fait aucune inspection géotechnique dans le secteur. Les dossiers du ministère des Transports et de la Voirie indiquent qu'aucun glissement de terrain n'a été porté à l'attention de la direction générale du génie géotechnique.

1.12.3 Programmes d'inspection

1.12.3.1 Activités relatives à l'inspection de la voie par Transports Canada

En vertu du programme d'inspection des infrastructures de Transports Canada (TC), des inspecteurs de la sécurité sont censés contrôler si des sections de voie choisies au hasard sont conformes au Règlement sur la sécurité de la voie. Dans l'exercice de leurs fonctions, ils doivent vérifier si les installations de drainage adjacentes aux voies sont obstruées. Ils doivent aussi faire une inspection visuelle superficielle de la stabilité de la pente et du talus rocheux. S'ils relèvent un problème au niveau du drainage ou de la stabilité, des évaluations détaillées doivent alors être effectuées soit par un agent spécialisé dans l'infrastructure ferroviaire ou par un ingénieur en installations ferroviaires.

La région du Pacifique de TC est dotée de deux postes d'inspecteur spécialisé : un agent spécialisé dans l'infrastructure ferroviaire et un ingénieur en installations ferroviaires. L'agent spécialisé dans l'infrastructure ferroviaire contrôle si l'industrie ferroviaire se conforme aux règlements et aux normes relatives à la construction et à l'entretien des voies, des systèmes de drainage et des emprises ferroviaires. Ces inspections comprennent aussi un examen superficiel des ponts. Il n'est cependant pas du ressort des agents spécialisés dans l'infrastructure d'examiner les conditions souterraines et ils n'ont pas reçu de formation spéciale dans la mécanique des sols ou des roches, et il n'est pas prévu qu'ils aient quelque compétence que ce soit dans le domaine. L'ingénieur en installations ferroviaires planifie et organise les programmes régionaux de contrôle de conformité de l'industrie ferroviaire aux normes de construction et d'entretien en matière de ponts, de structures et des autres installations des emprises ferroviaires, en plus d'être responsable des programmes de TC sur les passages à niveau et les intrusions. Bien que l'ingénieur en installations ferroviaires en poste au moment de l'événement avait une connaissance pratique des questions géotechniques, il ne s'agissait pas d'une des exigences du poste.

1.12.3.2 Programme d'inspection des voies du CN
1.12.3.2.1 Tâches des inspecteurs de la voie du CN

Les inspections des voies ferrées sont effectuées conformément au Règlement sur la sécurité de la voie de TC et aux circulaires sur les méthodes normalisées relatives à l'entretien de la voie du CN. Les équipes d'inspection de la voie peuvent comprendre un superviseur de la voie, un superviseur adjoint de la voie ou une personne compétente en vertu du Règlement sur la sécurité de la voie. Selon le Règlement sur la sécurité de la voie, la voie doit être inspectée suivant une fréquence et une méthode qui assurent la sécurité d'exploitation des trains à la vitesse autorisée. La Circulaire sur les méthodes normalisées pertinente précise qu'à Conrad, la voie doit être inspectée deux fois par semaine, à au moins deux jours d'intervalle. Le superviseur de la voie a inspecté la subdivision la dernière fois à partir du train 103-25-10 du CN le 25 mars 1997. Deux dépressions (aux points milliaires 77,3 et 107,2) ont alors été identifiées comme nécessitant des travaux de correction. Le point milliaire 106,15 de la voie avait été inspecté le 22 mars 1997 par le superviseur adjoint à bord d'un véhicule rail-route. Aucune anomalie n'a été remarquée.

Les circulaires sur les méthodes normalisées du CN énumèrent tous les éléments qui doivent être inspectés, détaillent quel est le mode de déplacement qui doit être utilisé pour faire les inspections, quand les inspections doivent être effectuées et par qui. Les modes de déplacement comprennent : la marche, la draisine d'inspection, le véhicule rail-route ou le train. Les circulaires sur les méthodes normalisées nomment aussi spécifiquement les éléments qui doivent être contrôlés pour voir s'il n'y a pas d'anomalies : les rails, les pièces de fixation, le ballast, l'alignement, la surface, le nivellement transversal, l'écartement, les branchements, les passages à niveau, le système de drainage, les glissements, l'état de l'emprise, le dégagement, les traversées routières et la signalisation de la voie.

De novembre 1996 à avril 1997, deux employés ont été spécialement affectés à l'inspection des voies entre les points milliaires 74,8 (Spences Bridge) et 125,3 (Boston Bar). Les tournées d'inspection ont été effectuées sous la direction du superviseur de la voie, avec la permission du CCF qui délivre les permis d'occuper la voie (POV). Aucune des exigences du CN ne précise le nombre minimum de fois que les tournées d'inspection spéciales de la voie doivent être effectuées dans une subdivision donnée.

Les tournées d'inspection spéciales sont destinées à découvrir si des glissements de terrains, des roches sur la voie ou d'autres anomalies ne risquent pas de porter atteinte à la sécurité de marche des trains. L'employé affecté aux tournées d'inspection dans la subdivision Ashcroft entre Boston Bar et Spences Bridge était tenu de signaler tout problème de voie au CCF et ce dernier devait, à son tour, prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les trains.

Entre le 25 février 1997 et le 24 mars 1997, 21 tournées d'inspection spéciales de la voie ont été effectuées entre les points milliaires 75,0 et 125,0. À 16 reprises, des roches ont été découvertes sur la voie et enlevées.

La nuit du 25 mars 1997, l'employé affecté à la tournée d'inspection spéciale entre Boston Bar et Spences Bridge a entrepris son quart de travail à 22 h et devait demeurer en service jusqu'à 6 h le lendemain matin. L'employé a déclaré qu'au début de son quart à Spences Bridge, il a demandé par deux fois la permission d'occuper la voie et, chaque fois, le CCF a refusé de lui accorder à cause du fort volume de circulation sur la voie. Vers 2h, il a encore essayé d'obtenir la permission, mais s'est fait dire par le CCF qu'il pouvait avoir accès à la voie entre Spences Bridge et Seddall, au point milliaire 82,8, mais pas davantage à cause, encore une fois, du volume de circulation. Il n'y a pas d'endroit pour se garer ni d'accès à la route à Seddall. Le patrouilleur a décidé de ne pas profiter de cette occasion d'occuper la voie et n'a donc pas effectué de tournée d'inspection de la voie durant le quart précédant l'événement. L'employé affecté à la tournée d'inspection spéciale de la voie s'était aussi vu refuser l'accès à la voie le 23 mars 1997.

Même si la tournée d'inspection spéciale de la voie n'a pas été effectuée la nuit du 25 mars 1997, un préposé à l'entretien des signaux et six trains sont passés (entre 19 h le 25 mars 1997 et 4 h le 26 mars 1997) à l'endroit où le glissement s'est produit. Ni le préposé à l'entretien des signaux ni les membres des équipes de train n'ont signalé avoir détecté quelque anomalie que ce soit à cet endroit.

1.12.3.2.2 Formation des préposés aux inspections et aux tournées d'inspection spéciales de la voie du CN

La qualification d'un employé du CN affecté à l'inspection de la voie ou aux tournées d'inspection spéciales de la voie nécessite 90 jours de formation sur le terrain et deux jours d'enseignement en classe suivis d'examens écrits. Les employés affectés dans ce cas-ci à l'inspection de la voie et aux tournées d'inspection spéciales de la voie avaient suivi le cours de qualification en 1995.

En plus d'acquérir des connaissances de base en matière de construction et d'entretien de la voie, les inspecteurs et les employés affectés aux tournées d'inspection spéciales apprennent à identifier les problèmes possibles, comme les fondrières, le pompage ou le remaniement du ballast, les marécages et les marais, les voies désolidarisées, les variations des niveaux d'eau et les tuyaux de drainage obstrués. Les barrages de castors situés à des endroits qui risquent de provoquer des accumulations d'eau dangereuses doivent aussi être constamment surveillées. La surveillance des installations routières et des systèmes de drainage adjacents ne fait cependant pas partie de leurs tâches.

Au cours de leurs tournées d'inspection spéciales de la voie, les employés doivent tenir compte de toutes les anomalies de la voie, comme les glissements, les affouillements et toute irrégularité dans l'écoulement de l'eau par les tuyaux de drainage. En outre, toutes les roches et tous les débris qui se trouvent sur l'emprise à portée du matériel roulant doivent être enlevés si possible; sinon, on doit faire les arrangements nécessaires pour protéger les trains et le matériel d'entretien de la voie.

Les employés affectés à l'entretien de la voie ou aux tournées d'inspection spéciales de la voie n'avaient pas reçu de formation en bonne et due forme sur les origines des glissements de terrain ou des problèmes géotechniques souterrains. La voie et la géographie au point milliaire 106,15 n'étaient pas considérées comme problématiques.

1.12.3.2.3 Occupation de la voie par les inspecteurs et les employés affectés aux tournées d'inspection spéciales

L'autorité en vertu de laquelle les employés affectés aux tournées d'inspection spéciales de la voie et les inspecteurs de la voie accèdent à la voie est régie par la règle 49 du REF intitulée Permis d'occuper la voie (POV), qui précise la façon dont un POV doit être délivré. C'est le CCF qui est responsable de délivrer sur demande les POV, si le volume de circulation le permet, et qui est aussi responsable de s'assurer que l'on en fait usage conformément aux règles applicables du REF. Les POV sont en vigueur jusqu'à ce qu'ils soient révoqués. Toute anomalie découverte par une tournée d'inspection spéciale de la voie doit être immédiatement signalée au CCF.

Le personnel du centre de contrôle de la circulation ferroviaire n'a reçu aucun renseignement précis du service technique sur l'objet des tournées d'inspection spéciales ni sur l'établissement de priorités relativement à ces tournées. La formation sur les activités techniques se limite à quelques directives particulières sur le processus d'accès à la voie par les équipes d'inspection en fonction du mouvement des trains dans une subdivision donnée.

1.12.3.2.4 Voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie

La subdivision Ashcroft est contrôlée trois fois par année par une voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie. La voiture a inspecté la région de Conrad pour la dernière fois le 14 novembre 1996; aucune anomalie n'a été décelée au point milliaire 106,15.

1.12.4 Programme d'inspection du ministère des Transports et de la Voirie

1.12.4.1 Généralités

Le ministère des Transports et de la Voirie, de par sa gestion de l'entretien des routes et des travaux de drainage provinciaux, doit s'assurer que les véhicules automobiles peuvent circuler en toute sécurité sur le réseau routier de la province. Depuis 1987, la plupart des contrats d'entretien et d'inspection du réseau routier ont été octroyés à des entrepreneurs privés. Les entrepreneurs doivent respecter tous les critères applicables en matière d'inspection et d'entretien tels que définis par le ministère des Transports et de la Voirie et tels qu'énoncés

dans le manuel des services d'entretien[3]. Les travaux d'entretien sont organisés de la façon suivante : entretien courant, entretien préventif et entretien annuel. La fréquence des inspections varie entre l'hiver et le printemps. Durant l'hiver, toutes les routes qui relèvent du ministère des Transports et de la Voirie sont censées être inspectées toutes les 8 heures, alors qu'au printemps, elles ne sont plus inspectées que toutes les 48 heures. Le programme d'inspection hivernal se termine habituellement le 15 mars mais une fréquence d'inspection aux 8 heures était en vigueur le 26 mars en raison des conditions météorologiques exceptionnelles.

1.12.4.2 Rapports entre le ministère des Transports et de la Voirie et l'entrepreneur privé

L'entrepreneur en cause effectuait des travaux routiers en sous-traitance pour le ministère des Transports et de la Voirie depuis juin 1996. La dernière inspection détaillée des fossés et des tuyaux de drainage dans le secteur de l'accident a été effectuée le 26 février 1997. L'entrepreneur ne tient pas de classement séquentiel des dossiers d'inspection des tuyaux de drainage.

L'entrepreneur n'était pas responsable de la configuration du système de drainage dans le secteur où s'est produit l'accident. Le territoire s'étend sur 1 500 kilomètres de voie. Les effectifs de l'entrepreneur passent de 115 personnes en hiver à 85 personnes au printemps.

1.12.4.3 Tâches des inspecteurs de route

L'entrepreneur doit effectuer les inspections conformément au programme prévu, exécuter les travaux et aviser la province dès qu'il rencontre une situation ou qu'il est informé d'une situation qui n'est pas spécifiquement identifiée par la norme d'entretien. Un compte rendu des inspections effectuées au cours du mois précédent doit être envoyé à la province dans les sept jours suivant la fin du mois. Les indications visuelles selon lesquelles une pente serait instable ou un système de drainage obstrué sont des critères de base qui permettent aux inspecteurs de s'assurer que la chaussée est libre et que le public voyageur peut l'utiliser en toute sécurité.

Les inspecteurs de route sont tenus de contrôler certains aspects du système de drainage des routes, notamment : fossés engorgés ou d'une capacité insuffisante pour transporter les volumes d'eau anticipés, en particulier durant les périodes prévues de ruissellement important pendant l'hiver et au printemps et aussi pendant le dégel au printemps; puisards obstrués ou endommagés; surfaces structurales, pentes des remblais et talus pour voir s'ils ne se sont pas affaissés, érodés ou devenus instables; bordures et caniveaux pour voir s'ils ne sont pas endommagés ou obstrués. Aucun rapport ne fait mention que la chaussée nécessitait d'être réparée à la hauteur du point milliaire 106,15.

1.12.4.4 Formation des inspecteurs de routes

Les inspecteurs de route sont recrutés parmi les employés qui ont une vaste connaissance de la région, en vertu de leur expérience professionnelle avec un employeur actuel ou antérieur engagé pour faire des travaux d'entretien sur les routes de la région. L'inspecteur le plus ancien avait 30 ans de service. Les inspecteurs de route n'ont reçu aucune formation en bonne et due forme sur les origines des glissements de terrains, telles que les particularités du sol et des eaux souterraines.

Dans la région, les patrouilles routières sont en poste à raison de 10 heures par équipe (de 6 h à 16 h et de 18 h 30 à 4 h30). Chaque équipe est composée de deux véhicules contenant un conducteur chacun qui parcourent le secteur désigné. Le 25 mars 1997, un patrouilleur a parcouru la région de Conrad vers la fin de son quart sans rien remarquer d'anormal dans le secteur de l'accident.

1.12.5 Communications

1.12.5.1 Train 998-25 du CFCP

Le 26 mars 1997 vers 5 h 32, quand le train de marchandises 998-25 (train 998) vers l'est du CFCP a quitté Kanaka, au point milliaire 103,9 de la subdivision Thompson du CFCP, les membres de l'équipe de train ont constaté que des wagons d'un train de marchandises du CN avaient déraillé de l'autre côté du fleuve Fraser à la hauteur de Conrad. Ils ont remarqué qu'un wagon rempli de soufre s'était renversé sur le côté et que son contenu s'était déversé en contrebas, et qu'au moins un autre wagon de chaque côté avait déraillé tout en restant sur ses roues. Puisqu'il ne semblait s'agir que d'un déraillement mineur et, prenant pour acquis que les responsables du CN étaient au courant de la situation, ils n'ont pas signalé l'incident à leur CCF. Vers 6 h 10, alors que le train 998 s'approchait de Lytton, au point milliaire 94,9, ils ont avisé l'équipe du train 991-21 vers l'ouest qu'un accident s'était produit sur la voie du CN. Comme ce dernier s'approchait de Kanaka, les membres de l'équipe ont découvert un déraillement important, et que des flammes et de la fumée se dégageaient des débris. Ils n'ont pris aucune mesure, croyant, comme l'équipe du train précédent, que le CN était au courant de la situation.

1.12.5.2 Observations d'un automobiliste

Vers 5 h 50 le 26 mars 1997, un employé d'une compagnie de lingerie de Kamloops roulait vers le sud dans une circulation légère sur la route transcanadienne en direction du centre d'hébergement du CN à Boston Bar; à la sortie de Lytton (à la hauteur du point milliaire 100,00 de la subdivision Ashcroft du CN), il a remarqué que des wagons avaient déraillé et déversé du soufre sur l'emprise ferroviaire, juste en contrebas de la route. Il n'a pas remarqué de glissement et, ne connaissant pas l'emplacement respectif des voies des deux grandes compagnies ferroviaires dans la vallée du Fraser, il ne savait pas si le déraillement était survenu sur une voie du CN ou du CFCP. Il est arrivé au centre d'hébergement vers 6 h 15 et a fait part de ce qu'il avait vu au commis au transport du CN en service. Le commis venait juste de parler au téléphone avec le CCF de la subdivision Ashcroft et savait que le CCF n'avait pas de problèmes dans la subdivision. Le commis a discuté de la situation avec deux membres d'équipe qui se trouvaient dans le centre d'hébergement et ils en sont venus collectivement à la conclusion que le déraillement s'était produit sur la voie du CFCP.

Vers 6 h 25, le commis au transport de Boston Bar a reçu un appel du répartiteur des équipes de train d'Edmonton et lui a fait part du déraillement. Le répartiteur a consulté son surveillant qui, n'ayant pas entendu parler d'un déraillement, en a aussi conclu qu'il devait s'être produit sur la voie du CFCP. Aucune autre mesure n'a été prise par les employés du CN concernés.

1.12.5.3 Pratiques entre les compagnies et les modes de transport

Même si les réseaux du CN, du CFCP et du ministère des Transports et de la Voirie se trouvent à proximité les uns des autres dans la vallée du Fraser entre Kamloops et Hope et se joignent à l'occasion, comme sous les passages supérieurs ou lorsque les remblais se touchent, il n'y avait pas de protocole de communication entre les trois entités. En outre, aucune exigence officielle ni article officiel dans les procédures du ministère des Transports et de la Voirie n'exigent que les premiers intervenants communiquent avec le CN ou le CFCP s'il se produit un incident routier ou ferroviaire qui pourrait avoir une incidence sur la sécurité du trafic ferroviaire ou routier.

Les compagnies ferroviaires doivent se conformer au REF en ce qui a trait aux communications. La règle générale A iv) stipule, entre autres, qu'un employé d'une compagnie ferroviaire associé à la circulation des trains doit signaler à l'autorité compétente, par le moyen le plus rapide, toute situation pouvant compromettre la sécurité de mouvement d'un train ou d'une locomotive.

La règle 102 a) du REF exige que les membres de l'équipe d'un train ou d'une locomotive qui s'arrête par suite d'un serrage d'urgence des freins ou de toute autre situation anormale protègent les voies adjacentes ainsi que les voies d'autres compagnies ferroviaires qui pourraient se trouver obstruées. La règle générale A est en vigueur en tout temps alors que la règle 102 a) s'applique quand les organismes de transport respectifs exploitent des voies ferrées l'un à côté de l'autre.

Les centres de contrôle de la circulation ferroviaire du CN et du CFCP sont dotés de liaisons téléphoniques spécialisées qui les relient entre eux et avec les centres de contrôle d'autres compagnies ferroviaires pour pouvoir les informer de toute situation d'urgence qui pourrait survenir à des endroits où les réseaux se voisinent.

1.12.5.4 Autres pratiques entre les compagnies en matière de communications d'urgence

Le Centre de gestion du réseau du CFCP est aussi doté d'un téléphone d'urgence qui donne directement accès au CCF; toutefois, ce téléphone ne dessert que les CCF qui contrôlent les trains exploités sur les territoires régis en vertu de la règle 102 du REF. Si une personne autre qu'un employé d'une compagnie ferroviaire signale une situation d'urgence touchant une autre compagnie ferroviaire, le CCF doit communiquer par message enregistré avec la police du CFCP qui communique alors par message enregistré avec la police du CN pour l'aviser de la situation.

1.12.6 L'intervention d'urgence

Il y a à Lytton un groupe de citoyens regroupés sous la bannière d'un organisme volontaire provincial appelé Provincial Emergency Program (PEP) qui coordonne les ressources disponibles et aide à la mise en application du plan d'urgence local. À 7 h 15, la direction des Recherches et du Sauvetage de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a averti le coordinateur local des mesures d'urgence du PEP qu'un glissement de terrain s'était produit; un groupe de huit volontaires a aussitôt donné suite à l'appel d'urgence. Ils sont arrivés à Conrad à 7 h 30. Sous la direction de la GRC, l'équipe d'intervention d'urgence s'est immédiatement mise à fouiller les environs immédiats du déraillement à la recherche des membres de l'équipe de train, dont les allées et venues n'étaient pas connues à ce moment-là, dans l'espoir qu'ils aient pu sauter du train en marche avant le déraillement. L'équipe d'intervention d'urgence a été relevée de ses fonctions à 11 h le 26 mars 1997.

Comme prévu dans le PEP, des employés du ministère de l'Environnement de la Colombie-Britannique sont allés sur les lieux pour donner des conseils techniques et professionnels dans le cas où des marchandises dangereuses seraient en cause. Dès le départ, on s'est préoccupé du fait que le lieu de l'accident soit si rapproché du fleuve Fraser et qu'il soit possible que des matières polluantes atteignent le cours d'eau et mettent en danger les habitats des poissons. Bien qu'une certaine quantité de soufre ait atteint la rivière, il n'a pas représenté une menace pour l'environnement. D'autres polluants possibles, comme le gazole, ont été confinés et récupérés.

Le lieu de l'accident se trouvait à environ 1,5 km, au vent, de la communauté de la bande indienne de Siska. Vers 7 h 30 le 26 mars 1997, les chefs de la bande de Siska ont décidé volontairement d'évacuer les 100 résidants de la communauté en raison du risque de contamination par la fumée qui se dégageait du train en feu. Vers 14 h, les résidants sont retournés dans leurs foyers quand les experts du gouvernement les ont assurés qu'il n'y avait plus de risque.

1.12.7 Enquêtes précédentes du BST

1.12.7.1 Nakina

En juillet 1992, un affaissement de la plate-forme au point milliaire 135,0 de la subdivision Caramat du CN, près de Nakina (Ontario), a entraîné le déraillement d'un train de marchandises du CN. Le train s'est engagé sur une section de voie suspendue dans le vide avant de plonger dans un étang. Deux des membres de l'équipe de train ont été tués et le troisième a été grièvement blessé. Dans ce cas-là, l'affaissement de la plate-forme avait été causé par une baisse soudaine du niveau d'eau dans un étang quand un barrage de castors a cédé. La plate-forme avait été construite sur une base de limon glaciolacustre et de tourbe à la fin du siècle dernier, et le limon saturé d'eau était devenu instable à la suite d'une baisse rapide du niveau d'eau. La voie étant demeurée intacte et suspendue au-dessus de la dépression, la signalisation du système de CCC fonctionnait encore. On croit que les poteaux portant les lignes de codage et les fils de communication ont été endommagés quand le train a déraillé (rapport no R92T0183 du BST).

Par suite de l'accident de Nakina, le BST a fait les quatre recommandations de sécurité suivantes, à savoir que :

Le ministère des Transports, en collaboration avec le ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources et les compagnies ferroviaires, crée un programme pour trouver d'autres lieux possibles d'affaissement imminent où une voie principale a été aménagée sur des sédiments instables ou d'autres lieux où le niveau des eaux adjacentes à une voie principale pourrait baisser rapidement;
Recommandation R93-04 du BST

Le ministère des Transports impose des limites de vitesse pour les trains qui traversent les endroits reconnus comme les plus propices à un affaissement attribuable à la baisse du niveau des eaux adjacentes;
Recommandation R93-05 du BST

Le ministère des Transports, en consultation avec l'industrie ferroviaire, identifie et mette en pratique des mesures correctives pour améliorer la stabilité du sol et lui conférer un facteur de sécurité acceptable dans les endroits reconnus comme propices à un affaissement de terrain; et que
Recommandation R93-06 du BST

Le ministère des Transports examine les critères actuels de calcul des plates-formes aménagées sur de la tourbe, du limon ou d'autres sédiments instables pour s'assurer qu'ils sont convenables.
Recommandation R93-07 du BST

La réponse de TC à ces recommandations était axée sur la baisse du niveau d'eau qui a entraîné l'affaissement de la plate-forme. TC a organisé une réunion avec les cadres supérieurs du CN et du CFCP pour passer en revue les détails de l'accident et déterminer si certaines des mesures prises par le CN, comme le contrôle stratégique de la population de castors, la surveillance aérienne des barrages de castors et la vérification du processus d'inspection des voies, étaient satisfaisantes. On a demandé au CN de stabiliser les talus aux endroits où d'autres accidents du genre pourraient survenir.

TC a aussi fait remarquer qu'il fallait bien reconnaître que la ligne en question avait été construite il y a plus de 80 ans et que les normes de construction avaient beaucoup changé depuis. TC a aussi précisé que la conception et la construction de toute nouvelle ligne de chemin de fer se feraient dorénavant conformément aux normes techniques applicables.

1.12.7.2 Orient Bay

En avril 1994, un train de marchandises du CN a déraillé quand la plate-forme s'est affaissée à la hauteur du point milliaire 91,0 de la subdivision Kinghorn, près de Orient Bay (Ontario). Deux membres de l'équipe de train ont été grièvement blessés et un autre a subi des blessures légères. L'affaissement de la plate-forme était attribuable à une infiltration d'eau et un affaiblissement des argiles et des limons glaciolacustres. La voie étant demeuré intacte et suspendue au-dessus de la dépression, l'affaissement n'avait pas interrompu le fonctionnement du système de régulation de l'occupation de la voie (ROV) utilisé dans cette subdivision (rapport no R94W0101 du BST).

1.12.8 Enquêtes récentes

Après le glissement de Conrad, il y a eu deux autres affaissements de plates-formes qui ont entraîné des déraillements.

1.12.8.1 Pointe au Baril

Le 7 avril 1997, un train du CFCP a plongé dans une dépression causée par un affaissement de la plate-forme au point milliaire 44,8 de la subdivision Parry Sound, près de Pointe au Baril (Ontario), entraînant le déraillement de 4 locomotives et de 14 wagons. L'affaissement est attribuable à la pression hydrostatique provoquée par des changements du niveau des eaux adjacentes à cause de la présence d'un barrage de castors. Un des membres de l'équipe de train a été grièvement blessé et deux autres ont été légèrement blessés. Le fait que le remblai de sable était meuble a contribué à l'affaissement de la plate-forme. La voie est restée intacte et suspendue au-dessus de la dépression, ce qui a permis au système de signalisation de cantonnement automatique de continuer à fonctionner alors que le train s'approchait du lieu de l'affaissement (rapport no R97T0097 du BST).

1.12.8.2 Coteau

Le 6 mai 1997 à 0 h 45, heure normale de l'Est, la plate-forme s'est affaissée sous un train du CN en mouvement, entraînant le déraillement de 2 locomotives et des 12 premiers wagons (sur 20) au point milliaire 34,55 de la subdivision Kingston, près de Coteau (Québec). Deux membres de l'équipe ont subi des blessures légères. L'affaissement a été causé par la présence d'une couche d'argile peu solide sous la plate-forme et par le fait qu'elle était saturée d'eau en provenance de plusieurs sources, y compris de la migration des eaux de ruissellement à travers le talus de la voie ferrée (rapport no R97D0113 du BST).

1.12.9 Enquête du coroner

Le 22 août 1997, après quatre jours d'audition de la part de 14 témoins, un jury du coroner a statué que la cause du décès des membres de l'équipe de train était accidentelle. Le jury a fait 10 recommandations (voir annexe A). La première recommandation renvoie au rapport du comité du CN sur les causes fondamentales de l'accident (voir annexe B). Les comités de causes fondamentales sont mis sur pied de façon ponctuelle par les compagnies ferroviaires et ils ont pour mission d'étudier un seul accident; ils se composent de représentants de la gestion et de membres du syndicat. Ces comités ont surtout pour but de passer les accidents en revue, d'en évaluer les causes possibles et de faire des recommandations pour éviter qu'ils ne se reproduisent.

2.0 Analyse

2.1 Introduction

D'après les données consignées et l'analyse géotechnique, un petit glissement initial s'est produit à 4 h 37, minant la plate-forme de la voie d'évitement et entraînant le déraillement des wagons du train 711 immobilisé sur la voie. Le premier glissement a été suivi, on ne sait au juste à quel moment, par un deuxième événement, plus important, qui a créé une grande dépression sous la voie principale. La voie principale et le câble à fibres optiques du système de CCC sont demeurés intacts et suspendus au-dessus de la dépression, permettant au système de CCC de continuer à fonctionner comme si de rien n'était. Le train 771 immobilisé sur la voie d'évitement à l'intérieur de la courbe constituait un obstacle à la visibilité et les membres de l'équipe du train 102 n'auraient pas pu voir le glissement à temps pour arrêter leur train ou sauter de la locomotive en marche.

Les données consignées indiquent que le train 102 avait roulé à une vitesse moyenne de 27 mi/h dans des zones de 35 mi/h et 30 mi/h entre le signal 1064 et le point milliaire 106,15, et s'est approché de la dépression sur un signal de vitesse normale. Ni l'équipe de train ni le CCF surveillant n'ont eu d'indication qu'il y avait du danger au point milliaire 106,15. La méthode d'exploitation du train et le travail du CCF ne sont donc pas en cause dans cet accident.

Le train 102 a plongé dans la dépression en sectionnant le câble à fibres optiques du système de CCC et la voie suspendue dans le vide à 6 h 6 min 22 s, selon les données consignées du système de CCC. La violence de l'impact au fond de la dépression et du choc des wagons s'écrasant sur le groupe de traction, de même que l'incendie qui s'en est suivi, a fait en sorte qu'il était impossible de survivre à l'accident.

L'analyse étudiera les facteurs qui ont mené à l'affaissement de la plate-forme, la conception du système de drainage, les procédures d'inspection de la voie, l'exploitation du réseau ferroviaire, les communications et les rapports entre les compagnies ferroviaires et le ministère des Transports et de la Voirie.

2.2 Examen des faits

2.2.1 L'affaissement de la plate-forme

2.2.1.1 Généralités

L'affaissement de la plate-forme est imputable à la saturation en eau et à l'augmentation de la pression d'eau interstitielle dans les remblais sensibles à l'humidité par suite des précipitations sans précédent et des lacunes du système de drainage. Les anomalies géotechniques suivantes ont été identifiées :

  1. le remblai de la voie ferrée était construit sur une couche de matières glaciaires indigènes qui a favorisé, sans qu'on s'en aperçoive, la création d'un conduit de drainage souterrain;
  2. des dépôts glaciaires indigènes de qualité diverse et plus ou moins convenables ont été utilisés comme matériau pour remplir les rigoles et construire les plates-formes pour la route et pour la voie ferrée, qui se sont avérées instables quand elles sont saturées d'eau;
  3. le fait que le compactage de la plate-forme de la voie ferrée soit inconsistant, reflet de la technologie à l'époque de la construction (de 1911 à 1914), a accéléré la vitesse avec laquelle l'affaissement s'est intensifié et a rétrogradé une fois amorcé;
  4. le fait de placer le remblai de la route juste en amont du talus de la voie ferrée en 1960 a créé un remblai unique et a permis aux eaux souterraines de s'infiltrer dans la plate-forme de la voie ferrée, faisant ainsi augmenter les pressions d'eau interstitielle;
  5. les eaux de ruissellement n'ont pas été évacuées par le système de drainage justement installé à cette fin.

Ces derniers temps, ce tronçon de voie n'avait connu aucun problème de voie ou de plate-forme qui aurait pu indiquer que le remblai était saturé d'eau ou que la stabilité de la plate-forme était compromise. Les inspections et les tournées régulières de la voie et de la route n'ont fourni aucune indication visible du problème de saturation et du glissement éventuel.

2.2.1.2 Considérations météorologiques

Les précipitations enregistrées au cours de l'automne, de l'hiver et du printemps dans le sud de la Colombie-Britannique ont dépassé celles des années précédentes par une forte marge. Ces données, pas plus que la vitesse de la fonte des neiges, n'ont apparemment suscité aucune préoccupation parmi les intervenants du réseau de transport. Même s'il est facile de trouver parmi la population locale un tas de gens pour dire qu'on avait connu beaucoup de précipitations ces derniers mois, il n'existe aucune ligne directrice qui permette de juger si, au delà d'une certaine limite, les précipitations ou l'accumulation de neige ne commencent pas à représenter un certain risque pour la sécurité, avec les mises en garde correspondantes et la vigilance accrue qui devraient s'ensuivre. Il est remarquable que tous ces systèmes d'enregistrements météorologiques très complexes et tous ces relevés météorologiques scrupuleusement conservés ne soient pas utilisés à des fins plus pratiques et utiles.

2.2.1.3 Questions relatives au drainage

Dans le cas actuel, on était bien conscient de la nécessité d'évacuer vers le fleuve les eaux de ruissellement qui s'accumulaient dans des réservoirs naturels au-dessus de la route et de la voie ferrée. Le système de drainage aurait été suffisant si les eaux ne s'étaient pas infiltrées dans le sol avant d'atteindre l'ouverture du tuyau. Selon toute vraisemblance, le système n'a jamais été inspecté pendant les périodes de ruissellement important pour s'assurer que les eaux qui se trouvaient en amont de la route étaient bien évacuées; pendant ce temps, les employés de la voirie croyaient à tort que le système fonctionnait comme prévu puisque les eaux de fonte et de pluie accumulées le long de la route disparaissaient. Pour s'assurer que les systèmes de drainage fonctionnent comme prévu, il faudrait que les autorités responsables soient conscientes de toutes les exigences de conception de tels systèmes et qu'ils soient inspectés dans des conditions réelles de fonctionnement, tant après la construction que périodiquement par la suite. Il faudrait aussi que l'inspection du réseau routier fasse partie des pratiques d'entretien des compagnies ferroviaires quand les systèmes de drainage de la route ont une incidence sur l'infrastructure de la voie ferrée.

2.2.2 Étude du fonctionnement des voies ferrées

2.2.2.1 Intégrité du circuit de voie

Comme cet accident et d'autres du même genre l'on démontré (R92T0183 et R97T0097), il se peut qu'à la suite d'un affaissement de la plate-forme, la voie et les lignes de communication des signaux de voie demeurent intactes. Sur un territoire doté d'un système de CCC, non seulement les équipes de train et les CCF en service ne reçoivent-ils aucune indication qu'un affaissement s'est produit, mais aussi le système de signalisation, qui fonctionne encore, continue d'afficher des indications de signalisation favorables, confirmant la notion, erronée, qu'on pourra occuper en toute sécurité la voie qu'on est sur le point d'aborder. La présence de ces signaux favorables tend à réduire la vigilance des équipes de train même si les conditions environnementales devraient donner lieu à une plus grande prudence. On devrait pouvoir mettre au point un système qui permettrait de détecter les affaissements de plate-forme et qui déclencherait immédiatement un signal d'arrêt, tant sur le système de signalisation de voie que sur le panneau de commande du CCF, s'il s'agit d'un territoire doté d'un système de CCC. Il semble que le déclenchement d'une alarme dans la cabine de la locomotive améliorerait l'efficacité d'un tel système et permettrait de protéger les trains même dans les territoires à ROV sans signalisation de cantonnement automatique.

2.2.2.2 Inspections régulières de la voie

Le régime d'inspection hebdomadaire de la voie du CN et la surveillance réglementaire de TC ne faisaient pas état des problèmes de glissement. Bien que l'évaluation des problèmes d'écoulement des eaux était un des éléments du processus d'inspection, les questions de géographie générale ne l'étaient pas. Ni les inspecteurs des compagnies ferroviaires ni les agents de sécurité de TC n'étaient sensibilisés à l'identification proactive des glissements possibles, soit à la lumière d'une formation quelconque ou d'une philosophie d'entreprise ou ministérielle. Il est évident que les services d'inspection de la voie doivent avoir une connaissance accrue des problèmes géotechniques.

Les inspections régulières de la voie étaient aussi effectuées sans souci pour le système de drainage de la route adjacente, même si, au point milliaire 106,15 et à d'autres endroits, les plates-formes respectives se chevauchaient et les deux réseaux partageaient le même système de drainage. Pour avoir une meilleure perspective globale de la sécurité ferroviaire, il faudrait être sensibilisé davantage aux problèmes de drainage et mettre sur pied un meilleur programme d'inspection des systèmes de drainage qui peuvent avoir une incidence sur le réseau ferroviaire.

2.2.2.3 Tournées d'inspection spéciales de la voie

Les patrouilleurs affectés aux tournées spéciales, qui sont formés selon les mêmes normes et qui travaillent selon des instructions semblables que les inspecteurs de voie réguliers, ne tenaient pas compte des aspects géotechniques de la sécurité de la voie et de la plate-forme dans l'exercice de leurs fonctions régulières à moins qu'ils ne remarquent un déplacement quelconque de la voie qu'ils patrouillent (mauvais alignement ou affaissement de la voie). À vrai dire, comme leurs inspections se faisaient la nuit et aux premières heures du jour, ils avaient peu de chance d'apercevoir les signes avant-coureurs d'un problème ailleurs que sur la portion de voie et de plate-forme qui est éclairée par les phares de leur véhicule. On améliorerait la sécurité si du personnel formé inspectait la voie à la lumière du jour.

Quand un train traverse un secteur donné sans problème, certains employés de chemin de fer peuvent avoir tendance à penser qu'il s'agit là d'une indication que la voie est sans danger et ne pas voir la nécessité ni même l'utilité des tournées spéciales d'inspection. Il est à remarquer que le volume du trafic ferroviaire a empêché les patrouilles de tournée spéciale d'avoir accès à la voie par deux fois au cours du mois de mars. Les dossiers sur les tournées d'inspection spéciales indiquent cependant que 75 p. 100 des patrouilles effectuées en mars entre les points milliaires 75,0 et 125,0 ont mené à la découverte et à l'enlèvement de roches sur la voie. Même si les trains ne sont pas souvent endommagés par des roches, la possibilité d'un glissement rocheux plus important et plus dangereux existe en permanence.

On ne peut pas affirmer avec certitude que la patrouille de tournée spéciale qui s'est vu refuser l'accès de la voie dans les premières heures de la journée de l'accident aurait patrouillé les environs du point milliaire 106,15 après le premier glissement, donné l'alarme et arrêté le trafic ferroviaire, mais cette possibilité existe.

Il semble donc que les patrouilles de tournée d'inspection spéciale de la voie jouent un rôle important pour ce qui est de la sécurité. Tous les efforts doivent être faits pour qu'elles aient accès à la voie principale quand elles en font la demande.

2.2.3 Communications

2.2.3.1 Rapports entre les compagnies

Les membres de l'équipe du train 998 du CFCP ont vu que le train 711 avait déraillé environ une demi-heure avant l'arrivée du train 102 et il est probable qu'ils auraient pu prévenir l'accident en avertissant leur CCF. L'équipe du CFCP a incorrectement raisonné que le CN était au courant du déraillement puisqu'un train était mis en cause et qu'il y a habituellement une équipe à bord d'un train.

Manifestement, l'exigence du REF concernant les situations dangereuses (Règle générale A iv)) fait allusion aux situations qui touchent leur propre compagnie, et non à celles qui touchent une autre compagnie. On ne peut donc pas affirmer que le REF exige que l'on signale de telles observations. Mais selon toute vraisemblance, une telle exigence aurait probablement porté l'équipe du CFCP à signaler le premier déraillement.

Il n'y a pas de doute que la liaison téléphonique spéciale entre les centres de contrôle de la circulation ferroviaire du CFCP et du CN aurait pu faciliter le relais de l'information sur le déraillement du train chargé de soufre. Cependant, l'utilisation de cette ligne de communication est restreinte (c'est-à-dire qu'elle se limite aux situations dangereuses dans les zones de voies adjacentes), et on pourrait améliorer la sécurité si on pouvait en faire usage plus souvent, comme pour signaler toute situation dangereuse sur n'importe quelle partie de l'emprise d'une autre compagnie ferroviaire, avec un protocole pour vérifier si la compagnie en question est bien au courant de la situation qu'on lui signale. Une telle procédure exigerait que les équipes qui travaillent dans le canyon du Fraser connaissent la ligne de communication et qu'ils en comprennent la nécessité.

2.2.3.2 Grand public

L'employé de la compagnie de lingerie qui roulait sur la route transcanadienne a aussi vu le train de soufre déraillé avant l'arrivée du train 102. Il ne fait aucun doute que d'autres automobilistes ont aussi vu le déraillement. Le temps dont disposait l'employé de la compagnie de lingerie pour avertir la compagnie ferroviaire était sans doute extrêmement limité, mais il semble que plusieurs autres personnes auraient disposé de beaucoup plus de temps, puisqu'on signale qu'il faisait clair ce jour-là depuis 5 h 30. Même si on ne doit pas s'attendre à ce que des membres du grand public comprennent la gravité de la situation, deux notions semblent évidentes :

  1. De par la nature du canyon du fleuve Fraser, il serait justifié que les usagers de la route fassent preuve de vigilance accrue face aux risques de glissements de terrain en période de fortes précipitations ou de forts volumes d'eaux de ruissellement saisonniers. Cette vigilance présuppose que l'on sache qui contacter pour signaler une situation dangereuse. Une telle information pourrait être affichée sur des panneaux le long de la route.
  2. Un grand nombre d'automobilistes ont des téléphones cellulaires ou d'autres moyens de communication comme les radios-téléphones qui pourraient permettre de signaler les situations dangereuses rapidement.
2.2.3.3 Employés du CN

Les employés du CN qui se trouvaient au centre d'hébergement de Boston Bar ont été avisés du déraillement du train de soufre après le déraillement du train 102, donc trop tard pour empêcher l'accident; toutefois, ils n'étaient pas très préoccupés par la situation. Même quand le répartiteur des équipes de train d'Edmonton a participé à la discussion, les employés concernés n'ont pas compris à quel point la situation était dangereuse ni même manifesté d'intérêt particulier. Compte tenu de la température, des conditions printanières qui prévalaient et de la géographie de la région, il semble que les employés de la compagnie ferroviaire auraient dû être plus alertes et prompts à réagir quand on signale un déraillement. Il est compréhensible que l'on ait conclu que le déraillement se soit produit sur une voie du CFCP, mais même cela aurait dû susciter une certaine inquiétude pour la sécurité et le bien-être des employés du CFCP.

2.2.4 Expertise géotechnique

Le CN et le ministère des Transports et de la Voirie comptaient des experts en géotechnique parmi leur personnel et, d'une façon générale, l'orientation de certains aspects de leurs programmes géotechniques était proactive; cependant, les mesures prises pour corriger les problèmes identifiés étaient pour la plupart réactives. Il est toutefois possible d'utiliser ces compétences géotechniques d'une manière plus proactive. Il serait fortement souhaitable que le ministère des Transports et de la Voirie et les compagnies ferroviaires partagent leurs ressources et leur expertise pour identifier et contrôler les endroits sujets aux effondrements et aux glissements, de même que les systèmes de drainage problématiques.

2.2.5 Effondrements persistants de la plate-forme

Des centaines de milles de chemins de fer canadiens sont sujets aux affaissements de plate-forme. Comme nous l'avons montré aux sections 1.12.7 et 1.12.8, de graves accidents entraînant des pertes de vie et des blessures graves peuvent survenir et surviennent. TC a choisi de donner suite aux questions de sécurité et aux recommandations du BST qui résultent de ces accidents de façon ponctuelle. Le contrôle de la population des castors et l'inspection des systèmes de drainage sont les solutions reconnues, de même que la reconnaissance que les nouvelles voies ferrées seront désormais construites selon les dernières normes.

La présence de dépôts alluviaux sensibles à l'humidité dans le coeur de la plate-forme de la voie ferrée est la conséquence à la fois des limites des techniques de construction et de la compréhension des caractéristiques du sol à l'époque de la construction initiale (vers 1900). Les techniques de compactage de la plate-forme et l'importance accordée à cette activité ont souffert de lacunes similaires. Les cinq enquêtes du BST précitées qui font état d'affaissements de plates-formes ont ces deux faiblesses en commun comme facteur de causalité. Il faut donc en conclure qu'un grand nombre de sections du réseau ferroviaire canadien construites sur des remblais exposés à des épisodes hydrodynamiques inhabituels, que ce soit en raison de fortes précipitations, de la fonte rapide des neiges, d'une accumulation naturelle d'eaux de drainage, d'un dérèglement du système de drainage ou d'une accumulation d'eau associée par exemple à un barrage de castors ou à un tuyau bloqué, représentent un risque pour la sécurité. Il faut donc identifier, surveiller et, si possible, modifier les remblais problématiques, et créer des systèmes de drainage adéquats pour éviter que les eaux ne les endommagent.

3.0 Faits établis

  1. La méthode d'exploitation du train 102 et le travail du CCF ne sont pas en cause dans cet accident.
  2. L'affaissement de la plate-forme s'est produit en deux temps, d'abord un petit glissement à 4 h 37, suivi, on ne sait pas quand au juste, d'un deuxième glissement plus important qui s'est toutefois produit avant l'arrivée du train 102 à 6 h 6.
  3. L'affaissement de la plate-forme est attribuable à la saturation en eau et à l'augmentation de la pression d'eau interstitielle dans le remblai de la voie ferrée.
  4. Les effondrements de plate-forme peuvent laisser les câbles du système de signalisation et de communication de la voie intacts, ce qui fait que la permission de circuler est interprétée par la plupart des équipes comme une indication que la voie est en toute sécurité.
  5. Le système de drainage ne répondait pas aux attentes prévues qui étaient de collecter et de détourner les eaux de ruissellement sous la route et sous la voie ferrée.
  6. La compagnie ferroviaire ne faisait pas l'inspection ni la surveillance des systèmes de drainage de la route adjacente.
  7. Selon toute probabilité, le système de drainage de la route en question n'a jamais été inspecté durant la période de ruissellement pour s'assurer que les eaux étaient bien captées et évacuées comme prévu.
  8. L'expertise géotechnique du CN et du ministère des Transports et de la Voirie n'a pas toujours été utilisée d'une manière proactive.
  9. Les précipitations et les accumulations de neige sans précédent n'ont pas suscité d'inquiétude parmi les intervenants du système de transport du canyon du fleuve Fraser et les données des systèmes de contrôle météorologique n'ont pas suscité de préoccupation.
  10. L'instabilité du remblai est attribuable au fait que les dépôts alluviaux qui se trouvaient au coeur de la plate-forme de la voie ferrée, conséquence des limites des techniques de construction et du manque de compréhension des caractéristiques du sol à l'époque de la construction (vers 1900), sont sensibles à l'humidité.
  11. Les inspections régulières de la voie, les tournées d'inspection spéciales de la voie et la surveillance réglementaire n'étaient pas axées sur les questions géotechniques.
  12. Les patrouilles affectées aux tournées d'inspection spéciales jouent un rôle important en matière de sécurité mais elles ne peuvent pas détecter les problèmes géotechniques à l'exception de ceux qui se produisent directement sur l'emprise quand elles effectuent leurs tournées la nuit.
  13. Aucune des exigences du REF n'exige que les situations dangereuses qui surviendraient sur la voie d'une autre compagnie ferroviaire soient signalées; cependant, si une telle exigence avait existé, le CFCP aurait probablement signalé le glissement avant le déraillement du train 102.
  14. Même si le train 711, qui avait déraillé, était à portée visuelle des automobilistes depuis un certain temps, personne n'a signalé le déraillement à l'une ou l'autre des compagnies ferroviaires ou aux autorités publiques, à une exception près.
  15. Le protocole des communications entre le CN et le CFCP n'était pas axé sur la communication des questions de sécurité touchant l'autre compagnie dans les régions où les emprises respectives des deux compagnies ne se touchent pas ou ne sont pas rapprochées.
  16. Les conditions climatiques extrêmes au cours des semaines avant l'accident n'ont suscité aucune inquiétude additionnelle parmi les employés du CN à l'annonce d'un déraillement dans le canyon du fleuve Fraser.
  17. La présence de plates-formes construites sur des dépôts alluviaux sensibles à l'humidité rend des centaines de milles du réseau ferroviaire canadien susceptibles de s'effondrer quand les plates-formes sont saturées d'eau.

3.1 Cause

Le volume exceptionnel d'eau de ruissellement attribuable à la fonte de l'épaisse couche de neige et à de fortes précipitations saisonnières qui s'était accumulé au-dessus de la route transcanadienne adjacente n'a pas été capté et évacué comme prévu par le système de drainage. L'eau a pénétré dans le sol, a migré à travers les remblais de la route et s'est infiltrée dans la plate-forme de la voie ferrée, entraînant sa déstabilisation. La plate-forme de la voie ferrée n'a pu soutenir la pression d'eau interstitielle qui en a résulté et elle s'est affaissée. Parmi les facteurs contributifs, on compte la présence de dépôts alluviaux sensibles à l'humidité dans la partie inférieure de la plate-forme et le fait que les remblais de la route se chevauchent, ce qui a créé une ligne d'écoulement continue de la nappe d'eau souterraine vers le remblai de la voie ferrée.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Recommandations provisoires du BST

À la suite de cette enquête, au cours de laquelle le Bureau a déterminé qu'une quantité extraordinaire d'eau de ruissellement avait déstabilisé la plate-forme de la voie ferrée, et craignant que le ruissellement printanier ne continue à créer d'autres problèmes, le Bureau a fait les recommandations provisoires en matière de sécurité ferroviaire suivantes, voulant que :

Le ministère des Transports, en collaboration avec le Canadien National, le Canadien Pacifique Limitée et le service de la voirie de la Colombie-Britannique :

  1. identifie les endroits où la plate-forme des voies ferrées ou de la route adjacente est constituée de remblai placé sur des dépôts ou sur un matériau semblable;
  2. pour les endroits relevés en vertu du paragraphe précédent, évalue si le drainage actuel est suffisant compte tenu de l'écoulement printanier et détermine si les assises de la plate-forme risquent d'être saturées d'eau;
  3. le cas échéant, mette en oeuvre un programme de surveillance pour détecter les instabilités de la couche supérieure de la plate-forme causées par une saturation d'eau.

(R97-01, publiée en avril 1997)

Le ministère des Transports, en collaboration avec l'Association des chemins de fer du Canada :

  1. évalue l'efficacité, dans le cas d'effondrements de la plate-forme, des systèmes d'avertissement actuels servant à vérifier l'intégrité de la voie;
  2. évalue d'autres méthodes pour confirmer l'intégrité de la plate-forme durant les périodes à risque élevé;
  3. commandite des recherches visant à mettre au point des dispositifs de surveillance de l'intégrité de la voie et de la plate-forme plus fiables.

(R97-02, publiée en avril 1997)

Par suite de ces recommandations, l'industrie ferroviaire, le ministère provincial des Transports et de la Voirie et Transports Canada ont pris plusieurs mesures relatives aux questions de sécurité.

4.1.2 Coopération au niveau de l'industrie

Peu de temps après la publication des recommandations provisoires du BST, des réunions ont eu lieu entre le CN, le CFCP, le ministère des Transports et de la Voirie, Transports Canada et la Commission géologique du Canada pour tenter de résoudre les questions soulevées dans les recommandations. Des réunions conjointes sont désormais convoquées deux fois par année et des réunions annuelles ont été mises sur pied entre les trois principales compagnies ferroviaires de la province et le ministère des Transports et de la Voirie pour discuter de questions d'intérêt mutuel.

4.1.3 Mesures correctives sur le lieu de l'événement

Des systèmes de drainage de surface additionnels ont été construits sur le lieu de l'événement. Un «détecteur d'affouillement» prototype a été mis au point et immédiatement installé au point milliaire 106,15 de la subdivision Ashcroft. Trois autres emplacements ont subséquemment été dotés de dispositifs de protection similaires. Le 7 avril 1997, un indicateur de talus a été installé à une profondeur de 35 m dans un trou de forage d'essai percé dans l'accotement de la route au-dessus de l'endroit où le talus de la voie ferrée s'est affaissé. L'indicateur mesure les mouvements horizontaux du sol et avertit le personnel technique en service de tout déplacement de terrain ou de talus dans les environs immédiats. En plus de surveiller l'installation de l'indicateur, le personnel géotechnique effectue une inspection visuelle de l'emplacement et contrôle l'évolution des fissures dans la chaussée toutes les semaines ou toutes les deux semaines. Toutes les données sont analysées par un ingénieur géotechnicien et des copies sont envoyées au directeur du service de la voirie du district responsable de la région de Conrad, avec des recommandations sur les mesures à prendre le cas échéant. Des tournées d'inspection spéciales ont été temporairement ajoutées aux inspections régulières de la voie. Le CN a donné comme consigne à ses CCF de donner la priorité aux patrouilles affectées aux tournées d'inspection spéciales et de leur accorder suffisamment de temps de voie pour qu'elles puissent parcourir leur territoire au moins une fois par nuit.

4.1.4 Identification de l'instabilité de la plate-forme

La phase 1 d'une étude entreprise par la Commission géologique du Canada et l'université de la Colombie-Britannique en association avec l'industrie ferroviaire et le ministère des Transports et de la Voirie est terminée. Le rapport, intitulé Magnitude-frequency Analysis of Landslide Hazards along the Main Transportation Corridors of Southwestern British Columbia (analyse de l'amplitude et de la fréquence des risques de glissements de terrain le long des principales voies de communication du sud-ouest de la Colombie-Britannique), définit les objectifs de l'étude et donne les résultats des recherches sur les talus rocheux à ce jour. Le rapport sur la deuxième phase de l'étude, ayant des répercussions à l'échelle nationale, sera axé sur l'élaboration d'une méthodologie visant à caractériser les risques de glissements de terrain en fonction de leur impact sur les réseaux de transport.

Des photographies aériennes récentes du corridor Thompson-Fraser ont été étudiées pour identifier les endroits semblables à Conrad du point de vue géologique. Les endroits possiblement à risque ont par la suite été inspectés et des améliorations au système de drainage ont été apportées.

Des reconnaissances géotechniques en profondeur ont été entreprises à certains endroits choisis et des piézomètres pneumatiques ont été installés pour mesurer les pressions d'eau interstitielle.

Le CN a instauré un programme d'inspections extraordinaires sur le terrain qui comprend de la surveillance aérienne du corridor Jasper-Hope, des inspections par bateau à propulsion hydraulique le long de la rivière Thompson Nord, et des patrouilles à pied et en véhicule rail-route affectées à l'inspection des tuyaux de drainage et du régime d'écoulement des eaux de surface pour déterminer si les prochains écoulements printaniers risquent de menacer l'intégrité de la voie ferrée.

Le CN a préparé un formulaire d'évaluation et de contrôle des talus de plates-formes et les instructions associées qui permettent au personnel technique et itinérant de signaler au service géotechnique les incidents ayant trait aux glissements rocheux ou aux glissements de terrain et de prendre des mesures correctives, en plus de compiler les données historiques nécessaires pour évaluer la stabilité à long terme des talus en terre.

Transports Canada a modifié son programme de contrôle des voies ferrées de façon à y inclure le contrôle des systèmes de drainage et des conditions de drainage sur des territoires particuliers (comme les endroits mentionnés dans le rapport), en tant que partie intégrante du programme d'échantillonnage.

En plus de ses inspections annuelles du talus rocheux qu'il effectue depuis les années 1970, le CFCP a commencé en 1997 à faire des inspections géotechniques formelles pour évaluer les assises de plates-formes et les conditions du drainage le long d'une grande partie de la voie principale, y compris la section entre Calgary et Vancouver et entre Winnipeg et Toronto, et la route du charbon de la Colombie-Britannique, entre Sparwood et Golden. Après les inspections annuelles, de nombreuses inspections localisées détaillées sont faites par le personnel du service géotechnique ou par des experts-conseils pour évaluer les endroits où des problèmes de stabilité sont observés.

4.1.5 Techniques de contrôle

Transports Canada a rencontré des représentants de l'industrie ferroviaire pour examiner les systèmes d'avertissement servant à vérifier l'intégrité de la voie et étudier la mise en application de mesures de rechange qui permettraient de confirmer l'intégrité de la plate-forme. L'industrie ferroviaire a subséquemment proposé les systèmes suivants :

Le système radar téléguidé est considéré comme la meilleure solution pour détecter la discontinuité de la voie. Un projet pilote, appelé le Field Disturbance System Project (projet d'étude des systèmes de détection de dérangements sur le terrain), a été élaboré pour vérifier certains aspects de la performance des systèmes. Transports Canada contribue directement à l'étude par le biais du Centre de développement des transports et participe au projet dans le cadre du programme de recherche et de développement de la division de la Sécurité ferroviaire. La mise au point définitive de la version finale devrait être terminée le 1er mars 1999 et doit être suivie d'une période de vérification de 12 semaines.

Le CN souscrit à la veille météorologique mondiale (VMM) de manière à pouvoir avertir ses surveillants de tout phénomène météorologique violent et à faciliter la planification rapide et la mise en oeuvre des stratégies d'intervention. Le CFCP est en train d'étudier un système semblable.

4.1.6 Formation

Le CN et le CFCP ont élaboré en collaboration un programme de formation intitulé Geotechnology for Railroaders (géotechnologie pour les employés de chemin de fer) qui vise les problèmes de plates-formes et qui est destiné aux employés d'entretien de la voie. Ce cours d'une journée et demie a été présenté aux employés du CN et du CFCP dans tout le Canada. Les agents d'infrastructure de Transports Canada ont aussi eu la chance d'assister à une version abrégée du cours.

4.1.7 Assistance du grand public

Le CN est en train de poser des autocollants très visibles à l'arrière des panneaux de signalisation à tous les passages à niveau publics pour inciter le grand public à signaler toute situation potentiellement dangereuse. Les autocollants donnent l'emplacement exact du passage à niveau ainsi qu'un numéro de téléphone d'urgence sans frais (1-800) grâce auquel on peut rejoindre le service de police du CN.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.

Annexes

Annexe A - Conclusions et recommandations de l'enquête du coroner - Cour du coroner de la C.-B.

[traduction]

  1. Nous souscrivons aux recommandations formulées par le rapport du comité sur les causes fondamentales et telles que proposées par la direction du CN et les représentants des syndicats. Nous recommandons que ce rapport soit terminé le plus rapidement possible et que ces recommandations soient mises en oeuvre. Le rapport final devrait comprendre toutes les autres solutions de rechange et les autres recommandations.

    Le présent rapport devrait être envoyé au CFCP, au ministère des Transports et de la Voirie et aux autres organismes provinciaux, fédéraux ou privés qui ont un intérêt direct dans les voies de communication des canyons de la Thompson et du Fraser.
  2. Nous recommandons que le CN, le CFCP et le ministère des Transports et de la Voirie continuent à développer des relations et à partager l'information concernant les travaux ou les questions d'intérêt mutuel sur les voies de communication des canyons de la Thompson et du Fraser. Un tel processus devrait aussi inclure d'autres organismes provinciaux et fédéraux de même que les organismes de service public présents dans ce corridor.
  3. Environnement Canada devrait étudier la pertinence des pratiques actuelles concernant la collecte des données sur les précipitations dans les canyons de la Thompson et du Fraser. Les installations existantes devraient être maintenues en bon état de marche. On devrait étudier la possibilité de construire d'autres postes d'enregistrement de manière à ce qu'on puisse obtenir une image exacte des conditions météorologiques pour la région.
  4. Le CN et le CFCP devraient étudier la possibilité d'installer des systèmes d'enregistrement des précipitations de technologie rudimentaire dans certains secteurs du canyon reconnus pour la soudaineté et la violence des précipitations qui s'y produisent. Les renseignements en provenance de ces enregistreurs devraient être inclus dans les rapports d'inspection réguliers. L'incidence de conditions météorologiques particulièrement mauvaises devrait être communiquée aux surintendants de la voie et au personnel géotechnique.
  5. Nous recommandons qu'un comité de sécurité formé de représentants du CN et des différents syndicats soit créé pour étudier la question de la sécurité, des patrouilles d'inspection de la voie, des communications et de la formation à tous les niveaux.
  6. Nous recommandons que le CN, le CFCP et le ministère des Transports et de la Voirie de la Colombie-Britannique créent une base de données techniques exhaustive sur les travaux d'entretien, de construction et de réparation effectués dans le corridor des canyons de la Thompson et du Fraser. Nous recommandons que les parties intéressées se rencontrent au moins une fois par année pour échanger, passer en revue et communiquer l'information relative à leurs activités dans le corridor.
  7. Nous recommandons que le CN, le CFCP et le ministère des Transports et de la Voirie de la Colombie-Britannique posent sur les routes adjacentes aux emprises ferroviaires des panneaux de signalisation lisibles, similaires à ceux qui ont trait à la protection contre les feux de forêts, qui donneraient un numéro de téléphone sans frais que le grand public pourrait composer pour signaler des événements inhabituels. On devrait aussi étudier la possibilité d'installer des boîtes d'appel d'urgence dans le corridor Thompson-Fraser.
  8. Nous recommandons que le CN étudie la possibilité de faire appel à un dispositif qui permettrait aux membres de l'équipe de train de rester en contact avec le CCF quand ils ne sont pas à l'intérieur de la cabine de la locomotive. On pourrait étudier la possibilité de mettre en application des mesures qui pourraient faire en sorte que le CCF soit avisé le plus rapidement possible en cas de défaillance mécanique ou de perte de communication avec l'équipe de train pour diminuer le plus possible le délai de réaction des équipes d'intervention d'urgence.
  9. Tous les usagers des voies de communication des canyons de la Thompson et du Fraser devraient être incités à noter tout incident anormal dans le corridor et à en faire rapport.
  10. Nous recommandons que l'on fasse des études technologiques pour la mise au point d'un système qui pourrait immédiatement alerter le CCF en cas de défaillance du système des freins à air des trains immobilisés et sans personnel à bord de manière à ce que les mesures indiquées soient prises.
  11. Nous recommandons que, dans les régions semblables à Conrad dans le canyon du Fraser, le ministère des Transports et de la Voirie prenne conscience que la dispersion aléatoire de la neige près de la route peut avoir une incidence néfaste sur les conditions géotechniques.
  12. Nous recommandons que les résultats de la présente enquête soient communiqués à B.C. Rail à titre de renseignement.

Annexe B - Rapport du comité sur les causes fondamentales du CN

[traduction]

Section 3.0 Recommandations générales

Les recommandations suivantes ne visent pas les facteurs de causalité spécifiques des trois incidents qui ont été identifiés au cours de l'analyse des causes fondamentales. Il s'agit plutôt de recommandations générales qui visent à réduire les risques inhérents à l'exploitation des trains en terrain montagneux :