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Rapport d'enquête aéronautique A94W0026

Déclaration de situation d'urgence et problème de roues
Advance Air Charters
McDonnell Douglas DC-8-62F C-FHAA
Aéroport international de Calgary (Alberta)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Alors que l'avion d'Advance Air Charters roulait en vue du décollage pour effectuer un vol d'affrètement entre Calgary (Alberta) et Murmansk (Russie), deux pneus de roues diagonalement opposés, du côté gauche du train principal, se sont dégonflés. L'équipage de conduite ne s'est pas rendu compte du problème et a poursuivi le décollage. Au cours du décollage, le mécanicien navigant a signalé une faible puissance sur le réacteur no 1. Après le décollage de l'avion, le contrôle de la circulation aérienne a avisé l'équipage que du caoutchouc avait été trouvé sur la piste. Du carburant a été largué, et un atterrissage d'urgence a été effectué sans problème. Personne n'a été blessé.

Le Bureau a déterminé que pendant la circulation au sol, le pneu no 2 s'est dégonflé quand la jante de la roue s'est séparée à cause d'une crique de fatigue non décelée. Le pneu no 5 a été perforé par un morceau de la jante de la roue no 2. Du fait de communications inefficaces, l'équipage a poursuivi le décollage avec deux pneus endommagés du côté gauche. L'exploitant ne dispensait pas de formation en gestion des ressources de l'équipage (CRM) à son personnel, ce qui a contribué à l'inefficacité des communications.

1.0 Renseignements de base

1.1 Déroulement du vol

Le 8 mars 1994, à 6 h 25, heure normale des Rocheuses (HNR)1, un Douglas DC-8-62F qui transportait des passagers et du fret (vol ADV200 d'Advance Air Charters) s'apprêtait à quitter l'aéroport international de Calgary, en Alberta, pour un vol d'affrètement à destination de Murmansk, en Russie.

L'avion transportait 8 membres d'équipage et 75 passagers. La soute à cargo avant (située entre le poste de pilotage et la cabine passagers) était chargée de cinq palettes de marchandises. Au refoulement de la porte 24, l'avion a été positionné sur l'aire de trafic de sorte qu'un virage prononcé à droite de 180 degrés était nécessaire pour pénétrer sur la voie de circulation Charlie. Alors qu'il roulait vers le sud sur Charlie à l'intersection de la piste 07/25, le commandant de bord a placé les deux réacteurs intérieurs en inversion de poussée au ralenti.

Après avoir franchi l'intersection de la piste 07/25, l'équipage de conduite a entendu un bruit sourd, qu'il a attribué à un amortisseur butant en fin de course.

1 Les heures sont exprimées en HNR (temps universel coordonné [UTC] moins sept heures) sauf indication contraire.

2 Voir l'annexe B pour la signification des sigles et abréviations.

Les occupants de la cabine, y compris les agentes de bord et le chef arrimeur de fret de la compagnie, ont entendu un bruit. La chef de cabine, assise à l'arrière de la cabine, a discuté de ce bruit inhabituel avec une des agentes de bord, puis a appelé le poste de pilotage à l'interphone et a demandé au mécanicien navigant quel était le bruit. Le mécanicien navigant a donné une réponse à la blague, mais n'a pas parlé de l'appel avec les autres membres de l'équipage de conduite. Aucun des passagers n'a fait part aux agentes de bord de ses préoccupations au sujet du bruit entendu avant le décollage.

Au sol, le vice-président de la maintenance et deux autres membres du personnel de la compagnie ont entendu deux fortes explosions presque simultanées alors que l'avion circulait vers le sud sur la voie de circulation Charlie. Ils ont d'abord cru à un décrochage de compresseur de réacteur, et ils ont commencé à former une équipe pour qu'elle se rende à l'aire d'attente de la piste 34 afin de vérifier le réacteur. Après le départ de l'avion, on a demandé à la compagnie contractuelle qui avait déposé le plan de vol de communiquer par radio avec l'équipage de l'avion pour vérifier s'il y avait des problèmes, notamment avec les réacteurs.

L'avion s'est arrêté au début de la piste 34 jusqu'à ce que l'équipage reçoive son autorisation de décoller. Le commandant de bord a alors poussé les manettes de puissance, et le mécanicien navigant a observé que le rapport de pression (EPR)2 du réacteur no 1 mettait du temps à augmenter. Le commandant de bord a lâché les freins et, à mesure que l'avion accélérait, une vibration a été ressentie par l'équipage de conduite. L'équipage a conclu qu'il s'agissait de shimmy dans la roue du train avant. Le mécanicien navigant a alors poussé les manettes de puissance et a tenté de régler les EPR au réglage calculé pour le décollage, qui était de 1,98. Le réacteur no 1 (Pratt & Whitney JT3D-3B) affichait un EPR d'environ 1,80, ce qui était inférieur à celui des trois autres réacteurs, alors que le bouton de la manette de puissance du réacteur no 1 devançait les trois autres manettes des gaz d'environ un bouton et demi.

À l'annonce des 80 noeuds, le mécanicien navigant a avisé le commandant de bord de la chute d'EPR du réacteur no 1. Le commandant de bord a répondu au mécanicien qu'il volerait en se fiant au régime du compresseur haute pression du réacteur (N2) et il a poursuivi le décollage. À environ 100 noeuds, le mécanicien navigant a observé une chute de 103 à 98 % du régime du compresseur basse pression du réacteur no 1 (N1), et il a annoncé «faible puissance no 1». On a vu le commandant de bord placer la main sur les manettes de puissance, mais comme la vitesse approchait les 130 noeuds environ, le premier officier a conseillé de ne pas interrompre le décollage. L'avion a accéléré pour dépasser la vitesse de décision (V1) de 147 noeuds et a effectué son cabrage à une vitesse calculée de cabrage (VR) de 162 noeuds. Le commandant de bord a remarqué que la course au décollage avait été légèrement plus longue que d'habitude, mais il n'y avait ni lacet inhabituel ni signe de réduction de puissance. Les occupants de la cabine ont ressenti une forte vibration pendant la course au décollage qui a précédé le déjaugeage. Au cours de la montée initiale, le train d'atterrissage a rentré normalement, et la lecture EPR du réacteur no 1 s'est progressivement réalignée sur celle des indicateurs de puissance des trois autres réacteurs.

Alors que l'avion franchissait 8 000 pieds-mer en montée, le contrôle de la circulation aérienne (ATC) a avisé le vol ADV200 que des morceaux de caoutchouc avaient été trouvés sur la piste de départ. Les membres de l'équipage de conduite ont pensé qu'un pneu du train avant s'était peut-être dégonflé et en ont discuté.

À cause du brouillage statique, le mécanicien navigant n'a pas réussi à communiquer par interphone avec la chef de cabine pour lui dire que du caoutchouc avait été trouvé sur la piste. La chef de cabine s'est rendue au poste de pilotage et, après avoir été avisée que des morceaux de caoutchouc avaient été trouvés sur la piste, elle est retournée dans la cabine pour mettre les agentes de bord au courant.

Le chef arrimeur de fret de la compagnie, qui était assis dans la cabine au-dessus de l'aile, s'est rendu au poste de pilotage après que les consignes lumineuses des ceintures de sécurité se sont éteints et il a indiqué à l'équipage de conduite qu'il croyait que des pneus du train principal avaient éclaté du côté gauche. Il semble qu'il aurait reçu une réponse vague de la part de l'équipage de conduite.

L'équipage de conduite a été avisé par son employeur que c'était du caoutchouc de pneu. À la suite d'un échange sur les différentes options possibles, le commandant de bord a décidé de larguer 112 000 livres de carburant pour réduire la masse maximale de l'avion autorisée pour l'atterrissage, et il a effectué un atterrissage d'urgence à l'aéroport international de Calgary.

Le commandant de bord a demandé à la chef de cabine de se présenter au poste de pilotage où il lui a dit de préparer les passagers pour un atterrissage d'urgence. Ensuite le commandant de bord a annoncé aux passagers que des pneus s'étaient dégonflés et qu'il allait effectuer un atterrissage d'urgence à Calgary.

Plus tard, le commandant de bord a rappelé la chef de cabine dans le poste de pilotage où il l'a avisée que des véhicules de secours seraient prêts à intervenir, et qu'elle devait se préparer à la possibilité d'un incendie à l'atterrissage. On a demandé à la chef de cabine de prévenir l'équipage de conduite s'il se produisait quelque chose d'anormal pendant la course à l'atterrissage, et on lui a dit qu'on l'aviserait s'il fallait évacuer l'avion. La chef de cabine et les agentes de bord ont prévenu les passagers et se sont assurées qu'il y avait quelqu'un aux issues de secours. L'atmosphère dans la cabine était calme, et certains passagers essayaient de dormir. Les agentes de bord n'ont pas utilisé la liste des vérifications d'urgence qui se trouvait dans leur manuel d'agent de bord, et n'ont pas indiqué aux...

3 Les unités correspondent à celles des manuels officiels, des documents, des rapports et des instructions utilisés ou reçus par l'équipage.

...passagers la position de sécurité à prendre. Lors de l'approche, le mécanicien navigant a avisé la chef de cabine que l'atterrissage se déroulerait normalement.

Lorsque le train d'atterrissage de l'avion a été sorti et que la cabine a été dépressurisée, le mécanicien de vol, qui se trouvait sur le strapontin, a observé le train avant par le hublot supérieur et a signalé à l'équipage de conduite que les deux pneus du train avant semblaient intacts.

L'avion s'est posé en douceur sur la piste 16. Le commandant de bord a inversé la poussée, a déployé les déporteurs et a utilisé les freins de roues une fois que la vitesse a diminué. Le commandant de bord a circulé lentement pour sortir de la piste et se rendre à l'aire d'attente, où il s'est arrêté et a coupé tous les réacteurs sauf le réacteur no 4. Des véhicules de secours étaient sur place. Les passagers sont demeurés dans l'avion pendant environ 40 minutes, le temps qu'on s'assure que les autres pneus du côté gauche n'avaient pas été endommagés par la chaleur. Puis les passagers ont évacué l'avion et ont été emmenés par autobus à une installation de passagers privée. L'avion a été examiné et remorqué jusqu'à l'emplacement de la compagnie sur l'aire de trafic.

L'incident s'est produit à 6 h 38 HNR, à l'aube, par 51° 06′ de latitude Nord et 114° 01′ de longitude Ouest3, à une altitude de 3 542 pieds-mer.

1.2 Victimes

Équipage Passagers Tiers Total
Tués - - - -
Blessés graves - - - -
Blessés légers/indemnes 8 75 - 83
Total 8 75 - 83

1.3 Dommages à l'aéronef

Alors que l'avion circulait sur la voie de circulation Charlie, la jante intérieure de la roue no 2 s'est rompue violemment, et un morceau de la jante a perforé le pneu no 5. Des morceaux des pneus no 2 et no 5 ont été projetés vers l'extérieur au cours du décollage et de l'atterrissage. Les brins d'acier des pneus ont endommagé le faisceau de câblage de l'antidérapage avant, au cours de l'atterrissage. La surface inférieure du volet de gauche, la trappe du train d'atterrissage et l'intrados de l'aile ont été légèrement endommagés par les morceaux qui ont été projetés. Les blocs de frein no 1 et no 2 présentaient des dommages d'abrasion et des dommages attribuables à l'impact.

La Douglas Aircraft numérote les pneus et les roues de la façon suivante :

TRAIN AVANT
Gauche Droit
TRAIN GAUCHE TRAIN DROIT
#1 #2 #3 #4
#5 #6 #7 #8

1.5 Renseignements sur le personnel

Commandant de bord Premier officier
Âge 45 ans 55 ans
Licence pilote de ligne pilote de ligne
Date d'expiration du certificat de validation 1 er mai 1994 1 er julliet 1994
Nombre total d'heurs de vol 10,000 11,000
Nombre total d'heures de vol sur type en cause 3,000 2,500
Nombre total d'heures de vol dan le 90 derniers jours 66 76
Nombre total d'heures de vol sur type en cause dans les 90 derniers jours 66 76
Nombre d'heures de service avant l'accident 3 3
Nombre d'heures libres avant la prise de service 24 72

1.5.1 Le commandant de bord

Le commandant de bord volait pour le compte de l'exploitant depuis 10 mois. Il était titulaire d'une licence de pilote de ligne valide, avec une annotation sur DC-8 et une qualification aux instruments de classe 1, groupe 1. Il avait subi sa dernière vérification de compétence pilote (PPC) le 3 août 1993, et avait reçu l'entraînement périodique requis sur simulateur. Il avait travaillé comme technicien d'entretien d'aéronef (TEA) et comme mécanicien navigant avant de piloter commercialement pour le compte de compagnies américaines qui transportaient du fret et des passagers. Il n'avait jamais eu de problèmes de pneus pendant la circulation au sol auparavant.

1.5.2 Le premier officier

Le premier officier volait pour l'exploitant depuis 10 mois. Il était titulaire d'une licence de pilote de ligne valide annotée pour le DC-8 et d'une qualification aux instruments de classe 1, groupe 1. Il avait subi sa dernière PPC le 1er août 1993, et il avait reçu l'entraînement périodique requis sur simulateur. Il avait le statut de commandant de bord auprès de l'exploitant. Après avoir passé 27 ans dans les Forces canadiennes comme navigateur et pilote, il avait volé comme pilote pour un exploitant de DC-8. Il n'avait jamais eu de problèmes de pneus pendant la circulation au sol auparavant.

1.5.3 Le mécanicien navigant

Le mécanicien navigant travaillait pour l'exploitant depuis 10 mois. Il était titulaire d'une licence valide de mécanicien navigant et d'une licence valide de TEA annoté sur DC-8. Il avait réussi son entraînement périodique sur simulateur le 27 novembre 1993. Son expérience avait été obtenue chez les militaires et chez deux exploitants de DC-8. Il n'avait jamais eu de problèmes de pneus pendant la circulation au sol auparavant.

1.5.4 Le mécanicien de vol

Le mécanicien de vol était titulaire d'une licence valide de TEA annoté sur DC-8, et il travaillait pour l'exploitant depuis environ sept mois. Ses fonctions au cours du vol consistaient notamment à aider le chef arrimeur de fret. Il avait travaillé auparavant pour un exploitant de DC-8 et pour un avionneur canadien. Pendant l'incident, il était assis sur le strapontin du poste de pilotage. Il n'avait jamais eu de problèmes de pneus pendant la circulation au sol auparavant.

1.5.5 Le chef arrimeur de fret

Le chef arrimeur de fret, ou directeur de la logistique, n'était pas tenu de posséder une licence de Transports Canada. Il avait travaillé dans sa spécialité pour de nombreux exploitants importants avant de se joindre à la compagnie. Au cours de l'incident, il était assis dans la cabine passagers, au-dessus de l'aile. Il avait déjà eu plusieurs problèmes de pneus et connaissait les bruits et les vibrations associés à ce type de problème. Il a déclaré qu'il n'avait pas appelé l'agente de bord après avoir entendu les pneus se dégonfler.

1.5.6 La chef de cabine

La chef de cabine n'était pas tenue d'être titulaire d'une licence de Transports Canada. Elle avait travaillé comme agente de bord pendant environ deux ans pour deux exploitants importants avant de se joindre à la compagnie comme chef de cabine. Elle était assise sur le siège de l'agent de bord arrière lorsqu'elle a entendu le bruit. Elle n'avait jamais eu de problèmes de pneus pendant la circulation au sol auparavant.

1.5.7 Les agentes de bord

Une des agentes de bord était assise sur le strapontin avant des agents de bord, tandis que l'autre était assise sur le strapontin arrière. L'une avait neuf mois d'expérience, et l'autre deux ans. Les deux ont entendu le bruit pendant la circulation au sol. L'agente de bord qui était assise près de la chef de cabine a encouragé cette dernière à appeler le poste de pilotage au sujet du bruit. Aucune des agentes de bord n'avait eu de problèmes de pneus pendant la circulation au sol auparavant.

1.6 Renseignements sur l'aéronef

Constructeur - McDonnell Douglas
Type et modèle - DC-8-62F (Combi)
Année de construction - 1968
Numéro de série - 45961
Certificat de navigabilité (Permis de vol) - valide
Nombre d'heures de vol cellule - 56 453
Type de moteur (nombre) - Pratt & Whitney JT3D-3B (4)
Type d'hélice/de rotor (nombre) - S.O.
Masse maximale autorisée au décollage - 350 000 lb
Type(s) de carburant recommandé(s) - Jet B
Type de carburant utilisé - Jet B

Le poste de pilotage se trouve à 80 pieds en avant du train d'atterrissage principal.

1.6.1 Masse et centrage de l'aéronef

L'avion avait été chargé à sa masse maximale autorisée de 350 000 livres pour le décollage. Après l'incident, l'exploitant a déchargé et a repesé toute la marchandise, et il a découvert que la masse réelle était inférieure de 800 livres à la masse qui avait été calculée. On a jugé que le centrage de l'avion était dans les limites prescrites.

1.6.2 Indicateur de pression des pneus

À la suite de l'incident, l'organisme de maintenance contractuel a envoyé son indicateur de pression pour une vérification d'étalonnage; la vérification n'a révélé aucune erreur anormale d'étalonnage.

1.6.3 Entretien de l'avion

L'examen des carnets d'entretien a révélé que l'avion avait subi une série de problèmes successifs non reliés, soit un décrochage du compresseur (pompage), un chute d'EPR du réacteur no 1 et des déporteurs défectueux.

Les problèmes relatifs à la chute d'EPR du réacteur no 1 se sont d'abord produits lors du vol précédent, au départ de Russie. L'inscription faite par le mécanicien navigant indique presque exactement la même chute d'EPR au décollage, suivie par un rétablissement aux valeurs normales au cours de la montée initiale, tout comme dans le vol en cause. L'inscription au carnet comprenait une description détaillée du dépannage effectué en vol par le mécanicien navigant sur le circuit pneumatique, qui indiquait une fuite excessive d'air au cours de la vérification de la chute de pression au collecteur. L'inscription indique qu'à l'arrivée au Canada la soupape de sûreté pneumatique du réacteur no 1 a été changée parce qu'elle collait. L'inscription indique aussi qu'un point fixe a été effectué et que tous les paramètres ont été jugés normaux. Toutefois, ces mesures n'avaient pas réglé la chute intermittente d'EPR.

À la suite du vol en question, la soupape de surpression du réacteur no 1 a été changée parce qu'elle fonctionnait par intermittence, une conduite pneumatique a été resserrée dans le logement du train avant, et un joint périphérique a été changé parce qu'il fuyait. Un essai au sol a indiqué que la vérification de la diminution de pression au collecteur se trouvait maintenant dans les limites normales. À la suite de cette mesure, il a été indiqué au rapport que l'avion fonctionnait normalement.

1.6.4 Réglages de la puissance de décollage

Le formulaire de masse et centrage de l'exploitant renferme un tableau des performances au décollage, tableau qui doit être rempli avant le départ. Ce tableau pour le vol en question indiquait que l'EPR au décollage à pleine poussée devait se situer à 1,98; au décollage à 1,94; et en montée à 1,78. Le tableau indiquait que les calculs étaient basés sur une température ambiante de moins cinq °C. Le manuel d'exploitation de la compagnie indique que le régime minimal N1 pour un réglage EPR de 1,98 devait être de 103 %, et que si le régime minimal N1 n'était pas atteint entre 60 et 80 noeuds au décollage, il fallait interrompre le décollage.

1.6.5 Décalage des manettes de puissance (manettes des gaz)

Le mécanicien navigant a signalé que la manette de puissance du réacteur no 1 devançait d'un bouton et demi les trois autres manettes de puissance au cours du décollage.

Le manuel d'exploitation de la compagnie indique que, pour n'importe quel réglage de puissance, les manettes des gaz peuvent être désalignées d'une distance maximale d'un diamètre de bouton.

1.7 Renseignements météorologiques

Les conditions météorologiques à 6 h HNR, signalées par le Service de l'environnement atmosphérique de Calgary, étaient les suivantes : ciel dégagé, température de moins 9 °C, point de rosée de moins 14 °C, vents du 320 degrés magnétique à 4 noeuds, calage altimétrique de 30,11 et visibilité de 15 milles.

1.8 Aides à la navigation

Toutes les aides à la navigation fonctionnaient bien.

1.9 Communications

1.9.1 Communications ATC

Toutes les bandes ATC concernées ont été récupérées et examinées.

1.9.2 Interphone de service de l'avion

L'interphone de service de l'avion permettait uniquement de communiquer avec le poste du mécanicien navigant. Il n'était pas câblé pour que les autres membres d'équipage dans le poste de pilotage puisse entendre les communications des agents de bord. Le système ne signale pas aux autres postes des agents de bord que des communications sont en cours entre le poste de pilotage et le poste d'un agent de bord.

1.10 Renseignements sur l'aérodrome

L'aéroport international de Calgary est un aérodrome homologué, exploité par la Calgary Airport Authority. L'altitude de référence est de 3 557 pieds-mer, et l'aéroport est équipé de tous les services de communication, d'éclairage, de balisage et de navigation obligatoires. Transports Canada offre tous les services ATC, y compris le radar terminal. La piste 34 a été utilisée pour le décollage; elle mesure 12 675 pieds sur 200 pieds, et sa surface est asphaltée. La transition à l'intersection de la voie de circulation Charlie en béton et de la piste asphaltée 07/25 était lisse, et aucune irrégularité n'y a été observée.

1.11 Enregistreurs de bord

1.11.1 Enregistreur de données de vol

L'avion était équipé d'un enregistreur de données de vol (FDR) à 17 canaux Sundstrand F800. En vertu d'une dispense temporaire de Transports Canada, le FDR était autorisé à n'avoir que 12 canaux pour enregistrer. Le Laboratoire technique du BST a préparé un imprimé de la séquence de décollage et l'a comparée aux données de la bande ATC du radar sol de Calgary. Il a été déterminé que le capteur EPR du réacteur no 2 était défectueux. L'accélération longitudinale et les données EPR des réacteurs ont indiqué que le début de la course au décollage s'était produit selon des valeurs EPR avoisinant la vitesse sol de 50 noeuds. L'EPR du réacteur no 1, par contre, s'est stabilisé à environ 1,9, comparativement à 2,0 pour les réacteurs no 3 et no 4. Environ 38 secondes après le lâcher des freins, l'EPR du réacteur no 1 a diminué à environ 1,71 pendant 7 secondes, suivi d'une légère augmentation à 1,79. Les réacteurs no 3 et no 4 sont demeurés à 1,98 ou 1,99 au cours de cette période. L'avion avait atteint la vitesse sol d'environ 111 noeuds et se trouvait à environ 3 800 pieds après le début de la course au décollage au moment de la chute EPR du réacteur no 1. Les valeurs EPR de ce réacteur ont augmenté par la suite pour se comparer à celles des réacteurs no 3 et no 4, lesquelles avaient diminué à environ 1,8 à mesure que l'avion franchissait en montée l'altitude pression de 5 200 pieds environ.

Les données du FDR ont indiqué que les distances de décollage réelles à V1, VR et V2 (vitesse de sécurité pour le décollage) étaient inférieures au calcul des performances du constructeur de l'avion.

1.11.2 Enregistreur phonique

L'enregistreur phonique (CVR) Collins 642 était en mesure d'enregistrer pendant 30 minutes. Le CVR a continué à fonctionner pendant les préparatifs pour l'atterrissage d'urgence, et tous les renseignements relatifs à l'incident ont été oblitérés.

1.12 Renseignements sur l'épave et sur l'impact

1.12.1 Généralités

Le personnel de l'aéroport a trouvé des morceaux de la jante de la roue no 2 ainsi que la trappe de cette roue, sur la voie de circulation Charlie, au sud de l'intersection de la piste 07/25. On a remarqué une trace semi-circulaire de couleur argent sur la surface en béton de la voie de circulation près de l'endroit où un morceau de la roue a été trouvé. Plusieurs petits morceaux de caoutchouc de pneu ont été trouvés sur la voie de circulation Charlie au sud de là, et de gros morceaux de caoutchouc ont été trouvés sur la piste 34. L'examen de l'aire de stationnement où l'avion a entamé sa circulation au sol a révélé des dépôts de caoutchouc sur le béton dus à un virage serré. Le train d'atterrissage principal du DC-8 n'ayant pas de bogie articulé, les pneus peuvent frotter ou rouler sur les jantes lors d'un virage serré. Ce frottement provoque une contrainte supplémentaire sur la jante.

1.12.2 Roues et pneus

Les roues et les pneus no 2 et no 5 ont été examinés par le Laboratoire technique du BST.

Il a été déterminé que le problème de la demi-roue intérieure no 2 avait été causé par une crique de fatigue qui s'était formée dans l'assise du talon, dans le logement de la chambre à air; la demi- roue s'est rompue en surcharge, et le pneu s'est dégonflé. La cause de la crique de fatigue n'a pas été déterminée. La roue no 2 était conforme aux normes du fabricant en ce qui a trait à la composition du matériau, à la dureté et à l'épaisseur transversale dans les zones critiques. Le fabricant (Bendix) de la roue a indiqué que la fracture semblait caractéristique d'une défaillance par fatigue mégacyclique. La crique de 2,7 pouces ayant suivi un plan unique de propagation indique que la roue avait été utilisée du même côté du bogie depuis l'origine de cette crique. Le fabricant a déjà observé, lors de défaillances précédentes, qu'il n'y avait pas eu évidence d'un phénomène qui aurait créé une contrainte supplémentaire. Ceci peut s'expliquer par les effets cumulatifs de dommages au niveau microscopique sur une longue période qui auraient amorcé la crique de fatigue. Étant située directement sous le talon du pneu, la crique n'aurait probablement pas donné lieu à une perte de pression avant la défaillance.

Le pneu no 5 s'est dégonflé parce qu'il a été perforé par des morceaux de la bride de la jante provenant de la roue no 2.

1.13 Inspection et défaillance des roues

1.13.1 Généralités

La roue défectueuse avait été inspectée pour la dernière fois par un exploitant américain avant que l'avion soit importé au Canada. L'entente de navigabilité bilatérale entre le Canada et les États-Unis accepte l'homologation de composants fondée sur les exigences de la Federal Aviation Administration (FAA). Les dossiers de révision de l'exploitant américain n'indiquaient pas quelles méthodes d'essai non destructif avaient été utilisées pour vérifier la présence de crique sur la roue défectueuse, mais l'enquête a révélé qu'une inspection par courants de Foucault avait été effectuée tous les cinq changements de pneus. Le manuel de révision du fabricant de la roue permet l'inspection par ressuage des assises critiques des talons, mais recommande un moyen plus perfectionné, c'est-à-dire l'inspection par courants de Foucault au moment de chaque changement de pneu. Toutefois, pour déceler les petites criques, le ressuage n'est pas aussi efficace que la méthode moderne par courants de Foucault.

À l'heure actuelle, la plupart des transporteurs aériens au Canada inspectent par courants de Foucault les roues d'avion au moment de chaque changement de pneu. Les défaillances de jante de roue sur les avions de la flotte ont pratiquement disparues.

1.13.2 Lettres du fabricant à tous les exploitants

Deux lettres du fabricant à tous les exploitants renfermant des recommandations concernent cet incident.

A) Lettre 8-68, Défaillance des roues du train d'atterrissage principal, publiée le 30 mars 1966 - Cette lettre recommande d'enregistrer les pressions de chaque pneu prise au moment de l'inspection prévol afin de déceler si une roue présente une fuite due à une petite crique.

L'organisme de maintenance contractuel ne se conformait pas à cette recommandation, mais son programme d'inpection approuvé exigeait qu'un pneu soit changé s'il présentait une fuite supérieure à 25 % de sa pression normale.

B) Lettre 8-003, Réitération des procédures et techniques en ce qui a trait aux roues, aux pneus et aux freins, publiée le 19 août 1991 - Cette lettre indique qu'à des vitesses supérieures à V1 moins

20 noeuds, le commandant de bord pourrait ne vouloir interrompre le décollage qu'en cas de panne moteur.

Cette question avait apparemment été discutée au cours de l'entraînement précédent à la compagnie; toutefois, le commandant de bord ne se souvenait pas d'avoir donné un exposé à son équipage à ce sujet. Aucune référence spéciale relative à cette procédure ne figurait dans le manuel d'exploitation de la compagnie, et aucune référence n'est obligatoire.

Interrompre le décollage, surtout dans le cas d'un appareil qui se trouve à la masse maximale au décollage, est jugée une procédure d'urgence et, si cette mesure n'est pas prise rapidement et à une vitesse suffisamment faible, elle peut provoquer une défaillance des pneus, un incendie et des dommages au train d'atterrissage.

1.14 La compagnie

1.14.1 Généralités

Advance Air Charters a commencé ses activités en juillet 1993 avec deux avions DC-8. La compagnie transporte des passagers et du fret en des endroits très éloignés, notamment le nord de la Russie, le Moyen-Orient, le Sud-Est asiatique et l'Amérique du Sud.

1.14.2 Opérations aériennes

L'exploitant a du personnel contractuel, notamment des pilotes, des mécaniciens navigants et des agents de bord qui vivent dans des centres partout au Canada et qui font la navette pour remplir leurs fonctions. Le contrat typique est de 40 heures de vol au moins par mois. Le chef pilote, qui vit à Victoria, avait l'impression que les techniques de gestion des ressources de l'équipage (CRM) étaient utilisées par les pilotes de la compagnie qui avaient une formation militaire. Le vice-président des opérations conservait son statut de commandant de bord sur DC-8 en volant comme pilote de ligne et il avait dû exécuter de lourdes tâches dans le domaine du marketing, au détriment de ses fonctions normales. Le vice-président des opérations a indiqué que la haute gestion de la compagnie avait consacré beaucoup de temps à élaborer une politique de sécurité (l'ensemble des croyances, normes, attitudes, rôles et programmes techniques et sociaux au sein d'une organisation).

Le comité de sécurité de la compagnie se réunissait régulièrement, mais aucun pilote de ligne n'en faisait partie.

Les activités du marché ayant ralenti, les pilotes effectuaient moins d'heures de vol. Résultat : deux pilotes ayant le statut de commandant de bord volaient ensemble. Évidemment, l'un d'eux devait remplir les fonctions du premier officier et transférer à l'autre toutes les questions relatives à la commande de l'appareil. Les rôles pouvaient être inversés à l'étape suivante.

1.14.3 Organisme de maintenance

L'exploitant donne à contrat la maintenance de ses aéronefs à Canadian Commercial Aircraft Overhaul (CCAO ou CanCom). Ce contractant est un organisme de maintenance agréé homologué par Transports Canada et il est autorisé à effectuer certaines tâches de maintenance sur les aéronefs de l'exploitant, conformément à un manuel de contrôle de la maintenance. Le président de CanCom occupe également le poste de vice-président chargé de la maintenance pour l'exploitant.

1.14.4Politique en matière de sécurité

La politique de cette compagnie correspond à celle d'autres nouvelles et petites entreprises d'affrètement à budget limité. Il est évident que la compagnie n'a pas mesuré dans sa juste perspective les répercussions découlant de l'organisation et de la gestion d'effectifs à temps partiel au sein d'une structure organisationnelle conçue pour une exploitation à temps plein.

Le vice-président des opérations a indiqué qu'il était très occupé par de nombreuses questions concernant la compagnie et qu'il n'avait pas suffisamment de temps à consacrer à l'exploitation et à la sécurité. Il savait que le comité de sécurité n'était pas aussi efficace qu'il aurait dû l'être, et il avait l'intention de faire des améliorations à ce chapitre.

Le chef pilote a la responsabilitéé de fusionner ou d'harmoniser la notion de sécurité de tous les pilotes qui volent pour lui et qui ont travaillé pour d'autres exploitants. Cette responsabilitéé peut prendre la forme de procédures d'utilisation normalisées (SOP) et elle doit être renforcée au cours de la formation. Le chef pilote avait l'impression que les techniques CRM étaient utilisées par ses pilotes, surtout ceux qui avaient une formation militaire, mais l'enquête a révélé que ce n'était pas le cas.

1.15 Transports Canada

La responsabilitéé de surveiller l'exploitant avait été divisée entre le bureau régional de la navigabilité de Transports Canada, qui surveillait la maintenance, et le bureau de la 7e région (basé à Ottawa), qui était chargé de la vérification des activités. Au moment de l'incident, Transports Canada n'avait jamais vérifié la maintenance ni les activités de l'exploitant, qui était en affaires depuis 10 mois.

Il a été déterminé que la bibliothèque du bureau régional de la navigabilité de Transports Canada n'avait pas un ensemble complet et à jour de manuels techniques du DC-8. Les inspecteurs de la navigabilité ont besoin de ces manuels comme référence pour remplir leurs tâches normales de vérification.

Il a également été déterminé que la formation technique sur DC-8 n'avait pas été fournie aux inspecteurs chargés de la vérification des activités de cet exploitant.

L'inspecteur principal de maintenance de Transports Canada assigné à cet exploitant était basé à Calgary. Cet inspecteur avait participé à l'élaboration du programme de maintenance, à l'importation d'un deuxième aéronef, et aux tentatives de l'exploitant de régler les problèmes de décrochage de compresseur.

1.16 Décollages et atterrissages à partir de pistes en Russie

Les membres de l'équipage ont indiqué qu'étant donné que les joints de dilatation des pistes en béton en Russie étaient extrêmement raboteux, ils étaient habitués à entendre des bruits provenant du train d'atterrissage. L'exploitant a laissé entendre que cela pouvait avoir un certain rapport avec les criques de fatigue des roues. Un imprimé des données FDR concernant un vol en Russie a été obtenu. L'examen des traces d'accélération verticale effectué par le Laboratoire technique du BST a révélé que les décollages et les atterrissages à Murmansk présentaient un grand niveau de vibrations, signe que la surface à Murmansk était beaucoup plus raboteuse que celle de Calgary (une augmentation d'environ 100 % dans la moyenne de l'amplitude crête à crête). On a remarqué qu'un décollage ou un atterrissage à Murmansk pouvait soumettre l'avion à des charges verticales équivalant à celles de plusieurs atterrissages normaux dans un aéroport nord-américain typique comme celui de Calgary.

1.17 Gestion des ressources de l'équipage

La gestion des ressources de l'équipage (CRM) est l'utilisation efficace de toutes les ressources disponibles à l'équipage de conduite, y compris l'équipement, les procédures techniques et la participation des membres de l'équipage et d'autres intervenants. La formation CRM traite de la communication entre les membres d'équipage, de la façon de prendre des décisions en tant qu'équipage, de la façon dont le leadership est exercé, de l'analyse et du traitement des problèmes, et d'autres éléments concernant l'équipage.

Le programme de formation de l'exploitant ne comprenait pas la formation CRM, même si du personnel de la haute gestion de la compagnie était d'accord avec les principes CRM. Transports Canada encourage les transporteurs aériens à utiliser les techniques CRM, mais n'a pas rendu cette formation obligatoire.

2.0 Analyse

2.1 Introduction

L'analyse porte sur les décisions et les mesures prises par l'équipage quand la roue s'est rompue pendant la circulation au sol et sur l'indication de faible puissance au moment du décollage.

2.2 Défaillance de la roue

Rien n'indique que la roue no 2 ait été endommagée au cours d'un virage serré à l'aérogare. Rien n'indique non plus que le freinage différentiel ni que de la puissance asymétrique aient été utilisés pour accentuer le virage.

La méthode d'inspection non destructive utilisée sur la roue no 2 par le propriétaire américain précédent était la méthode d'inspection par courants de Foucault au moment du cinquième changement de pneu, bien que le fabricant de la roue recommande une inspection par courants de Foucault au moment de chaque changement de pneu.

Les données FDR recueillies lors d'opérations en Russie montrent que les manoeuvres sur des pistes raboteuses peuvent provoquer une augmentation des contraintes sur les roues, ce qui pourrait nécessiter une augmentation des inspections.

2.3 Réactions de l'équipage au bruit des pneus endommagés

Tous les membres de l'équipage dans le poste de pilotage, les passagers, les agentes de bord, le personnel de maintenance à l'emplacement de la compagnie située sur l'aire de trafic et le chef arrimeur de fret assis dans la cabine ont entendu le bruit des pneus endommagés pendant la circulation au sol. Seul le chef arrimeur de fret a pensé que des pneus venaient d'éclater.

L'avion, qui avait été chargé à sa masse maximale totale, venait tout juste de croiser l'intersection de la piste 07/25. Les membres de l'équipage de conduite ont discuté du bruit et ont conclu qu'il s'agissait d'un amortisseur qui butait en fin de course. L'équipage de conduite avait l'habitude d'utiliser des pistes raboteuses en Russie et il a pu être conditionné à interpréter le bruit comme étant celui d'amortisseurs butant en fin de course. Les deux réacteurs intérieurs avaient été réglés en inversion au ralenti pour éviter d'utiliser les freins sur une faible déclivité, ce qui aurait augmenté le niveau de bruit dans le poste de pilotage. Les membres de l'équipage de conduite, dont aucun n'avait eu de problème de pneus pendant la circulation au sol auparavant, portaient également des casques d'écoute, ce qui atténuait les sons provenant de l'extérieur.

Le bruit aurait été plus fort pour les occupants de la cabine passagers que pour l'équipage de conduite puisque le train d'atterrissage principal est situé sous l'aile du côté extérieur de la cabine, à 80 pieds derrière le poste de pilotage. De plus, le poste de pilotage était isolé de la cabine passagers par des cloisons de la soute à cargo avant et par cinq palettes de caisses de marchandises, lesquelles ont probablement atténué le bruit.

Lorsque la chef de cabine a appelé le poste de pilotage, elle a demandé quelle était le bruit, plutôt que de décrire ce qu'elle et l'agente de bord avaient entendu et ressenti. Le mécanicien navigant a donné une réponse à la blague qui a été interprétée comme signifiant que tout allait bien. Cette communication entre deux membres d'équipage n'a pas permis de faire comprendre l'importance du bruit entendu. Lorsque la chef de cabine utilise l'interphone de service dans l'avion, elle ne peut parler qu'au mécanicien navigant. Si le commandant de bord ou le premier officier avaient entendu l'appel de la chef de cabine, ils auraient peut-être pensé qu'il s'agissait des pneus plutôt que des amortisseurs.

Le chef arrimeur de fret, qui avait déjà eu un problème de pneus auparavant, a hésité à appeler une agente de bord ou à avertir l'équipage de conduite avant le décollage lorsqu'il a entendu les pneus se dégonfler. Lorsqu'il s'est finalement rendu au poste de pilotage après le décollage et qu'il a fait part de ses craintes à l'équipage de conduite, les membres de l'équipage de conduite savaient déjà qu'il y avait du caoutchouc sur la piste et n'ont pas porté attention à ses observations.

Lorsque le commandant de bord s'est arrêté au début de la piste 34 pour se préparer à décoller, il ne savait pas que les pneus étaient dégonflés. Certains membres de l'équipage ont communiqué entre eux, et certaines personnes étaient inquiètes, mais leurs inquiétudes n'ont pas été communiquées au commandant de bord. Si les inquiétudes avaient été communiquées et si elles avaient été analysées collectivement, il est possible que le commandant de bord aurait réagi différemment. De la façon dont les choses se sont passées, les préoccupations de chacun ont été interceptées ou rejetées. Lorsqu'un équipage est déterminé à partir, il faut souvent une indication importante ou le signe d'un problème grave et évident pour que des mesures correctives soient prises. Il est naturel et humain de chercher à atténuer ou à rationaliser les stimulis qui vont à l'encontre des mesures prévues.

2.4 Décollage

Lorsque les manettes de puissance ont été poussées, le mécanicien navigant a remarqué que l'EPR du réacteur no 1 mettait du temps à augmenter. Comme il avait eu exactement le même problème sur le vol précédent, il a averti le commandant de bord de la chute d'EPR. À cause de la chute d'EPR, le processus normal de questions et réponses du décollage a été interrompu. Lorsque le régime N1 est passé de 103 à 98 %, le mécanicien navigant s'attendait à ce que le commandant de bord interrompe le décollage, mais celui-ci a décidé de poursuivre le décollage, indiquant qu'il volerait en fonction de N2. La brusque chute d'EPR du réacteur no 1 enregistré par le FDR à la vitesse sol de 111 noeuds correspond probablement à la chute de régime N1. Elle s'est produite quand l'avion franchissait le seuil du régime à haute énergie. Le commandant de bord a indiqué qu'étant donné qu'il n'y avait aucun lacet inhabituel ni aucune sensation de perte de puissance pouvant révéler une faible puissance qu'il avait décidé de poursuivre le décollage. Un indice assez évident pour le commandant de bord était le décalage d'un bouton et demi de la manette des gaz qu'il aurait décelé au moment de mettre la main sur les manettes.

La lettre à tous les exploitants du constructeur sur les interruptions de décollage indique qu'à des vitesses supérieures à V1 moins 20 noeuds, le commandant de bord pourrait ne vouloir interrompre le décollage qu'en cas de panne de moteur.

L'avion a vibré lors de l'accélération, et les membres de l'équipage de conduite ont pensé qu'il s'agissait de shimmy du train avant. En fait, la vibration avait été causée par deux crevaisons. La vibration avait été plus forte dans la cabine, mais la chef de cabine avait jugé que la vibration n'avait pas été assez forte pour appeler le poste de pilotage. Elle n'avait jamais eu de problème de pneus auparavant.

2.5 Préparatifs pour l'atterrissage d'urgence

À cause du brouillage statique dans l'interphone une fois en vol, la chef de cabine a dû se rendre jusqu'au poste de pilotage pour recevoir des instructions du commandant de bord. À deux reprises, la chef de cabine a été avisée qu'il y aurait un atterrissage d'urgence et qu'il pourrait y avoir un incendie au toucher des roues. Le commandant de bord pensait que la chef de cabine avait exécuté les procédures d'urgence du manuel des agents de bord, mais il ne savait pas que cela n'avait pas été fait. La décision du personnel de cabine de ne pas utiliser la liste des vérifications d'urgence semble avoir été prise surtout sur la présomption que tout allait bien jusqu'à présent et parce qu'on ne voulait pas alarmer les passagers. Au moment de l'approche, le mécanicien navigant a indiqué à la chef de cabine que l'atterrissage se déroulerait normalement, alors qu'en réalité on procédait à un atterrissage d'urgence qui risquait de se solder par une tragédie.

2.6 Maintenance

La maintenance effectuée sur le réacteur no 1 par le contractant en maintenance avant l'incident n'avait pas réglé la chute intermittente d'EPR.

3.0 Faits établis

  1. Les membres de l'équipage de conduite possédaient les licences et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur.
  2. L'avion était certifié conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées.
  3. La masse et le centrage de l'avion se trouvaient dans les limites prescrites.
  4. La jante de la roue no 2 s'est rompue pendant la circulation au sol à cause d'une crique de fatigue non décelée, et le pneu s'est dégonflé.
  5. Le pneu no 5 a été perforé par un morceau de la jante de la roue no 2.
  6. Les membres de l'équipage de conduite ont confondu le bruit des pneus endommagés avec le bruit d'un amortisseur qui bute en fin de course; aucun des membres de l'équipage n'avait eu de problème de pneus pendant la circulation au sol auparavant.
  7. Les communications entre la chef de cabine et le poste de pilotage ont été inefficaces à cause d'un interphone inadéquat.
  8. La demande d'information par interphone que la chef de cabine a faite au mécanicien navigant au sujet du bruit n'a pas permis d'obtenir des renseignements pour l'équipage de conduite, sur ce qui avait été entendu et ressenti dans la cabine.
  9. La réponse à la blague du mécanicien navigant à la demande d'information de la chef de cabine a été interprétée comme signifiant que tout allait bien.
  10. Le chef arrimeur de fret, qui était assis dans la cabine et qui avait déjà eu des problèmes de pneus, n'a fait part de ses craintes à l'équipage qu'après le décollage de l'avion.
  11. La vibration des morceaux de pneus du train principal projetés vers l'extérieur a été ressentie dans le poste de pilotage au cours du décollage, mais a été identifiée à tort comme étant un shimmy du train avant.
  12. La vibration a été plus forte dans la cabine, mais la chef de cabine ne l'a pas jugée assez forte pour appeler le poste de pilotage pendant la course au décollage.
  13. Pendant la course au décollage, le mécanicien navigant a avisé à deux reprises le commandant de bord que l'indication de puissance du réacteur no 1 était faible.
  14. Le commandant de bord savait qu'il y avait une chute d'EPR du réacteur no 1, un faible régime N1 et un décalage prononcé des manettes de puissance, mais il a décidé de poursuivre le décollage.
  15. La chef de cabine ne s'est pas assurée que les agentes de bord avaient utilisé les listes des vérifications d'urgence ni qu'elles avaient donné un exposé aux passagers sur la position de sécurité, bien qu'elle ait été avisée par le commandant de bord de se préparer à un atterrissage d'urgence qui risquait de provoquer un incendie au toucher des roues.
  16. Pendant l'approche, le mécanicien navigant a dit à la chef de cabine que l'atterrissage serait normal.
  17. Au moment de l'incident, la maintenance et les activités de l'exploitant n'avaient jamais été vérifiées par Transports Canada.
  18. L'équipage de conduite avait l'habitude d'utiliser des pistes raboteuses en Russie et il a pu être conditionné à interpréter le bruit comme étant celui d'amortisseurs qui butent en fin de course.
  19. La maintenance effectuée sur le réacteur no 1 au terme duvol précédent n'avait pas réglé la chute intermittente d'EPR.
  20. L'équipage de conduite et le personnel de cabine sont entraînés séparément aux procédures d'urgence.
  21. L'exploitant n'offre pas de formation CRM à son personnel d'exploitation, et il n'y est pas tenu par la réglementation.

3.1 Causes

Pendant la circulation au sol, le pneu no 2 s'est dégonflé quand la jante de la roue s'est séparée à cause d'une crique de fatigue non décelée. Le pneu no 5 a été perforé par un morceau de la jante de la roue no 2. Du fait de communications inefficaces, l'équipage a poursuivi le décollage avec deux pneus endommagés du côté gauche. L'exploitant ne dispensait pas de formation en gestion des ressources de l'équipage (CRM) à son personnel, ce qui a contribué à l'inefficacité des communications.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Mesures prises par l'exploitant

À la suite de cet incident, le personnel de maintenance de l'exploitant a revu la formule d'inspection prévol pour que les fuites de pression des pneus puissent être contrôlées. Les équipages de conduite ont également reçu des notes de sécurité sur l'efficacité des communications entre les membres d'équipage.

L'exploitant a indiqué que d'autres mesures seraient prises pour améliorer la sécurité, notamment le recours aux méthodes d'inspection par courants de Foucault pour les roues, des mesures pour réduire les contraintes s'exerçant sur le train d'atterrissage, l'établissement d'une station de base pour les communications, la modification de l'interphone de l'avion, la nomination d'un pilote au comité de sécurité de la compagnie, la formation simultanée aux mesures d'urgence des équipages de conduite et de cabine, et la redistribution des fonctions attribuées au vice-président des opérations.

4.1.2 Transports Canada

Après l'incident, Transports Canada a effectué une inspection de sécurité en cabine à la base de l'exploitant ainsi que des inspections en vol coordonnées. Ces mesures ont été suivies par une inspection de la base qui a porté sur les opérations aériennes et sur la sécurité en cabine, puis par une vérification des activités. Transports Canada a demandé des modifications au manuel d'exploitation de la compagnie, au manuel des agents de bord et aux programmes de formation des équipages, ce qui a été obtenu.

L'ébauche du Règlement de l'aviation canadien.(RAC) renferme des dispositions obligeant les transporteurs aériens à donner la formation CRM et à offrir aux équipages des séances de formation auxquelles participeront ensemble les pilotes et les agents de bord.

4.1.3 Vérifications

Au moment de l'incident, la maintenance et les activités de l'exploitant n'avaient jamais été vérifiées par Transports Canada. Le Manuel des vérifications réglementaires .exige que toutes les compagnies fassent l'objet d'une vérification six mois après leur certification initiale.

En examinant les données relatives à d'autres accidents survenus au cours des 10 dernières années, le BST a constaté qu'il y avait des lacunes dans le processus de vérification réglementaire des transporteurs aériens. Le BST a découvert, entre autres, que les vérifications de Transports Canada n'étaient pas assez rigoureuses, et que Transports Canada n'assurait pas le suivi des mesures imposées après une vérification. Par conséquent, le Bureau a recommandé que :

le ministère des Transports modifie le Manuel des vérifications réglementaires.de façon à soumettre à des vérifications plus approfondies les transporteurs aériens pour lesquels se dégage une tendance négative de leurs indicateurs de gestion des risques.
Recommandation A94-23 du BST

le ministère des Transports s'assure que ses inspecteurs chargés des vérifications soient en mesure d'utiliser les méthodes de gestion des risques de façon à pouvoir identifier les transporteurs devant faire l'objet de vérifications plus rigoureuses.
Recommandation A94-24 du BST

le ministère des Transports élabore en priorité une méthode permettant de surveiller le suivi donné aux vérifications.
Recommandation A94-25 du BST

le ministère des Transports prenne des mesures à court et à long terme pour accorder une plus grande importance au contrôle du suivi donné aux vérifications et aux mesures d'exécution dans les cas de non-conformité.
Recommandation A94-26 du BST

En réponse à ces recommandations, Transports Canada a indiqué qu'il tiendrait compte des recommandations A94-23 et A94-24 au moment de modifier le Manuel des vérifications réglementaires. De plus, Transports Canada veillera à ce que le programme de formation aux procédures de vérification destiné aux inspecteurs tienne compte de la recommandation

A94-24, pour que les méthodes de gestion des risques soient comprises et appliquées correctement.

En ce qui concerne les recommandations A94-25 et A94-26, Transports Canada a répondu que le Manuel des vérifications réglementaires .sera révisé pour s'assurer que des directives claires garantiront de bonnes procédures de suivi aux vérifications. De plus, la version améliorée du Système national d'information sur les compagnies d'aviation (NACIS) qui sera mise en service d'ici septembre 1995 devrait garantir le suivi donné aux vérifications à l'échelle nationale. Entre temps, une directive sera envoyée aux régions pour les enjoindre d'examiner les méthodes de suivi qu'elles utilisent.

4.1.4 Gestion des ressources de l'équipage

De mauvaises communications entre les membres d'équipage ont contribué à cet incident. L'amélioration des aptitudes à communiquer fait partie intégrante du programme de formation CRM. Bien qu'à l'heure actuelle, le programme CRM ne soit pas obligatoire, les Normes de formation de Transports Canada -- qui feront partie du RAC -- obligeront les exploitants aériens à dispenser régulièrement à leurs membres d'équipage de conduite une formation CRM commune.

Comme il a été établi que des problèmes de gestion des ressources de l'équipage (CRM) et de prise de décisions (PDM) avaient contribué à de nombreux incidents et accidents, le Bureau a recommandé

que :

le ministère des Transports élabore des lignes directrices pour la formation en gestion des ressources de l'équipage (CRM) et en prise de décisions du pilote (PDM) à l'intention de tous les exploitants et équipages qui effectuent des vols commerciaux.
Recommandation A95-11 du BST

le ministère des Transports élabore des procédures qui permettent d'évaluer périodiquement les aptitudes en gestion des ressources de l'équipage (CRM) et en prise de décisions du pilote (PDM) de tous les équipages qui effectuent des vols commerciaux.
Recommandation A95-12 du BST

En ce qui concerne la recommandation A95-11, Transports Canada a répondu que les formations CRM et PDM seraient obligatoires pour tous les exploitants aériens soumis au Règlement en matière d'exploitation d'une entreprise de transport aérien. Quant à la recommandation A95-12, Transports Canada a répondu que l'évaluation des aptitudes en CRM se ferait dans le cadre de discussions après la formation périodique commune pilotes/agents de bord. Transports Canada rédige trois guides sur les facteurs humains. On trouvera dans ces documents des outils d'évaluation des dispositions, des connaissances et des aptitudes en matière de PDM, et on y trouvera également des outils de mesure en CRM.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet incident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président John W. Stants, et des membres Zita Brunet et Hugh MacNeil.

Annexes

Annexe A - Liste des rapports pertinents

L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :

On peut obtenir ces rapports en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.

Annexe B - Sigles et abréviations

ATC
contrôle de la circulation aérienne
BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
CRM
gestion des ressources de l'équipage
CVR
enregistreur phonique
EPR
rapport de pression réacteur
FAA
Federal Aviation Administration
FDR
enregistreur de données de vol
HNR
heure normale des Rocheuses
NACIS
Système national d'information sur les compagnies d'aviation
PPC
vérification de compétence pilote
PDM
prise de décisions
RAC
Règlement de l'aviation canadien
S.O.
sans objet
SOP
procédures d'utilisation normalisées
TEA
technicien d'entretien d'aéronef
UTC
temps universel coordonné
V1
vitesse de décision
V2
vitesse de sécurité pour le décollage
VR
vitesse calculée de cabrage