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Le déraillement du train 92 de VIA Rail survenu en février 2012 à Burlington (Ontario)

Wendy Tadros, présidente du Bureau, Bureau de la sécurité des transports du Canada
M. Rob Johnston, gestionnaire, Administration centrale et région du Centre
Burlington (Ontario)
Le 11 juin 2013

Seul le texte prononcé fait foi.

Mot d'ouverture

Wendy Tadros

Je vous remercie de votre présence ce matin.

Le 26 février 2012, le train VIA 92 a déraillé tout juste après la gare d’Aldershot, près de Burlington, en Ontario. Trois membres de l’équipe ont perdu la vie et des dizaines de voyageurs ont été blessés, certains très grièvement. Le Bureau de la sécurité des transports du Canada a consacré du temps et de l’expertise pour mener son enquête indépendante et nous sommes ici aujourd’hui pour vous en présenter les résultats. Nous savons ce qui est survenu, quand cela est survenu, et ce qu’il faut faire pour éviter qu’un tel accident ne survienne de nouveau. C’est pourquoi nous formulons trois recommandations à Transports Canada dans lesquelles nous réclamons des changements fondamentaux à notre réseau ferroviaire afin de faire en sorte que :

Je vais vous parler plus en détail de ces recommandations dans quelques minutes, mais avant je voudrais vous présenter M. Rob Johnston, l’expert qui dirige toutes les enquêtes ferroviaires du BST dans cette région. M. Johnston compte des dizaines d’années d’expérience dans les enquêtes sur les déraillements. Il nous expliquera avec précision ce qui est survenu et ce qui a mal tourné cette journée-là.

Rob Johnston

Bonjour. Vous êtes sur le point d’assister à une simulation réalisée à l’aide de différentes sources, dont une reconstitution et le consignateur d’événements de la locomotive du train VIA 92, qui n’était malheureusement pas muni d’un enregistreur de la parole. Cette simulation a été réalisée du point de vue de l’intérieur de la cabine. Je vais vous expliquer les indications présentées par les signaux, à quel moment et à quels endroits ces indications ont été affichées, ainsi que la vitesse du train.

Vous verrez d’abord le signal près de Waterdown Road. Ensuite, le train s’arrêtera à la gare d’Aldershot. Vous entendrez le klaxon du train après que celui-ci aura quitté la gare, indiquant que les membres de l’équipe ont vu quelque chose devant eux sur la voie. Enfin, vous apercevrez les signaux d’Aldershot East.

Mais avant, je vais vous parler brièvement des signaux. Comparables aux feux de circulation, les signaux de chemins de fer sont constitués de feux vert, jaune et rouge. Toutefois, les signaux ferroviaires diffèrent parleur positionnement, les combinaisons des feux présentés et le clignotement des feux. Ils sont également reliés le long des voies afin de former une progression qui informe l’équipe quant au réglage de la vitesse du train et à la façon d’approcher le signal suivant.

J’ajouterai ici que, lors de notre enquête, nous avons mené des essais approfondis sur le système de signalisation et que nous avons pu déterminer que, ce jour-là, les signaux n’ont subi aucune défaillance; ils fonctionnaient exactement comme prévu.

Revenons maintenant à l’accident.

Le train VIA 92 effectuait son voyage régulier d’après-midi de Niagara Falls à Toronto. Une locomotive remorquait cinq voitures à voyageurs.

Le train roule vers l’est sur la voie 2, la voie du milieu, et s’approche de la gare d’Aldershot pour y effectuer un arrêt prévu. Le signal près de Waterdown Road indique « de vitesse normale à petite vitesse », ou jaune sur jaune, ce qui signifie d’avancer à la vitesse en voie et d’approcher le signal suivant à une vitesse maximale de 15 mi/h.

Le train commence ensuite à ralentir puis s’immobilise à la gare d’Aldershot pendant environ 7 minutes. Habituellement, les trains VIA qui quittent la gare continuent tout droit sur la voie 2. Cependant, ce jour-là, ils ont été redirigés autour d’une équipe qui avait un permis pour effectuer des travaux plus  loin sur la voie.

Les prochains signaux à Aldershot East, après avoir quitté la gare, indiquent « de petite vitesse à vitesse limitée », ou rouge sur jaune clignotant sur vert clignotant, ce qui signifie d’avancer à une vitesse maximale de 15 mi/h au franchissement du signal et de la liaison.

Cependant, le train accélère et le klaxon se fait entendre lorsque l’équipe aperçoit les travailleurs sur la voie.

Le train devrait rouler à 15 mi/h à l’approche de la liaison. Il roule plutôt à une vitesse de 67 mi/h. En raison de cette vitesse excessive, la locomotive déraille, se renverse sur le côté, glisse en bas du talus et heurte le bâtiment.

À la suite de tout accident, les enquêteurs commencent par se poser de nombreuses questions. La principale d’entre elles est évidemment « que s’est-il passé? » Dans le cas présent, la réponse était relativement simple : un train roule à 67 mi/h au franchissement d’une liaison dans laquelle la vitesse maximale permise est de 15 mi/h. En raison de la vitesse excessive, le train a déraillé. Trois personnes ont perdu la vie et plus de la moitié des 70 voyageurs ont été blessés.

Cependant, pour le Bureau de la sécurité des transports, la plus importante question est toujours pourquoi un accident est survenu. Car il faut d’abord comprendre le pourquoi si l’on veut pouvoir établir clairement comment corriger une situation.

Nous nous sommes donc posé la question suivante : les membres de l’équipe n’ont-ils pas aperçu les signaux? C’est très invraisemblable. Les membres de l’équipe connaissaient bien le territoire et il s’agissait d’un trajet habituel pour eux. Leur quart de travail venait tout juste de commencer, les signaux se trouvaient directement devant eux, sans obstructions, les signaux étaient bien en vue pendant au moins deux minutes et ils clignotaient. De plus, le jour de l’accident, trois mécaniciens de locomotive se trouvaient dans la cabine, totalisant plus de 80 années d’expérience dans les chemins de fer.

Il est beaucoup plus vraisemblable que le signal a été aperçu, mais mal interprété. Nos experts ont émis plusieurs théories, lesquelles, prises séparément ou conjointement, pourraient expliquer cette possibilité.

Aucune de ces théories n’est plus ou moins plausible que les autres. Et nous ne pourrons jamais le savoir avec certitude. En effet, nous ne pourrons le savoir sans preuve définitive, comme un enregistrement vidéo ou de la parole, permettant de savoir ce qu’ont fait les membres de l’équipe, ce qu’ils ont dit et à quel moment.

Pourtant, il y a des leçons importantes à tirer de cet événement. Cette enquête nous a beaucoup appris sur les changements fondamentaux qu’il faut apporter au réseau ferroviaire du Canada afin de le rendre plus sûr. Ainsi, nous formulons aujourd’hui trois recommandations que Mme Tadros vous exposera.

Wendy Tadros

Notre première recommandation réclame une méthode automatique à sécurité intrinsèque afin d’arrêter les trains. Vous avez entendu ce qui s’est passé ce jour-là. Est-ce que l’équipe du train VIA 92 a mal perçu le signal? Nous le croyons. Mais cela aurait tout aussi bien pu arriver à une équipe à bord d’un train de marchandises, et cela aurait pu arriver à n’importe quel endroit où des trains croisent des signaux.

Au Canada, le corridor ferroviaire le plus achalandé, entre Québec et Windsor, est soumis à une sorte de chorégraphie : le contrôleur de la circulation ferroviaire règle les mouvements de nombreux trains puis s’assure que les signaux adéquats sont émis sur le réseau. Lorsque les équipes de train observent ces signaux, tout se déroule bien. Toutefois, environ une fois par mois, quelque part au Canada, il y a un écart entre l’indication d’un signal et la perception d’une équipe.

Cela constitue un risque. Et nous devons atténuer ce risque. Pour ce faire, il faut investir dans la sécurité, dans la technologie, de sorte que les trains puissent ralentir et s’arrêter automatiquement, même si une équipe interprète mal un signal.

Nous pouvons commencer par regarder les États-Unis, qui ont un système de contrôle automatique des trains dans le corridor nord-est depuis plus de 60 ans. En fait, les États-Unis étudient actuellement une technologie de nouvelle génération et en vue d’une mise en œuvre sur un plus grand nombre de lignes. Nous pouvons aussi regarder dans le reste du monde. Au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Italie, au Danemark, en Suède, en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Inde, en Chine. Chacun de ces pays dispose d’un système quelconque qui permet de serrer les freins et de ralentir un train au besoin.

Le BST a émis il y a plus d’une dizaine d’années sa première recommandation quant à l’ajout de tels moyens de défense. En guise de réponse, l’industrie a adopté davantage de « règles » et de « procédures », sans pour autant régler le fond du problème. Cela étant, ces accidents continuent de se produire.

Je le répète, les trains de voyageurs ne sont pas les seuls concernés. Chaque jour, des centaines de trains de marchandises croisent des milliers de signaux partout au Canada. Ces trains transportent des produits chimiques. Des liquides inflammables. Et de plus en plus de pétrole. Et les voies empruntées par ces trains longent nos rivières et nos lacs et traversent nos villes.

Une mauvaise perception d’un signal une fois par mois, c’est trop. Trois décès sont trois décès de trop. Le Canada se doit d’être un chef de file mondial. Mais actuellement, nous accusons du retard. Un grand retard. Nous devons innover, car si nous ne le faisons pas, il y aura un autre accident. C’est pourquoi le Bureau recommande aujourd’hui aux grands transporteurs ferroviaires canadiens de voyageurs et de marchandises d’investir dans la technologie, à savoir dans une méthode automatique à sécurité intrinsèque permettant d’arrêter les trains, en commençant par les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada.

Voilà notre première recommandation. Notre deuxième recommandation vise à exiger l’installation de caméras vidéo dans la cabine des locomotives. Afin de prévenir des accidents semblables dans l’avenir, nous devons comprendre pourquoi ils surviennent. Dans l’accident à l’étude, nous connaissons l’indication des signaux. Et nous savons à quelle vitesse roulait le train. Nous savons également que les membres des équipes d’exploitation sont très bien formés pour observer les signaux et qu’ils doivent nommer l’indication de ces signaux et en accuser réception dans la cabine.

Mais que s’est-il passé exactement à l’intérieur de cette locomotive durant les minutes fatidiques qui ont précédé et suivi l’arrêt à la garde d’Aldershot? Manifestement, nous ne le saurons jamais, nous ne le saurons jamais avec certitude, pas sans preuve tangible.

L’industrie de l’aéronautique tire avantage des enregistrements de la parole depuis près de 60 ans. Certains membres de l’industrie du transport maritime envisagent l’installation d’enregistreurs vidéo en complément aux enregistreurs de la parole déjà en place. Le BST a recommandé pour la première fois en 2003 l’utilisation d’enregistreurs de la parole et ne cesse de promouvoir cette recommandation depuis. Pourquoi? Parce qu’il est essentiel de comprendre l’environnement et l’interaction entre les membres de l’équipe. Bien que VIA se soit engagé à doter son parc de locomotives d’enregistreurs de la parole, le reste de l’industrie ferroviaire semble préférer le statu quo : aucun changement et, par conséquent, aucune réponse véritable. Une occasion perdue, en somme.

Aujourd’hui, le Bureau va encore plus loin en recommandant l’installation de caméras vidéo dans la cabine de toutes les locomotives de tête exploitées en voie principale.

Notre dernière recommandation vise à donner aux équipes une meilleure chance de survivre à un accident.

Aux États-Unis, toutes les locomotives construites après 2008 — et toutes les locomotives plus anciennes soumises à une importante remise à neuf — doivent répondre à des normes de résistance à l’impact. Au Canada, les règles ne s’appliquent qu’aux nouvelles locomotives. Mais, la locomotive en cause dans cet accident n’était pas neuve. Elle avait été remise à neuf. Par conséquent, tout comme plus de 90 pour cent des locomotives de marchandises et de voyageurs au Canada, elle n’avait pas à répondre aux normes actuelles plus rigoureuses.

Cela aurait-il permis de sauver la vie des trois personnes qui ont péri ce jour-là? Il est impossible de le savoir, mais il s’agit d’une lacune que nous devons combler. C’est pourquoi le Bureau recommande que les normes de résistance à l’impact visant les nouvelles locomotives s’appliquent également aux locomotives de voyageurs et de marchandises remises à neuf.

En résumé, le Bureau formule aujourd’hui trois recommandations. Nous demandons des changements fondamentaux à notre réseau ferroviaire qui feront en sorte que :

Merci.