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Rapport d'enquête maritime M93W0003

Naufrage
du petit bateau de pêche «JU JU»
Détroit de Queen (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 19 mars 1993, le «JU JU» faisait route vers le détroit de Kildidt (Colombie-Britannique) pour s'y abriter d'un coup de vent du sud-est. Le bateau a fait eau sous les ponts et a coulé peu de temps après. Deux des trois membres de l'équipage ont été repêchés, souffrant d'hypothermie. Le troisième a succombé à l'hypothermie et s'est noyé avant d'être recueilli.

Le Bureau a déterminé qu'alors que le «JU JU» se dirigeait vers des eaux abritées à toute allure, une planche s'est fort probablement détachée de la coque sous la flottaison à cause des coups de ballast. L'eau a ensuite commencé à envahir les compartiments arrière, et l'arrière du bateau s'est rapidement enfoncé, provoquant l'envahissement par les hauts et finalement le naufrage. Parmi les facteurs qui ont contribué à la perte de vie, on relève le caractère inadéquat de l'équipement de sauvetage du bord ainsi que l'inexpérience de l'équipage qui n'avait pas reçu de formation maritime en bonne et due forme ni en techniques de survie.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

«JU JU»
Numéro officiel - 173778
Port d'immatriculation - Victoria (C.-B.)1
Pavillon - Canadien
Type - Palangrier
Jauge brute - 9 tonneaux2
Longueur - 10,59 m
Largeur - 2,87 m
Construction - 1938, Victoria (C.-B.)
Groupe propulseur - Moteur Chrysler Nissan, modèle SD33, développant 80 BHP
Propriétaire - Ian Andrews Dawson Creek (C.-B.)

1.1.1 Renseignements sur le navire

Le «JU JU» était un petit bateau de pêche ponté, en bois, muni de la coque amphidrome traditionnelle des bateaux de pêche à la traîne. La cabine se trouvait à l'avant du milieu du navire, le compartiment moteur, juste sous la cabine, et la cale à poisson, directement derrière celle-ci. La cambuse et le cockpit étaient...

1 Voir l'annexe E pour la signification des sigles et abréviations.

2 Les unités de mesure dans le présent rapport sont conformes aux normes de l'Organisation maritime internationale (OMI) ou, à défaut de telles normes, elles sont exprimées selon le système international (SI) d'unités.

...derrière la cale à poisson. Le gréement comprenait un mât en aluminium, des mâtereaux de pêche à la ligne traînante et des stabilisateurs. Le treuil de palangre en aluminium se trouvait à bâbord.

1.2 Déroulement du voyage

Au matin du 19 mars 1993, le «JU JU» a quitté son poste de mouillage à l'est de l'île Goose (C.-B.) pour se rendre à une position située à 1,5 mille marin (M) au sud-ouest du phare de Currie dans le détroit de Queen (C.-B.), où il a rentré une palangre mouillée la veille pour prendre de la morue lingue. Il y avait un clapotis au début et peu de vent. Le «JU JU» pêchait dans le secteur depuis deux jours, se réfugiant en eaux abritées pendant la nuit.

Alors qu'on rentrait la palangre, un vent du sud-est de 15 à 25 noeuds s'est levé. Une fois la ligne rentrée à bord, on a assujetti tout ce qui pouvait bouger sur le pont et mis en place le panneau d'écoutille de la cale à poisson. Le bateau a mis le cap à pleine vitesse sur le détroit de Kildidt situé à environ 16 milles en direction est-sud-est afin de s'y abriter des coups de vent du sud-est imminents. Les stabilisateurs à paravane du bateau étaient déployés pendant tout ce temps.

Peu après avoir quitté les lieux de pêche, alors que le navire qui faisait route était soumis à des coups de ballast occasionnels, le propriétaire/patron a constaté que le «JU JU» était de plus en plus difficile à gouverner et était fortement sur le cul.

Il a placé le moteur au ralenti et le bateau a pris la cape debout au vent afin de donner le temps d'évaluer la situation. On a constaté qu'il n'y avait pas d'eau dans le compartiment moteur. Toutefois, les pompes de la cale à poisson, de la cambuse et du cockpit fonctionnaient à plein régime comme on pouvait le voir par le débit des tuyaux de refoulement sur le pont. Il est vite devenu nécessaire de vider le cockpit avec des seaux étant donné que l'arrière s'enfonçait de plus en plus et que le bateau embarquait de l'eau sur le pont du côté tribord.

Le propriétaire/patron a envoyé un message de détresse (MAYDAY) à la station radio de la Garde côtière (SRGC) d'Alert Bay sur radiotéléphone très haute fréquence (VHF) à 10 h3. Le dinghy a été mis à l'eau sur tribord.

Peu après l'envoi du message de détresse, on a constaté que de l'eau pénétrait dans la sentine du compartiment moteur par le logement de l'arbre porte-hélice. Les pompes du compartiment moteur ont été immédiatement mises en marche, mais sans qu'elles puissent parvenir à avoir raison de la voie d'eau. De l'eau avait aussi pénétré dans les emménagements du gaillard d'avant. Le bateau a ensuite donné légèrement de la bande sur bâbord et le moteur a calé, ce qui a rendu le

3 Toutes les heures sont exprimées en HNP (temps universel coordonné (UTC) moins huit heures), sauf indication contraire.

«JU JU» impossible à gouverner et l'a fait descendre dans le creux des vagues. Alors que l'arrière s'enfonçait davantage, l'eau a commencé à pénétrer par la porte de la cabine et a envahi les compartiments avant.

Les trois membres de l'équipage ont abandonné le bateau à bord du dinghy, lequel a chaviré, projetant ses occupants dans l'eau. Deux des membres de l'équipage ont réussi à remonter à bord du bateau qui coulait. Le propriétaire/patron s'est agrippé au dinghy dont on a par inadvertance largué les amarres. Les deux membres de l'équipage ont grimpé au mât du bateau qui coulait dans l'espoir qu'il continue de flotter entre deux eaux. Le «JU JU» a coulé peu après, vers 10 h 48, projetant les deux hommes à la mer. Le bateau a coulé par 146 m de fond à la position approximative de 51°48′N par 128°24′W.

Le temps était clair, les vagues atteignaient 2,2 m et le vent soufflait du sud-est à 25 noeuds.

1.3 Recherches et sauvetage

Le Centre de coordination du sauvetage (CCS) de Victoria a dépêché des unités aériennes et maritimes sur les lieux de l'accident. On a confié la direction des opérations à un aéronef Aurora R105 de la base des Forces canadiennes (BFC) de Comox, qui se trouvait non loin du lieu de l'accident en vol d'entraînement. Les occupants de l'aéronef ont aperçu le «JU JU» à 10 h 9 et ont utilisé des signaux fumigènes pour guider les navires de secours vers le secteur. Comme il était en vol d'entraînement, l'aéronef n'avait pas de trousses de survie largables (SKAD) à bord (voir l'annexe E).

À 11 h 32, un aéronef Buffalo de l'Escadron de sauvetage 442 de la BFC de Comox a largué des trousses SKAD ainsi que deux radeaux de sauvetage près des naufragés. Toutefois, ceux-ci, qui souffraient d'hypothermie et semblaient divaguer, n'ont pas vu les radeaux. Le petit navire-usine «LIL CHRISTINE» a été le premier navire à arriver sur les lieux. Son équipage a repêché le propriétaire/patron ainsi que l'un des matelots à 11 h 39. À 12 h 47, le patrouilleur des pêches «TANU» a repêché le corps du deuxième matelot à 1,8 M au nord-ouest de l'endroit où le «JU JU» a fait naufrage.

1.4 Victimes

Les deux survivants ont été transportés par hélicoptère à l'hôpital de Port Hardy où ils ont passé la nuit et ont été traités pour hypothermie. Le corps de la victime a été transporté à Bella Bella (C.-B.), puis à Vancouver (C.-B.) où un examen post-mortem a indiqué que la cause du décès était la noyade consécutive à l'hypothermie.

1.5 Certificats et brevets

1.5.1 Certificats du navire

En tant que navire de moins de 15 tonneaux de jauge brute (tjb), le «JU JU» n'était pas tenu d'être inspecté par la Direction de la sécurité des navires de la Garde côtière canadienne (GCC).

1.5.2 Brevets du personnel

Aucun des membres de l'équipage du «JU JU» n'était titulaire d'un brevet maritime, et ils n'étaient d'ailleurs pas tenus de l'être en vertu des règlements.

1.5.3 Antécédents du personnel

Le propriétaire/patron du «JU JU» n'avait reçu aucune formation maritime en bonne et due forme. Il avait commencé à prendre la mer comme pêcheur en 1990, année où il a fait l'acquisition d'un petit bateau de pêche qu'il a ultérieurement vendu pour acheter le «JU JU» en juin 1991. Il s'était servi du «JU JU» pendant les saisons de 1991 et 1992 pour faire la pêche à la morue lingue et à la crevette.

Le matelot qui a survécu avait commencé à naviguer vers la fin de 1992, époque où il avait passé quelques semaines sur le «JU JU» pour la pêche à la crevette. Il n'avait reçu aucune formation maritime en bonne et due forme.

Le matelot qui a perdu la vie n'avait reçu aucune formation maritime en bonne et due forme, il avait la même expérience de la mer que son frère, le propriétaire/patron.

1.6 Conditions météorologiques

À 14 h 5 le 18 mars 1993, le Centre météorologique du Pacifique d'Environnement Canada a diffusé un avertissement de coup de vent pour le détroit de la Reine-Charlotte. Les prévisions faisaient état de coups de vent du sud-est pouvant atteindre 35 noeuds pendant la nuit et de vagues de 3 m.

Des prévisions ultérieures émises au cours de la nuit indiquaient que la vitesse du vent allait augmenter à 45 noeuds et que les vagues allaient atteindre de 4 à 6 m en fin d'après-midi. Dans les zones de prévision voisines, les avertissements de coups de vent ont été changés en avertissements de tempête à cause de l'arrivée d'un centre de basse pression et du système frontal qui l'accompagnait en provenance du sud- ouest.

L'équipage de l'embarcation de secours et les survivants du «JU JU» ont déclaré que les conditions météorologiques sur les lieux de l'accident étaient les suivantes : vents du sud-est de 25 noeuds et mer du sud- est d'agitée à forte avec des vagues de 1,5 à 2,2 m.

1.6.1 Décision de continuer de pêcher

Le matin du 19 mars 1993, alors qu'il mouillait dans des eaux abritées, le propriétaire/patron a entendu les prévisions météorologiques diffusées en continu sur le poste VHF. Il était au courant de l'imminence de coups de vent et de tempêtes dans le secteur, mais il a cru qu'il aurait le temps de rentrer la palangre et de gagner des eaux abritées avant l'arrivée du pire du gros temps en après-midi.

1.7 Historique de la construction et inspections du «JU JU» par les assureurs

Les constructeurs du «JU JU» ne sont plus en exploitation et aucun plan de construction ou dossier de modifications apportées au bateau au fil des ans n'a pu être retrouvé. Une nouvelle timonerie avait été installée par le précédent propriétaire. Parmi de récents changements d'importance, on peut mentionner le déplacement du treuil de palangre de l'axe longitudinal au côté bâbord; l'enlèvement, de la partie avant de la cale à poisson, de trois blocs de béton servant de lest et mesurant chacun environ 762 mm x 304 mm x 106 mm; ainsi que l'installation d'une nouvelle section de pavois au-dessus du pavois existant.

Le 7 juin 1992, le bateau s'était échoué et avait coulé sur la côte ouest de l'île de Vancouver (C.-B.). Le bateau a été renfloué et a passé deux mois dans un chantier naval où la coque a été réparée et recalfatée.

Le 19 janvier 1993, le bateau a été inspecté par les assureurs alors qu'il était à flot à Port Alice (C.-B.). Les inspecteurs ont jugé que l'état général du «JU JU» était bon et que le bateau ne présentait aucune avarie externe. Au-dessus de la flottaison, il n'y avait pas de planche disjointe ou pourrie et le calfatage de la coque en cèdre ne présentait aucune anomalie.

À l'intérieur, les membrures transversales accessibles, les barrots et le bordé étaient généralement en bon état, même si on a noté un peu de pourriture sur les membrures dans la cambuse, à bâbord et à tribord.

Les passe-coque ainsi que les orifices d'admission et d'évacuation étaient en bronze et munis de robinets de prise d'eau à la mer. On a noté des infiltrations d'eau dans le compartiment moteur.

1.8 Cloisons de séparation et aménagement de la cale à poisson

Le compartiment moteur était ouvert sur les logements de l'équipage du gaillard d'avant; il n'en était séparé du côté bâbord que par une cloison s'arrêtant à l'axe longitudinal du bateau. Les côtés et le fond de la cale à poisson étaient doublés de mousse et de fibre de verre; des planches de séparation divisaient la cale en cinq compartiments.

À bâbord et à tribord, des nables dans la cale à poisson donnaient sur le logement de l'arbre porte- hélice, permettant à l'eau de s'écouler librement dans la sentine du compartiment moteur. Le logement de l'arbre porte-hélice ne se prolongeait pas vers l'arrière jusque dans la cambuse. La cloison arrière de la cale à poisson était percée d'une ouverture de 65 mm de diamètre afin de donner passage à une conduite hydraulique en cuivre de l'appareil à gouverner. Le panneau d'écoutille était constitué de deux plaques d'aluminium qui se chevauchaient de façon à former un joint étanche et qui dépassaient de 152 mm sur les côtés. Les hiloires de la cale à poisson avaient environ 457 mm de hauteur. Le panneau d'écoutille de la cale à poisson est demeuré en place malgré le naufrage.

Des photographies aériennes que le R105 a prises du «JU JU» en train de couler ont été envoyées au Laboratoire technique du BST pour y être analysées. Cette analyse a confirmé que le panneau d'écoutille de la cale à poisson était en place au moment du naufrage.

1.9 Stabilité

Le «JU JU» n'était assujetti à aucune norme de stabilité réglementaire. Le bateau était toutefois en service depuis de nombreuses années et n'avaient jamais eu de problème de stabilité.

On ne sait pas s'il y avait déjà eu compilation des données techniques et des caractéristiques hydrostatiques du bateau, ni si celui-ci avait déjà été soumis à un essai de stabilité ou à un essai de roulis. Il a donc été impossible de faire des calculs exacts concernant la stabilité transversale du «JU JU» au moment de l'accident.

Le 16 mars 1993, le bateau avait chargé 1,5 tonnes de glace à Port Hardy (C.-B.) pour le voyage. Au moment du naufrage, il y avait à bord environ 1 000 kg de morue lingue conservés sur la glace. La prise, la glace et les appâts étaient arrimés dans la cale à poisson comme il suit :

On estime que le bateau aurait pu prendre une cargaison supplémentaire de 450 kg de poisson.

Deux réservoirs à carburant fixes d'une capacité totale de 630 litres, placés dans le compartiment moteur, étaient presque pleins. On venait d'en refaire le niveau en puisant dans un réservoir portable de 200 litres qui se trouvait sur le pont. Ce réservoir portable était vide au moment du naufrage.

En outre, le bateau avait à bord ses engins de pêche à la palangre ordinaires, à savoir neuf tessures de 548,6 m (lignes de fond auxquelles sont attachés des hameçons) enroulées sur le treuil de palangre.

1.9.1 Sabords de décharge

La seule photographie du «JU JU» qu'on possède révèle que le bateau était muni de sabords de décharge pour l'évacuation de l'eau embarquée sur le pont principal.

1.10 Pompes de cale

Le compartiment moteur, la cale à poisson, la cambuse et le cockpit étaient tous munis d'une pompe électrique automatique d'une capacité de 16 à 18 litres à la seconde. En outre, le compartiment moteur était muni d'une pompe à eau de 31 mm entraînée par le moteur principal au moyen d'une courroie. Les pompes, même si elles fonctionnaient bien, ne sont pas parvenues à avoir raison de la voie d'eau.

1.11 Équipement de sauvetage

Aucune exigence réglementaire n'obligeait le bateau à avoir à bord un radeau pneumatique.

Le «JU JU» était muni d'un dinghy en fibre de verre de 1,82 m ainsi que d'une bouée de sauvetage réglementaire à laquelle était attachée un filin.

Le propriétaire/patron portait sa combinaison de travail isotherme personnelle lorsqu'il a abandonné le bateau. Cependant, il n'avait pas eu le temps de la revêtir correctement et n'avait que les bras passés dans les manches. Il s'agit d'un nageur expérimenté qui possède un certificat de plongeur en scaphandre autonome (eau libre). Il s'est agrippé au dinghy retourné jusqu'à ce qu'il soit repêché.

Le matelot survivant portait une veste de sauvetage de couleur orange du type approuvé par la GCC pour le canotage. C'est un excellent nageur et il connaît les techniques de survie.

Lorsqu'ils ont été repêchés, les deux hommes souffraient d'hypothermie grave.

La victime portait une veste de flottaison de couleur orange munie d'une bande de fourche. La veste était un vêtement de flottaison individuel (VFI) de type I approuvé par la GCC et conforme à la norme 65-GP-11 de l'Office des normes générales du Canada (ONGC). La veste était du type qui permet à celui qui la porte de flotter sans se retourner et se retrouver le visage dans l'eau. La veste était aussi conçue pour offrir une certaine protection contre l'hypothermie. On s'en servait depuis un certain temps comme veste de travail mais elle était en bon état. La victime ne nageait pas très bien et a apparemment succombé au froid peu après être entrée dans l'eau.

1.12 Survie en eau froide

La Croix Rouge du Canada a publié un graphique illustrant les durées moyennes de survie prévisibles pour un adulte moyen portant un gilet de sauvetage standard et des vêtements légers dans l'eau de mer. Selon ce graphique, dans de l'eau à 7 °C, soit la température de la mer en l'occurrence, le temps de survie est d'environ deux heures.

Dans le cas à l'étude, la victime, qui mesurait 1,69 m et pesait 56 kg, portait plusieurs vêtements superposés ainsi qu'un gilet de flottaison qui était apparemment correctement attaché. La mer était forte et la température de l'air était de 5 °C avec un facteur de refroidissement éolien de -9 °C. Le corps de la victime a été retrouvé environ deux heures après le naufrage.

Les deux membres d'équipage survivants ont été repêchés au bout d'environ 50 minutes.

2.0 Analyse

2.1 Voie d'eau

On ne connaît pas le point d'entrée de l'eau qui a causé la mise en marche des pompes automatiques dans la cambuse, le cockpit et la cale à poisson. Toutefois, compte tenu de la rapidité avec laquelle l'arrière du bateau s'est enfoncé après que l'on eût rentré la palangre, il est évident que l'ouverture par laquelle l'eau a pénétré était assez grande et pourrait avoir été laissée par la perte d'une planche de la coque sous la flottaison, dans les environs de la cambuse et de la cale à poisson. Cela pourrait s'être produit alors que le bateau était soumis à des coups de ballast après que l'on eût rentré la palangre. Il faut noter qu'à l'exception de la petite ouverture pratiquée dans la cloison arrière de la cale à poisson pour livrer passage à la conduite de l'appareil à gouverner, il n'y avait aucune autre ouverture entre la cale à poisson et la cambuse.

À cause du poids additionnel d'eau embarquée sous le pont, l'arrière du bateau s'est enfoncé davantage, réduisant ainsi le franc-bord à l'arrière. L'accumulation d'eau sur le pont à cause des paquets de mer a dû s'accentuer progressivement, et le bateau s'est enfoncé encore davantage au point que les sabords de décharge ont été immergés.

Par la suite, l'eau a commencé à pénétrer dans le compartiment moteur par le logement de l'arbre porte-hélice, puis par la porte de la cabine lorsque l'arrière a été entièrement submergé. L'effet de carène liquide de l'eau embarquée a réduit la stabilité transversale du bateau, qui a donné de la bande sur bâbord. Lorsque le bateau est tombé en travers du vent et des vagues, l'envahissement par les hauts du compartiment moteur et du gaillard d'avant s'est poursuivi jusqu'à ce que le navire coule.

2.2 Équipement de sauvetage

La veste de sauvetage que portait le matelot survivant n'était pas un VFI approuvé pour l'usage qu'on en faisait. Les règlements exigent qu'il y ait un gilet de sauvetage standard dûment approuvé pour chaque personne à bord.

Le gilet de sauvetage que portait la victime était un VFI approuvé. Le temps de survie dépend toutefois des éléments, des caractéristiques physiques, physiologiques et psychologiques de l'individu, de la formation que celui-ci a reçue ainsi que de sa connaissance des techniques de survie.

Le dinghy ne pouvait pas remplacer un radeau de sauvetage, spécialement pour trois adultes dans une forte mer.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis

  1. Les membres de l'équipage du «JU JU» ont continué de pêcher même s'ils savaient qu'on prévoyait du mauvais temps.
  2. La voie d'eau sous la flottaison a très probablement été provoquée par la perte d'une planche du bordé de coque entre la cambuse et la cale à poisson, perte provoquée par les coups de ballast.
  3. Le dinghy, qui s'est renversé, ne pouvait remplacer un radeau de sauvetage.
  4. Le bateau n'était pas muni des engins de sauvetage requis. Le gilet de sauvetage du matelot survivant n'était pas d'un type approuvé.
  5. Les membres de l'équipage n'avaient reçu aucune formation maritime en bonne et due forme, c'étaient des autodidactes qui n'avaient qu'une expérience limitée de la pêche commerciale.
  6. Le facteur de refroidissement éolien dû aux coups de vent ainsi que la température froide de l'eau de mer ont considérablement réduit le temps de survie de la victime.

3.2 Causes

Alors que le «JU JU» se dirigeait vers des eaux abritées à toute allure, une planche s'est fort probablement détachée de la coque sous la flottaison à cause des coups de ballast. L'eau a ensuite commencé à envahir les compartiments arrière, et l'arrière du bateau s'est rapidement enfoncé, provoquant l'envahissement par les hauts et finalement le naufrage. Parmi les facteurs qui ont contribué à la perte de vie, on relève le caractère inadéquat de l'équipement de sauvetage du bord ainsi que l'inexpérience de l'équipage qui n'avait pas reçu de formation maritime en bonne et due forme ni en techniques de survie.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Équipement de survie et formation

À la suite de son enquête sur le naufrage du «STRAITS PRIDE II» survenu le 17 décembre 1990 (rapport no M90N5017 du BST), le Bureau a fait plusieurs recommandations concernant les petits bateaux de pêche. Deux de ces recommandations concernaient des manquements à la sécurité touchant la formation des équipages et l'équipement de sauvetage. Le Bureau a recommandé que :

Le ministère des Transports s'assure que tous les membres réguliers d'équipages de bateaux de pêche pontés reçoivent une formation en bonne et due forme sur l'équipement de sauvetage et les techniques de survie.
Recommandation M92-06 du BST

Le ministère des Transports termine au plus tôt sa révision du Règlement sur la sécurité des petits bateaux de pêche qui exigera le port de combinaisons de travail isothermes ou d'habits de survie pour les pêcheurs.
Recommandation M92-07 du BST

On élabore présentement un projet de modification à la Loi sur la marine marchande du Canada (LMMC) en vertu de laquelle les personnes non brevetées seront tenues de suivre une formation recommandée. En attendant l'entrée en vigueur de cette modification, la Garde côtière canadienne (GCC) compte publier un Bulletin de la sécurité des navires contenant des recommandations aux capitaines concernant cette formation.

Les efforts de la GCC en vue d'obliger les bateaux de pêche à avoir de tels vêtements à bord n'ont pas porté fruit jusqu'à présent. Toutefois, dans les modifications proposées au Règlement sur la sécurité des petits bateaux de pêche, les combinaisons de travail isothermes sont proposées comme équipement optionnel.

En 1993, la GCC a réalisé une vidéo intitulée «Une question de minutes» pour faire connaître les avantages d'une nouvelle combinaison de travail conçue pour les pêcheurs. En outre, la GCC a distribué une centaine de ces combinaisons à des pêcheurs membres du Service auxiliaire canadien de sauvetage maritime (SACSM) pour qu'ils en fassent l'essai. On compte beaucoup sur ce groupe de pêcheurs membres du SACSM pour influencer les autres pêcheurs en ce qui a trait à la sécurité et pour les sensibiliser aux avantages des combinaisons de travail isothermes. Le Bureau surveillera de près les résultats de telles initiatives afin d'évaluer s'il y a lieu de prendre d'autres mesures de sécurité.

4.1.2 Trousse de survie largable (SKAD)

Les aéronefs Buffalo de l'Escadron 442 des Forces canadiennes sont les premiers intervenants pour les opérations de recherches et sauvetage (SAR) sur la côte ouest. Ces aéronefs ont des SKAD à bord lorsqu'ils sont en attente SAR ou lorsqu'ils effectuent des vols d'entraînement dans le secteur. Les aéronefs Aurora sont eux aussi capables de larguer des SKAD, mais ils n'en ont pas toujours à bord parce qu'ils ne peuvent s'acquitter de certaines missions lorsqu'ils transportent des SKAD.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Gerald E. Bennett, Zita Brunet, l'hon. Wilfred R. DuPont et Hugh MacNeil.

Annexes

Annexe A - Croquis du secteur de l'événement

Annexe B - Croquis

Annexe C - Graphique de survie en eau froide

Annexe D - Photographies

«JU JU»
« JU JU »
Photos aériennes prises au moment du naufrage.
Photos aériennes prises au moment du naufrage
Vêtement de flottaison individuel (VFI) porté par la victime
Vêtement de flottaison individuel (VFI) porté par la victime
Veste de sauvetage pour le canotage que portait le matelot survivant.
Veste de sauvetage pour le canotage que portait le matelot survivant

Annexe E - Sigles et abréviations

BFC
Base des Forces canadiennes
BHP
puissance au frein
BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
C
Celsius
C. - B.
Colombie - Britannique
calfatage
Étoupe goudronnée insérée à force dans les interstices de la coque pour les rendre étanches.
CCS
Centre de coordination du sauvetage
cloison
Séparation verticale divisant la coque en compartiments.
effet de carène liquide
Détérioration de la stabilité transversale d'un navire due à une élévation virtuelle du centre de gravité attribuable à la présence ou au déplacement d'une surface libre de liquide.
envahissement par les hauts
L'entrée d'eau dans le navire par des ouvertures à fleur d'eau qui deviennent immergées.
GCC
Garde côtière canadienne
hiloire
Bordure verticale d'une écoutille, d'un cockpit ou d'une partie du pont et destinée à éviter l'écoulement des eaux dans la cale.
HNP
heure normale du Pacifique
kg
kilogramme(s)
LMMC
Loi sur la marine marchande du Canada
m
mètre(s)
M
mille(s) marin(s)
membrure
Poutre en bois soutenant le bordage.
mm
millimètre(s)
N
nord
OMI
Organisation maritime internationale
ONGC
Office des normes du gouvernement canadien - pavois Partie surélevée formant parapet au sommet des murailles d'un navire ou d'une grosse embarcation et dépassant le niveau du pont.
SACSM
Service auxiliaire canadien de sauvetage maritime
SAR
recherches et sauvetage
sentine
Lieu de la cale où s'amassent les eaux et d'où elles peuvent être retirées par les pompes.
SI
système international (d'unités)
SKAD
Trousse de survie largable (Survival Kit Air Dropable) : contient un radeau de sauvetage pneumatique et de l'équipement de survie.
SRGC
station radio de la Garde côtière
UTC
temps universel coordonné
VFI
vêtement de flottaison individuel
VHF
très haute fréquence
°
degré(s)
minute(s)