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Rapport d'enquête maritime M04C0037

Heurt du pont 12 de la Voie maritime du Saint-Laurent
par le vraquier Federal Maas
dans la Voie maritime du Saint-Laurent (Ontario)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 15 août 2004 à 15 h 25, heure avancée de l'Est, en quittant l'écluse d'Iroquois dans la Voie maritime du Saint-Laurent, le vraquier Federal Maas heurte le pont 12, à l'extrémité aval de l'écluse. Le navire subit des avaries à son aileron de passerelle bâbord. Les dommages infligés au pont 12, qui n'était pas complètement levé, sont minimaux. L'écluse sera fermée à la navigation pendant environ quatre heures.

Renseignements de base

Fiche technique du navire

Nom Federal Maas
Numéro officiel 725438
Port d'immatriculation Bridgetown (Barbade)
Pavillon Barbade
Type Vraquier
Jauge bruteNote de bas de page 1 20 837
Longueur 200 m
Tirant d'eau Avant : 7,65 m Arrière : 7,78 m
Construction Shanghai (Chine), 1997
Groupe propulseur Un moteur diesel lent B&W 6 cylindres développant 7 706 kW, entraînant une seule hélice à pas fixe
Cargaison 19 798 tonnes de maïs
Équipage 24 personnes
Propriétaires Great Lakes Inc.Monrovia (Libéria)
Gestionnaires AngloEastern Ship ManagementPointe-Claire (Québec, Canada)

Déroulement du voyage

Le 11 août 2004, le Federal Maas appareille du port de Burns Harbor (Chicago, États-Unis) à destination de l'Algérie via Montréal (Québec), chargé de 19 798 tonnes de maïs. Le navire descend sans incident les Grands Lacs et la Voie maritime du Saint-Laurent, arrivant à l'écluse d'Iroquois le 15 août à 15 h, heure avancée de l'EstNote de bas de page 2. Alors que le Federal Maas s'approche de l'écluse d'Iroquois, le responsable des structures et deux préposés aux structures du canal se rendent au poste de contrôle à l'extrémité amont (ouest) de l'écluse (voir la figure 2). Un des préposés aux structures ouvre les portes d'amont, fait monter le câble de retenue, allume le feu de navigation vert et attend que le navire entre dans l'écluse. Pour s'assurer que le navire puisse être amarré rapidement en cas de panne de l'appareil propulseur ou de l'appareil de gouverne, les deux préposés aux structures suivent le navire, à pied, sur le mur de l'écluse. Le responsable des structures accompagne le préposé aux structures 1 jusqu'à l'avant du navire et aide à fixer l'amarre no 2 du navire à une bitte et guide le positionnement du navire. Le préposé aux structures 1 retourne ensuite à l'arrière du navire et aide à son amarrage, avant de se rendre au poste de contrôle d'amont.

Photo 1. Le Federal Maas (photo reproduite avec l'autorisation de Chris Franckowiak)
Le Federal Maas (photo reproduite avec l'autorisation de Chris Franckowiak)

Le responsable des structures se rend au poste de contrôle d'aval et, au moyen du poste de commande informatisé s'y trouvant, il commande l'ouverture du pont 12Note de bas de page 3. Avant que le pont ne soit complètement levé, le préposé aux structures 1 fait passer les feux d'approche d'amont du vert au rouge à partir du poste de contrôle d'amont, au moyen du système de commande informatisé de l'écluse. Peu après, le préposé aux structures 1 informe le responsable des structures que l'extrémité d'amont de l'écluse est prête à être fermée, signifiant que le feu d'approche est passé du vert au rouge.

Environ au même moment, le pilote à bord du navire demande que le responsable des structures lise l'échelle de tirant d'eau avant. Le responsable des structures quitte alors le poste de contrôle d'amont. La sonnerie du pont 12 a cessé, indiquant que le pont n'était plus en mouvement. Le préposé aux structures 2, qui se trouve au poste de contrôle d'amont, ouvre alors les portes et la barrière de retenue d'aval, et le navire est largué, le responsable des structures détachant l'amarre no 2 à l'avant.

Le navire quitte l'écluse, faisant 1,5 nœud le long du mur d'approche d'aval. Le pilote et le capitaine se trouvent tous deux du côté tribord de la passerelle du pont, de sorte qu'ils n'ont pas une vue dégagée sur le pont 12. Au moment où la superstructure des emménagements du navire passe sous le pont 12, l'aileron de passerelle bâbord heurte le centre de la travée du pont.

Le navire est alors amarré le long du mur d'approche, et la navigation dans l'écluse est interrompue pendant quatre heures pendant que les dommages subis par le pont 12 sont évalués et que des réparations temporaires sont effectuées sur le navire.

Figure 1. Lieu de l'événement
Lieu de l'événement

Avaries au navire et dommages au pont 12

Les avaries au navire sont limitées à la partie extensible bâbord de l'aileron de passerelle et au pavois arrière de l'aileron de passerelle. Les dommages au pont 12 sont mineurs : ils sont limités à un lampadaire au milieu de la travée et à son câblage.

Photo 2. Aileron de passerelle endommagé.
Aileron de passerelle endommagé.

Conditions environnementales

Au moment de l'événement, le temps est dégagé, les vents sont calmes et la visibilité estimée est de 10 milles.

Système de contrôle de l'écluse

Jusqu'en 2001, l'écluse était commandée depuis une tour de contrôle située à l'extrémité aval de l'écluse. Un nouveau dispositif de contrôle a ensuite été mis en place, comprenant trois postes de commande informatisés, un à chaque extrémité de l'écluse et un poste central dans un bâtiment à hauteur du milieu de l'écluse.

Figure 2. Disposition des postes de contrôle de l'écluse
Disposition des postes de contrôle de l'écluse

Des caméras d'un système de télévision en circuit fermé permettaient aux éclusiers de surveiller tout l'équipement. À la suite d'un accident survenu en 2003 à l'écluse no 3 du canal Welland, lorsqu'une barrière de retenue avait été abaissée sur le Federal SaguenayNote de bas de page 4, la programmation des dispositifs de commande des écluses de la Voie maritime avait été modifiée, y compris à l'écluse d'Iroquois. Les modifications apportées par la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent (CGVMSL) étaient les suivantes :

  1. sur réception d'un signal indiquant qu'une extrémité est complètement ouverte, un message à cet effet est affiché à l'écran. Lorsqu'il est prêt à commander l'équipement à cette extrémité de l'écluse, le préposé doit cliquer sur un bouton pour déverrouiller l'extrémité soit d'amont, soit d'aval, puis confirmer la commande lorsque l'ordinateur le lui demande. Le préposé a 30 secondes pour donner la commande, sans quoi l'extrémité est de nouveau verrouillée;
  2. une fois que l'écluse est pleine, les portes s'ouvrent et le pont se lève. Lorsque tous les mouvements sont terminés, l'extrémité d'amont est verrouillée et un message est affiché à cet effet. Dès lors, l'équipement suivant ne peut plus être déplacé : portes d'amont et d'aval, barrières de retenue d'amont et d'aval, ponts.

Les modifications n'ont pas été pleinement mises à l'essai ou simulées avant que le système de contrôle soit mis en service aux postes d'écluse. À la suite des modifications, le personnel a constaté que quand l'écluse était ouverte et que s'affichait le message indiquant que l'extrémité était ouverte et verrouillée, l'équipement des deux extrémités était verrouillé. Le système a été à nouveau modifié de sorte qu'une extrémité puisse être commandée si l'extrémité opposée était verrouillée.

Après cette nouvelle modification, un autre problème a été constaté par le personnel de l'écluse d'Iroquois. Pour commander l'extrémité d'amont, le feu rouge devait être allumé. Cependant, lorsque les feux de navigation d'amont étaient commutés du vert au rouge tandis que le pont était en mouvement, le pont s'arrêtait immédiatement quelle que soit la position dans laquelle il se trouvait. Cette anomalie a été notée par le personnel de la CGVMSL Le 5 août 2004, toutes les équipes de travail en ont été informées verbalement, et une note d'avertissement a été affichée aux postes de commande informatisés (voir la photo 3); cependant, aucune information officielle sur le problème ni modification des procédures n'a été communiquée au personnel concerné.

Photo 3. Note signalant le problème touchant l'ouverture du pont
Note signalant le problème touchant l'ouverture du pont

Avant les modifications de 2004 au système de commande informatisé, une sonnerie retentissait jusqu'à ce que le pont 12 soit complètement levé. Depuis lors toutefois, la sonnerie cesse lorsque le pont arrête de bouger, quelle que soit sa position. À mesure que le pont monte, l'écran des poses de contrôle affiche l'image animée d'un pont dont la taille diminue à mesure qu'augmente l'angle d'ouverture du pont. L'affichage est tel que l'animation n'est pas aisément discernable dans les 10 derniers degrés d'ouverture du pont. Cependant, le pourcentage d'ouverture du pont est indiqué en tout temps, et sur toute la plage du mouvement. Il n'y a pas de verrouillage de sécurité empêchant que les portes de l'écluse ou la barrière de retenue s'ouvrent si le pont n'est pas complètement levé.

Personnel à l'écluse

Trois employés de la Voie maritime sont affectés à l'écluse d'Iroquois : un responsable des structures et deux préposés aux structures du canal. Dans le cas présent, en plus de surveiller toutes les opérations d'éclusage, le responsable des structures a aussi été chargé des tâches suivantes :

Pour exécuter ces tâches, le responsable des structures doit quitter le poste de contrôle central. À l'occasion, les tâches liées à l'éclusage sont redistribuées entre les membres du personnel de l'écluse, afin de s'assurer que tous possèdent les aptitudes voulues. Soit le responsable des structures, soit un préposé aux structures doit se trouver dans un poste de contrôle quand de l'équipement est en mouvement. Cependant, la procédure prescrite prévoit que le pont ne peut pas être commandé depuis le poste de contrôle d'amont.

Analyse

Système de commande informatisé

Une fois que le navire a été amarré dans l'écluse, le responsable des structures a commandé l'ouverture du pont 12. Avant que le pont n'atteigne sa hauteur maximale, le préposé aux structures 1 a fait passer les feux d'approche d'amont du vert au rouge depuis le poste de contrôle d'amont, au moyen du système de commande informatisé de l'écluse. En conséquence, les anomalies de programmation du système de commande informatisé de l'écluse ont fait cesser la sonnerie et arrêter la montée du pont à 92 p. 100 de sa hauteur maximale.

Le préposé à l'écluse dispose de quatre éléments indiquant que le pont est complètement levé :

  1. la représentation du pont à l'ordinateur indiquant une ouverture complète;
  2. l'affichage numérique indiquant le pourcentage d'ouverture du pont;
  3. un message indiquant que l'extrémité est complètement ouverte et verrouillée;
  4. un feu blanc sur la travée centrale du pont et la barrière de retenue.

Une sonnerie retentit sur la structure du pont pour indiquer au personnel quand le pont est en mouvement. Lorsque le pont s'arrête, la sonnerie cesse quelle que soit la position du pont. À mesure que le pont monte, en plus d'un indicateur numérique, les écrans des postes de commande affichent une animation dont la taille diminue en même temps qu'augmente l'angle d'ouverture du pont. L'affichage est tel que l'animation n'est pas aisément discernable dans les 10 derniers degrés d'ouverture du pont. Il est donc essentiel de surveiller attentivement le pourcentage indiqué d'ouverture du pont.

L'ordinateur a commandé l'interruption du mouvement du pont en même temps que le pilote du Federal Maas demandait au responsable des structures de lire le tirant d'eau du navire. Cette demande a distrait le responsable des structures, qui n'a pas vérifié le feu blanc sur la travée centrale du pont afin de s'assurer que le pont était complètement ouvert. En outre, le capitaine et le pilote ont omis de chercher confirmation de la pleine ouverture du pont avant que le navire entame la sortie de l'écluse.

Des verrouillages de sécurité sont souvent utilisés dans des installations techniques afin d'éviter qu'une opération puisse être exécutée si les conditions permettant de le faire en toute sécurité ne sont pas réunies. Il n'y a pas de tel verrouillage reliant le pont, la barrière de retenue et les portes de l'écluse d'Iroquois. Il est possible de commander l'extrémité aval de l'écluse (c'est-à-dire lever la défense de retenue et ouvrir les portes) sans que le pont soit complètement levé. Si pour quelque raison que ce soitNote de bas de page 5 le pont 12 n'est pas complètement levé, il serait néanmoins possible qu'un navire tente d'entrer dans l'écluse ou d'en sortir, et heurte le pont.

Opérations d'éclusage

En l'absence de verrouillages physiques empêchant qu'un navire puisse sortir de l'écluse avant que toutes les obstructions aient été dégagées, la surveillance exercée par le responsable des structures revêt une importance d'autant plus grande. Au moment de l'événement, les feux de contrôle de la navigation, les portes de l'écluse, les câbles de retenue, les feux et le pont 12 étaient commandés par deux membres différents de l'équipe de l'écluse, chacun à une extrémité opposée de l'écluse. Le responsable des structures s'occupait de plusieurs tâches simultanément, de sorte qu'il devait quitter le poste de contrôle pour aider à l'éclusage du navire. En conséquence, aucun membre de l'équipe n'était expressément chargé de surveiller le déroulement de l'éclusage.

Le poste de contrôle central au milieu de l'écluse procure une vue dégagée des extrémités amont et aval de l'écluse, son ordinateur affiche la situation de l'équipement et un système de télévision en circuit fermé fournit des prises de vue depuis divers endroits dans la zone de l'écluse. Des écrans d'ordinateurs et de télévision semblables se trouvent dans les postes de contrôle d'amont et d'aval, mais la disposition des caméras ne permet pas d'obtenir une vue optimale de l'ensemble de l'écluse. En outre, le pont n'est pas visible depuis le poste de contrôle d'amont, et la vue depuis le poste de contrôle d'aval ne permet pas de reconnaître aisément la différence entre une ouverture à 92 p. 100 ou à 100 p. 100. Cette différence de l'angle d'élévation est plus évidente depuis le poste de contrôle central.

Comme il faut deux personnes pour fixer les amarres 1 et 3 à leurs bittes, la dotation en personnel fait que pour réduire au minimum le temps d'éclusage d'un navire et assurer la sécurité, le responsable des structures doit quitter le poste de contrôle central afin d'aider physiquement à l'éclusage. Les avantages du poste de contrôle central sont ainsi annulés. Une telle façon de procéder risque de faire en sorte que le responsable des structures ne saisisse pas bien la situation du moment ou son évolution, et peut ainsi compromettre la sécurité du passage du navire dans l'écluse.

Le responsable des structures n'a pas une vue dégagée de l'ensemble de l'écluse depuis les postes de contrôle d'aval ou d'amont, et doit s'en remettre à des instruments et aux autres membres de l'équipe pour connaître la disposition du navire et de l'équipement de l'écluse. L'équipe de l'écluse connaît la procédure d'éclusage; cependant, aucune liste de vérification écrite n'est utilisée pour s'assurer que l'équipement de l'écluse est commandé dans la séquence prévue. Même si le personnel de l'écluse avait été informé du problème touchant le système de commande informatisé, les méthodes d'éclusage n'avaient pas été modifiées pour réduire la possibilité que l'anomalie de programmation perturbe le fonctionnement du pont ou pour atténuer toute conséquence qui en découlerait. En l'absence de listes de vérifications ou de méthodes modifiées, la nécessité que le responsable des structures participe physiquement à l'éclusage du navire a entravé sa capacité de pleinement saisir la situation.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Une anomalie de programmation connue dans le système de contrôle de l'écluse a fait en sorte que le pont 12 s'est arrêté avant de parvenir à sa hauteur maximale.
  2. Même si des indications visuelles et sonores étaient disponibles, le responsable des structures a été distrait et n'a pas remarqué que le pont n'était pas complètement levé.
  3. Il n'y avait pas de liste de vérification officielle et, comme les méthodes n'avaient pas été modifiées, la nécessité que le responsable des structures participe physiquement à l'éclusage du navire a entravé sa capacité de pleinement saisir la situation.

Fait établi quant aux risques

  1. Il n'y a pas d'obstacle mécanique à ce que les portes et la barrière de retenue s'ouvrent si le pont n'est pas complètement levé. Les navires peuvent ainsi entrer dans l'écluse ou en sortir et éventuellement heurter le pont.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité prises

Le 12 novembre 2004, une lettre d'information sur la sécurité maritime (08/04) a été adressée à la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent (CGVMSL). Elle faisait remarquer qu'il n'y avait pas de dispositif de verrouillage reliant le pont, la barrière de retenue et les portes, et empêchant de déplacer la barrière de retenue et d'ouvrir les portes d'aval si le pont n'est pas complètement levé. La lettre signalait également que comme il y avait seulement trois personnes en service au moment, le responsable des structures s'occupait de plusieurs tâches simultanément et devait travailler à l'extérieur du poste de contrôle pour aider à l'éclusage du navire. En conséquence, aucun membre de l'équipe n'était expressément chargé de surveiller le déroulement de l'éclusage et la position du pont 12.

La CGVMSL a répondu en indiquant qu'elle avait entamé une enquête interne sur l'événement, dont les conclusions comprendraient des recommandations visant à améliorer la situation. Au terme de l'enquête, des recommandations ont été formulées au sujet des systèmes de contrôle, de l'équipement, des méthodes et de la gestion du changement. Par exemple :

Ce rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Par conséquent, le Bureau en a autorisé la publication le .